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28/05/2024 | FRANCE | N°22/00201

France | France, Cour d'appel de Fort-de-France, Chambre civile, 28 mai 2024, 22/00201


ARRET N°



N° RG 22/00201



N°Portalis DBWA-V-B7G-CKGT























LA SCI IMUTUFR





C/



LA SCI ALPHEA



LA BNP PARIBAS ANTILLES GUYANE



















COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE



CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 28 MAI 2024





Décision déférée à la cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance de Fort de France du 05 juin 20

18, après cassation de l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de Fort-de-France, le 18 février 2020, par la Cour de Cassation en date du 06 avril 2022, enregistré sous le n° 302 F-D ;





APPELANTE :



LA SCI IMUTUFR, représentée par son gérant domicilié audit siège en cette qualité

[Adresse 6]

...

ARRET N°

N° RG 22/00201

N°Portalis DBWA-V-B7G-CKGT

LA SCI IMUTUFR

C/

LA SCI ALPHEA

LA BNP PARIBAS ANTILLES GUYANE

COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE

CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 28 MAI 2024

Décision déférée à la cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance de Fort de France du 05 juin 2018, après cassation de l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de Fort-de-France, le 18 février 2020, par la Cour de Cassation en date du 06 avril 2022, enregistré sous le n° 302 F-D ;

APPELANTE :

LA SCI IMUTUFR, représentée par son gérant domicilié audit siège en cette qualité

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentée par Me Alexandre KONDO, de la SELARLU AKI-CONSEIL, avocat postulant, au barreau de MARTINIQUE

Me Daniel WERTER, avocat plaidant, au barreau de GUADELOUPE

INTIMEES :

S.C.I. ALPHEA, représentée par son représentant légal domicilié

ès qualités audit siège

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représentée par Me Charlène LE FLOC'H, avocat au barreau de MARTINIQUE

LA BNP PARIBAS ANTILLES GUYANE, représentée par ses dirigeants légaux en exercice domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Catherine RODAP, avocat au barreau de MARTINIQUE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Mars 2024 sur le rapport de Monsieur Thierry PLUMENAIL, devant la cour composée de :

Présidente : Mme Nathalie RAMAGE, Présidente de Chambre

Assesseur : Mme Amandine PELATAN, Vice présidente placée

Assesseur : M.Thierry PLUMENAIL, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffière, lors des débats : Mme Béatrice PIERRE-GABRIEL,

Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l'arrêt fixée au 28 Mai 2024 ;

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'alinéa 2 de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte authentique du 15 décembre 2011, la SCI Imutufr a vendu à la SCI Alphéa le lot n° 48 sis [Adresse 5], constitué d'un terrain d'une superficie de 1 200 m² comprenant un espace destiné à l'installation d'une station-service de distribution de carburant et sur lequel sont édifiés trois bâtiments, le tout à usage commercial, des baux commerciaux étant en cours et faisant partie de la cession.

La vente a eu lieu pour la somme de 2 350 000,00 euros. Le prix

était payable au moyen d'un prêt professionnel pour la somme de

2 200 000,00 euros et le solde du prix, soit 150 000,00 euros devait être versé au plus tard le 31 mars 2012. Le 19 avril 2012, la SCI Imutufr a accepté le report de ce dernier paiement.

Le 6 mai 2013, la société vendeuse a fait délivrer un commandement de payer à sa cocontractante.

Par acte d'huissier de justice des 10 et 12 février 2014, la SCI Alphéa a fait assigner la SCI Imutufr, la SCP notariale Belhumeur, Hayot, Tripet et la SARL Point com, agent immobilier, devant le tribunal de grande instance de Fort de France en nullité de la vente, subsidiairement en erreur sur les qualités substantielles du bien vendu et restitution de la somme de 2 200 000,00 euros sous astreinte, avec garantie de la SCP des notaires.

