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28/05/2024 | FRANCE | N°23/00104

France | France, Cour d'appel de Fort-de-France, Chambre civile, 28 mai 2024, 23/00104


ARRET N°



N° RG 23/00104



N°Portalis DBWA-V-B7H-CL2T

















LA SCI ALPHEA





C/



LA SCI IMUTUFR















COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE



CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 28 MAI 2024





Décision déférée à la cour : jugement du tribunal judiciaire de Fort de France, en date du 07 février 2023, enregistré sous le n° 20/01903.





APPELANTE :

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SCI ALPHEA, représentée par son représentant légal domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 2]



Représentée par Me Charlène LE FLOC'H, avocat au barreau de MARTINIQUE





INTIMEE :



SCI IMUTUFR, représentée par son gérant domicilié audit siège ...

ARRET N°

N° RG 23/00104

N°Portalis DBWA-V-B7H-CL2T

LA SCI ALPHEA

C/

LA SCI IMUTUFR

COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE

CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 28 MAI 2024

Décision déférée à la cour : jugement du tribunal judiciaire de Fort de France, en date du 07 février 2023, enregistré sous le n° 20/01903.

APPELANTE :

SCI ALPHEA, représentée par son représentant légal domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 2]

Représentée par Me Charlène LE FLOC'H, avocat au barreau de MARTINIQUE

INTIMEE :

SCI IMUTUFR, représentée par son gérant domicilié audit siège en cette qualité

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Alexandre KONDO de la SELEURL AKI-CONSEIL, avocat postulant, au barreau de MARTINIQUE

Me Daniel WERTER, avocat plaidant, au barreau de GUADELOUPE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Mars 2024 sur le rapport de Mme Nathalie RAMAGE, devant la cour composée de :

Présidente : Mme Nathalie RAMAGE, présidente de chambre

Assesseur : M. Thierry PLUMENAIL, conseiller

Assesseur : Mme Claire DONNIZAUX, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière, lors des débats : Mme Béatrice PIERRE-GABRIEL,

Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l'arrêt fixée au 28 mai 2024 ;

ARRÊT : contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'alinéa 2 de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte du 15 décembre 2011, la SCI Imutufr a vendu à la SCI Alphea le lot n°48 d'un immeuble à usage commercial situé [Adresse 5] moyennant un prix de 2 350 000 euros.

Par acte du 21 juin 2013, la SCI Alphea a assigné la SCI Imutufr devant le tribunal de grande instance de Fort de France en vue d'obtenir l'annulation de la vente.

Cette vente a été annulée par un arrêt rendu le 18 février 2020 par la cour d'appel de Fort de France.

La SCI Imutufr a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt.

Par arrêt du 6 avril 2022, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Fort de France du 18 février 2020 mais seulement en ce qu'il avait condamné la SCI Imutufr à payer à la SCI Alphea la somme de 564.213, 20 € au titre des intérêts échus.

Par acte du 13 novembre 2020, la SCI Imutufr a assigné la SCI Alphea devant le tribunal judiciaire de Fort de France aux fins d'obtenir sa condamnation à lui restituer la totalité des fruits et la valeur de jouissance procurés par l'immeuble, ce, à compter du 06 décembre 2012, date de la découverte des vices de la vente et subsidiairement du 21 juin 2013, date de son assignation en annulation de la vente.

Par jugement contradictoire du 07 février 2023, le tribunal a, notamment :

- déclaré la fin de non-recevoir soulevée par la SCI Alphea irrecevable devant le tribunal,

- déclaré recevable l'action de la SCI Imutufr à l'encontre de la SCI Alphea,

- condamné la SCI Alphea à restituer à la SCI Imutufr les fruits perçus et la valeur de la jouissance procurée par le lot n°48 d'un immeuble à usage commercial situé [Adresse 5] et situé sur la parcelle cadastrée section AT n°[Cadastre 1], pour la période comprise entre le 21 juin 2013 et le 18 février 2020,

