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12/07/2024 | FRANCE | N°23/00076

France | France, Cour d'appel de Fort-de-France, Chambre sociale, 12 juillet 2024, 23/00076


ARRET N° 24/89



R.G : N° RG 23/00076 - N° Portalis DBWA-V-B7H-CMF5



Du 12/07/2024





[A]



C/



S.A.S. SOPHAR













COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE



CHAMBRE SOCIALE



ARRET DU 12 JUILLET 2024





Décision déférée à la cour : jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FORT DE FRANCE, du 23 Mars 2023, enregistrée sous le n° 20/00437





APPELANTE :



Madame [J] [A]
>[Adresse 5]

[Localité 3] (MARTINIQUE)



Représentée par Me Ferdinand EDIMO NANA, avocat au barreau de MARTINIQUE







INTIMEE :



S.A.S. SOPHAR

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par Me Sylvette ROMER, avocat au barreau de MARTINI...

ARRET N° 24/89

R.G : N° RG 23/00076 - N° Portalis DBWA-V-B7H-CMF5

Du 12/07/2024

[A]

C/

S.A.S. SOPHAR

COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU 12 JUILLET 2024

Décision déférée à la cour : jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FORT DE FRANCE, du 23 Mars 2023, enregistrée sous le n° 20/00437

APPELANTE :

Madame [J] [A]

[Adresse 5]

[Localité 3] (MARTINIQUE)

Représentée par Me Ferdinand EDIMO NANA, avocat au barreau de MARTINIQUE

INTIMEE :

S.A.S. SOPHAR

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Sylvette ROMER, avocat au barreau de MARTINIQUE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 février 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne FOUSSE, Conseillère présidant la chambre sociale, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :

- Madame Anne FOUSSE, Présidente

- Madame Nathalie RAMAGE, Présidente de chambre

- Madame Séverine BLEUSE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS:

Monsieur Emmanuel NOUMEN,

GREFFIER LORS DU DELBERE :

Madame Rose-Colette GERMANY,

DEBATS : A l'audience publique du 16 février 2024,

Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l'arrêt fixée au 19 avril 2024 par mise à disposition au greffe de la cour. Le délibéré a été prorogé aux 31 mai et 12 juillet 2024.

ARRET : Contradictoire

*************

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 28 février 2017 la société Sophar publiait sur son site une offre de recrutement de plusieurs visiteurs médicaux en différentes spécialités (cardio vasculaire, immuno oncologie, immunologie, hématologie....) en CDI pour assurer la promotion d'un laboratoire leader dans son domaine. La mission était d'assurer la promotion de vos spécialités en diffusant une communication scientifique de haut niveau et en créant un relationnel auprès d'eux.....

Mme [J] [A] a été informée de son recrutement par la société Sophar, en qualité de visiteur médical-immunologie par courrier du 18 avril 2017, dans le cadre d'un CDD du 2 mai au 1er novembre 2017, ce dans le cadre de la mission BMS sur la zone Antilles Guyane. La rémunération mensuelle prévue était de 3000 euros brut pour 151,67 heures, statut non cadre, classe 5 A. La relation était régie par la convention collective de l'industrie pharmaceutique.

Les parties ont signé le CDD le 2 mai 2017, le motif du recours au CDD étant l'accroissement temporaire des activités de la société en matière de promotion médicale.

Le contrat stipulait qu'en sa qualité de visiteur médical, le salarié sera chargé d'assurer l'ensemble des missions décrites à l'annexe A du présent contrat. Les attributions et les responsabilités du salarié sont par nature évolutive.

L'annexe A comportait une fiche de poste du visiteur médical signée par Mme [J] [A] décrivant la mission comme suit : «Assurer la promotion des spécialités pharmaceutiques dont vous avez la charge auprès des professionnels de la santé de votre secteur, en diffusant une communication scientifique de qualité et en créant et ou en consolidant votre relationnel auprès d'eux '.».

A ce contrat était annexé une fiche Bristo Myers Squibb portant sur les règles de déontologie relatives aux interactions avec les professionnels de santé, parmi lesquelles le respect de la confidentialité et du secret professionnel, l'adoption d'un comportement discret dans les lieux d'attente, l'organisation au préalable de la rencontre avec le professionnel de santé, et le respect des modalités de réception (horaires, fréquence, durée ETC...).

Ce contrat était renouvelé deux fois puis transformé en CDI avec modification de sa classification qui passait à 6B.

Par courrier du 19 juillet 2019, Me [E] [N] écrivait à la société Sophar pour déplorer diverses irrégularités dans l'exécution du contrat de travail qui liait cette dernière à Mme [J] [A] relative à une discrimination en matière salariale, le non paiement d'heures supplémentaires, des retards dans le paiement des salaires, et frais, le refus de prise en charge de certains frais, l'exécution déloyale du contrat de travail notamment pour le calcul de la prime annuelle, l'absence d'indemnisation de l'utilisation de son logement pour travailler à domicile.

Le 23 août 2019, elle était destinataire comme ses collègues d'un mail dans lequel était indiqué «suite aux nouvelles directives concernant les hospitalités...Bristol-Myers Suibb a décidé de supprimer toutes les hospitalités lors des staffs».

