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28/05/2024 | FRANCE | N°23/00187

France | France, Cour d'appel de Fort-de-France, Chambre civile, 28 mai 2024, 23/00187


ARRET N°



N° RG 23/00187



N°Portalis DBWA-V-B7H-CMFI

















ASSOCIATION SOLIHA MARTINIQUE





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SELARL [Localité 6] [E]



SELARL BCM ET ASSOCIÉS



LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE ADJOINT



MINISTERE PUBLIC





















































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N° RG 23/00247



N° Portalis DBWA-V-B7H-CMMX





Association SOLIHA MARTINIQUE



C/



S.E.L.A.R.L. [Localité 6] [E]



S.E.L.A.R.L. BCM ET ASSOCIES



MADAME LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE



MINISTERE PUBLIC











COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE



CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 28 MAI 2024





Décision déférée à la cour : Jugements du Tribun...

ARRET N°

N° RG 23/00187

N°Portalis DBWA-V-B7H-CMFI

ASSOCIATION SOLIHA MARTINIQUE

C/

SELARL [Localité 6] [E]

SELARL BCM ET ASSOCIÉS

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE ADJOINT

MINISTERE PUBLIC

N° RG 23/00247

N° Portalis DBWA-V-B7H-CMMX

Association SOLIHA MARTINIQUE

C/

S.E.L.A.R.L. [Localité 6] [E]

S.E.L.A.R.L. BCM ET ASSOCIES

MADAME LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE

MINISTERE PUBLIC

COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE

CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 28 MAI 2024

Décision déférée à la cour : Jugements du Tribunal Judiciaire de Fort-de-France, en date des 06 avril 2023 et 23 mai 2023, enregistrés

sous le n° 23/00028

AFFAIRE : RG 23/00187

APPELANTE :

ASSOCIATION SOLIHA MARTINIQUE

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Alban-Kévin AUTEVILLE, avocat au barreau de MARTINIQUE

INTIMES :

SELARL [Localité 6] [E], en la personne de Me [R] [E], ès qualités de mandataire judiciaire de l'association SOLIHA MARTINIQUE

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Yasmina KEÏTA-CAPITOLIN, avocat au barreau de MARTINIQUE

SELARL BCM ET ASSOCIÉS prise en la personne de Me [L] [I], ès qualités d'administrateur judiciaire de l'association SOLIHA MARTINIQUE

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 1]

Représentée par Me Yasmina KEÏTA-CAPITOLIN, avocat au barreau de MARTINIQUE

MONSIEUR LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE ADJOINT

Tribunal Judiciaire de Fort-de-France

[Adresse 4]

[Localité 1]

MINISTERE PUBLIC

L'affaire a été communiquée au Ministère Public, représenté par Madame B. SENECHAL, vice-procureure placée, qui a fait connaître son avis.

AFFAIRE : RG 23/00247

APPELANTE :

Association SOLIHA MARTINIQUE

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Me Alban-Kévin AUTEVILLE de la SELAS ALLIAGE SOCIETE D'AVOCAT, avocat au barreau de MARTINIQUE

INTIMES :

SELARL [Localité 6] [E], en la personne de Me [R] [E], ès qualités de mandataire liquidateur de l'association SOLIHA MARTINIQUE

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Yasmina KEÏTA-CAPITOLIN, avocat au barreau de MARTINIQUE

SELARL BCM ET ASSOCIÉS prise en la personne de Me [L] [I], ès qualités d'administrateur judiciaire de l'association SOLIHA MARTINIQUE

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 1]

Représentée par Me Yasmina KEÏTA-CAPITOLIN, avocat au barreau de MARTINIQUE

MADAME LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE

Tribunal Judiciaire de Fort-de-France

[Adresse 4]

[Localité 1]

MINISTERE PUBLIC

L'affaire a été communiquée au Ministère Public, représenté par Madame B. SENECHAL, vice-procureure placée, qui a fait connaître son avis.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Mars 2024 sur le rapport de Mme Nathalie RAMAGE, devant la cour composée de :

