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11/05/2005 | FRANCE | N°JURITEXT000006945881

France | France, Cour d'appel de Limoges, Ct0048, 11 mai 2005, JURITEXT000006945881


ARRÊT N DOSSIER N C03 1220 AFFAIRE : Commune de SAINT AMAND JARTOUDEIX C/ BARRIERE épouse X... voie de fait-DI BL/PS Grosse à Me DURAND MARQUET, avoué

COUR D'APPEL DE LIMOGES

CHAMBRE CIVILE

DEUXIEME SECTION

ARRET DU 11 MAI 2005

A l'audience publique de la CHAMBRE CIVILE DEUXIEME SECTION DE LA COUR D'APPEL DE LIMOGES, le ONZE MAI DEUX MILLE CINQ, a été rendu l'arrêt dont la teneur suit : ENTRE :

Commune de SAINT-AMAND JARTOUDEIX, représentée par son maire, domicilié en cette qualité à la mairie 23400 SAINT AMAND JARTOUDEIX

APPE

LANT d'un jugement rendu le 10 juin 2003 par le tribunal de grande instance de GUÉRET

COMPARANT et ...

ARRÊT N DOSSIER N C03 1220 AFFAIRE : Commune de SAINT AMAND JARTOUDEIX C/ BARRIERE épouse X... voie de fait-DI BL/PS Grosse à Me DURAND MARQUET, avoué

COUR D'APPEL DE LIMOGES

CHAMBRE CIVILE

DEUXIEME SECTION

ARRET DU 11 MAI 2005

A l'audience publique de la CHAMBRE CIVILE DEUXIEME SECTION DE LA COUR D'APPEL DE LIMOGES, le ONZE MAI DEUX MILLE CINQ, a été rendu l'arrêt dont la teneur suit : ENTRE :

Commune de SAINT-AMAND JARTOUDEIX, représentée par son maire, domicilié en cette qualité à la mairie 23400 SAINT AMAND JARTOUDEIX

APPELANT d'un jugement rendu le 10 juin 2003 par le tribunal de grande instance de GUÉRET

COMPARANT et CONCLUANT par la SCP CHABAUD-DURAND MARQUET, Avoués près la Cour d'Appel de LIMOGES, PLAIDANT par Maître CHAGNAUD, avocat au barreau de Limoges ; ET :

Madame BARRIERE Y... épouse X..., de nationalité française, née le 15 juin 1927 à CHAMALIERES (Puy de Dôme), demeurant 96-98 rue Saint Dominique 75007 PARIS

INTIMÉE

COMPARANT et CONCLUANT par Maître JUPILE BOISVERD, avoué, PLAIDANT par Maître DESPUJOLS, avocat au barreau de Bordeaux

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L'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 23 mars 2005 , après ordonnance de clôture rendue le 24 février 2005, au cours de laquelle, la COUR étant composée de Monsieur Bertrand LOUVEL, Premier Président, de Madame Christine MISSOUX Z... et de Monsieur

Pierre-Louis PUGNET, Conseillers, assistés de Madame Pascale A..., Greffier, ont été entendus Maîtres CHAGNAUD et DESPUJOLS, avocats en leur plaidoirie ;

Puis, Monsieur le PREMIER PRESIDENT a renvoyé le prononcé de l'arrêt, pour plus ample délibéré, à l'audience du 11 mai 2005 ;

A l'audience ainsi fixée, l'arrêt qui suit a été prononcé, les mêmes magistrats en ayant délibéré.

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LA COUR

En vertu d'une donation que ses parents lui ont faite en 1982, Madame X... est propriétaire à SAINT-AMAND JARTOUDEIX (Creuse) de diverses parcelles cadastrées notamment 53 et 161, cette dernière comportant, outre un bâtiment, une cour reliant à l'ouest un chemin appelé chemin des Coutures rejoignant la route de Clermont au nord, et une voie communale à l'est appelée route de Beauvais. Cette cour est l'objet d'un litige entre Madame X... et la commune.

En effet, par délibération du 18 mai 1989, le conseil municipal a engagé la procédure de classement dans la voirie communale du chemin des Coutures en décidant une enquête publique préalable, et, celle-ci n'ayant donné lieu à aucune observation, le classement dans le domaine public du chemin des Coutures, y compris la cour de la parcelle 161, considérée comme une partie de ce chemin, a été approuvé par une seconde délibération du 28 décembre 1989.

Les années ont passé jusqu'à ce que la commune installe des riverains en 1996 aux abords du chemin des Coutures, et que ceux-ci se mettent à emprunter le chemin pour rejoindre la route de Beauvais vers l'est en passant par la cour séparant en deux la propriété de Madame X...

Souhaitant mettre fin à ce passage, Madame X... a mis en place une

chaîne à l'entrée de la cour en septembre 1998. Ceci lui a valu le 23 octobre 1998 une mise en demeure du maire lui enjoignant de retirer la chaîne et, faute d'exécution, la mairie y a procédé elle-même le 20 novembre 1998, le maire faisant alors état de ses pouvoirs de police comme il en a le devoir pour rétablir une circulation publique préexistante, en dépit des contestations auxquelles celle-ci peut donner lieu.