Elle recevait par ailleurs un mail du gérant de la société Sophar mentionnant «Madame, vous étiez en congés jusqu'au 23 août inclus. Nous ne pouvions donc pas vous contacter pendant cette période. M. [B] en copie, votre nouveau Directeur régional Sophar va vous proposer un rendez vous ces prochains jours afin qu'il vous explique plus en détail votre mission.

'Je vous souhaite beaucoup de succès dans votre nouvelle mission Sophar.

Elle apprenait qu'elle représenterait désormais les produits de la gamme Aftamed proposés par la société BI-Pharma. En effet par courrier du 2 septembre 2019, elle recevait des v'ux de succès pour cette nouvelle mission, se voyait proposer un rendez vous pour discuter les contours du poste et la liste des laboratoires de son portefeuille dont Alliance Pharma, Laudavie, Aftamed, Advancis ' Il lui était précisé que les documents de formation seraient disponibles sur le site de l'entreprise, et que ceux non encore mis à jour seraient adressés par mail.

Par courrier du 16 septembre 2019, ayant pour objet : démission du poste de visiteur médical immunologie cardiologie (6B) société Sophar, Mme [J] [A] présentait sa démission dans les termes suivants :

Monsieur [F] [D],

Par la présente je vous informe de ma décision de démissionner du poste de visiteur médical immunologie cardiologie (6B), de votre société Sophar que j'occupe depuis le 2 mai 2017, dans le cadre du contrat à durée indéterminée.

Conformément à ce que stipule mon contrat de travail, je suis tenue de respecter un préavis de trois mois. Je souhaite cependant pouvoir être libérée de toute obligation contractuelle à la date du 4 novembre 2019.

A cette date, je vous saurais gré de bien vouloir me remettre tous les documents liés à cette fin de contrat ainsi que le solde de tout compte».

Par courriel du 17 septembre 2019, elle écrivait à M. [B] pour lui rappeler sa démission et qu'elle restait en attente de ses directives quant au préavis. Elle indiquait que dans le cadre de la promotion de cette gamme Aftamed dentaire, elle ne disposait d'aucun document, ni flyer adapté, ni fiche de type poso...

En réponse, M. [B] indiquait par courriel du même jour, «je ne vous ai pas encore contacté car en attente de directive concernant votre préavis. Je salue votre professionnalisme et vous donner rendez vous pour la formation AFTAMED à 14 heures. Concernant les documentations AFTAMED, fiches posologiques et documents professionnels, ils nous seront directement envoyés en PDF, dont je ferai l'édition sur place. Pour la promotion Alliance Pharma, une dotation est en cours de livraison et la documentation est disponible auprès de votre collègue en Martinique. '..

Mme [J] [A] recevait ensuite les documents de fin de contrat.

S'estimant lésée, elle saisissait le Conseil de Prud'hommes de Fort-de -France, aux fins de solliciter des dommages et intérêts pour travail dissimulé, pour perte de chance de percevoir une prime d'intéressement et de participation, un rappel de salaire et les congés payés afférents, une indemnité de requalification de CDD en CDI, le paiement d'heures supplémentaires, une indemnité pour utilisation de son domicile à des fins professionnelles, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de licenciement, de préavis, des dommages et intérêts pour rupture abusive et vexatoire.

La société Sophar demandait au Conseil de Prud'hommes de dire et juger que le CDD de Mme [J] [A] ne pouvait être requalifié en CDI, que la démission était claire et non équivoque et ne pouvait donner lieu à requalification en prise d'acte ayant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, qu'elle avait respecté ses obligations. Elle demandait de débouter Mme [J] [A] de ses demandes.

Par jugement du 23 mars 2023, le Conseil de Prud'hommes de Fort-de-France statuait comme suit :

- juge que la démission de Mme [J] [A] est non équivoque,

- déboute Mme [J] [A] de l'ensemble de ses demandes,

- condamne Mme [J] [A] au versement de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne chaque partie aux dépens de moitié de la présente instance.

Le conseil a, en effet, considéré que Mme [J] [A] a fait part de sa démission sans équivoque par courrier sollicitant par ailleurs la réduction de son préavis de trois mois pour obtenir le terme de son contrat de travail le 4 novembre 2019, car elle avait trouvé un autre emploi. Il a considéré que la lettre de démission ne pouvait s'analyser en une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le travail dissimulé allégué, au motif que BMS donnait des consignes ce qui lui conférait la qualité d'employeur, le conseil a relevé que Mme [J] [A] essayait d'exciper d'un travail dissimulé pour tenter d'obtenir une indemnisation forfaitaire. Sur la perte de chance de percevoir une prime d'intéressement, le Conseil de Prud'hommes a dit que la salariée n'apportait aucun élément de nature à établir l'existence d'un accord au sein de la société Sophar prévoyant l'inclusion de cette prime. Sur le rappel de salaire en vertu du principe à travail égal, salaire égal, le Conseil de Prud'hommes a encore considéré que la différence de traitement entre elle et M. [G] [O] était liée à une situation juridique différente, à son profil de délégué médical au sein de BMS, avant d'être embauché chez la société Sophar, maîtrisant parfaitement les enjeux de cette société et de la mission confiée à la société Sophar.

Sur la demande de requalification du CDD en CDI depuis le début du contrat de travail, le conseil a jugé que le contrat comportait la définition précise du motif du recours au CDD et que les dispositions d'ordre public relatives aux conditions du recours au CDD étaient respectées.