Par jugement contradictoire du 5 juin 2018, le tribunal a :

- constaté que la SCI Imutufr avait commis un dol par réticence dolosive en ne précisant pas l'existence d'une procédure judiciaire en cours au jour de la vente à laquelle elle était partie et portant sur l'immeuble vendu,

- ordonné, en conséquence, la résolution de la vente,

- condamné la SCI Imutufr à rembourser à la SCI Alphéa la somme de 2 293 500,00 euros, outre intérêts au taux légal depuis l'assignation,

- ordonné la publication de la décision au service de la publicité foncière à la diligence de la SCI Alphéa,

- débouté la SCI Alphéa de ses demandes formées contre la SCP notariale et la SARL Point com,

- débouté la SCP notariale, la SARL Point com et la SCI Imutufr de leurs demandes reconventionnelles,

- condamné la SCI Imutufr à payer à la SCI Alphéa la somme de 2 500,00 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs prétentions,

- condamné la SCI Imutufr aux dépens.

Par déclaration électronique du 5 juillet 2018, la SCI Imutufr a relevé appel du jugement.

Par arrêt du 18 février 2020, la cour d'appel de Fort de France a :

- confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la SCI Imutufr avait commis un dol par réticence dolosive mais l'a infirmé sur le reste ;

Et, statuant à nouveau,

- prononcé l'annulation de la vente intervenue entre la SCI Imutufr et la SCI Alphéa, le 15 décembre 2011et portant sur le lot n° 48 sis [Adresse 5],

- ordonné à la SCI Alphea la restitution du bien immobilier à la SCI Imutufr,

- condamné la SCI Imutufr à rembourser à la SCI Alphéa la somme de 2 200 000,00 euros au titre du prix de vente payé, outre le prix des frais d'agence acquittés par la SCI Alphéa,

- condamné la SCI Imutufr à rembourser à la SCI Alphéa la somme de 564 213,20 euros à titre de dommages intérêts représentant les intérêts échus au 31 mai 2019 et ceux échus jusqu'au prononcé du présent arrêt,

- débouté la SCI Alphéa de ses autres demandes de dommages intérêts,

- prononcé l'annulation du contrat de prêt immobilier conclu entre la SCI Alphéa et la SA BNP Paribas Antilles Guyane en paiement du prix de vente du bien immobilier vendu le 15 décembre 2011 par la SCI Imutufr à la SCI Alphéa,

- condamné, en conséquence, la SCI Alphéa à restituer SA BNP Paribas Antilles Guyane la somme de 2 200 000,00 euros,

- condamné solidairement la SCI Imutufr avec la SCI Alphéa à payer à la SA BNP Paribas Antilles Guyane cette somme de

2 200 000,00 euros,

- condamné la SCI Imutufr à verser à la SA BNP Paribas Antilles Guyane la somme de 564213,20 euros au titre des intérêts échus au 31 mai 2019 et celle de 220 524,09 euros, au titre des intérêts à échoir,

- dit que les intérêts au taux légal sur l'ensemble des sommes étaient dus à compter du prononcé de l'arrêt,

- ordonné la publication de l'arrêt au service de la publicité foncière de Fort de France aux frais de la SCI Imutufr,

- condamné la SCI Imutufr aux entiers dépens,

- condamné la SCI Imutufr à verser à la SCI Alphéa la somme de 5 000,00 euros et à la SA BNP Paribas Antilles Guyane la somme de 3 000,00 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur pourvoi de la société Imuturf, la Cour de cassation, par arrêt du 06 avril 2022, a :

- cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il condamnait la société civile immobiliere lmutufr à payer à la société civile immobilière Alphéa la somme de 564 213,20 euros au titre des intérêts échus et à la société BNP Paribas Antilles Guyane la somme de 220 554,09 euros au titre de l'intégralité des intérêts à échoir, l'arrêt rendu le 18 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France,

- remis, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France autrement composée,

- dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société civile immobilière Alphéa et la société BNP Paribas Antilles Guyane.