Présidente : Mme Nathalie RAMAGE, Présidente de Chambre

Assesseur : Mme Amandine PELATAN, Vice présidente placée

Assesseur : M. Thierry PLUMENAIL, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffière, lors des débats : Mme Béatrice PIERRE-GABRIEL,

Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l'arrêt fixée au 28 Mai 2024 ;

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'alinéa 2 de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSÉ DU LITIGE

L'association Soliha Martinique est une agence immobilière sociale qui a pour vocation d'accompagner les ménages en situation de précarité dans la réalisation de leur projet de construction ou de réhabilitation de leur logement.

Elle est également un opérateur social agréé et réalise à ce titre des opérations de réhabilitation.

Pour accomplir ses missions, elle perçoit des fonds de l'État, de la collectivité territoriale de la Martinique, ou de la Caisse des allocations familiales.

Par requête en date du 1er mars 2023, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Fort de France a demandé l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de l'association précitée.

Par jugement du 06 avril 2023, le tribunal judiciaire de Fort de France a, notamment :

- ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de l'association Soliha Martinique,

- ouvert la période d'observation prévue à l'article L. 621-3 du code de commerce dont il a fixé la durée à 6 mois,

- désigné M. Sébastien Carpentier en qualité de juge commissaire titulaire et la SELARL [Localité 6] [E] en la personne de Me [R] [E] en qualité de mandataire judiciaire,

- nommé en qualité d'administrateur la SELARL BCM et associés en la personne de Me [L] [I] afin de représenter l'entreprise dans sa gestion,

- dit que dans les dix jours du prononcé du jugement, le représentant légal, assisté de l'administrateur, ou l'administrateur lui-même, réunira le comité d'entreprise, les délégués du personnel ou à défaut les salariés pour qu'ils désignent leur représentant,

- dit que le procès-verbal de désignation du représentant des salariés, ou le procès-verbal de carence sera immédiatement déposé au greffe du tribunal,

- renvoyé l'affaire à l'audience du 23 mai 2023 à 14H00,

- constaté que l'indication de cette date avait été donnée le 06 avril 2023 publiquement et qu'elle valait convocation des parties dont la présence à l'audience était obligatoire,

- avisé le débiteur que le tribunal pouvait convertir la sauvegarde en redressement judiciaire.

Par déclaration reçue le 20 avril 2023, l'association Soliha Martinique a interjeté appel de cette décision à l'encontre du procureur de la République, de la SELARL [Localité 6] [E] et de la SELARL BCM et associés.

L'affaire a été enrôlée sous le numéro RG 23/187.

Un avis de fixation de l'affaire à bref délai a été adressé à son conseil le 03 mai 2023 par le greffe.

L'appelante a fait signifier sa déclaration d'appel aux trois intimés par actes du 11 mai 2023.

Par requête en date du 17 mai 2023, Me [L] [I] a demandé au tribunal de prononcer la conversion de la sauvegarde en redressement judiciaire et la conversion du redressement en liquidation judiciaire.

Par jugement du 23 mai 2023, le tribunal judiciaire de Fort de France a :

- mis fin à la période d'observation,

- prononcé la conversion de la sauvegarde judiciaire en redressement judiciaire et immédiatement :

- ordonné la conversion du redressement en liquidation judiciaire de l'association Soliha Martinique,

- autorisé la poursuite d'activité de l'association Soliha Martinique jusqu'au 30 juin 2023 à minuit,

- fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 06 avril 2023, date du jugement de sauvegarde,

- maintenu M. Sébastien Carpentier en qualité de juge commissaire titulaire,

- maintenu la mission de la SELARL BCM en qualité d'administrateur judiciaire, durant la poursuite de l'activité de l'association Soliha Martinique,

- nommé en qualité de liquidateur, la SELARL [Localité 6] [E] en la personne de Me [R] [E],

- maintenu le chargé d'inventaire, Me [V] [S] commissaire de justice,

- fixé à dix mois le délai au terme duquel la clôture de la procédure devra être examinée,

- renvoyé l'affaire à l'audience du 12 mars 2024 à 14H00 ;

- constaté que l'indication de cette date avait été donnée le 23 mai 2023 publiquement.