Avant dire-droit :

- ordonné la réouverture des débats,

- ordonné une mesure d'expertise comptable, et désigné pour y procéder M. [C] [Y],

- ordonné à la SCI Alphea de produire à la SCI Imutufr sous astreinte de 100 € par jour de retard dans le délai d'un mois suivant la signification de la présente décision et à l'expert à sa première demande :

*sa comptabilité pour les exercices 2011 à 2018,

*l'ensemble des baux portant sur l'immeuble litigieux en vigueur de 2011 à 2018,

*le justificatif des règlements des taxes foncières et des charges de copropriété ;

- réservé les demandes et les dépens,

- renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience de mise en état du 28 avril 2023,

- rappelé le caractère exécutoire par provision de plein droit du jugement.

Par déclaration reçue le 26 février 2023, la SCI Alphea a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses premières conclusions du 25 mai 2023, et dernières du 15 novembre suivant, l'appelante demande d'infirmer le jugement en ce qu'il a :

*déclaré la fin de non-recevoir soulevée par la SCI Alphea irrecevable devant le tribunal,

*déclaré recevable l'action de la SCI Imutufr à l'encontre de la SCI Alphea,

*condamné la SCI Alphea à restituer à la SCI Imutufr les fruits perçus et la valeur de la jouissance procurée par le lot n°48 d'un immeuble à usage commercial situé [Adresse 5] et situé sur la parcelle cadastrée section AT n°[Cadastre 1] pour la période comprise entre le 21 juin 2013 et le 18 février 2020 ;

Avant dire droit :

*ordonné la réouverture des débats,

*ordonné une mesure d'expertise, et désigne pour y procéder M. [C] [Y] avec pour mission de :

-$gt; se faire remettre tous documents utiles à l'exécution de sa mission (notamment les documents comptables et fiscaux, contrats de bail, contrat de syndic etc) pour la période allant du 21 juin 2013 au 18 février 2020 et notamment se faire remettre par la SCI Alphea tout document de nature à permettre l'évaluation des fruits perçus pendant la période du 21 juin 2013 au 18 février 2020,

-$gt; évaluer la valeur de la jouissance du bien pour la période comprise entre le 21 juin 2013 et le 18 février 2020,

-$gt; dire s'il existe des désordres ou dégradations de l'immeuble, les dater,

-$gt; fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre d'identifier les fruits perçus par la SCI Alphea du 21 juin 2013 au 18 février 2020 et d'évaluer les éventuels préjudices de tous ordres subis et de statuer sur les éventuelles responsabilités encourues,

-$gt; établir un pré-rapport, avant dépôt de son rapport définitif afin de permettre aux parties de lui faire leurs dires et observations,

$gt;- plus généralement, faire toutes constatations et formuler toutes observations utiles ;

*ordonné à la SCI Alphea de produire à la SCI Imutufr sous astreinte de 100 € par jour de retard dans le délai d'un mois suivant la signification de la présente décision et à expert à sa première demande :

-$gt; sa comptabilité pour les exercices 2011 à 2018,

-$gt; l'ensemble des baux portant sur l'immeuble litigieux en vigueur de 2011 à 2018,

-$gt; le justificatif des règlements des taxes foncières et des charges de copropriété ;

Statuant à nouveau, de :

- déclarer recevable la fin de non-recevoir soulevée par la SCI Alphea et la retenir,

- dire en conséquence que les demandes de la SCI Imutufr s'opposent à l'autorité de la chose jugée,

- déclarer irrecevable l'action de la SCI Imutufr à l'encontre de la SCI Alphea ;

Dès lors,

- rejeter la demande de la SCI Imutufr visant à obtenir la restitution des fruits et de la valeur de jouissance qu'aurait procuré l'immeuble à la SCI Alphea,

- rejeter la demande avant dire droit de la SCI Imutufr visant à obtenir la production sous astreinte de la comptabilité de la SCI Alphea de 2011 à 2018,