S'agissant des heures supplémentaires, le Conseil de Prud'hommes a dit que la salariée ne produisait pas de commencement de preuve suffisant pour les réclamer, son seul décompte alors que l'employeur n'avait jamais demandé d'effectuer des heures supplémentaires étant jugé insuffisant.

Le conseil a également rejeté la demande de dommages et intérêts pour utilisation de son domicile à des fins professionnels faute de justifier de la valeur locative de son logement et de la surface dont elle a été privée.

Par déclaration électronique du 25 avril 2023, Mme [J] [A] a relevé appel du jugement.

Après avis à signifier délivré par le greffe le 20 juillet 2023, Mme [J] [A] a fait signifier à la société Sophar la déclaration d'appel et ses conclusions d'appel par acte d'huissier de justice du 24 juillet 2023.

La société Sophar n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 17 novembre 2023.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions déposées au greffe par la voie électronique le 6 juillet 2023 et signifiées par acte du 24 juillet 2023, l'appelante demande à la cour de :

Vu les faits de la cause,

Vu que le contrat de travail signé avec SOPHAR masquait en réalité une activité exclusive pour le compte de la société BRISTOL - MYERS SQUIBB,

Vu le délit caractérisé de travail dissimulé,

Vu le délit caractérisé de marchandage,

Vu le délit de prêt illicite de main-d''uvre,

Vu les violations graves du contrat de travail par l'employeur et notamment la modification du contrat de travail de Madame [A] sans son accord,

Vu la démission survenue dans les circonstances de manquements caractérisés de l'employeur à ses obligations et de modification du contrat de la salariée sans son accord,

- In'rmer en toutes ses dispositions le jugement querellé en ce qu'il a jugé que la démission de Madame [J] [A] est non équivoque, a débouté cette dernière de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée au versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'à la moitié des dépens de l'instance,

- Juger que la démission doit être requalifiée en prise d'acte de la rupture et produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de surcroît particulièrement abusif.

Vu les demandes de Madame [J] [A]

Les dire recevables et bien fondées,

Ce faisant,

- Condamner la société SOPHAR a payer a Madame [J] [A] les sommes suivantes :

* 18 990,00 € à de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

* 17 964,99 € pour perte d'une chance de percevoir prime d'intéressement et prime de participation non perçus en raison du délit de marchandage,

* 23 660,00 € à titre de rappel de salaire $gt;,

* 2 366,00 € à titre de congés payés sur rappel de salaire,

* 3 850,00 € à titre d'indemnité de requalification du contrat a durée déterminée en contrat à durée indéterminée,

* 6 505,28 à titre de paiement d'heures supplémentaires,

* 6 000,00 € à titre d'indemnité pour utilisation de son domicile à des 'ns professionnelles

* 9 495,00 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 6 330,00 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 1 582,50 € à titre d'indemnité de licenciement,

* 25 000,00 € à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive et vexatoire dans un contexte de travail dissimule et de marchandage,

* 5 000,00 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure Civile, ainsi qu'à tous les dépens,

MOTIVATION

A titre liminaire, il est rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article 954 alinéa 6 du code de procédure civile, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs. Tel est le cas de la société Sophar qui bien que régulièrement touchée par signification de la déclaration d'appel n'a pas conclu.

- Sur la demande de requalification de la démission en prise d'acte de la rupture, produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

La démission permet au salarié de rompre le contrat à durée indéterminée. Elle n'est soumise à aucune condition de forme particulière. Écrite ou verbale, elle doit résulter d'une volonté non équivoque de mettre un terme à la relation de travail. En effet, le salarié doit se manifester par un acte clair, conscient et libre de toute contrainte ou pression extérieure. 

La démission est donc un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à l'employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire une démission.

Il appartient au salarié qui demande la requalification de sa démission de rapporter la preuve des manquements de l'employeur et de leur lieu avec la démission.

En l'espèce il a été rappelé que Mme [J] [A] démissionnait en ces termes «je vous informe de ma décision de démissionner du poste de visiteur médical immunologie cardiologie (6B), de votre société Sophar que j'occupe depuis le 2 mai 2017, dans le cadre du contrat à durée indéterminée.

Conformément à ce que stipule mon contrat de travail, je suis tenue de respecter un préavis de trois mois. Je souhaite cependant pouvoir être libérée de toute obligation contractuelle à la date du 4 novembre 2019.

A cette date, je vous saurais gré de bien vouloir me remettre tous les documents liés à cette fin de contrat ainsi que le solde de tout compte».

En l'espèce la lettre de démission ne contient aucune motivation ou allégation contre l'employeur mais Mme [J] [A] qui a remis en cause sa démission en saisissant le Conseil de Prud'hommes presque 15 mois plus tard, établit toutefois qu'avant la date de sa démission voire concomitamment à celle-ci, elle déplorait déjà des manquements de l'employeur et soutient que sa démission est justifiée par ces faits.

Par courrier daté du 19 juillet 2019, son avocat, écrivait à l'employeur pour relever plusieurs irrégularités, comme une discrimination en matière salariale, le non paiement d'heures supplémentaires, effectuées en 2017, 2018 et jusqu'à juin 2019 pour un total de 266,90 heures correspondant à 6505, 28 euros, des retards dans le paiement des salaires ou les remboursements de frais, une contestation sur le calcul de la prime annuelle, une absence d'indemnisation pour l'utilisation de son domicile à des fins professionnelles. Elle demande en conséquence la requalification de celle ci en prise d'acte.

