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12/07/2024 | FRANCE | N°23/00017

France | France, Cour d'appel de Fort-de-France, Chambre sociale, 12 juillet 2024, 23/00017


ARRET N° 24/87



R.G : N° RG 23/00017 - N° Portalis DBWA-V-B7H-CLOK



Du 12/07/2024





[Z]



C/



S.A.S.U. GEO MARTINIQUE













COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE



CHAMBRE SOCIALE



ARRET DU 12 JUILLET 2024





Décision déférée à la cour : jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FORT DE FRANCE, du 17 Novembre 2022, enregistrée sous le n° 22/00165





APPELANTE :



Madame

[C] [S] [Z]

[Adresse 4]

[Localité 1]



Représentée par Me Viviane MAUZOLE, avocat au barreau de MARTINIQUE







INTIMEE :



S.A.S.U. GEO MARTINIQUE

[Adresse 3]

[Localité 1]



Représentée par Me Elise FONCHY de la SELAS FIDAL DIR...

ARRET N° 24/87

R.G : N° RG 23/00017 - N° Portalis DBWA-V-B7H-CLOK

Du 12/07/2024

[Z]

C/

S.A.S.U. GEO MARTINIQUE

COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU 12 JUILLET 2024

Décision déférée à la cour : jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FORT DE FRANCE, du 17 Novembre 2022, enregistrée sous le n° 22/00165

APPELANTE :

Madame [C] [S] [Z]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Viviane MAUZOLE, avocat au barreau de MARTINIQUE

INTIMEE :

S.A.S.U. GEO MARTINIQUE

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Elise FONCHY de la SELAS FIDAL DIRECTION PARIS, avocat au barreau de MARTINIQUE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

En application des dispositions des articles 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 09 février 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Séverine BLEUSE, Conseillère, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :

- Madame Anne FOUSSE, Présidente

- Madame Nathalie RAMAGE, Présidente de chambre

- Madame Séverine BLEUSE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame Rose-Colette GERMANY,

DEBATS : A l'audience publique du 09 février 2024,

Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l'arrêt fixée au 10 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la cour. Le délibéré a été prorogé au 12 juillet 2024.

ARRET : Contradictoire

*************

EXPOSE DU LITIGE

Le 2 août 2021 Mme [C] [Z] a été embauchée par la société GEO Martinique qui exploite sous l'enseigne Alain Afflelou un magasin d'optique situé au [Adresse 2] à [Localité 1].

Mme [C] [Z], opticienne, a été recrutée en qualité de directrice magasin, statut de cadre, coefficient 250 du système de classification pour un salaire mensuel de 3 000 euros.

Le 4 mai 2022, Mme [C] [Z] a adressé à la société GEO Martinique un courrier par lequel elle indique avoir décidé de prendre acte de la rupture de son contrat de travail.

Elle indique :

«...il est évident que vous m'avez menacé, mes conditions de travail se sont dégradées, et je subis une pression morale de votre part..»

Par courrier en date du 11 mai 2022, la société GEO Martinique a pris acte du départ de Mme [C] [Z] et en a contesté les raisons.

Ses documents de fin de contrat lui ont été remis ainsi que son dernier bulletin de salaire.

Mme [C] [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Fort-de-France par requête en date du 12 mai 2022, afin de solliciter la requalification de sa prise d'acte en licenciement nul ainsi que des demandes indemnitaires.

Par jugement en date du 17 novembre 2022, le conseil de prud'hommes de Fort-de-France a jugé que la prise d'acte de Mme [C] [Z] produisait les effets d'une démission et a débouté cette dernière de la totalité de ses demandes.

Par ailleurs Mme [C] [Z] a été condamnée à verser à la société GEO Martinique la somme de :  

' 3 000 € au titre du préavis non effectué,

' 2 000 € en application de l'article 700 du CPC.

Mme [C] [Z] a par ailleurs été condamnée aux entiers dépens.