- rejeter la demande avant dire droit de la SCI Imutufr visant à obtenir la production sous astreinte des baux,

- rejeter la demande avant dire droit de la SCI Imutufr tendant à obtenir la communication du justificatif des taxes foncières et des charges de copropriété,

- rejeter la demande avant dire droit de la SCI Imutufr visant à obtenir la désignation d'un expert en vue d'évaluer les fruits et la jouissance procurés par l'immeuble et les dégradations de l'immeuble,

- déclarer la demande de la SCI Imutufr visant à obtenir la restitution de la totalité des fruits et la valeur de jouissance qu'aurait procuré l'immeuble à la SCI Alphea irrecevable et mal fondée ;

- rejeter l'appel incident de la SCI Imutufr tendant à voir :

*condamner la SCI Alphea à restituer à la SCI Imutufr les fruits perçus et la valeur de la jouissance procurée par le lot °48 d'un immeuble à usage commercial situé [Adresse 5] et situé sur la parcelle cadastrée section AT n[Cadastre 1], pour la période comprise entre le 12 juin 2012 et le 18 février 2020,

*confirmer le jugement dont appel en toutes ses autres dispositions sauf à rectifier de la façon suivante la mission de l'expert quant à la date de la période à examiner, qui doit débuter le 12 juin 2012 au lieu du 21 juin 2013 :

' - se faire remettre tous documents utiles à l'exécution de sa mission (notamment les documents comptables et fiscaux, contrats de bail, contrat de syndic etc) pour la période allant du 12 juin 2012 (au lieu du 21 juin 2013) au 18 février 2020 et notamment se faire remettre par la SCI Alphea tout document de nature à permettre l'évaluation des fruits perçus pendant la période du 21 juin 2013 au 18 février 2020,

' - évaluer la valeur de la jouissance du bien pour la période comprise entre le 12 juin 2012 (au lieu du 21 juin 2013) et le 18 février 2020,

' - dire s'il existe des désordres ou dégradations de l'immeuble, les dater,

' - fournir, tous éléments techniques et de fait de nature à permettre d'identifier les fruits perçus par la SCI Alphea du 12 juin 2012 (au lieu du 21 juin 2013) au 18 février 2020 et d'évaluer les éventuels préjudices de tous ordres subis et de statuer sur les éventuelles responsabilités encourues,

' - établir un pré-rapport, avant dépôt de son rapport définitif afin de permettre aux parties de lui faire leurs dires et observations,

' - plus généralement, faire toutes constatations et formuler toutes observations utiles ;

- condamner la SCI Imutufr à verser à la SCI Alphea la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice subi,

-condamner la SCI Imutufr à verser à la SCI Alphea la somme de 4.000 euros pour procédure abusive,

- condamner la SCI Imutufr à verser à la SCI, Alphea la somme de 7.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par ses premières et dernières conclusions du 31 août 2023, l'intimée demande d'écarter des débats les pièces de la SCI Alphea visées dans ses conclusions en appel et non encore communiquées à l'intimée moins de 8 jours avant de l'expiration de son délai pour conclure et de :

- débouter la SCI Alphea de l'intégralité de ses demandes,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

*déclaré irrecevable la fin de non-recevoir soulevée par la SCI Alphea,

*déclaré recevable l'action de la SCI Imutufr à l'encontre de la SCI Alphea,

- infirmer le même jugement en ce qu'il a condamné la SCI Alphea à restituer à la SCI Imutufr les fruits perçus et la valeur de la jouissance procurée par le lot n°48 d'un immeuble à usage commercial situé [Adresse 5] et situé sur la parcelle cadastrée section AT n°[Cadastre 1], pour la période comprise entre le 21 juin 2013 et le 18 février 2020 ;

Statuant à nouveau sur ce point,

- condamner la SCI Alphea à restituer à la SCI Imutufr les fruits perçus et la valeur de la jouissance procurée par le lot n°48 d'un immeuble à usage commercial situé [Adresse 5] et situé sur la parcelle cadastrée section AT n°[Cadastre 1], pour la période comprise entre le 12 juin 2012 et le 18 février 2020,