Par déclaration du 02 juin 2022, la société Imutufr a saisi la cour d'appel de renvoi.

Aux termes de ses premières conclusions du 02 août 2022, et dernières du 23 juin 2023, l'appelante demande d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à rembourser à la SCI Alphéa une somme de 93500 euros au titre des intérêts sur le prêt et de :

- déclarer irrecevables et non fondées les demandes de la SCI Alphéa tendant à obtenir la condamnation de la SCI Imutufr à lui régler une somme de 564 213.20 euros représentant les intérêts du prêt consenti par la banque ainsi que toutes autres demandes qui n'auraient pas encore été tranchées par les dispositions aujourd'hui définitives de l'arrêt du 18 février 2020,

- l'en débouter,

- déclarer irrecevables et non fondées les demandes de la BNP Paribas Antilles Guyane tendant à obtenir la condamnation de la SCI Imutufr à lui régler la somme de 564 213,20 euros au titre des intérêts échus au 31 mai 2019 et celle de 220 524,09 euros, au titre des intérêts à échoir et toutes ses autres demandes qui n'auraient pas encore été tranché par les dispositions aujourd'hui définitives de l'arrêt du 18 février 2020,

- l'en débouter,

- dire que dans l'hypothèse où la société Imutufr serait amenée à régler la somme de 2200000 euros qu'elle a été condamnée à verser à BNP Paribas Antilles Guyane en lieu et place de la société Alphéa du fait de la subrogation contenue dans l'acte de vente, elle disposera d'un recours en remboursement de cette somme contre la société Alphéa qui se compensera le cas échéant avec le prix ( 2 200 000 euros) qu'elle a été condamné à rembourser à cette dernière,

- condamner solidairement la BNP Paribas Antilles Guyane et la société Alphéa à régler à la société Imutufr la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du CPC outre les entiers dépens.

La société Imutufr soutient que la demande formulée par la SCI ALphéa tendant à sa condamnation à lui régler une somme de

564 213.20 euros représentant les intérêts du prêt consenti par la banque doit être rejetée, comme toute condamnation au paiement des intérêts au taux légal dès lors que l'annulation du contrat de prêt subséquemment à l'annulation du contrat de vente a entraîné la restitution par la banque du capital et des intérêts échus à l'acquéreur souscripteur du prêt ; que la SCI Alphéa ne peut dans ses conditions soutenir qu'elle a subi un préjudice du fait du règlement des intérêts à la banque puisque lesdits intérêts lui ont été restitués et qu'elle ne justifie en conséquence d'aucun préjudice.

S'agissant des autres demandes d'indemnisation formulées par la société Alphéa, elle invoque soit l'autorité de la chose jugée tirée de l'arrêt du 18 février 2020 qui a débouté ladite société de ses autres demandes de dommages et intérêts, soit l'irrecevabilité des demandes comme étant nouvelles en cause d'appel.

Elle soulève cette même irrecevabilité de la demande de la société BNP Paribas tendant à la condamnation de la société Imutufr à lui verser la somme de 564 213,20 euros au titre des intérêts échus au 31 mai 2019 et celle de 220 524,09 euros, comme étant une nouvelle demande.

Elle relève en outre que le contrat de prêt conclu avec la BNP contient page 21 une clause « REMBOURSEMENT ANTICIPEE » qui stipule qu'à tout moment l'emprunteur pourra procéder au remboursement anticipé du présent prêt en tout ou partie ; qu'aucune indemnité n'est prévue dans une telle hypothèse, et en déduit que le préjudice subi par la banque ne pouvant excéder le montant de l'indemnité de résiliation anticipée qui aurait pu être mis à la charge des emprunteurs en l'absence d'annulation du prêt, le préjudice subi par la banque au titre des intérêts à échoir est nul.