Par déclaration électronique du 10 janvier 2023, Mme [C] [Z] a relevé appel du jugement.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 20 novembre 2023.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 29 août 2023, Mme [C] [Z] demande à la cour de :

infirmer en toutes ses dispositions le jugement en date du 17 novembre 2022 rendu par le Conseil de Prud'hommes,

dire que la rupture est imputable à l'employeur et prend la forme d'un licenciement abusif,

condamner la SASU GEO MARTINIQUE à payer à Mme [Z] les sommes suivantes :

3 000 € à titre de d'indemnité de préavis,

300 € à titre de congés payés sur préavis,

562,50 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

18 000 € à titre de dommages et intérêts pour perte injustifiée d'emploi,

2 000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC,

ordonner la remise de l'attestation pôle emploi conforme portant la mention du licenciement,

débouter la société GEO MARTINIQUE de ses demandes fins et conclusions,

condamner la même aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 5 juillet 2023, la société GEO Martinique demande à la cour de :

confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Fort-de-France le 17 novembre 2022,

Y ajoutant,

condamner Mme [C] [Z] à une amende civile pour procédure abusive dont la Cour appréciera le quantum,

condamner aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 4.000,00 € en application de l'article 700 du CPC.

MOTIFS DE L'ARRET

- Sur la demande de déclarer que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l'article L 1231-1 du code du travail, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié ou d'un commun accord.

Il est constant que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail. C'est au salarié qu'il incombe de rapporter la preuve des manquements invoqués à l'encontre de son employeur.

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture, qui entraîne la cessation immédiate du contrat de travail, produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

La cour doit d'abord vérifier l'exactitude des faits dénoncés par le salarié avant d'en examiner la gravité, seuls des manquements suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat de travail peuvent servir de fondement à la prise d'acte.

À l'appui de ses prétentions, en cause d'appel, la salariée invoque un harcèlement moral mais également une dégradation de ses conditions de travail.

Le conseil de prud'hommes a considéré que les faits de harcèlement dont Mme [C] [Z] faisait état n'avaient pas été justifiés. L'enquête diligentée par l'employeur n'était pas probante et par ailleurs les pièces versées aux débats avaient témoigné d'une difficulté pour l'appelante à appréhender un nouveau poste de travail et à gérer son équipe.

L'appelante indique qu'à compter de l'arrivée de nouvelles recrues et particulièrement de Mme [Y], ses conditions de travail se sont détériorées. Elle précise qu'elle a informé ses supérieurs hiérarchiques de cette situation compte tenu du fait que Mme [Y] mettait en cause l'organisation du travail et sollicitait la modification des plannings. Elle indique également que cette dernière lui manquait de respect.

Elle précise avoir informé par courrier son supérieur hiérarchique afin de signaler les mauvaises conditions de travail.

L'employeur a diligenté une enquête interne qui a indiqué que Mme [Z] usait de mauvaise foi évidente dans le but d'asseoir sa domination sur ses collaborateurs avec des menaces et un comportement rendant impossible son maintien dans l'entreprise.

L'appelante précise à ce titre qu'elle n'a, en aucun cas, ni menacé ni agressé physiquement ses collaborateurs mais qu'elle s'est contentée d'adresser des rappels aux autres salariés concernant leur comportement.

Mme [C] [Z], contrairement à ses développements devant les juges du fond, ne sollicite pas d'indemnisation au titre du harcèlement moral.

La salariée précise également avoir retranscrit dans différents mails les échanges qu'elle avait pu avoir afin d'alerter sur la situation dans le magasin concernant la gestion du stock des montures, la gestion du temps des collaborateurs, la non-réalisation de tâches par certains employés.

Elle rappelle que le magasin était en sous-effectif, situation qui ne permettait pas d'atteindre les objectifs.

Mme [Z] verse aux débats l'attestation de Mme [L] qui indique :

«J'ai commencé à travailler le 3 novembre 2021, Madame [C] [Z] était ma responsable nous étions en sous-effectif, je n'ai reçu aucune formation, le magasin était vraiment en désordre, nous avons été vite débordées par la charge de travail, je me suis entendue avec [C] car elle a su me mettre à l'aise et m'aider, j'ai pu assister à des altercations entre [A] et [C].