Par déclaration reçue le 02 juin 2023, l'association Soliha Martinique a interjeté appel de cette décision à l'encontre du procureur de la République, de la SELARL [Localité 6] [E] et de la SELARL BCM et associés. L'affaire a été enrôlée sous le numéro RG 23/247.

Un avis de fixation de l'affaire à bref délai a été adressé à son conseil le 16 juin 2023 par le greffe.

L'appelante a fait signifier sa déclaration d'appel aux trois intimés par actes des 20 et 23 juin 2023.

Aux termes de ses premières conclusions du 1er juin 2023, et dernières du 03 août suivant, l'appelante demande, au titre du premier appel sus évoqué de :

- la déclarer recevable et bien fondée en ses écritures,

- infirmer le jugement querellé dans toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- juger n'y avoir lieu à l'ouverture d'une procédure collective, 

- fixer les dépens comme de droit,

- rejeter tous moyens contraires ou plus amples.

Par conclusions du 21 septembre 2023, les SELARL BCM et associés et [Localité 6] [E] demandent de rejeter les conclusions d'appel et tous les moyens et prétentions de l'Ex Soliha Martinique et de condamner celle-ci aux éventuels dépens.

Le Parquet général a conclu le 17 mai 2023 à la confirmation du jugement.

La clôture de l'instruction est intervenue le 21 septembre 2023.

S'agissant de la procédure enrôlée sous le numéro RG 23/247, aux termes de ses premières et dernières conclusions du 17 juillet 2023, signifiées aux intimés par actes du 27 juillet suivant, l'appelante demande de :

- la recevoir en ses moyens et la déclarer bien fondée ;

A titre principal,

- infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions et déclarer que l'association Soliha Martinique n'est justiciable d'aucune procédure collective ;

A titre subsidiaire,

- prononcer l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de l'association Soliha Martinique,

- ordonner une période d'observation pour une durée qui ne saurait être inférieure à 6 mois,

- désigner pour la sérénité des débats, tel administrateur judiciaire qu'il plaira sauf la SELARL BCM ayant déjà eu à connaître de ce dossier,

- désigner tel mandataire judiciaire et tel commissaire-priseur qu'il plaira.

Par conclusions papier du 29 août 2023, les sociétés intimées demandent de rejeter les conclusions d'appel et tous les moyens et prétentions de l'ex-Soliha Martinique, confirmer le jugement du 23 mai 2023 et condamner l'ex-Soliha Martinique aux éventuels dépens.

Le Parquet général a conclu le 02 août 2023 à la confirmation du jugement.

La clôture de l'instruction de cette procédure est également intervenue le 21 septembre 2023.

Par arrêts du 10 octobre 2023, la cour a ordonné la réouverture des débats et la révocation des ordonnances de clôture aux seules fins de permettre à l'appelante de préciser l'identité de son représentant lors des déclarations d'appel et de produire toutes pièces utiles justifiant de la qualité à agir de ce représentant, et aux intimés de faire valoir leurs observations sur ce point.

Les parties ont conclu sur la recevabilité des appels les 10 décembre 2023 et 10 février 2024.

La clôture de l'instruction est intervenue par arrêt distinct du 22 mars 2024.

Les affaires ont été évoquées à l'audience du 22 mars 2024, date à laquelle les parties ont déposé leurs dossiers de plaidoiries concernant la procédure RG 23/247.

Les SARL BCM et associés, [Localité 6] [E] ont également déposé leurs dossiers de plaidoirie concernant la procédure RG 23/187.

Il a été demandé, par message du 25 mars 2024, au conseil de l'appelante de déposer son dossier de plaidoirie du RG 23/187 au plus tard le 26 mars 2024.

Les décisions ont été mises en délibéré au 28 mai 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions susvisées et au jugement déféré.