Sur les conséquences de l'arrêt du 18 février 2020 quant au règlement de la somme de 2,2 millions d'euros par la SCI Imutufr, elle fait valoir qu'il convient donc de préciser que dans l'hypothèse ou elle serait amenée à régler cette somme à la banque en lieu et place de la société Alphéa, elle disposera d'un recours en remboursement de cette somme contre la société Alphéa qui se compensera le cas échéant avec le prix ( 2 200 000 euros) qu'elle doit rembourser à cette dernière.

Par ses dernières conclusions du 27 février 2023, la BNP Paribas demande de :

- la recevoir en ses demandes ;

Y faisant droit,

- déclarer irrecevables les demandes en paiement de la SCI Alphéa ; sinon, l'en débouter,

- déclarer irrecevable la demande de la SCI Imutufr tendant à ce que la BNP BNP Paribas Antilles Guyane soit déboutée de sa demande en condamnation de la SCI Imutufr à lui régler la somme de 564 213,20 euros au titre des intérêts échus au 31 mai 2019 ; sinon l'en débouter,

- déclarer que sur ce chef l'arrêt du 18 février 2020 a autorité de la chose jugée,

- condamner la SCI Imutufr à payer à la BNP Paribas Antilles Guyane la somme de 220524,09 € à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance de percevoir les intérêts à échoir du prêt notarié professionnel du 15 décembre 2011, avec intérêts au taux légal jusqu'à parfait paiement,

- condamner solidairement la SCI Imutufr et la SCI Alphéa à payer à la BNP Paribas Antilles Guyane la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens de l'article 699 du CPC ;

Très subsidiairement,

- condamner la SCI Imutufr à payer à la BNP Paribas Antilles Guyane la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance de percevoir les intérêts à échoir du prêt notarié professionnel du 15 décembre 2011, avec intérêts au taux légal jusqu'à parfait paiement.

La société BNP Paribas demande d'écarter les pièces 1 à 33 de la SCI Alphéa qui n'ont pas été déposées sur RPVA mais transmises par We Transfer.

Elle soulève l'irrecevabilité de la demande de la SCI Alphéa tendant à ce que la cour d'appel condamne la banque à lui payer la somme de 876.569,07 euros au titre du capital au regard de l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt du 18 février 2020 et de l'arrêt de la Cour de cassation qui a cassé ce premier arrêt seulement en ce qu'il condamnait la SCI Imutifr à payer à la SCI Alphéa la somme de 564 213,20€ au titre des intérêts échus.

Elle invoque également l'irrecevabilité pour les mêmes motifs :

- de la demande de la SCI Alphéa tendant à ce que la banque soit condamnée à lui payer la somme de 564.231,20 euros au titre des intérêts arrêtés au 31 mai 2019,

- de la demande de la SCI Imutfr tendant à ce que la banque soit déboutée de sa demande en condamnation à lui régler la somme de 564 213,20 euros au titre des intérêts échus au 31 mai 2019.

Elle sollicite son indemnisation au titre de la perte de chance de percevoir les intérêts à échoir du prêt par le versement de la somme de 220 524,09€ ou, a minima, de 100 000€.

Par ses dernières conclusions du 24 mai 2023, la SCI Alphéa demande d'infirmer le jugement du 05/06/2018 en ce qu'il a condamné la SCI Imutufr à payer à la SCI Alphéa la somme de 93.500 euros à titre de dommages et intérêts ;

Statuant à nouveau,

- rejeter la demande d'irrecevabilité des pièces 1 à 33 qui ont été régulièrement communiquées par la SCI Alphéa,

- recevoir la SCI Alphéa en ses demandes,

- condamner la SCI Imutufr à verser à la SCI Alphéa la somme de 564 213,20 euros à titre de dommages intérêts,

Par ailleurs,

- condamner la BNP à restituer à l'emprunteur le capital (soit (2.200.000- 1.323.430,93) 876.569,07 euros) et les intérêts versés (soit la somme de 564.231,20 euros pour les intérêts arrêtés au 31 mai 2019), et les frais du contrat de prêt annulé, à parfaire jusqu'au prononcé du présent arrêt,

- rejeter toutes autres demandes de la SCI Imutufr et de la BNP,

- condamner la SCI Imutufr à verser à la SCI Alphéa la somme de 10.000,00 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la BNP à verser à la SCI Alphéa la somme de 15.000,00 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement la SCI Imutufr et la BNP aux entiers dépens.