- confirmer le jugement dont appel en toutes ses autres dispositions sauf à rectifier de la façon suivante la mission de l'expert quant à la date de la période à examiner, qui doit débuter le 12 juin 2012 au lieu du 21 juin 2013 :

*se faire remettre tous documents utiles à l'exécution de sa mission (notamment les documents comptables et fiscaux, contrats de bail, contrat de syndic etc) pour la période allant du 12 juin 2012 (au lieu du 21 juin 2013) au 18 février 2020 et notamment se faire remettre par la SCI Alphea tout document de nature à permettre l'évaluation des fruits perçus pendant la période du 21 juin 2013 au 18 février 2020,

*évaluer la valeur de la jouissance du bien pour la période comprise entre le 12 juin 2012 (au lieu du 21 juin 2013) et le 18 février 2020,

*dire s'il existe des désordres ou dégradations de l'immeuble, les dater,

*fournir, tous éléments techniques et de fait de nature à permettre d'identifier les fruits perçus par la SCI Alphea du 12 juin 2012 (au lieu du 21 juin 2013) au 18 février 2020 et d'évaluer les éventuels préjudices de tous ordres subis et de statuer sur les éventuelles responsabilités encourues,

*établir un pré-rapport avant dépôt de son rapport définitif afin de permettre aux parties de lui faire leurs dires et observations,

*plus généralement, faire toutes constatations et formuler toutes observations utiles ;

- débouter la société Alphea de l'intégralité de ses demandes, exception et fin de non-recevoir ;

- dire et juger qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Imutufr les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer en justice aux fins de défendre ses intérêts,

- condamner la société Alphea à payer à la société Imutufr la somme 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

La clôture de l'instruction est intervenue le 08 février 2024.

L'affaire a été évoquée à l'audience du 22 mars 2024 et la décision a été mise en délibéré au 28 mai 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions susvisées et au jugement déféré.

MOTIFS :

A titre liminaire, la cour relève que l'appelante ne produit pas de bordereau de communication de ses pièces permettant de contredire les affirmations de l'intimée aux termes desquelles cette communication n'avait pas été effectuée au 31 août 2023, date des conclusions de l'intimée qui disposait pour ce faire d'un délai expirant le 06 septembre 2023.

Cette communication tardive, qu'aucun élément ne vient infirmer, ne permettant pas à l'intimée d'étudier et de faire utilement valoir ses observations sur les pièces avant l'expiration du délai dont elle disposait pour déposer ses premières conclusions, elles seront écartées des débats conformément aux dispositions de l'article 16 alinéa 2 du code de procédure civile.

1/ Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée :

Le tribunal a écarté cette fin de non-recevoir en application des dispositions de l'article 789 du code de procédure civile au motif que la SCI Alphea n'en avait pas saisi le juge de la mise en état avant son dessaisissement le 21 octobre 2022 alors que la demande de la SCI Imutufr relative à la restitution lui avait été signifiée antérieurement, précisément le 13 novembre 2020.

L'appelante réitère sa fin de non-recevoir en cause d'appel, soulignant que l'intimée n'avait pas formulé de demande de restitution dans le cadre du contentieux principal alors qu'elle découle directement de l'annulation du contrat.

L'intimée réplique que ni la cour ni le conseiller de la mise en état ne sont compétents pour statuer sur une fin de non-recevoir qui n'a pas été soulevée en première instance devant le juge de la mise en état ; qu'elle est donc irrecevable.

Elle affirme en outre qu'elle n'est pas fondée en ce que la demande de restitution n'a pas été tranchée à l'occasion du contentieux relatif à l'annulation de la vente ; que le principe de concentration des moyens ne s'applique pas au défendeur ; qu'en tout état de cause la procédure ayant donné lieu à l'arrêt du 18 février 2020 est toujours en cours.