MOTIFS :

A titre liminaire, il convient, pour la bonne administration de la justice et au regard du lien de connexité existant entre elles, d'ordonner la jonction des procédures enrôlées sous les numéros RG 23/187 et RG 23/247, la seconde procédure faisant suite à la première.

1/ Sur la recevabilité des appels :

Les intimées, dans leurs conclusions du 10 février 2024, ne soulèvent plus l'irrecevabilité de l'appel liée au non-respect du délai d'appel.

S'agissant de la qualité à interjeter appel de Mme [H] pour le compte de l'association, l'appelante fait valoir que la démission qu'elle avait présentée le 14 décembre 2022 n'était pas effective en ce qu'elle n'a jamais été remise au conseil d'administration de Soliha et en ce qu'elle lui avait été arrachée par son employeur.

L'appelante expose également que le conseil d'administration du 25 janvier 2023 dont l'ordre du jour portait, notamment, sur la démission de Mme [H], est nul pour avoir été convoquée moins de 15 jours avant sa tenue et en ce que le quorum requis n'a pas été atteint ;

que Mme [H] a été maintenue dans ses fonctions de présidente au cours d'une assemblée générale du 1er février 2023 et que Mme [O] ayant été exclue du bureau à l'occasion d'une assemblée générale du 15 février 2023, elle ne pouvait pas la représenter.

Les intimées répliquent que Mme [O] pouvait remplacer Mme [H] du fait de la démission de cette dernière ; que l'exclusion de Mme [O] de sa fonction d'administrateur est irrégulière en ce que, contrairement à ce que prévoient les statuts de l'association, elle n'a pas été préalablement entendue ; que Mme [H] n'avait donc pas qualité pour interjeter appel des deux jugements des 06 avril et 23 mai 2023.

La cour retient qu'à la lecture de la pièce n° 6 des intimées, Mme [H] a démissionné de son poste de présidente du conseil d'administration de l'association le 14 décembre 2022.

Mme [O], en sa qualité de vice-présidente pouvait donc, aux termes de l'article 12 des statuts de l'association (pièce n° 1 de l'appelante), la remplacer puisque la présidente était empêchée du fait de cette démission.

Toutefois, cette dernière ne pouvait être effective qu'une fois présentée au conseil d'administration puisque c'est ce conseil d'administration qui élit son président.

Or, le conseil d'administration du 25 janvier 2023 prenant acte de la démission de Mme [H] est irrégulier en ce que ses membres ont été convoqués en tout état de cause moins de 5 jours avant sa tenue, délai réduit en « procédure d'urgence », Mme [O] ayant adressé les convocations aux membres du conseil par mail du 23 janvier 2023. En outre, le quorum n'étant pas atteint, le conseil d'administration devait être reconvoqué, ce que ne laisse pas apparaître son procès-verbal (pièce n° 5 de l'appelante).

Dès lors, Mme [H], maintenue dans ses fonctions de présidente par décision du conseil d'administration du 1er février 2023, avait qualité pour interjeter appel des jugements pour le compte de l'association.

A titre superfétatoire, il convient de relever que la radiation de Mme [O] actée au cours de ce même conseil d'administration a été motivée non pour motif grave, ce qui aurait exigé son audition préalable, mais pour incompatibilité avec le cadre de référence et la charte du mouvement Soliha.

Les appels sont donc recevables.

2/ Sur la validité de la mesure de sauvegarde :

L'appelante soulève l'irrégularité de la saisine du tribunal, rappelant que celle-ci ne peut être faite que par le débiteur et que la procédure de sauvegarde ne peut pas être prononcée d'office par le tribunal.

Les intimées répliquent que le tribunal judiciaire de Fort de France a été saisi par une requête du parquet en date du 28 février 2023 aux fins d'ouverture d'une procédure collective sur le fondement de l'article L 621-1 du code de commerce, faisant suite à un signalement de la première vice-présidente du tribunal judiciaire en charge de la prévention des difficultés des associations et entreprises non commerciales, reprenant un soit transmis en date du 27 février 2023 et le courrier de Mme [O] signalant les difficultés rencontrées, par l'association ; que c'est le ministère public qui est le poursuivant saisi par un dirigeant de droit ou de fait de l'association.