La SCI Alphéa affirme que ses pièces 1 à 33 ont été communiquées à la BNP par RPVA et We transfer. Elle demande d'entériner l'évaluation de son préjudice telle que fixée par la cour qui lui a alloué la somme de 564 213,20 euros à titre de dommages et intérêts. Elle sollicite également la condamnation de la BNP à restituer à l'emprunteur le capital et les intérêts versés, ainsi que les frais du contrat de prêt annulé, conformément à la motivation de l'arrêt de la Cour de cassation.

La clôture de l'instruction est intervenue le 21 septembre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, il sera fait expressément référence à la décision déférée à la cour et aux dernières conclusions déposées.

L'affaire a été plaidée à l'audience du 22 mars 2024. La décision a été mise en délibéré au 28 mai 2024.

MOTIFS

Sur la cassation partielle.

Selon l'article 623 du code de procédure civile, la cassation peut être totale ou partielle. Elle est partielle lorsqu'elle n'atteint que certains chefs dissociables des autres. L'article 624 précise que la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui le prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

Selon l'article 625 alinéa 1er du code de procédure civile, sur les points qu'elle atteint, la cassation replace les parties dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant le jugement cassé.

Le dispositif de l'arrêt de cassation du 06 avril 2022 est un arrêt de cassation partielle précisant son objet limité aux chefs de l'arrêt de la cour d'appel ayant condamné la SCI Imutufr à rembourser à la SCI Alphéa la somme de 564 213,20 euros à titre de dommages intérêts représentant les intérêts échus au 31 mai 2019 et ceux échus jusqu'au prononcé du présent arrêt et ayant condamné la SCI Imutufr à verser à la SA BNP Paribas Antilles Guyane la somme de 220 524,09 euros, au titre des intérêts à échoir.

La Cour de cassation a également :

- remis, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France autrement composée,

- dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société civile immobilière Alphéa et la société BNP Paribas Antilles Guyane.

Force est de constater que, si dans le dispositif du jugement du 05 juin 2018, le tribunal de grande instance de Fort-de-France opère une confusion entre le montant dû à titre principal et le montant dû au titre des intérêts, condamnant ainsi la SCI Imutufr à rembourser à la SCI Alphéa la somme globale de 2.293.500 euros en principal, en revanche le premier juge a distingué, dans l'exposé des motifs du jugement susvisé, le montant dû en principal, soit la somme de 2.200.000 euros, et le montant dû au titre des intérêts, soit la somme de 93.500 euros.

La cour de renvoi relève également que, dans le dispositif de son arrêt rendu le 18 février 2020, la cour d'appel de Fort-de-France a opéré une distinction entre les condamnations prononcées à titre principal et les condamnations prononcées au titre des intérêts, condamnant ainsi la la SCI Imutufr à rembourser à la SCI Alphéa la somme de 2.200.000 euros en principal et la somme de 564.213,20 euros au titre des intérêts échus.

Dès lors, la cour d'appel de renvoi doit statuer sur le chef de jugement rendu le 05 juillet 2018 en ce qu'il a condamné la SCI Imutufr à rembourser à la SCI Alphéa la somme de 93.500 euros au titre des intérêts sur le prêt.

La cour d'appel de renvoi devra également statuer sur le chef de la décision déférée, objet de la cassation partielle, ayant condamné la SCI Imutufr à verser à la SA BNP Paribas Antilles Guyane la somme de 220 524,09 euros, au titre des intérêts à échoir.