Il appartient donc au juge d'apprécier si des manquements antérieurs ou contemporains à la démission sont établis et suffisamment graves pour justifier une rupture. Si tel est le cas, la démission sera jugée équivoque et analysée en une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les manquements reprochés à l'employeur sont donc les suivants :

* la modification du contrat de travail

Mme [J] [A] considère qu'elle a été recrutée en qualité de visiteur médical immunologie par la société Sophar dans le cadre de la mission BMS sur la zone Antilles Guyane ainsi qu'il résulte de la lettre d'engagement datée du 18 avril 2017.

En décidant du jour au lendemain qu'elle n'assumerait plus ces fonctions, mais ferait de la promotion de produits dentaires, pour lesquels elle n'avait reçu aucune formation, et domaine totalement différent de l'immunologie, la société Sophar aurait unilatéralement modifié son contrat de travail. Elle soutient encore que la convention collective applicable stipule qu'en cas de modification de plus du tiers des professionnels de santé à rencontrer tel que répartis géographiquement, le salarié doit être notifié et disposer d'un mois pour faire connaître sa réponse.

Sur ce, la modification du contrat de travail concerne les éléments qui ont été déterminants pour sa conclusion, ce qui a motivé l'accord des parties. Certains de ces éléments le sont par nature : la rémunération, la durée du travail et la qualification, ils constituent le socle du contrat de travail. D'autres éléments sont plus variables et il faut rechercher la volonté des parties, principalement manifestée dans le contrat de travail écrit.

La Cour constate que l'offre d'emploi parue sur le site de la société Sophar visait le recrutement de plusieurs visiteurs médicaux en différentes spécialités (cardio vasculaire, immuno oncologie, immunologie, hématologie....) et non spécifiquement en immunologie.

Mme [J] [A] ne justifie pas qu'elle n'a postulé que pour l'immunologie.

Ensuite si par courrier daté du 18 avril 2017, elle était informée par la société Sophar de ce qu'elle était recrutée en qualité de visiteur médical immunologie dans le cadre de sa mission BMS sur la zone Antilles Guyane, le contrat de travail signé le 2 mai 2017 spécifiait parfaitement qu'en sa qualité de visiteur médical, le salarié sera chargé d'assurer l'ensemble des missions décrites à l'annexe A du présent contrat. Les attributions et les responsabilités du salarié sont par nature évolutive.

L'annexe A comportait une fiche de poste du visiteur médical signée par Mme [J] [A] décrivant la mission comme suit : «Assurer la promotion des spécialités pharmaceutiques dont vous avez la charge auprès des professionnels de la santé de votre secteur, en diffusant une communication scientifique de qualité et en créant et ou en consolidant votre relationnel auprès d'eux '.».

La Cour ne peut donc que constater que le contrat de travail lui même n'a pas exclu que la salariée puisse exercer ses missions de visiteur médical dans d'autres spécialités que l'immunologie, ce que la salariée a expressément accepté sous réserve que lui soit conservé le bénéfice de sa rémunération et de sa classification.

En conséquence, le fait que par courrier du 2 septembre 2019, son employeur lui proposait d'autres promotions et lancements en cours et à venir pour d'autres laboratoires et gammes, (Alliance Pharma , Laudavie, aftamed, advancis...) sans modification de secteur, de fonction (la fonction de visiteur médical restant inchangée), de rémunération et de classification ne peut s'analyser en une modification de son contrat de travail.

Le moyen est écarté.

* salaires et frais payés avec retard,

Après avoir rappelé que la convention collective stipule en son article 32 et 33 que tout visiteur médical doit percevoir des frais de déplacement comprenant d'une part des frais de transport et d'autre part des frais de logement et de nourriture, Mme [J] [A] fait état du versement tardif de ses salaires, de l'avance qu'elle faisait de certains frais faute de trésorerie suffisante.

Pour en justifier elle produit quelques mails :

* un mail du 30 janvier 2018, de Mme [J] [A] demandant si les virements pour salaire et frais étaient effectués et une réponse positive de l'employeur à cette demande ;

* des échanges mails entre Mme [J] [A] et son employeur le 13 novembre 2018 desquels il ressort que la salariée a demandé si le compte était crédité pour couvrir ses dépenses professionnelles, auxquels il lui a été demandé d'estimer ces besoins ;

* des échanges de mails le 7 février 2019, dans lesquelles la salariée interrogeait l'employeur pour lui demander si la carte Moon card était créditrice pour faire de l'essence et auquel il lui était répondu qu'elle l'était ;

* un mail du 12 février 2019 dans lequel M. [O] annonce que les primes seront distribuées au mois de mars, pour avoir été validées avec le détail des calculs dans un délai trop court pour être payées en fin février ;

* un échange de mails du 28 mai 2019 entre plusieurs salariés exprimant la crainte que les salaires du mois de mai 2019 ne soient pas virés avant le 31 mai 2019 ;

* un mail du 27 août 2019, concernant le salaire du mois d'août 2019 mentionnant qu'en raison de la fermeture du cabinet durant la période estivale, un acompte sur salaire serait versé puis régularisé au retour du comptable,

Sur ce, la Cour relève que la salariée ne justifie pas au delà de son affirmation, de la perception tardive et répétée de ses salaires, que le versement des primes le mois suivant de leur calcul n'apparaît pas relever d'un abus. La salariée ne justifie pas malgré les nombreux mails produits qu'elle n'était pas défrayée de ses dépenses professionnelles (nourriture, hébergement lors de ses déplacements, indemnités kilométriques), ou même que celles-ci étaient remboursées avec retard.