L'article L 620-1 du code de commerce alinéa 1er énonce : « il est institué une procédure de sauvegarde ouverte sur demande d'un débiteur mentionné à l'article L 620-2 qui, sans être en cessation des paiements, justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter ».

Mme [O], qui n'avait plus qualité pour représenter l'association le 17 février 2023, ne peut donc, en tout état de cause, être considérée comme ayant étant valablement à l'origine de la saisie du tribunal en vue d'une mesure de sauvegarde et le jugement doit donc être infirmé.

Toutefois, force est de constater que le tribunal n'a pas été expressément saisi d'une mesure de sauvegarde mais qu'il a été saisi par le procureur de la République aux « fins d'ouverture d'une procédure collective à l'égard de l'association ». Le jugement du 06 avril 2023 précise d'ailleurs en sa page 3 que le Ministère public a requis à l'audience du 28 mars 2023 l'ouverture d'une procédure collective aux fins de redressement de l'association.

Ainsi, si le tribunal ne pouvait pas prononcer une mesure de sauvegarde puisqu'il n'avait pas été valablement saisi pour ce faire, il devait ordonner un redressement judiciaire si les conditions de ce dernier étaient remplies.

Il convient donc de vérifier si l'association était alors en état de cessation des paiements, étant relevé que les intimées ne sollicitent pas la confirmation du jugement du 06 avril 2023 mais le rejet des demandes de l'appelante.

3/ Sur la cessation des paiements au jour de l'ouverture de la procédure :

Outre les difficultés financières récurrentes de l'association relevées dès 2021 par son administrateur provisoire, le jugement du 06 avril 2023 reprend :

- le courrier du Préfet de la Martinique du 29 septembre 2022 aux termes duquel les conclusions de l'audit financier font état d'une situation financière extrêmement dégradée de l'association qui compromet la continuité de l'exploitation,

- une note de la DEAL, principal bailleur de fonds, évoquant des difficultés financières chroniques, une situation financière extrêmement dégradée qui devait s'aggraver par la perte de l'agrément préfectoral indispensable à la poursuite de l'activité,

- un résultat net comptable de l'exercice 2022 négatif à concurrence de 473 814,64€,

- un courriel de la cheffe comptable de l'association en date du 30 janvier 2023 évoquant un solde débiteur du compte bancaire de fonctionnement de 115 436€ et l'incapacité, à cette date, d'assurer le paiement des salaires du mois de janvier,

- le non-paiement des cotisations échues en octobre 2022 à la fédération Soliha, des cotisations dues à l'assureur SMA BTP au mois de mars 2023, de la taxe foncière due le 09 mars 2023,

- l'existence de dettes salariales, d'un appel de fonds au titre de charges de copropriété, de dettes à l'égard de l'URSSAF ou encore de l'expert-comptable.

Le tribunal a considéré que l'état de cessation des paiements n'était pas caractérisé.

L'appelante, si elle admet traverser une situation préoccupante, conteste toute cessation des paiements.

Elle met en exergue les soldes créditeurs de ses comptes bancaires aux mois d'avril et mai 2023, tout en précisant que ces liquidités ne sont pas acquises à Solihaet sont des avances de chantiers qui n'ont pu être menés à bien en raison du retrait de l'agrément dont elle disposait, mais que pour l'essentiel il s'agit de sommes liées à des chantiers achevés et qu'il n'existe aucun risque de non-représentation des chantiers achevés.

Les intimées soulignent que, désormais dépourvue d'agrément, l'association ne peut plus poursuivre ses activités d'assistance à maîtrise d'ouvrage et est confrontée à la suspension des garanties de la SMA BTP, à la rupture de la convention de partenariat avec la CGSS, à l'interdiction de démarrer tout nouveau chantier, au non-respect des précédents échéanciers mis en place pour lui permettre d'apurer ses dettes, à un déficit structurel, à des dettes au titre de la taxe foncière et des charges locatives.