Le jugement rendu le 05 juin 2018 par le tribunal de grande instance de Fort-de-France est donc devenu définitif en ce qu'il a constaté que la SCI Imutufr avait commis un dol par réticence dolosive en ne précisant pas l'existence d'une procédure judiciaire en cours au jour de la vente à laquelle elle était partie et portant sur l'immeuble vendu.

L'arrêt rendu le 18 février 2020, qui a infirmé le jugement du 05 juin 2018 en ses autres dispositions, est donc devenu définitif, après cassation partielle, en ce qu'il a :

- prononcé l'annulation de la vente intervenue entre la SCI Imutufr et la SCI Alphea, le 15 décembre 2011et portant sur le lot n° 48 sis [Adresse 5] ;

- ordonné à la SCI Alphéa la restitution du bien immobilier à la SCI Imutufr,

- condamné la SCI Imutufr à rembourser à la SCI Alphéa la somme de 2 200 000,00 euros au titre du prix de vente payé, outre le prix des frais d'agence acquittés par la SCI Alphéa,

- débouté la SCI Alphéa de ses autres demandes de dommages intérêts,

- prononcé l'annulation du contrat de prêt immobilier conclu entre la SCI Alphéa et la SA BNP Paribas Antilles Guyane en paiement du prix de vente du bien immobilier vendu le 15 décembre 2011 par la SCI Imutufr à la SCI Alphéa,

- condamné, en conséquence, la SCI Alphéa à restituer à la SA BNP Paribas Antilles Guyane la somme de 2 200 000,00 euros,

- condamné solidairement la SCI Imutufr avec la SCI Alphéa à payer à la SA BNP Paribas Antilles Guyane cette somme de

2 200 000,00 euros,

- condamné la SCI Imutufr à verser à la SA BNP Paribas Antilles Guyane la somme de 564 213,20 euros au titre des intérêts échus au 31 mai 2019,

- dit que les intérêts au taux légal sur l'ensemble des sommes étaient dus à compter du prononcé de l'arrêt,

- ordonné la publication de l'arrêt au service de la publicité foncière de Fort de France aux frais de la SCI Imutufr,

- condamné la SCI Imutufr aux entiers dépens,

- condamné la SCI Imutufr à verser à la SCI Alphéa la somme de 5 000,00 euros et à la SA BNP Paribas Antilles Guyane la somme de 3 000,00 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ces conditions, il n'y a pas lieu pour la cour d'appel de renvoi de statuer sur les demandes des parties visant à voir confirmer ou infirmer ces chefs de décision.

Sur la demande d'écarter les pièces 1 à 33 de la SCI Alphéa.

Force est de constater qu'aucune demande n'est présentée en ce sens dans le dispositif des dernières conclusions de la société BNP Paribas Antilles Guyane.

Dès lors, ce chef de prétention sera rejeté.

Sur la restitution des intérêts échus et des frais.

L'article 1382, devenu 1240 du code civil, dispose : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

La Cour de cassation a relevé que la SCI Imutufr avait été condamnée à tort à payer à la SCI Alphéa le montant des intérêts échus, alors que la banque était tenue de restituer cette somme à la SCI Alphéa.

Sur ce point, la Cour de cassation a remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt du 18 février 2020, de sorte que la SCI Alphéa est recevable à présenter une demande en paiement à l'encontre de la banque au titre de la restitution des intérêts échus.

Par ailleurs, il est constant que le montant des intérêts échus au 31 mai 2019 s'élève à la somme de 564.213,20 euros.

En conséquence, la société BNP Paribas Antilles Guyane sera condamnée à rembourser à la SCI Alphéa la somme de 564.213,20 euros au titre des intérêts échus au 31 mai 2019.

Enfin, la SCI Alphéa sollicite le remboursement des frais du contrat de prêt annulé mais ne produit aucun décompte en ce sens, de sorte qu'il n'est pas démontré la nature et le montant du préjudice subi. En conséquence, la SCI Alphéa sera déboutée de ce chef de prétention.