Il est en revanche établi que le solde du salaire et les frais du mois d'août 2019, n'étaient pas encore virés au 11 septembre 2019.

La Cour considère que ce seul retard justifié aux débats dû à l afermeture de l'entreprise au mois d'août 2019 n'était pas suffisamment grave pour justifier une prise d'acte de la rupture du contrat.

* non respect du principe à travail égal salaire égal,

Il est admis que le non respect par l'employeur du principe d'égalité de traitement entre les salariés justifie une prise d'acte.

Mme [J] [A] fait valoir qu'elle avait été recrutée initialement en CDD, non cadre avec une classification 5 A pour une rémunération brute de 3000 euros, pour la zone Martinique et la Guyane, bénéficiait d'une expérience de 28 ans dans la profession au moment de son recrutement. Elle ajoute qu'elle était titulaire de la carte professionnelle de visiteur médical, d'un DESS RH gestion des ressources humaines et services Bac plus 5 et possédait une expérience confirmée dans le milieu de la visite médicale ville et hôpital.

Par la suite après deux renouvellements, son contrat s'est transformé en CDI, sa classification passant à 6 B. son avocat précisait que son salaire avait été augmenté à 3165 euros à compter d'avril 2019.

Elle souligne qu'en revanche M. [O] recruté directement comme cadre en CDI de classification 5 C, ne bénéficiant que 18 ans d'expérience dans le milieu de la visite médicale au moment de son recrutement, percevait une rémunération mensuelle de 3850 euros, alors que son secteur était moins important que le sien circonscrit à la Guadeloupe pour des fonctions identiques. Elle soutient que son niveau de diplôme était également inférieur au sien pour être titulaire d'un BTS vente, soit Bac plus 2 contrairement à elle.

Pour étayer ce grief elle produit la lettre d'embauche de Mme [S], embauchée en qualité de visiteur médical en CDD pour la spécialité Immunologie-oncologie sur la zone Antilles Guyane, au salaire brut de 3800 euros et un bulletin paye de Mme [V], également visiteur médical à la réunion au salaire de 4000 euros au statut de cadre.

La Cour ne peut apprécier la pertinence de l'argumentation de la salariée faute de pièces justificatives de ces informations (contrat de travail de M. [O], diplômes, mission exacte de M. [O]).

Le Conseil de Prud'hommes a retenu que l'employeur démontrait une différence de traitement justifiée par des éléments objectifs et pertinents à savoir le profil de M. [O] qui avant de rejoindre les effectifs de la société Sophar travaillait déjà chez BMS en qualité de délégué médical maîtrisant les enjeux.

En l'absence de pièce justificative (diplômes, justificatifs des expériences professionnelles de chacun, lettre de mission de M. [O]), ou d'éléments démontrant une inégalité de traitement nonobstant une identité de mission, le jugement est confirmé en ce qu'il ne retient pas l'inégalité de traitement.

* le non paiement des heures supplémentaires

L'article L 3121-27 du code du travail dispose que la durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à 35 heures par semaine.

Par ailleurs en application de l'article L 3121-28 du code du travail, toute heure accomplie au delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, que constitue une heure supplémentaire l'heure de travail effectif réalisée au-delà de la durée légale du travail à la demande et pour le compte de l'employeur. Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.

Qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

S'il résulte de ce texte que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et que l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

Le contrat de travail de Mme [J] [A] prévoit une durée de travail de 151,67 heures, soit 35 heures par semaine. Mme [J] [A] considère que cette durée était insuffisante pour lui permettre de remplir toutes ses missions.

Pour justifier de sa demande elle expose que la société Sophar n'ayant pas de bureau en Martinique, elle était contrainte à la fin de sa tournée chez les professionnels de santé, d'accomplir de nombreuses tâches administratives imposées par sa mission de promotion des spécialités pharmaceutiques dont elle avait la charge, telles que mentionnées dans sa fiche de poste, notamment assurer le lien permanent entre les besoins des professionnels de santé et les attentes du laboratoire client, contribuer à la constante mise à jour des contacts et assurer le suivi, être à jour quotidiennement des tâches administratives (activité/suivi terrain/Frais professionnels/ projets/respect du plan d'action), satisfaire aux exigences de formation aux produits/ information médicale/information réglementaire. De manière pratique, elle devait après sa tournée, répondre aux questions des praticiens hospitaliers, organiser des réunions d'information pour le staff hospitaliser, élaborer des plans d'action sectoriels ...;

Mme [J] [A] indique qu'elle travaillait parfois le week end, ce avec l'accord de sa hiérarchie puisque celle-ci lui adressait des documents, ce qui démontre au moins son accord implicite.