La cour retient que les soldes positifs des comptes bancaires invoqués par l'appelante étaient pour la très grande majorité des avances de chantiers ou sommes dédiées dès lors que l'association était dans l'incapacité de régler les dettes et cotisations échues évoquées supra, alors même qu'elle ne conteste pas que ces sommes étaient effectivement dues.

Dès le 23 mai 2023, le tribunal a pu relever que le compte fonctionnement de l'association était négatif à hauteur de 1 534K€, et que l'association n'avait pas été en mesure d'assurer le paiement de ses charges courantes au cours des mois précédant l'ouverture de la procédure ; que plus encore, les éléments comptables et financiers collectés démontraient un état avéré de cessation des paiements au moment du prononcé du jugement de sauvegarde.

La cessation des paiements ne suppose pas simplement qu'il n'y ait « aucun risque de non-représentation des fonds » mais que l'actif disponible ne permette pas de faire face au passif exigible.

En l'espèce, il se déduit nécessairement du non-paiement des dettes et cotisations échues, non contestées, que l'actif disponible de l'association, non spécifiquement dédié à d'autres fins, ne permettait pas de faire face à son passif exigible et ce, dès la saisine du tribunal.

Aucune des pièces produites par l'appelante ne permet de contredire cette analyse.

Le tribunal devait donc prononcer, dès le 06 avril 2023, le redressement judiciaire de l'association.

S'il ne pouvait pas plus confier à l'administrateur la mission de représenter l'association dans le cadre d'une mesure de sauvegarde, les pouvoirs de représentation de l'association conférés à BCM en qualité d'administrateur sont compatibles avec la mesure de redressement judiciaire qui devait être prononcée.

Les dispositions relatives à la période d'observation, ainsi qu'à la nomination des juge-commissaire, administrateur et commissaire de justice seront confirmées.

4/ Sur la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire :

Le tribunal, en l'état d'une cessation des paiements caractérisée et en l'absence d'agrément et de visibilité sur les rentrées financières prévisionnelles de l'association Soliha Martinique, qui, selon lui, en tout état de cause ne permettraient aucunement de couvrir toutes les charges courantes, a converti la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire et ce dernier en liquidation judiciaire.

L'appelante fait valoir que son objet social est suffisamment large pour que d'autre pistes d'activités que celles exigeant un agrément soient étudiées.

Elle expose que ses comptes bancaires sont pour l'essentiel créditeurs et que si certaines des liquidités qui y sont mentionnées ne lui sont pas acquises, il s'agit pour l'essentiel de sommes liées à des chantiers achevés ; qu'elle est propriétaire d'un plateau au centre Delgres, dont il est envisageable qu'il soit cédé ou loué en partie ; qu'un certain nombre de créances acquises à l'association et n'ont pas été recouvrées pour un montant total de plus de 519.000 € ; qu'enfin l'assurance professionnelle responsabilité civile et responsabilité décennale a bien été souscrite et honorée.

Cependant, si la cour considérait que l'état de cessation des paiements était caractérisé, elle sollicite le bénéfice du redressement judiciaire et la désignation d'une autre étude d'administrateur.

Les intimées, dont les observations sur l'état de cessation des paiements ont été reprises plus haut, relèvent en outre :

- l'existence d'un prélèvement indû de 100 000€ sur le compte des apports de la CAF pour réaliser des paiements qui relèvent exclusivement du fonctionnement ou le paiement d'une créance antérieure au jugement prononçant la sauvegarde de l'entreprise comme le virement de 30 000e à une ancienne salariée,

- des virements bancaires le 30 mars 2023 correspondant à huit salaires alors que l'association compte onze salariés,

- le non reversement prévisible à Soliha des sommes au titre du prélèvement des 7% AISFT dès lors que les chantiers ne peuvent être terminés en l'absence d'agrément,