Sur la restitution par la banque des sommes remboursées par l'emprunteur au titre du capital.

La portée de la cassation s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

Faisant valoir que, par l'effet de l'annulation du contrat de prêt, la banque était tenue de restituer à l'acquéreur souscripteur du prêt le montant des intérêts échus, la Cour de cassation a cassé l'arrêt rendu le 18 février 2020 par la cour d'appel de Fort-de-France en ce qu'il condamne la SCI Imutufr à payer à la SCI Alphéa la somme de 564.213,20 euros au titre des intérêts échus.

Dans son exposé des motifs, la Cour de cassation a également rappelé que l'annulation du contrat de prêt subséquemment à l'annulation du contrat de vente entraîne la restitution par la banque du capital et des intérêts échus à l'acquéreur souscripteur du prêt.

Dans ces conditions, la cour d'appel de Fort-de-France ayant annulé le contrat de prêt litigieux ne pouvait pas condamner la SCI Imutufr à payer à la SCI Alphéa la somme de 564.213,20 euros au titre des intérêts échus, ce chef de décision ayant fait l'objet d'une cassation partielle, mais était tenue de condamner la banque à la restitution des intérêts versés mais également à la restitution du capital, et ce au profit de l'emprunteur.

La cour en déduit qu'il existe un lien d'indivisibilité entre la restitution du montant des intérêts échus et la restitution des sommes versées au titre du remboursement du capital, de sorte que le chef de décision cassé portant sur la condamnation à tort de la SCI Immutufr à payer à la SCI Alphéa le montant des intérêts échus s'étend aux dispositions de l'arrêt de la cour d'appel qui a statué sur le remboursement du capital emprunté.

Il résulte des éléments qui précèdent que le chef de décision cassé ayant conduit la cour d'appel de renvoi à condamner la banque à restituer à l'emprunteur le montant des intérêts versés par l'effet de l'annulation du contrat de prêt subséquemment à l'annulation du contrat de vente est indissociable de la restitution par la banque des sommes versées au titre du remboursement du capital, de sorte que saisie d'une demande de restitution du capital par l'acquéreur souscripteur du prêt, la cour d'appel de renvoi est tenue également de statuer sur ce point.

Force est de constater que, au regard de l'annulation du contrat de prêt litigieux, la SCI Alphéa est recevable et bien fondée à solliciter la restitution des sommes versées au titre du remboursement du capital.

Il résulte des pièces de la procédure que les versements effectués par l'emprunteur au titre du remboursement du capital s'élèvent à la somme totale de 876.569,07 euros.

En conséquence, la société BNP Paribas Antilles Guyane sera condamnée à rembourser à la SCI Alphéa la somme de 876.569,07 euros au titre de la restitution du capital.

Sur les intérêts à échoir.

Il résulte des articles 4 et 1382, devenu 1240, du code civil, en premier lieu, que le juge ne peut refuser d'indemniser un préjudice dont il constate l'existence en son principe en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties, en second lieu, qu'il ne peut refuser d'indemniser une perte de chance de ne pas subir un dommage, dont il constate l'existence, en se fondant sur le fait que seule une réparation intégrale de ce dommage lui a été demandée.

Il est constant qu'à la suite de l'annulation d'un contrat de prêt accessoire à un contrat de vente, la banque est fondée à se prévaloir de la perte de chance de percevoir les intérêts à échoir.

La cour en déduit que la société BNP Paribas Antilles Guyane peut solliciter une indemnité au titre de la perte de chance de percevoir les intérêts à échoir dont le montant, soit la somme de 220.554,09 euros, n'a pas été contesté par les parties.

Toutefois, la Cour de cassation retient de manière constante que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée . Il en résulte que le préjudice de la banque ne peut en principe être égal au montant des intérêts à échoir.

