ARRET N° 24/287
N° RG 23/00256
N°Portalis DBWA-V-B7H-CMN2
M. [I] [T] [R]
C/
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS
COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 30 JUILLET 2024
Décision déférée à la cour : jugement de la commission d'indemnisation des victimes de dommages résultant d'une infraction de Fort de France, en date du 11 mai 2023, enregistrée sous le n° 22/00124 ;
APPELANT :
Monsieur [I] [T] [R]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Philippe SENART, avocat au barreau de MARTINIQUE
INTIMEE :
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS - FGTI -
Prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège.
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Valérie VADELEUX de la SELARL VADELEUX & ASSOCIES, avocat au barreau de MARTINIQUE
MINISTERE PUBLIC :
L'affaire a été communiquée au Ministère public représenté par Madame B. SENECHAL, Vice procureure placée, qui a fait connaître son avis ;
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 mai 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Nathalie RAMAGE, présidente de chambre, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte dans le délibéré de la cour, composée de :
Présidente : Mme Nathalie RAMAGE, présidente de chambre
Assesseur : M. Thierry PLUMENAIL, conseiller
Assesseur : Mme Claire DONNIZAUX, conseillère
Greffière, lors des débats : Mme Micheline MAGLOIRE,
Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l'arrêt fixée au 30 juillet 2024
ARRÊT : contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE :
Par requête du 24 juin 2022, M. [I] [R] a saisi la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) du tribunal judiciaire de Fort-de-France afin d'obtenir du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions (FGTI) l'indemnisation de son préjudice causé par l'agression dont il a été victime dans la nuit du 13 au 14 mars 2011 à Fort-de-France, commise par M. [W] [J] et M. [K] [X].
Par jugement réputé contradictoire rendu le 11 mai 2023, la CIVI a notamment :
- rejeté la demande d'indemnité de M. [I] [R] ;
- rappelé à M. [I] [R] qu'il dispose d'un délai d'un an à compter de la notification de la décision pour solliciter une aide au recouvrement des dommages et intérêts alloués par le jugement du 5 novembre 2021 auprès du SARVI ;
- laissé les dépens à la charge du trésor public.
Par déclaration électronique en date du 9 juin 2023, M. [I] [R] a interjeté appel du jugement susvisé en ce que la CIVI a rejeté sa demande d'indemnité.
L'affaire a été orientée à la mise en état.
Par conclusions de motivation d'appel notifiées par voie électronique le 3 août 2023, M. [I] [R] demande à la cour de :
- réformer le jugement du 9 juin 2023 en toutes ses dispositions ;
- juger qu'il convient d'analyser la recevabilité de la requête en indemnisation de M. [I] [R] devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions in concreto ;
- juger que son incapacité totale de travail personnel (ITTP) est supérieure à un mois en raison de ce que les faits commis à son encontre et réprimés par le tribunal correctionnel ont généré une gêne notable dans ses activités quotidiennes et usuelles pendant une durée supérieure à un mois, en l'espèce au moins pendant une durée de 2 mois ;
- juger la requête de M. [I] [R] recevable sur le fondement de l'article 706-3 du code de procédure pénale et que le fond d'indemnisation des victimes d'infractions devra payer à M. [I] [R] les sommes correspondant aux préjudices qu'il a subi à raison de la commission des infractions de violences avec arme dont il a été victime à savoir :
25 875, 01 euros selon le détail suivant :
dépenses de santé actuelles : 14 875,79 euros,
perte de gains professionnels actuels : 2 446, 72 euros,
assistance tierce personne : 210 euros,
déficit fonctionnel temporaire : 1 342,50 euros,
souffrances endurées : 6 000 euros,
préjudice esthétique permanent : 1 000 euros,
600 euros en remboursement des frais d'expertise médicale qu'il a consignés ;
- juger et ordonner au fonds de garantie de procéder à son indemnisation à hauteur des montants suivants ;
- juger que les condamnations à intervenir porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement à intervenir ;
- juger que le fonds de garantie devra payer et porter la somme de 3.500 euros à M. [I] [R] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- juger et ordonner au fonds de garantie de payer et porter les frais et dépens de la présente instance à M. [I] [R].
Aux termes de ses conclusions d'intimé notifiées par voie électronique le 1er décembre 2023, le FGTI demande à la cour de :
- confirmer purement et simplement la décision de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions du tribunal judiciaire de Fort-de-France en date du 11 mai 2023 ;
- débouter purement et simplement M. [I] [R] de toutes ses demandes ;
- condamner le défendeur au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dépens comme de droit.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 septembre 2023, le ministère public requiert la confirmation du jugement querellé.
La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fait expressément référence à la décision entreprise, ainsi qu'aux dernières conclusions déposées.
La procédure a été clôturée le 18 janvier 2024 et l'affaire appelée à l'audience du 24 mai 2024.