La cour retient que, par suite de l'arrêt de la Cour de cassation du 06 avril 2022, l'annulation de la vente est aujourd'hui définitive.

Aux termes de l'article 561 du code de procédure civile, l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel ; il est statué à nouveau en fait et en droit dans les conditions et limites déterminées aux livres premier et deuxième dudit code.

La déclaration d'appel de la SCI Alpha vise expressément l'irrecevabilité de la fin de non-recevoir.

Conformément aux dispositions de l'article 562 du CPC, il appartient donc à la cour d'examiner le bien-fondé de cette dernière, dont il convient également de rappeler qu'elle peut être opposée en tout état de la procédure.

La demande de restitution des fruits et de la valeur de la jouissance procurée par la chose vendue n'a pas été formulée à l'occasion de l'instance relative à l'annulation de la vente.

Or, l'autorité de la chose jugée suppose une identité des demandes, inexistante en l'espèce.

Au demeurant, la demande de restitution ne pouvait être utilement présentée qu'une fois l'annulation de la vente prononcée.

Si l'appelante semble se prévaloir d'une obligation de "concentration des demandes", imposant à une partie de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, il convient de rappeler que cette partie n'est pas tenue de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits.

L'autorité de la chose jugée ne peut ainsi être utilement invoquée et la fin de non-recevoir sera rejetée.

2/ Sur la qualité de possesseur de bonne foi de l'appelante :

Le tribunal, au visa des articles 1352 et suivants, 549 et 550 du code civil, a retenu qu'à compter de la demande en justice tendant à l'anéantissement de la vente, le possesseur ne pouvait plus être considéré comme de bonne foi, ayant découvert le vice.

Il a en conséquence considéré que la date depuis laquelle était justifiée la restitution des fruits et de la valeur de jouissance de la chose vendue devait être fixée au 21 juin 2013, correspondant à l'assignation délivrée à la requête de SCI Alphea à la SCI Imutufr en annulation de la vente pour dol.

L'appelante affirme avoir perçu de bonne foi les loyers de l'immeuble jusqu'à l'arrêt du 18 février 2020 et prétend qu'aucune restitution ne peut donc intervenir avant cette date.

Plus subsidiairement, elle soutient que la restitution ne pourrait en tout état de cause courir qu'à compter de la demande, soit à compter de l'assignation que lui a signifié la SCI Imutufr, le 13 novembre 2020.

L'intimée, appelante incidente sur ce point, fait valoir que le possesseur perd la qualité de possesseur de bonne foi dès que les vices lui sont connus, soit en l'espèce, à la lecture de l'assignation du 21 juin 2013, le 12 juin 2012, date du courrier que la SCI Aalphea prétend avoir adressé, dans lequel elle dénonçait une partie des vices fondant sa demande en nullité.

La cour relève que le courrier dont fait état l'intimée en date du 12 juin 2012 n'est pas versé aux débats.

L'appelante ayant nécessairement eu connaissance des vices qui fondaient sa demande en annulation de la vente au moment de l'assignation qu'elle a faite délivrer, la cour approuve le tribunal qui a fait une juste application des dispositions légales précitées.

3/ Sur les demandes avant dire-droit accessoires :

Le tribunal a retenu des explications des parties que le bien restitué avait été mis en location par la SCI Alphea qui avait continué à percevoir des loyers jusqu'à l'annulation de la vente prononcée par la cour d'appel de Fort-de-France le 18 février 2020.

Il a considéré que s'il appartenait à la SCI Imutifr de rapporter les éléments permettant l'évaluation de la restitution et de la valeur de jouissance procurée à compter du 21 juin 2013, la vente, à cette date, avait été conclue depuis près de deux ans et que la SCI Alphea était réputée propriétaire de la chose louée, ce, jusqu'au 18 février 2020, le premier jugement rendu le 5 juin 2018 par le tribunal de grande instance de Fort-de-France prononçant la résolution de la vente n'ayant pas été assorti de l'exécution provisoire ; que la SCI Imutufr se trouvait ainsi dans l'impossibilité matérielle de rapporter les éléments relatifs à la perception des fruits procurés par la location de l'immeuble pour la période comprise entre le 21 juin 2013 et le 18 février 2020.