[A] a eu des altercations avec l'ensemble des collaborateurs, je pense qu'elle n'a pas réussi à trouver sa place. Juste avant le départ d'[C] en avril, j'ai assisté à une altercation entre Mme [D] [H] et [C]... il y a eu une embrouille à la période du carnaval... Mme [Y] s'est faite engagée pour faire des montages quelques semaines après moi, je pensais que cette nouvelle embauche allait nous permettre de nous soulager un peu mais cela ne fut pas le cas. Nous avons subi l'irrespect de [I] qui a fait preuve d'irrespect envers l'ensemble des collaborateurs, elle a manqué de respect plusieurs fois à [C] et également à moi...

Suite au départ d'[C] les choses ne se sont pas arrangées mais plutôt empirées.

J'ai dû faire l'intermédiaire entre [D] et [I] lors d'une dispute... [I] a crié à plein poumon dans le magasin... ses colères étaient répétitives envers [D], [W] et moi'».

Mme [C] [Z] rappelle que malgré les difficultés qu'elle pouvait rencontrer dans la gestion au quotidien du magasin, elle a régulièrement perçu ses primes, témoignant ainsi de son application dans son travail.

L'appelante produit enfin un arrêt maladie du 23 avril 2022 ainsi qu'une attestation du Docteur [F] [T] indiquant qu'elle a été suivie par un psychiatre qui avait diagnostiqué un syndrome anxiodépressif réactionnel en relation avec des difficultés d'adaptation au travail et un vécu persécutif.

La société GEO Martinique rappelle que Mme [C] [Z] a débuté ses fonctions dans de bonnes conditions professionnelles via un accompagnement permettant d'investir son poste et de découvrir l'enseigne Afflelou ainsi que ses méthodes.

L'intimée rappelle que les directeurs de magasin de l'enseigne se réunissent régulièrement afin d'échanger sur les pratiques et les observations qui étaient faites afin de parfaire le fonctionnement administratif et comptable du magasin. Malgré ce suivi, il était constaté des difficultés récurrentes en matière de gestion administrative et comptable de la salariée au sein du magasin de [Localité 1]. Des observations sur sa façon de communiquer à l'égard des autres salariés, jugée trop vindicative, lui ont été faites afin qu'elle puisse en tenir compte.

Le cabinet Etolint a été contacté afin d'analyser la problématique et de prodiguer des conseils de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail. La société intimée rappelle que, à ce titre, ce cabinet a reçu les dirigeants de l'entreprise, Mme [C] [Z] ainsi que les autres salariés afin de les aider à élaborer un plan d'action pour remédier aux difficultés constatées.

Un plan d'action été finalisé le 7 avril 2022 et comportait diverses mesures d'accompagnement à savoir formation interne de gestion d'équipe, échanges sur les bonnes pratiques avec les salariés, répartition des tâches, formation de salarié etc.

Une première étape de ce plan était fixée au 20 avril 2022. Le 19 avril 2022, soit la veille de la mise en 'uvre du plan, la société GEO Martinique était informée que Mme [B] estimait faire l'objet d'une situation de harcèlement moral de la part de ses collègues de travail mais aussi de la direction générale de l'entreprise.

Une enquête interne été alors diligentée sans délai, toujours sous la direction du cabinet Etolint, laquelle enquête aboutissait à une conclusion très différente de celle de Mme [C] [Z].

Le management de cette dernière a été effectivement fortement remis en cause et aucun acte de harcèlement n'a pu être relevé (pièce numéro 13 de l'intimée).

L'enquêteur a par ailleurs constaté, que Mme [C] [Z] n'avait fourni aucun élément pour justifier des agissements de harcèlement de la part de la direction générale ainsi que des salariés. De plus, les déclarations orales de l'appelante ont été contredites par les différents témoignages documentés des autres salariés de l'entreprise.

C'est dans ces conditions et ce contexte que la société intimée a envisagé de procéder au licenciement pour faute grave de Mme [C] [Z]. Cette dernière a donc été convoquée à un entretien préalable par courrier du 4 mai 2022.

Cette procédure ne se poursuivra pas davantage car, par courrier daté du même jour et reçu le 9 mai suivant, l'appelante a informé son employeur de sa décision de prise d'acte de la rupture de son contrat de travail en réitérant ses accusations de harcèlement.

