ARRET N°
N° RG 22/00330
N°Portalis DBWA-V-B7G-CKWZ
Mme [N] [O] [Y]
M. [T] [B] [Y]
Mme [M] [K] [Y]
C/
MINISTERE PUBLIC
COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 16 MAI 2023
Décision déférée à la cour : Jugement du Tribunal Judiciaire de Fort de France, en date du 19 Juillet 2022, enregistré sous le n° 20/01772.
APPELANTS :
Madame [N] [O] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Monsieur [T] [B] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Madame [M] [K] [Y]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Tous représentés par Me Moïse CARETO de la SELARL D'AVOCATS MOÏSE CARETO, avocat au barreau de MARTINIQUE
MINISTERE PUBLIC :
MONSIEUR LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 Mars 2023, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Nathalie RAMAGE, Présidente de chambre, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte dans le délibéré de la cour, composée de :
Présidente : Mme Nathalie RAMAGE, Présidente de Chambre
Assesseur : M. Thierry PLUMENAIL, Conseiller
Assesseur : Mme Claire DONNIZAUX, Conseillère
Greffière, lors des débats : Mme Micheline MAGLOIRE,
Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l'arrêt fixée au 16 Mai 2023 ;
ARRÊT : contradictoire
Prononcé en chambre du conseil par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
EXPOSÉ DU LITIGE :
En date du 10 septembre 2020 le Procureur de la République près le tribunal judiciaire de Fort de France a fait assigner M. [E], [J], [U], Mme [G] [Y] épouse [U] et M. [T] [B], [Y], aux fins de voir annuler les reconnaissances de paternité par M. [E], [J] [U] de trois enfants, à savoir:
- [N], [O] [Y] née le 20 février 2004 à [Localité 5] ([Localité 4]), le ler février 2012 à la mairie du [Localité 2],
- [M], [K] [Y], née le 25 février 1998 à [Localité 5] (Sainte- Lucie) à la mairie du [Localité 2] le 21 janvier 2013,
- [T], [B] [Y] né le 2 juillet 1987 à [Localité 5] (Sainte-Lucie) à la mairie du [Localité 2] le 21 janvier 2013.
[E], [J] [U] est décédé le 16 février 2020.
Par jugement réputé contradictoire du 19 juillet 2022, le tribunal a :
- dit que la loi applicable était la loi française,
- dit que l'action exercée par le ministère public était recevable,
- dit que M. [U] [E], [J] n'était pas le père de :
* [N], [O] [Y] née le 20 février 2004 à [Localité 5] ([Localité 4]),
* [M], [K] [Y], née le 25 février 1998 à [Localité 5] (Sainte-Lucie),
* [T], [B] [Y] né le 2 juillet 1987 à [Localité 5] (Sainte-Lucie),
-cordonné 1'annulation des actes de reconnaissance d'[N], [O] [Y] née le 20 fevrier 2004 à [Localité 5] à [Localité 4], fait le ler février 2012 à la mairie du Vauclin, de [M], [K] [Y], née le 25 février 1998 à [Localité 5] à [Localité 4] fait à la mairie du [Localité 2] le 21 janvier 2013, de [T], [B] [Y] né le 2 juillet 1987 à [Localité 5] a [Localité 4] fait à la mairie du [Localité 2] le 21 janvier 2013,
- ordonné la mention du jugement en marge des actes de naissance détenus par le service central de l'état civil d'[N] et [M] [Y],
- condamné Mme [Y] épouse [U] aux entiers dépens,
- dit que la décision devait être notifiée à Mme la Procureure de la République près le tribunal,
- dit qu'à défaut d'exercice de voies de recours par le Ministère Public ou par les parties, la décision pouvait être transmise par le Ministère Public ou par une partie à l'officier d'état civil qui détenait les actes des intéressés.
Par déclaration reçue le 29 août 2022, Mmes [N] et [M] [Y] et M. [T] [Y] ont interjeté appel de cette décision, limité aux chefs de jugement expressément critiqués.
Leur conseil a été avisé le 26 septembre 2022 par le greffe de la fixation de l'affaire à bref délai.
Par acte du 03 octobre 2022, la déclaration d'appel et l'avis de fixation de l'affaire à bref délai ont été signifiés à M. Le procureur général près la cour d'appel de Fort de France.
Aux termes de leurs premières et dernières conclusions du 26 octobre 2022, les appelants demandent de :
- déclarer Mme [N] [O] [Y], Mme [M] [K] [Y] et M. [T] [B] [Y] recevables et fondés en leur appel,
- infirmer le jugement du 19 juillet 2022 en ce qu'il a annulé les reconnaissances de Mme [N] [O] [Y], Mme [M] [K] [Y] et M. [T] [B] [Y] et ordonné leur la mention du jugement en marge des actes de naissance détenus par le service central de l'état civil d'[N] et Latischa [Y],
Statuant à nouveau,
- déclarer que les déclarations de reconnaissance de Mme [N] [O] [Y], Mme [M] [K] [Y] et M. [T] [B] [Y] n'ont pas été faites en fraude à la loi,
Par conséquent,
- ne pas annuler les reconnaissances de Mme [N] [O] [Y], Mme [M] [K] [Y] et M. [T] [B] [Y] ;
- débouter le Ministère Public de ses demandes car les déclarations de reconnaissance n'ont pas été faites en fraude a la loi.