Mme [J] [A] produit :

- des mails qui établissent qu'elle a répondu le dimanche 16 juin 2019 à un mail de l'employeur adressé le samedi15 juin 2019 , et adressé un rapport de son activité le Samedi 13 avril 2019, (pièce 63),

- un tableau récapitulatif des heures supplémentaires qu'elle a effectué de 2017 à 2019 :

* 87,30 heures en 2017

* 116 h en 2018,

* 63,6 heures en 2019 soit un cumul de 266,90 heures.

Il ne résulte d'aucune pièce du dossier que Mme [J] [A] a réclamé à son employeur des heures supplémentaires en 2017 et 2018. La première revendication apparaît avec le courrier de son avocat du 19 juillet 2019, sans qu'il ne soit démontré à la Cour qu'était joint à ce courrier un tableau contenant le décompte précis des horaires supplémentaires revendiqués.

En conséquence, la Cour considère que le contrat de travail de Mme [J] [A] impliquait des activités administratives en sus des tournées chez les professionnels de santé. Faute pour la société Sophar de mettre un bureau à la disposition de la salariée, celle-ci était obligée d'effectuer ces tâches depuis son domicile.

Elle démontre devant la Cour qu'elle a pu répondre à des mails et envoyer des rapports à la demande de l'employeur le week-end.

Le décompte hebdomadaire précis qu'elle produit au titre des années 2017 à 2019, suffit à étayer sa demande puisqu'il est établi par les échanges de mail entre la salariée et sa hiérarchie le Week-end, que celle-ci a pu répondre à la sollicitation de l'employeur le week-end e , et a fortiori avec son accord.

Il est donc considéré que Mme [J] [A] apporte des éléments de nature à justifier des heures supplémentaires réalisées tandis que l'employeur ne fournit aucun élément de nature à justifier des horaires effectués par la salarié.

Le paiement de ces heures supplémentaires sera évoqué supra dans la motivation.

Cependant même si Mme [J] [A] a effectué des heures supplémentaires, elle ne justifie pas en avoir parlé à sa hiérarchie, ni en avoir réclamé le paiement. La première réclamation intervenant par le biais de son avocat dans un courrier du 19 juillet 2019, sans qu'aucun tableau justificatif n'ait été joint.

Il s'ensuit que Mme [J] [A] est mal fondée à invoquer un manquement de son employeur, suffisamment grave pour empêcher la poursuite de son contrat de travail, sur la base de 2 mails établissant pour le premier l'envoi d'un rapport d'activité le samedi 13 avril 2019 et pour le second le retour à son employeur le dimanche 16 juin 2019 d'un document signé.

* l'embauche de Mme [J] [A] en CDD pour accroissement temporaire de l'activité,

Mme [J] [A] fait grief à l'employeur de l'avoir recruté le 2 mai 2017 en CDD pour accroissement temporaire d'activité, alors qu'aux termes de l'article L 1242-1 du code du travail le CDD ne peut être conclu pour pourvoir un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise. Elle fournit la liste de 6 salariés dont 4 salariés ont été comme elle embauchés à durée déterminée tandis que M. [O] et Mme [V] ont été embauchés à durée indéterminée.

Elle rappelle que la société Sophar a procédé à son immatriculation au RCS de Fort-de-France en mars 2017, pour s'installer durablement dans les Antilles Guyane alors qu'il n'y avait aucune activité et que le terme générique accroissement d'activité recouvre notamment l'exécution d'une tâche non durable ne relevant pas de l'activité normale de l'entreprise, la survenance d'une commande exceptionnelle, les travaux urgents.

Elle soutient que l'ouverture d'un nouveau magasin procède d'une activité normale et permanente de l'entreprise, y compris dans le cas d'une immatriculation secondaire dans un secteur géographique où n'est pas encore installé l'entreprise.

Il  est admis que c'est à l'employeur qu'il appartient de rapporter la preuve d'un accroissement temporaire de l'activité justifiant le recours à un CDD, et qu'à défaut il encourt la requalification du CDD en CDI.

Ainsi le lancement d'un nouveau produit, le développement d'une nouvelle activité, même s'ils occasionnent ponctuellement un surcroît d'activité, ne constituent pas des motifs conformes car ils relèvent de l'activité normale de l'entreprise.

Une création d'entreprise procède donc de l'activité normale et permanente de l'entreprise.

La Cour observe que la société Sophar immatriculée depuis le 20 août 2012 a créé un établissement secondaire le 20 mars 2017 immatriculée au RCS de Fort-de-France, ayant notamment pour activité toutes prestations de services, acquisition d'un fonds de commerce, information publicité médicale et pharmaceutique ; qu'elle n'a pas rapporté la preuve d'un accroissement temporaire d'activité, alors qu'il ne peut être considéré sans élément probant que la création de cette nouvelle activité ne constitue pas une activité permanente et normale de l'entreprise.

Il sera donc fait droit à sa demande de requalification du CDD en CDI.

Cependant cette demande n'a jamais été formulée en cours d'exécution du contrat de travail et le manquement de l'employeur apparaît ancien. Il n'a pas empêché la poursuite du contrat de travail puisque celui-ci s'est même poursuivi en CDI en début d'année 2019 avec augmentation de salaire de Mme [J] [A] et modification de sa classification.

Il n'est donc pas suffisamment grave pour justifier une démission plusieurs mois après l'embauche et la transformation du CDD en CDI et entraîner la requalification de celle-ci en prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Au vu des éléments qui précèdent, il sera considéré que la démission sans réserve de Mme [J] [A], bien qu'équivoque au vu des circonstances contemporaines à celle -ci, ne peut s'analyser en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement est confirmé en ce qu'il rejette la demande de la salariée mais par substitution de motifs.