La SCI Alphea refusant de produire toute pièce permettant cette évaluation et le tribunal n'étant pas suffisamment renseigné pour fixer la valeur de la restitution et de la valeur de jouissance procurée du 21 juin 2013 au 18 février 2020, celui-ci a ordonné une expertise avant dire-droit sur ce point, à charge pour les parties de transmettre à l'expert l'ensemble documents comptables permettant ladite évaluation.

Compte tenu de la réticence affichée par la SCI à communiquer ces pièces, il a assorti l'obligation de communication d'une astreinte.

L'appelante soutient que les demandes de communication de pièces : comptabilité de la SCI Alphea de 2011 à 2018, justificatif des taxes foncières et des charges de copropriété, baux, ne sont pas fondées au regard de ce qu'elle a soutenu précédemment ou en ce que ces pièces peuvent être obtenues directement par la SCI Imutufr.

Il résulte toutefois de ce qui précède que la restitution des fruits et de la valeur de jouissance de l'immeuble prenant effet à compter du 21 juin 2013, la communication des pièces nécessaires au calcul de la somme due à ce titre doit couvrir l'intégralité de la période.

La SCI Alphea étant destinataire en premier lieu desdites pièces, elle devra les communiquer, sans exiger utilement que l'intimée se les procure elle-même et se heurte le cas échéant aux refus ou carences du syndicat de copropriétaires ou des locataires.

Son attitude de refus persistant à communiquer ces pièces justifie la confirmation de l'astreinte prononcée par le tribunal.

4/ Sur l'appel incident relatif à la modification de la mission de l'expert :

L'intimée sollicite la modification de la mission de l'expert auquel elle souhaite que mission lui soit confiée, notamment, de décrire les dégradations de l'immeuble survenues entre le 15 décembre 2011 et le 18 février 2020 et évaluer le coût des remises en état.

L'appelante, faisant valoir sa bonne foi, se prévaut des dispositions de l'article 1352-1 du code civil.

Elle met en exergue la mauvaise foi de l'intimée, qui lui a, avant la vente, sciemment dissimulé l'existence de désordre de nature décennale, d'une procédure dont elle était partie, de charges de copropriété exorbitantes, de locataires défaillants, etc ' son silence ayant ainsi vicié son consentement.

La cour a écarté supra la bonne foi alléguée de l'appelant à compter du 21 juin 2013.

L'appelante doit donc, en application de l'article 1352-1 du code civil, répondre des dégradations et détériorations de l'immeuble à compter de cette date, sauf à démontrer que celles-ci ne sont pas dues à sa faute.

En conséquence, la vérification de l'origine des dégradations et détériorations survenues depuis le 21 juin 2013 est nécessaire et préalable à l'évaluation de la somme due au titre de la restitution sollicitée par l'intimée.

La mission de l'expert sera donc complétée, étant observé que la demande de l'intimée est le complément nécessaire des demandes présentées en première instance.

Si le dispositif des conclusions de l'intimée ne reprend pas intégralement le complément de mission suggéré dans la partie discussion de ses écritures, la cour s'approprie ce complément d'expertise nécessaire à l'évaluation des sommes dues à la SCI Imutufr.

5/ Sur les demandes de dommages et intérêts de l'appelante :

Le tribunal a réservé ces demandes.

L'appelante sollicite, en application des dispositions de l'article 1231-6 alinéa 2 du code civil, l'allocation d'une somme de 50 000e à titre de dommages et intérêts.

Elle fait valoir à cette fin que plus d'un an après le prononcé de l'arrêt de cette cour du 18 février 2020, dans le cadre d'un contentieux datant de 2014, l'intimée ne lui a versé aucune somme et détourne une partie des loyers.