Estimant être l'objet d'une double voie de fait, à la fois en raison de l'appropriation de son bien par la commune, et en raison de l'enlèvement de la chaîne qu'elle avait installée sur ce bien, Madame X... a saisi le tribunal de grande instance de GUÉRET le 30 septembre 1999.

Le juge de la mise en état a commis un expert par ordonnance du 6 décembre 2000 afin que le tribunal soit éclairé sur le statut de la parcelle litigieuse, et l'expert, Monsieur B..., a rédigé le 24 octobre 2001 un rapport dont il résulte que la cour de la parcelle 161 a bien servi de chemin dans le passé, mais l'expert n'a pu se prononcer entre, d'une part, le statut de chemin rural, c'est à dire de chemin du domaine privé de la commune affecté à l'usage du public comme voie de passage, et, d'autre part, le statut de chemin d'exploitation, c'est à dire de chemin privé dont la propriété est divisée entre les riverains qu'il dessert au droit de leurs fonds respectifs. L'expert observait néanmoins qu'en tout état de cause, Madame X... ne pouvait être entièrement propriétaire du chemin.

Par un jugement du 10 juin 2003, le tribunal de grande instance de GUÉRET a considéré que la commune ne rapportait pas la preuve de l'affectation du chemin des Coutures à l'usage du public et donc de sa nature de chemin rural, et que celui-ci apparaissait au contraire comme un chemin d'exploitation au vu des titres produits.

Le tribunal observait ensuite qu'aux termes de la loi, la procédure

de classement, si elle est applicable aux chemins ruraux, ne l'est pas aux chemins d'exploitation, qu'en procédant de la sorte avec la parcelle 161 la commune s'est appropriée un terrain privatif en se dispensant de suivre la procédure de l'expropriation et donc en usant d'un détournement de pouvoir constitutif d'une voie de fait. De même, le maire ne pouvait pas enlever de sa propre autorité la chaîne installée par un particulier pour clôturer sa propriété, et une seconde voie de fait a donc été commise de ce chef.

En conséquence, le tribunal se déclarait compétent pour annuler les deux délibérations du conseil municipal bien qu'il n'ait pas été formellement saisi de cette demande qu'il a considérée néanmoins comme comprise nécessairement dans les prétentions de Madame X... tendant à faire cesser les voies de fait.

En conclusion, le tribunal donnait gain de cause à Madame X... et lui allouait 2 000 euros de dommages et intérêts.

La commune de SAINT-AMAND JARTOUDEIX a relevé appel de ce jugement. Elle reprend l'argumentation vainement soutenue devant les premiers juges et selon laquelle elle n'a pas commis de voie de fait.

Elle rappelle que la voie de fait supposerait une atteinte au droit de propriété de Madame X... qui est précisément discuté, ainsi qu'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l'administration prévu par la loi et exercé en conformité de celle-ci. Or, en l'occurrence, le conseil municipal a procédé régulièrement en recourant à l'enquête publique, puis au classement du chemin, ainsi que le prévoit la loi. Il appartenait à Madame X..., au besoin, de critiquer ces délibérations devant la juridiction administrative seule compétente pour en connaître. En réalité, Madame X... a laissé passer le délai de recours et elle tente d'échapper à la prescription avec dix ans de retard en usant de manière infondée de la théorie de la voie de fait devant le juge

judiciaire qui est incompétent pour connaître de la régularité des délibérations d'un conseil municipal.

De la même manière, c'est régulièrement que le maire, et non la commune d'ailleurs, a fait usage de ses pouvoirs propres en matière de police pour rétablir la circulation du public entravée par Madame X... sans avoir fait préalablement reconnaître ses droits privatifs.

La commune conclut donc à titre principal à l'incompétence des juridictions judiciaires et au renvoi de Madame X... devant le tribunal administratif.

Subsidiairement, la commune fait valoir sur le fond les constatations de l'expert selon lesquelles la cour de la parcelle 161 était bien à usage de chemin, et que l'affectation à l'usage du public résulte de sa situation même dans le prolongement du chemin des Coutures qui relie la route de Clermont à la route de Beauvais.

Plus subsidiairement, pour le cas où, néanmoins, la cour reconnaîtrait au chemin le statut de chemin d'exploitation, la commune conclut à l'infirmation du jugement au motif, d'une part, que Madame X... ne pouvait pas installer une chaîne sur un chemin dont elle partage la propriété avec d'autres riverains, et, d'autre part, que le tribunal a statué ultra petita en annulant la décision de classement du conseil municipal, ce qui ne lui était pas demandé et ce qui ne peut l'être devant le juge d'appel puisqu'il s'agit alors d'une demande nouvelle.