- Sur l'indemnisation d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité compensatrice de préavis, indemnité de licenciement),

La Cour a considéré que la démission sans réserve de la salariée ne pouvait s'analyser en une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les demandes formulées de ce chef sont donc mal fondées et le jugement est confirmé en ce qu'il déboute la salariée de telles demandes.

- Sur la demande de rappel de salaire et de congés payés y afférents (à salaire égal , travail égal,

La Cour n'a pas retenu le manquement au principe du salaire égal à travail égal. En conséquence, la demande de ce chef est rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

- Sur la demande de paiement d'heures supplémentaires,

La Cour dispose d'éléments suffisants pour évaluer le montant des heures supplémentaires impayées à hauteur de la somme sollicitée soit la somme de 6505,28 euros.

Le jugement est infirmé pour ce poste.

- Sur la demande de requalification du CDD en CDI

Le motif du recours au CDD n'a pas été justifié devant la Cour par l'employeur. La Cour a considéré que le motif du recours au CDD pour accroissement temporaire d'activité n'était pas pertinent ; Aussi il est fait droit à la demande de requalification du CDD en CDI dès le début de la relation contractuelle et à la demande d'indemnité formulée à hauteur 3165 euros correspondant à un mois de salaire, qu'elle percevait à compter du 1er avril 2019 comme elle l'indique elle même dans ses conclusions (Page 26), en application de l'article L 1245-1 du code du travail, ainsi qu'elle l'indique dans ses écritures.

Le jugement est infirmé de ce chef.

- Sur la demande d'indemnisation du travail effectué à domicile

Il n'est pas contesté que la société Sophar ne disposait pas de bureau et qu'au regard de sa fiche de poste, elle devait utiliser pour réaliser différentes tâches administratives en sus de ses tournées.

La Cour relève que Mme [J] [A] n'a jamais formulé la moindre demande d'indemnisation pour l'occupation à titre professionnelle d'une partie de son domicile, ne fournissant à l'employeur aucun élément de calcul de l'indemnité ensuite revendiquée.

En première instance le Conseil de Prud'hommes a considéré que l'évaluation de sa privation de jouissance à hauteur de 200 euros sur une période de 30 mois n'était pas justifiée faute de renseigner sur la valeur locative de son bien et de la surface dont elle a été privée.

En cause d'appel Mme [J] [A] expose qu'elle occupe une pièce de son domicile sur les 3 chambres dont elle dispose, et sollicite une indemnisation proportionnelle au montant de l'échéance mensuelle qu'elle paie pour le remboursement du crédit contracté pour la construction de sa maison.

Elle justifie de l'échéance mensuelle de son crédit d'un montant de 922, 27 euros. Aussi il sera fait droit à sa demande d'indemnisation, à hauteur de 200 euros sur les 30 mois de relation contractuelle, correspondant à environ 1/6ème du domicile de la salariée auquel il doit être rajoutée divers frais d'entretien et soit au total la somme de 6000 euros.

- Sur l'existence d'une situation caractéristique du délit de marchandage et de travail dissimulé et la demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé

Mme [J] [A] soutient qu'en réalité l'ensemble des visiteurs médicaux recrutés comme elle, ne travaillaient que pour le compte de BMS en charge de l'exécution de la relation contractuelle.

Elle donne l'exemple que Mme [S] qui au lendemain de la signature de son contrat de travail était programmée par le responsable FOT de BMS (M. [C]) pour participer à un séminaire à [Localité 4], tout autant que Mme [V], recrutée elle pour travailler sur le secteur de la réunion.

Pour tirer de telles conséquences, elle se fonde sur le message de M. [C] écrivant au responsable de la société Sophar, pour lui indiquer «ci après quelques éléments pour l'organisation de notre participation au séminaire de la rentrée de BU immono-oncologie BMS. Je serai sur ce séminaire de rentrée avec [I] et [H] [V]..; Nous nous intégrerons aux équipes lors de l'apéritif des régions lundi 28 août à 19 h 30.

Elle ajoute que le déroulement de la relation contractuelle atteste qu'elle n'a été recrutée à l'instar de ces autres visiteurs médicaux que pour travailler pour le compte de BMS.

Elle expose que BMS se chargeait d'organiser tous les voyages des personnes pourtant supposées être les salariées de la société Sophar, du billet d'avion au remboursement des frais.

Sur ce, la Cour observe que si le remboursement des frais (avion, dîners, hôtels etc.notes de frais) lors des séminaires dans l'Hexagone organisés par le client BMS, apparaît avéré, il n'est nullement justifié d'un quelconque lien de subordination de Mme [J] [A] l'égard de la société BMS, cette dernière n'exerçant aucun pouvoir de direction sur cette salariée. Il n'est démontré aucun lien capitalistique entre la société Sophar et BMS, ni d'une immixtion de cette dernière dans la gestion économique et sociale de la première.

C'est bien le représentant légal de la société Sophar qui sollicitait les visiteurs médicaux afin de connaître leurs disponibilités pour organiser des tournées au bénéfice du client BMS et payait leur salaire.