Elle soutient qu'elle ne dispose plus d'aucun revenu, qu'elle se trouve dans l'impossibilité de rembourser sa banque du prêt que celle-ci lui avait accordé ou de régler sa dette fiscale.

Elle conteste les allégations de l'intimée qui prétend ne pas être de mauvaise foi et ne pas disposer elle-même des moyens de s'acquitter de sa dette, alors que la saisie attribution qu'elle a fait pratiquer le 24 juillet 2023 sur le compte de la SCI Imutufr a permis d'appréhender la somme de 488 504,10€.

Elle sollicite en outre la condamnation de l'intimée à lui verser la somme de 4 000e pour procédure abusive.

L'intimée prétend qu'elle n'est pas en mesure d'exécuter l'arrêt portant annulation de la vente au regard de la précarité de sa situation financière.

La cour relève que la SCI Imutufr ne fournit aucune explication sur l'origine et la destination de la somme ayant fait l'objet de la saisie attribution, pas plus qu'elle ne justifie de l'impossibilité de la consacrer à l'exécution, même partielle, de sa condamnation à restituer le prix de vente de l'immeuble à la SCI Aalphea.

Elle démontre ainsi une réticence certaine à restituer le prix de vente du bien. Sa mauvaise foi doit donc être retenue et la demande de l'appelante apparaît fondée.

Les circonstances de l'espèce permettent d'évaluer la réparation du préjudice causé par le refus injustifié de restituer, ne serait-ce qu'en partie, le prix de vente, et indépendant du retard, à la somme de 10 000€.

La demande de restitution des fruits et de la valeur de la jouissance de l'immeuble dont la vente a été annulée, formulée par la SCI Imutufr, étant accueillie, ne serait-ce qu'en son principe, la procédure initiée par celle-ci ne peut pas être qualifiée d'abusive.

La demande de dommages et intérêts de ce chef sera rejetée.

6/ Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a réservé les dépens et les demandes au titre des frais irrépétibles après avoir ordonné une expertise avant dire droit.

Succombant à titre principal en son recours, l'appelante supportera la charge des dépens d'appel.

PAR CESMOTIFS,

La cour,

Par arrêt contradictoire, en dernier ressort et mis à disposition par le greffe,

ECARTE des débats les pièces produites par la SCI Alphea comme n'ayant pas été communiquées à la SCI Imutufr dans un délai lui permettant utilement de les examiner et faire ses observations avant l'expiration du délai qui lui était imposé pour conclure ;

CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Fort de France du 07 février 2023 dont appel sauf en ce qu'il a réservé les demandes de dommages et intérêts de la SCI Alphea en application de l'article 1231-6 du code civil et au titre d'une procédure abusive ;

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la SCI Imutufr à payer à la SCI Alphea la somme de 10 000€ (dix mille euros) en réparation du préjudice indépendant du retard dans la restitution du prix de vente de l'immeuble ;

DÉBOUTE la SCI Alphea de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Et y ajoutant,

COMPLÈTE la mission de l'expert désigné comme suit :

- décrire les dégradations et détériorations de l'immeuble survenues entre le 15 décembre 2011 et la date de l'annulation de la vente le 18 février 2020,

- en préciser les origines et dire si ses dégradations sont imputables à la faute de la SCI Alphea, à un défaut d'entretien ou à un défaut de conservation de sa part,

- dire si la SCI Alphea peut invoquer sa bonne foi ou une cause étrangère,

- évaluer le coût des remises en état,

- dire si ces dégradations et détériorations ont diminué la valeur de l'immeuble et dans l'affirmative, évaluer cette diminution,

- évaluer le montant de la perte de loyers résultant des dégradations et détérioration imputables à la SCI Alphea ;

CONDAMNE la SCI Alphea aux dépens d'appel.

Signé par Mme Nathalie RAMAGE, présidente de chambre et Mme Béatrice PIERRE-GABRIEL, greffière, lors du prononcé à laquelle la minute a été remise.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Fort-de-France
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/00104
Date de la décision : 28/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-28;23.00104 ?
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