MOTIFS :
M. [I] [R] conteste le jugement rendu par la CIVI en ce qu'il a rejeté sa demande indemnitaire aux motifs qu'il ne démontrait pas avoir subi une incapacité totale de travail supérieure à un mois, condition pour obtenir l'indemnisation intégrale de son préjudice auprès du fonds de garantie sur le fondement de l'article 706-3 du code de procédure pénale, et en ce qu'il ne remplissait pas les conditions de ressources requises par l'article 706-14 du code de procédure pénale pour bénéficier d'une indemnisation plafonnée.
Selon l'article 706-3 du code de procédure pénale, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction, peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne notamment lorsque ces faits ont entraîné une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois.
En l'espèce, il résulte du jugement du tribunal correctionnel de Fort-de-France du 4 juillet 2012 que M. [I] [R] a été victime d'une agression qualifiée de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à 8 jours, en l'espèce 20 jours, en réunion et avec arme, chef duquel M. [K] [X] et M. [W] [J] ont été déclarés coupables.
Le tribunal correctionnel s'est fondé sur le rapport d'expertise médicale réalisée le 9 juin 2011 par le docteur [P] [B], désigné par le juge d'instruction. L'expert a constaté qu'au cours de l'agression, survenue dans la nuit du 13 au 14 mars 2011, M. [I] [R] avait subi deux tirs d'arme à feu ayant occasionné d'une part une plaie transfixiante au niveau de la cuisse gauche avec fracture médio-diaphysaire oblique du fémur gauche, et d'autre part plusieurs plaies superficielles de la main droite. Si les plaies de la main droite, décrites comme superficielles, n'avaient pas eu de retentissement fonctionnel et avaient été traitées par des soins locaux, la fracture du fémur gauche avait en revanche nécessité une prise en charge chirurgicale sous anesthésie générale avec enclouage centro-médullaire, suivie d'une hospitalisation de 6 jours, de soins locaux à domicile et d'une rééducation par kinésithérapie toujours en cours à la date de l'examen. Au regard de ces éléments, l'expert a retenu une incapacité totale de travail au sens pénal de 20 jours, tout en précisant que cette agression avait entraîné un arrêt de travail professionnel de 2 mois, jusqu'au 13 mai 2021, M. [I] [R] ayant repris son activité le 14 mai 2011 en qualité d'agent administratif en pharmacie.
M. [I] [R] a également fait l'objet d'une expertise médicale aux fins d'évaluation de son préjudice corporel, réalisée par le docteur [M] [A], désigné par la juridiction pénale statuant sur intérêts civils. Dans son rapport du 15 mai 2014, l'expert a fixé la durée de l'incapacité totale de travail au sens pénal à 15 jours. Il a également retenu un déficit fonctionnel temporaire total du 13 mars 2011 au 18 mars 2011 puis du 19 septembre 2011 au 22 septembre 2011 (première hospitalisation liée à l'opération chirurgicale et seconde hospitalisation liée à l'ablation du clou fémoral), un déficit fonctionnel temporaire partiel de classe 3 du 19 mars 2011 au 3 avril 2011, de classe 2 du 4 avril 2011 au 13 mai 2011, et de classe 1 à compter du 14 mai 2011 (date de la reprise du travail). Il a fixé la date de la consolidation au 22 février 2012, indiqué qu'il n'existait pas de déficit fonctionnel permanent, précisé au titre de la perte de gains professionnels actuels que M. [I] [R] a été en arrêt de travail du 13 mars 2011 au 13 mai 2011, et énoncé qu'il a reçu l'aide de sa mère durant les 15 premiers jours post-opératoires en mars 2011.
L'appelant expose que la CIVI n'est pas liée par la durée de l'incapacité totale de travail fixée par la juridiction pénale, qui doit être appréciée in concreto. Il justifie avoir bénéficié d'arrêts de travail jusqu'au 13 mai 2011 inclus, soit d'un arrêt total de 2 mois, précise qu'il a dû se déplacer avec deux cannes anglaises pendant deux mois puis avec un canne anglaise pendant un mois, et ajoute avoir dû subir une seconde intervention chirurgicale en septembre 2011 pour l'ablation du clou centro-médullaire et que son état n'était consolidé qu'au 22 février 2022. Il soutient en conséquence que la durée de son incapacité totale de travail personnel au sens de l'article 706-3 du code de procédure pénale est, au regard de ces éléments, d'au moins deux mois.
Il est de jurisprudence constante que l'incapacité totale de travail personnel au sens de l'article 706-3 du CPP ne se confond ni avec le déficit fonctionnel temporaire (Civ. 2, 19 novembre 2015, n° 14-25.519), ni avec l'incapacité totale de travail retenue par le juge répressif pour l'application du texte pénal d'incrimination (Civ. 2, 5 mars 2020, n° 19-12.720) et qu'elle ne correspond pas nécessairement à l'impossibilité pour la victime d'exercer son activité professionnelle (Civ. 2, 23 mai 2019, n° 18-13.241).