La société intimée indique dans ses écritures constater que Mme [C] [Z] avait abandonné ses demandes indemnitaires liées au harcèlement moral et suppose donc que la prise d'acte de rupture de son contrat de travail est fondée uniquement sur une prétendue dégradation des conditions de travail dans l'entreprise et non plus sur le harcèlement moral invoqué lors de la première instance.

Or, la société GEO Martinique conteste la dégradation des conditions de travail de sa salariée.

Concernant Mme [Y], la société intimée précise que si Mme [C] [Z] lui reproche d'avoir modifié sans cesse une organisation de travail ainsi qu'une modification de planning, cette affirmation n'est démontrée par aucune pièce et l'entreprise ne dispose d'aucune trace.

Concernant le fait que Mme [C] [Z] aurait été prise à partie par les salariés qui lui demandaient de régler les heures supplémentaires de l'année 2020, cette affirmation n'est démontrée par aucune pièce et, l'entreprise ne dispose d'aucune trace de cela.

Concernant l'absence de répartition des tâches dont se prévaut Mme [C] [Z] également pour solliciter un plan d'action, la société intimée rappelle que c'est bien l'entreprise elle-même qui a mis en place un plan d'action afin de remédier aux difficultés notamment par l'intermédiaire du cabinet Etolint.

Concernant la surcharge de travail, la société intimée rappelle que cette affirmation n'est démontrée par aucune pièce spécifique et que cela ne correspond pas à la réalité dans la mesure où Mme [C] [Z] était en permanence assistée de plusieurs collaborateurs dans son magasin (entre cinq et sept) et ce tout au long de la relation contractuelle.

Concernant les difficultés liées à une absence de personnel, la société intimée communique plusieurs pièces démontrant la stabilité des effectifs au magasin de [Adresse 2] par le registre du personnel, la liste des personnes présentes de janvier 2021 à juin 2022, le tableau des départs et des arrivées, le tableau récapitulant du mois d'août 2021 à août 2022 le nombre de personnes présentes au magasin.

La société précise qu'il en ressort que les effectifs sont restés stables et que le magasin composé de six personnes en moyenne a même vu légèrement augmenter son personnel après l'arrivée de Mme [C] [Z] : entre quatre et six personnes selon les mois avant son arrivée et entre cinq et sept personnes après son arrivée.

Concernant les relations avec les autres salariés,

Mme [Y] :

La société rappelle que Mme [C] [Z] détenait le pouvoir disciplinaire, qu'elle était la supérieure hiérarchique de Mme [Y] et qu'à aucun moment elle n'a fait remonter des propos désobligeants concernant cette dernière.

En revanche, Mme [Y] a décrit des propos et des comportements de nature insolente de la part de Mme [C] [Z] dans les termes suivants :

«Madame [Z] a été l'auteur d'une succession de mauvais agissements envers ma personne qui sont les suivants : refus de communication, de coopération, ignorance au travail. En cas de transmission des tâches, elle m'abordait avec agressivité. Refus d'arrangement pour rendez-vous médical. Fausses déclarations de casse atelier notée à mon nom hors connaissance. Transmission de fausses consignes au nom de la direction telles que je cite «tu n'as plus le droit d'intervenir dans l'atelier ; consigne de Madame [R] et de Monsieur [K]». Constamment de mauvaise humeur. Ce qui a entraîné un climat quotidiennement délétère au travail».

Mme [H] :

La société indique que lors de l'enquête, Mme [H] a remis à la société Etolint un compte rendu écrit décrivant plusieurs faits : contestation sur un planning de travail quant à l'équité entre les jours de repos attribués aux unes et aux autres, Mme [Z] imposant à sa collaboratrice de lui parler alors qu'elle n'avait pas envie, se montrant insistante, puis haussant le ton et devenant provocante en la traitant de «jalouse», en précisant qu'elle savait très bien qu'il n'y avait pas de témoins, menace de licenciement, etc. (pièce n° 13 annexe «documents fournis par Madame [H]»).