Force est de constater que le préjudice causé par la perte des intérêts à échoir n'est constitué que par la perte de chance de percevoir ces intérêts dans la mesure où d'une part il n'est pas certain que le prêt du 15 décembre 2011 aurait été exécuté jusqu'à son terme compte tenu de la faculté de résiliation que pouvait exercer à tout moment l'emprunteur et où d'autre part la restitution à la banque du capital permet à celle-ci de prêter à nouveau ces fonds, de sorte que l'existence de son préjudice dépend du taux d'intérêt comparé à celui du prêt annulé.

La cour relève que le taux d'intérêt conventionnel de ce prêt était de 4,25 % l'an et que, à la date de l'annulation du prêt suite à l'arrêt de la cour d'appel du 18 février 2020, il demeurait encore six années de remboursement.

Toutefois, force est de constater que le préjudice consécutif à la perte des intérêts conventionnels subis par la banque est en partie compensé par l'avantage lié à la restitution immédiate et dans son intégralité du capital emprunté, telle qu'elle a été prononcée par la cour d'appel de Fort-de-France dans son arrêt en date du 18 février 2020.

Enfin, la société BNP Paribas Antilles Guyane reconnaît dans ses dernières conclusions que la restitution du capital emprunté la mettait en mesure de percevoir des intérêts produits par des fonds à nouveau prêtés sur la même période aux conditions applicables à la date d'annulation du prêt. La banque soutient, sans le démontrer que, en février 2020, le taux des prêts professionnels en Martinique était fixé à 2 % l'an hors assurance.

Compte tenu de ces éléments, il convient d'évaluer à la somme de 30.000 euros le préjudice subi par la banque , constitué par la perte de chance de percevoir les intérêts qu'aurait produits le prêt annulé.

En conséquence, la SCI Imutufr sera condamnée à payer à la société BNP Paribas Antilles Guyane la somme de 30.000 euros en réparation de la perte de chance de percevoir les intérêts à échoir du contrat de prêt annulé.

Sur les demandes accessoires.

Au vu des circonstances de la cause, de la solution apportée au litige et de la situation des parties, il convient de rejeter la demande présentée respectivement par la société BNP Paribas Antilles Guyane et la la SCI Imutufr sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera alloué à la SCI Alphéa la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la présente instance.

Succombant principalement, la SCI Imutufr et la société BNP Paribas Antilles Guyane seront condamnées in solidum aux dépens de la présente instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire, sur renvoi après cassation partielle et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,

Vu l'arrêt rendu le 06 avril 2022 par la Cour de cassation,

Dans les limites de sa saisine,

INFIRME le jugement rendu le 05 juin 2018 en ce qu'il a condamné la SCI Imutufr à rembourser à la SCI Alphéa la somme de 93.500 euros au titre des intérêts échus ;

Statuant à nouveau dans la limite de sa saisine sur renvoi après cassation partielle,

CONDAMNE la société BNP Paribas Antilles Guyane à rembourser à la SCI Alphéa la somme de 876.569,07 euros au titre de la restitution du capital ;

CONDAMNE la société BNP Paribas Antilles Guyane à rembourser à la SCI Alphéa la somme de 564.213,20 euros au titre des intérêts échus au 31 mai 2019 ;

CONDAMNE la SCI Imutufr à payer à la société BNP Paribas Antilles Guyane la somme de 30.000 euros en réparation de la perte de chance de percevoir les intérêts à échoir du contrat de prêt annulé;

Y ajoutant,

DÉBOUTE les parties de leurs plus amples demandes ;

CONDAMNE la société BNP Paribas Antilles Guyane à payer à la SCI Alphéa la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum la SCI Imutufr et la société BNP Paribas Antilles Guyane aux dépens de la présente instance.

Signé par Mme Nathalie RAMAGE, Présidente de Chambre et Mme Béatrice PIERRE-GABRIEL, Greffière, lors du prononcé à laquelle la minute a été remise.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Fort-de-France
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/00201
Date de la décision : 28/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-28;22.00201 ?
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