Force est de constater que Mme [J] [A] qui se prévaut en sus d'un travail dissimulé d'un délit de marchandage au sens de l'article L 8231-1 du code du travail au bénéfice de la société BMS n'a pas même attrait la société BMS à la procédure devant le Conseil de Prud'hommes.

Si dans le cadre de la mission de prestations de services confiée à la société Sophar par le client BMS, Mme [J] [A] a pu solliciter directement M. [C] par courriel du 22 octobre 2018 pour lui demander à quoi correspondait les chiffres d'octobre 2018, il ne saurait être déduit du courriel de réponse de ce dernier le même jour, mentionnant «J'ai fait l'erreur de laisser la colonne octobre, ce sont les ventes à la date de l'extraction. Ce mois est incomplet», que la société BMS évoquait une erreur de calcul faite dans sa rémunération et avait un pouvoir de direction sur la salariée (pièce 42).

Les échanges concernant les demandes de matériels des salariés de la société Sophar notamment les documents promotionnels concernant BMS, et la fourniture de ceux ci par le client BMS, sous réserve de validation par ce client, ne peuvent être interprétés comme caractérisant un pouvoir de direction et de sanction de ce client sur les salariés de la société Sophar (pièce15), pas plus que les demandes de modifications des procédures de règlement des frais remboursés par BMS (organisation des paiements par CB, interdiction des hébergements de type Airbnb, ou gîtes, ou refus de remboursements de frais engagés en espèces au dessus de 20 euros).

Mme [J] [A] prétend encore que c'est BMS qui décidait de tout et notamment du versement des primes. Or la pièce qu'elle produit au soutien de cette allégation est un courriel du 12/02/2019 par lequel le représentant légal de la société Sophar s'adressant à un autre salarié pour lui indiquer que les primes seraient payées avec un décalage pour des raisons de trésorerie, puisque la société venait elle même de facturer BMS (pièce 44).

Il ne peut pas plus être déduit de ce message que BMS réduisait drastiquement les primes des salariés de la société Sophar, s'immisçant dans la gestion de cette société.

Le moyen selon lequel Mme [J] [A] était salariée de BMS, non partie à la procédure, que celle ci contrôlait son travail et donnait les directives car la société Sophar était en réalité qu'une société fictive créée pour permettre à BMS de se retirer officiellement des DOM TOM ne relève que de l'affirmation pure et simple et n'est corroborée par aucune des pièces du dossier.

Il n'est donc pas démontré au terme de l'appel que sous l'apparence d'un contrat de travail de prestations de services entre BMS et la société Sophar, se cachait un travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié.

Enfin Mme [J] [A] cite l'article L 8231-1 du code du travail en application duquel est interdit tout marchandage défini comme une opération à but lucratif de fourniture de main d'oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu'elle concerne ou d'éluder l'application des dispositions légales ou de stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail.

En conséquence l'affirmation de Mme [J] [A] selon laquelle elle a été recrutée pour être mise au service de la société BMS sans profiter des avantages résultant du statut collectif applicable au sein de BMS notamment de son système de participation et d'intéressement qui serait plus intéressant que celui de la société Sophar est sans fondement au regard des pièces du dossier.

- Sur la perte de chance de percevoir une prime d'intéressement et une prime de participation en raison du délit de marchandage,

Il s 'ensuit qu'à défaut de délit de marchandage, la demande d'indemnité correspondant à l'intéressement et à la participation que la salariée n'a pas perçu sur les 30 mois de relation contractuelle, est rejetée comme en première instance.

- Sur la demande de dommages et intérêts pour rupture abusive et vexatoire dans un contexte de travail dissimulé,

Même si la démission de Mme [J] [A] est équivoque au vu des manquements reprochés à l'employeur contemporains à la rupture du contrat de travail, la Cour n'a pas retenu de manquements graves justifiant que cette démission soit requalifiée en prise d'acte de la rupture produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ni même un contexte de travail dissimulé.

Ainsi la demande de dommages et intérêts en réparation d'une rupture abusive et vexatoire est jugée mal fondée comme en première instance.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Fort-de-France le 23 mars 2023, en ce qu'il a débouté Mme [J] [A] de ses demandes au titre de l'indemnisation pour utilisation de son domicile à des fins personnelles, du paiement des heures supplémentaires et de l'indemnité de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée,et l'a condamnée au paiement d'une indemnité de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la société Sophar,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Condamne la société Sophar à payer à Mme [J] [A] les sommes suivantes :

* 6000 euros à titre d'indemnisation pour utilisation du domicile de Mme [J] [A] à des fins professionnelles,

* 3165 euros à titre d'indemnité de requalification du CDD en CDI,

* 6505,28 euros au titre du paiement des heures supplémentaires,

Dit n'y avoir lieu à paiement par Mme [J] [A] d'une indemnité au titre de l'article 700 de première instance à la société Sophar,

Confirme mais par substitution de motifs le jugement en ce qu'il a rejeté la demande tendant à qualifier la démission en prise d'acte de la rupture produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Confirme le jugement pour le surplus,

Condamne la société Sophar à payer à Mme [J] [A] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Sophar aux dépens de l'appel,

Et ont signé le présent arrêt Mme Anne FOUSSE, Présidente et Mme Rose-Colette GERMANY, Greffière

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Fort-de-France
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 23/00076
Date de la décision : 12/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-12;23.00076 ?
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