Mme [O] :

Lors de l'enquête, Mme [O] a notamment entendu les termes suivants proférés par Mme [C] [Z] le 12 avril 2022 : «je vais la défoncer» (en parlant de Madame [Y]) «va voir [D], elle m'a manqué de respect, va la voir car je vais la défoncer, vous croyez que je suis gentille, mais je ne le suis pas, je viens du 9.3» - «tu as vu les photos de mon mari (') il est moins gentil que moi je vous le dis» - Elle répète qu'elle vient du 9.3 et qu'on ne connait pas les gens du 9.3. (pièce n° 13 annexe «documents fournis par Mme [O]»).

M. [K] :

Dans son attestation, ce dernier décrit les faits suivants (pièce n°25) : «Au fil des mois, le comportement de Madame [Z] s'est dégradé. Des échanges houleux ont eu lieu entre elle et les membres de l'équipe. Ce fût le cas avec Madame [V] [E], monteuse vendeuse, avec qui elle a fait preuve d'agressivité en lui ordonnant de sortir de la zone commerciale pour faire des montages alors qu'elle était en train de conseiller une cliente. Avec Madame [W] [O], adjointe, elle n'a pas assumé son rôle d'opticien responsable sans s'expliquer et en faisant preuve d'animosité à l'égard de son adjointe qui exprimait son désarroi envers un client dont j'ai l'habitude de m'occuper. J'ai malheureusement eu des retours négatifs de clients rencontrés dans la galerie commerciale (') J'ai essayé bien évidemment à chaque fois de discuter avec Madame [Z] pour essayer de lui faire comprendre l'inadéquation de son comportement. Peine perdue, les situations de comportements anormaux se sont multipliées, aboutissant à une équipe stressée et démotivée».

Concernant enfin la pièce médicale présentée par l'appelante, la société indique qu'il s'agit d'une prescription de compléments alimentaires à prendre pour une durée très brève et que cette prescription correspond un état de tension passagère dont l'importance doit être relativisée.

Sur ce, à titre liminaire, la cour constate que Mme [C] [Z] dans ses écritures ne sollicite pas d'indemnité fondée sur un harcèlement moral au soutien de sa demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse mais néanmoins fait état du comportement de son équipe ainsi que de sa hiérarchie afin de motiver sa prise d'acte.

En effet, le 19 avril 2022, l'appelante a envoyé un mail directement au cabinet Etolint Conseils afin d'indiquer qu'elle subissait de façon répétée des agissements de harcèlement moral de la part de ses collaborateurs et en particulier de Mesdames [H] et [Y]. Elle précise également avoir rencontré des difficultés depuis sa prise de fonction dans la gestion administrative, la gestion du personnel ainsi que la répartition des tâches.

La société a naturellement diligenté une enquête précisant au préalable que la salariée n'avait fourni aucun élément justifiant les agissements caractéristiques du harcèlement moral et que par ailleurs, ses déclarations sont contredites par les différents témoignages documentés des autres salariés de l'entreprise.

En effet, l'enquête interne a relevé que :

Les méthodes utilisées par Mme [C] [Z] pour intimider, humilier certains salariés de l'entreprise avaient également pour objectif de leur interdire de contacter la direction générale précisant que les demandes devaient exclusivement passer par elle.

Par ailleurs il a également été souligné que la salariée avait fait une fausse déclaration de harcèlement usant de mauvaise foi évidente. Elle a fait des déclarations écrites qu'elle a confirmées pendant son entretien alors qu'elle les savait intégralement fausses.

Pour étayer son propos la société a communiqué les attestations des différents salariés qui ont ainsi pu constater le comportement inapproprié de cette responsable à leur égard.

Il convient également de constater que la société GEO Martinique, dès que les résultats de l'enquête lui ont été communiqués, a envisagé de procéder à une mesure de licenciement pour faute grave témoignant ainsi du fait qu'elle a immédiatement souhaité prendre les mesures qui s'imposaient afin de préserver l'intégrité physique et mentale de l'ensemble des salariés de l'entreprise.

Par conséquent, la cour relève que la salariée n'énonce dans ses écritures aucun fait déterminé susceptible de relever d'une qualification de harcèlement moral.