La date de la consolidation n'est pas non plus déterminante dans l'évaluation de la durée de l'incapacité totale de travail personnel puisqu'elle correspond à la stabilisation des conséquences des lésions organiques et physiologiques, c'est-à-dire au moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent tel qu'un traitement n'est plus nécessaire, si ce n'est pour éviter une aggravation, et qu'il est possible d'apprécier un certain degré d'incapacité permanente réalisant un préjudice définitif.
L'incapacité totale de travail a été définie par la Haute autorité de santé comme « ne concern[ant] pas le travail au sens strict mais la durée de la gêne notable dans les activités quotidiennes et usuelles de la victime (perte des capacités habituelles de déplacement, des capacités habituelles de communication, de manipulation des objets, altération des fonctions supérieurs, dépendance à un appareillage ou à une assistance humaine), notamment : manger, dormir, se laver, s'habiller, sortir pour faire des courses, se déplacer, jouer (pour un enfant). La période pendant laquelle une personne est notablement gênée pour se livrer à certaines des activités précitées est une période d'incapacité. »
Il convient donc de déterminer la durée de la période au cours de laquelle M. [I] [R] a été notablement gêné dans ses activités quotidiennes et usuelles.
Au regard des constatations des deux experts, il apparaît que M. [I] [R] est resté hospitalisé du 13 au 18 mars 2011, date à compter de laquelle il a reçu des soins infirmiers quotidiens à domicile et bénéficié de l'aide de sa mère chez qui il habitait, pendant 15 jours. A la suite de son opération chirurgicale et de la pose d'un clou centro-médullaire au fémur gauche, les médecins ont autorisé un appui immédiat, de sorte qu'il a immédiatement pu se déplacer avec une paire de cannes anglaises.
M. [I] [R] a reçu des séances de rééducation jusqu'en juin 2011, s'est déplacé avec deux cannes anglaises pendant deux mois puis avec une seule pendant un mois supplémentaire. Il a repris son activité professionnelle deux mois après les faits.
Ces éléments permettent de retenir que c'est à juste titre que le docteur [B] a fixé la durée de l'incapacité totale de travail de 20 jours, et que la juridiction pénale puis la CIVI ont retenu cette durée, qui correspond effectivement à la période au cours de laquelle M. [I] [R] a été notablement gêné dans ses activités quotidiennes et usuelles, à raison tout d'abord de l'intervention chirurgicale et de l'hospitalisation initiale (6 jours), puis de la nécessité de recevoir des soins infirmiers à domicile et l'aide d'une tierce personne ' ici familiale -, pendant deux semaines (14 jours).
Le fait que M. [I] [R] se soit déplacé avec deux cannes anglaises pendant deux mois et qu'il n'ait repris le travail que deux mois après l'accident ne sont pas de nature à allonger la durée de l'incapacité totale de travail, dès lors qu'après cette période d'incapacité totale de 20 jours, M. [I] [R] avait retrouvé une certaine autonomie dans ses activités quotidiennes et usuelles.
A supposer même que l'incapacité totale de travail soit susceptible de fractionnement, le durée de l'immobilisation de M. [I] [R] du 18 au 22 septembre 2011 pour l'ablation du dispositif médical à l'occasion d'une seconde hospitalisation ne conduirait pas à une durée d'incapacité supérieure à un mois.
L'appelant ne justifie donc pas d'une incapacité totale de travail supérieure à un mois susceptible d'ouvrir droit à l'indemnisation de son préjudice par le fonds de garantie.
Il n'est pas ailleurs ni soutenu ni démontré que les ressources de M. [I] [R] auraient été inférieures au plafond légal prévu pour bénéficier d'une indemnisation plafonnée sur le fondement de l'article 706-14 du code de procédure pénale à raison d'une incapacité totale de travail personnel inférieure à un mois.
Il n'est donc pas démontré que l'appelant remplit les conditions légales pour bénéficier de la prise en charge de son indemnisation par la solidarité nationale, il y a lieu de confirmer la décision querellée en ce qu'elle a rejeté sa demande indemnitaire.
En application des articles R. 91 et R. 93 II 11° du code de procédure pénale, les dépens d'appel resteront à la charge du Trésor public.
En considération de l'issue et de la nature du litige, les parties seront déboutées de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement querellé en toutes ses dispositions frappées d'appel ;
Y ajoutant,
DIT que les dépens d'appel resteront à la charge du Trésor public ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Nathalie Ramage, présidente de chambre et Mme Micheline Magloire, greffière, lors du prononcé à laquelle la minute a été remise.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,