- les sommes que l'association invoque comme étant dues mais non recouvrées constituées en réalité par les apports des ménages qu'elle devra rembourser ou des avances de travaux pour des chantiers non commencés,

- le tarissement de la principale source de financement de l'association (AISFT) en l'absence d'agrément de l'association,

- l'interdiction par le Préfet et par le président du conseil exécutif du conseil territorial de la Martinique de démarrer de nouvelles opérations,

- le transfert des opérations en cours à d'autres opérateurs,

- la rupture de la convention de partenariat avec la CGSS à effet du 17 mars 2023,

- des sommes dues pour le compte de fonctionnement aux comptes de fonds sous mandat d'un montant de 1 114K€,

- les états financiers de l'association au 31 décembre 2022, non encore validés par le commissaire aux comptes, révélant un report à nouveau négatif de - 3 548k€.

Il a été retenu plus haut qu'en l'état d'une cessation des paiements, le redressement judiciaire était justifié dès le 06 avril 2023.

La conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire suppose que le redressement de l'association soit manifestement impossible.

Force est de constater que les pièces visées dans les conclusions de l'appelante concernant la procédure RG 23/247 ne correspondent pas à celles versées aux débats s'agissant des pièces n° 17 (« état des sommes dues ») et 18 (« relevé d'opérations Groupama »).

La première est en réalité une « analyse des quatre tableaux » dont l'auteur n'est pas identifié et inexploitable en l'état ; la seconde se dédouble en un courrier de la société Caumartin consultants au mandataire judiciaire en date du 16 septembre 2023 ayant pour objet un devis estimatif pour la réalisation de travaux d'expertise comptable et en l'ordonnance de référé du 10 août 2023 du premier président de la cour d'appel de Fort de France ordonnant l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du 06 avril 2023.

Ainsi n'est-il pas démontré que l'analyse de la situation financière avancée par les intimées est erronée.

L'appelante, qui affirme que son objet social est suffisamment large pour lui permettre de poursuivre son activité nonobstant la perte de son agrément, ne justifie concrètement d'aucune piste à exploiter pour ce faire, ni de la certitude et du montant des revenus que cette activité lui permettrait de dégager. Elle ne conteste pas non plus que par la suite de la perte de cet agrément, elle ne peut plus bénéficier des abondements de ses principaux bailleurs, tout en devant continuer à faire face à des charges d'exploitation.

Il apparaît ainsi que son redressement, en l'absence d'agrément lui permettant de poursuivre l'activité qui était sa principale, sinon sa seule, source de ses revenus, est impossible et que la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire est justifiée.

Le jugement du 23 mai 2023 sera donc confirmé sur ce point, ainsi que sur ses dispositions subséquentes.

Les dépens de première instance comme d'appel, afférents aux deux procédures, seront employés en frais privilégiés de procédure.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Par arrêt contradictoire, en dernier ressort et mis à disposition par le greffe,

ORDONNE la jonction des procédures enrôlées sous les numéros RG 23/187 et 23/247 ;

DÉCLARE recevables les appels interjetés par l'association Soliha Martinique les 20 avril 2023 et 02 juin 2023 ;

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Fort de France du 06 avril 2023 mais seulement en ce qu'il a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de l'association Soliha Martinique ;

Statuant à nouveau,

ORDONNE l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de l'association Soliha Martinique ;

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Fort de France du 23 mai 2023 mais seulement en ce qu'il a prononcé la conversion de la sauvegarde judiciaire et redressement judiciaire ;

Statuant à nouveau,

DIT n'y avoir lieu à conversion de la sauvegarde judiciaire en redressement judiciaire ;

Et y ajoutant,

DIT que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure.

Signé par Mme Nathalie RAMAGE, Présidente de Chambre et Mme Béatrice PIERRE-GABRIEL, Greffière, lors du prononcé à laquelle la minute a été remise.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Fort-de-France
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/00187
Date de la décision : 28/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-28;23.00187 ?
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