Concernant les difficultés pour l'appelante à exercer ses fonctions, l'analyse des pièces de Mme [C] [Z] fait état de dysfonctionnement en relation avec un manque de personnel et par conséquence une surcharge de travail.

Or, la société intimée produit le registre du personnel permettant de constater qu'entre l'embauche de Mme [C] [Z] en août 2021 et sa sortie en mai 2022, le magasin de [Adresse 2] ne subira aucun départ. Les effectifs sont restés stables et par conséquent les difficultés liées à un manque de personnel ne pourront être retenues au soutien d'une mauvaise gestion des tâches à accomplir.

L'appelante ayant échoué à démontrer des manquements suffisamment graves de la part de son employeur lui permettant la poursuite du contrat de travail, la prise d'acte s'analyse donc en une démission et le jugement sera confirmé sur ce chef.

Mme [C] [Z] sera par conséquent déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour perte d'emploi injustifiée.

- Sur l'indemnité de préavis

Les juges du fond ont rejeté la demande de Mme [C] [Z] et au titre des demandes reconventionnelles, ont accordé la somme de 3000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis à la société GEO Martinique.

La cour ayant qualifié la prise d'acte en une démission, la salariée ne peut prétendre à aucune indemnité de rupture.

Mme [C] [Z] sera donc déboutée de sa demande d'indemnité de préavis et congés payés sur préavis.

En revanche, dès lors que l'employeur en fait la demande, la salariée est redevable d'une indemnité pour non-respect du préavis en cas de démission de cette dernière ;

En l'espèce, le préavis n'a pas été effectué.

La salariée bénéficiait d'une ancienneté de 9 mois et le montant du préavis s'élève donc à un mois de salaire pour une ancienneté comprise entre 6 mois et moins de 2 ans.

Par confirmation du jugement de première instance, Mme [C] [Z] sera donc condamnée à verser à la société GEO Martinique une indemnité de préavis d'un montant de 3 000 euros.

- Indemnité légale de licenciement

La prise d'acte s'analysant en une démission, la salariée ne peut prétendre à aucune indemnité de rupture.

Mme [C] [Z] sera donc déboutée de sa demande d'indemnité légale de licenciement.

- Amende civile pour procédure abusive

Selon l'article 32-1 du CPC celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 € sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés.

L'abus de procédure n'est constitué qu'en l'état d'une faute du demandeur à l'instance ayant fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice.

Les juges du fonds ont indiqué qu'il n'y avait pas lieu à application d'une amende civile pour procédure abusive.

La société GEO Martinique sollicite sur le fondement l'article 32-1 du code de procédure civile la condamnation de Mme [C] [Z] à une amende civile, sans qualifier la somme sollicitée, au motif que cette dernière a agi en justice de manière dilatoire ou abusive.

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il en résulte qu'une indemnisation au titre d'un appel abusif ne peut être allouée que lorsqu'est caractérisée une faute faisant dégénérer en abus le droit d'exercer le recours.

Il est en effet rappelé que l'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne peut dégénérer en abus qu'en cas de faute que le juge est tenu de caractériser au regard de circonstances particulières révélant la mauvaise foi, l'intention de nuire, des man'uvres malicieuses ou dilatoires, ou encore une légèreté blâmable équipollente au dol.

En l'espèce, aucune mauvaise foi ou intention de nuire de Mme [C] [Z] n'est démontrée, l'exercice de son droit d'agir en justice n'étant pas à lui seul constitutif d'un abus de droit.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

- Article 700 du code de procédure civile

En application des dispositions de l'article 700 du CPC, Mme [C] [Z] sera condamnée à verser à son employeur la somme de 1 000 euros.

Enfin, la salariée qui succombe, supportera les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Fort-de-France en date du 17 novembre 2022 en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

condamne Mme [C] [Z] aux dépens d'appel,

condamne Mme [C] [Z] à payer la somme de 1 000 euros à la société GEO Martinique en application des dispositions de l'article 700 du CPC.

Et ont signé le présent arrêt Mme Anne FOUSSE, Présidente et Mme Rose-Colette GERMANY, Greffière

La Greffière, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Fort-de-France
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 23/00017
Date de la décision : 12/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-12;23.00017 ?
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