La commune réclame 5 000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Madame X... conclut au contraire à la confirmation du jugement, y compris en ce qu'il a annulé les délibérations du conseil municipal, demande selon elle recevable en appel de toute manière dès lors qu'elle est virtuellement comprise dans les prétentions soumises aux

premiers juges au sens de l'article 566 du Nouveau Code de procédure civile.

Madame X... soutient en effet la voie de fait dès lors que le conseil municipal ne pouvait user de son pouvoir de classement du chemin dans la voirie communale que dans la mesure où celui-ci était un chemin rural, ce que la commune n'établit pas. En conséquence, la commune a bien commis un détournement de procédure constitutif d'une voie de fait puisque, en l'état du caractère privatif du chemin, la procédure de classement était en l'occurrence insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l'administration et qu'elle a porté atteinte à un droit de propriété privée.

La commune ne peut donc pas soulever l'incompétence des juridictions judiciaires au profit des juridictions administratives, ce qu'elle n'a d'ailleurs pas fait in limine litis dans ses premières conclusions devant le tribunal.

Madame X... réclame enfin 3 050 euros de dommages et intérêts et 4 500 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile SUR CE

ATTENDU que l'exception d'incompétence des juridictions judiciaires est nécessairement comprise dans les moyens de l'administration tendant au déboutement du demandeur en raison de l'absence de voie de fait ;

Que la commune de SAINT-AMANT JARTOUDEIX a contesté l'existence d'une voie de fait dès ses premières écritures ;

Que l'exception d'incompétence est donc recevable ;

ATTENDU que la voie de fait justifiant la compétence de l'autorité judiciaire suppose un agissement de l'administration manifestement insusceptible de se rattacher à l'un de ses pouvoirs et portant une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale ;

Qu'en conséquence, pour que la délibération d'un conseil municipal portant classement d'un chemin dans le domaine public de la commune soit constitutive d'une voie de fait, il faut que ce chemin ait été, de manière manifeste, une propriété privée ;

Qu'en l'occurrence, il n'est pas établi que la cour de la parcelle 161 soit à l'évidence une propriété privée, ni même une partie d'un chemin d'exploitation plutôt qu'un chemin rural, alors que sa situation en fait le prolongement d'un chemin qui assure la jonction entre deux voies publiques, ce qui laisse présumer une destination ancienne à l'usage du public, tandis que par ailleurs l'expert qui a été spécialement désigné pour éclairer le tribunal sur la nature du chemin n'a pas été en mesure de réunir des éléments déterminants en faveur de l'un ou l'autre statut ;

Que la charge de la preuve des conditions de la voie de fait pèse sur Madame X... qui n'établit pas une atteinte manifeste à un droit de propriété privatif ;

Qu'en conséquence, les délibérations du conseil municipal qui sont à l'origine du classement de la parcelle 161 dans le domaine public ne peuvent être qualifiées de voie de fait et justifier ainsi la compétence du juge judiciaire ;

ATTENDU que, par ailleurs, il est avéré que la circulation publique s'est établie sur la parcelle 161 au moins entre 1996 et 1998 puisque c'est cette circulation qui a déterminé Madame X... à fermer par une chaîne l'accès à cette parcelle en septembre 1998 ;

Que, dès lors, et indépendamment de toute appréciation sur le litige intéressant la propriété de la parcelle, le maire n'a pas usé de ses pouvoirs de police dans des conditions manifestement irrégulières en rétablissant la circulation publique ainsi entravée, de telle manière que cet acte puisse être qualifié de voie de fait ;

Que le juge judiciaire est donc également incompétent pour connaître

de la décision du maire à cet égard ;

Qu'en conclusion, le jugement sera infirmé ;

Qu'il sera alloué 1 500 euros à l'appelante en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

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PAR CES MOTIFS

LA COUR,

STATUANT en audience publique, contradictoirement, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de GUÉRET du 10 juin 2003 ; et, statuant à nouveau,

SE DÉCLARE incompétente et renvoie Madame X... à se mieux pourvoir ;

LA CONDAMNE aux dépens

LA CONDAMNE aux dépens de première instance et d'appel, distraits en faveur de la SCP d'avoués DURAND MARQUET, et à payer 1 500 euros pour les autres frais à la commune de SAINT-AMAND JARTOUDEIX.

CET ARRET A ETE PRONONCE A L'AUDIENCE PUBLIQUE DE LA CHAMBRE CIVILE DEUXIEME SECTION DE LA COUR D'APPEL DE LIMOGES DU ONZE MAI DEUX MILLE CINQ PAR MONSIEUR LE PREMIER PRESIDENT LOUVEL. LE GREFFIER,

LE PREMIER PRESIDENT, P. A...

B. LOUVEL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Limoges
Formation : Ct0048
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006945881
Date de la décision : 11/05/2005

Analyses

SEPARATION DES POUVOIRS

Ne constitue pas une voie de fait administrative la délibération d'un conseil municipal ayant classé un chemin dans le domaine public, dès lors que le caractère privatif de ce chemin n'était pas manifestement établi.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.limoges;arret;2005-05-11;juritext000006945881 ?
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