Le parquet général n'a pas conclu.
La clôture de l'instruction est intervenue le 19 janvier 2023.
L'affaire a été évoquée à l'audience, en chambre du conseil, du 17 mars 2023 et la décision a été mise en délibéré le 16 mai suivant.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions sus-visées et au jugement déféré.
MOTIFS :
Le tribunal, au visa des articles 332 et 336 du code civil, a ordonné l'annulation des reconnaissances de paternité évoquées supra après avoir relevé :
- qu'une enquête diligentée par la police aux frontières à la suite de révélations de la fille aînée de [E] [U] faites le 27 avril 2016 au cours desquelles elle avait indiqué que son père, handicapé, avait épousé une femme sainte-lucienne et reconnu trois de ses enfants ; qu'elle était inquiète car cette femme se serait installée chez lui et abuserait de lui,
- qu'aux termes de l'audition de [E] [U] lui-même, Mme [Y] vivait chez lui depuis six ans, lui servait « d'aide ménagère » et ils n'étaient pas en couple ; il s'était s'être marié avec elle le ler décembre 2015, soit à l'âge de 76 ans, pour qu'elle s'occupe de lui, étant handicapé, et afin qu'elle obtienne des papiers ; il souhaitait rester avec [N] et sa mère qui
« sont tout pour moi vu que je ne suis pas en bonne santé ».
Le tribunal a retenu qu'il ressortait de ces pièces que :
- M. [U] avait 73 et 74 ans lorsqu'il avait reconnu les enfants de Mme [Y] et qu'il était déjà handicapé à ce moment-là puisqu'il était en fauteuil depuis 9 ans,
- il avait indiqué de manière claire qu'il avait besoin que quelqu'un prenne soin de lui d'où cette démarche de mariage et de reconnaissance des enfants de Mme [Y],
- dès lors, la reconnaissance volontaire n'avait pas eu pour objectif de former une famille pour lui mais bien qu'il soit pris en charge, ses intentions n'étaient ainsi nullement de s'occuper des enfants mais davantage l'inverse et sa façon de récompenser Mme [Y] avait été de régulariser sa situation administrative et celle de sa descendance,
- Mme [Y] épouse [U] avait été entendue et n'avait pas contesté la reconnaissance frauduleuse reconnaissant faire à manger et le ménage pour M. [U] car il ne marchait plus tout en précisant qu'ils avaient quand même « un peu » une vie de couple.
Le tribunal a considéré qu'il ne faisait aucun doute que la filiation des enfants de Mme [Y] était erronée ; que la reconnaissance avait pour finalité pour [E] [U] d'avoir une aide quotidienne au vu de son handicap, soit d'obtenir un avantage particulier et comme il le disait lui-même « une aide ménagère » et pour Mme [Y] et ses enfants la nationalité française ; qu'aucun élément ne laissait à penser que ces reconnaissances avaient pour finalité l'intérêt des enfants et leur éducation.
Les appelants affirment que le but de la reconnaissance n'était pas seulement de permettre à la famille [Y] d'obtenir la nationalité française mais de former une famille, de vivre avec Mme [Y] et de rester en lien avec ses enfants.
La cour retient que la motivation du tribunal n'est objectivement démentie par aucun élément, étant au contraire observé que :
- si [E], [J] [U] a évoqué, au cours de son audition, les liens existant entre lui-même et Mme [Y] et [N], il n'a jamais fait mention de quelconques liens d'affection avec les deux autres enfants de Mme [Y] qu'il a également reconnus,
- il a en outre précisé, après avoir indiqué que Mme [Y], qui lui servait d'aide ménagère, et [N] étaient « tout pour lui » : « vu que je ne suis pas en bonne santé »,
- le défunt a clairement indiqué dans cette même audition qu'il avait épousé Mme [Y] pour qu'elle obtienne un tire de séjour et s'occupe de lui et avoir reconnu ses enfants dans le même but.
Ainsi les reconnaissances contestées, comme l'a jugé le tribunal, ont été faites en vue de lui procurer un avantage particulier : permettre à Mme [Y] et ses enfants, ressortissants de [Localité 4], d'obtenir la nationalité française et rester en France pour qu'il continue à bénéficier des services de la première, qui était son aide ménagère ; que la finalité des reconnaissances était donc totalement étrangère à l'intérêt des enfants concernés et à leur éducation.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a annulé les reconnaissances litigieuses, faites en fraude de la loi et en ce qu'il a condamné Mme [Y] épouse [U] aux dépens.
Les appelants supporteront la charge des dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Par arrêt contradictoire, en dernier ressort et mis à disposition par le greffe,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Fort de France du 19 juillet 2022 en toutes ses dispositions ;
Et y ajoutant,
CONDAMNE Mme [N], [O] [Y], Mme [M], [K] [Y] et M. [T], [B] [Y] aux dépens d'appel.
Signé par Mme Nathalie RAMAGE, Présidente de Chambre et Mme Béatrice PIERRE-GABRIEL, Greffière, lors du prononcé à laquelle la minute a été remise.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,