ARRET N° 23/33
R.G : N° RG 21/00253 - N° Portalis DBWA-V-B7F-CIW4
Du 17/02/2023
[E]
C/
[N]
COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU 17 FEVRIER 2023
Décision déférée à la cour : jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Fort-de-France, du 27 Octobre 2021, enregistrée sous le n° 20/00228
APPELANTE :
Madame [J] [E]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Jessyka CHOMEREAU-LAMOTTE, avocat au barreau de MARTINIQUE
INTIMEE :
Madame [W] [N]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par M. [G] [V] (Délégué syndical ouvrier)
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 décembre 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Emmanuelle TRIOL, Conseillère présidant la chambre sociale, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :
- Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente
- Madame Anne FOUSSE, Conseillère
- Monsieur Thierry PLUMENAIL, Conseiller
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame Rose-Colette GERMANY,
DEBATS : A l'audience publique du 16 décembre 2022,
Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l'arrêt fixée au 17 février 2023 par mise à disposition au greffe de la cour.
ARRET : Contradictoire
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EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Mme [W] [N] a travaillé pour Mme [J] [E] en qualité d'employée de maison. Le 11 juin 2019, Mme [E] a mis fin au contrat de travail.
Le 29 juillet 2020, Mme [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Fort de France pour contester son licenciement et obtenir le paiement d'un rappel de salaire.
Par jugement contradictoire du 27 octobre 2021, le conseil de prud'hommes a :
condamné Mme [E] à payer à Mme [N] les sommes suivantes :
639,00 euros, pour non-respect de la procédure de licenciement,
1 278,00 euros, à titre d'indemnité de préavis,
3 727,50 euros, à titre d'indemnité de licenciement,
11 054,70 euros, à titre de salaire,
1 105,47 euros, à titre d'indemnité de congés payés,
condamné chaque partie à ses dépens,
ordonné la production du certificat de travail et de l'attestation Pôle Emploi,
rejeté toute autre demande.
Le conseil a, en effet, considéré que Mme [E] n'avait pas respecté la procédure de licenciement mais que la rupture du contrat de travail avait une cause réelle et sérieuse. Il a également estimé que l'action de Mme [N] n'était pas prescrite. Il a encore jugé que Mme [E] n'avait fourni à Mme [N] ni travail, ni rémunération entre janvier 2018 et le 11 juin 2019 et a fait droit à la demande de rappel de salaire formée par Mme [N]. Par contre, il a considéré que cette dernière ne démontrait l'existence d'aucun préjudice pour justifier la demande de dommages et intérêts au titre de la non-remise de la lettre de licenciement, du certificat de travail et de l'attestation Pôle Emploi.
Par déclaration électronique du 30 novembre 2021, Mme [E] a relevé appel du jugement.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 septembre 2022.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 septembre 2022, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée au paiement de rappel de salaire et congés payés et de condamner Mme [N] à lui verser la somme de 2 500,00 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, et sur le contexte, l'appelante fait valoir qu'elle a employé Mme [N] par contrat à durée indéterminée à temps partiel à compter d'avril 2001. Elle explique que, compte tenu de la maladie de son époux, elle a quitté la Martinique fin juin 2017 mais que soucieuse de ne pas priver Mme [N] de revenus, elle a demandé à ses filles d'employer Mme [N] pendant son absence. Elle indique que Mme [N] a donc travaillé chez sa fille, puis au sein de la société LE MONDE ANIMAL, détenue par elle-même puis sa fille, au sein de la SARL [E] et chez son gendre, M. [R]. Elle précise qu'après le décès de son époux, après deux ans de traitement, elle est rentrée à la Martinique et a mis fin au contrat de Mme [N] alors que cette dernière travaillait encore pour sa fille, [Z] [E] épouse [R].
Elle fait valoir que lorsque les salaires ont été versés, le salarié peut demander à son employeur la réparation de son préjudice du fait de la non-fourniture du travail, à condition de prouver l'existence et l'étendue de son préjudice. Elle reprend l'ensemble des paiements effectués en contrepartie du travail effectué chez sa fille ou dans les sociétés familiales. Elle conteste les allégations adverses selon lesquelles le travail effectué chez des personnes morales serait de l'abus de biens sociaux, elle n'aurait pas accepté le transfert de son contrat de travail et elle aurait cumulé son contrat chez les époux [E] avec les autres emplois.
Elle indique que la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et celle en dommages et intérêts pour défaut de remise de la lettre de licenciement sont nouvelles en cause d'appel, donc irrecevables.
Par conclusions déposées au greffe le 25 février 2022, l'intimée demande à la cour de :
ordonner la remise sans délai du certificat de travail, de l'attestation Pôle Emploi et du solde de tout compte,
confirmer le jugement sur la condamnation au paiement du salaire et de l'indemnité de congés payés,
dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
condamner Mme [E] à lui verser :
12 000,00 euros, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
3 000,00 euros, à titre de dommages et intérêts pour non-remise de la lettre de licenciement, du certificat de travail et de l'attestation Pôle Emploi,
2 500,00 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimée réplique que les documents produits par la partie adverse pour justifier le licenciement ne sont pas suffisants.
Elle fait valoir que le travail effectué chez d'autres employeurs n'a aucune incidence sur le contrat conclu entre elle-même et Mme [E]. Elle expose qu'elle a travaillé pour des employeurs différents avec des contrats à temps partiel spécifiques. Elle souligne qu'entre janvier 2018 et le 11 juin 2019, Mme [E] ne lui a fourni ni travail, ni rémunération en violation du contrat de travail. Elle ajoute qu'il ne saurait être prétendu qu'il y a eu transfert du contrat de travail puisqu'elle n'y a pas donné son accord exprès.
Elle expose encore qu'elle a été privée d'une partie de ses revenus et qu'elle a subi un réel préjudice financier.
MOTIVATION
Sur la recevabilité de la demande d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts :
Aux termes des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité soulevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Il ressort des termes du jugement entrepris que devant les conseillers prud'homaux, Mme [N] avait formé les demandes suivantes :
5 000,00 euros, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
3 000,00 euros, à titre de dommages et intérêts pour non-remise de la lettre de licenciement, du certificat de travail et de l'attestation Pôle Emploi.
Les demandes formées par l'intimée de ces chefs devant la cour ne sont donc pas nouvelles. Elles sont recevables.
2- Sur le paiement des salaires et des congés payés :
Mme [E] a mis fin au contrat de travail, le 11 juin 2019. Il ressort des pièces produites aux débats que Mme [N] n'a pas travaillé pour son employeur et n'a pas été payée du salaire entre janvier 2018 et le 1er juin 2019.
Il est effectif que l'employeur ne saurait valablement prétendre que le contrat de travail de Mme [N] a été transféré à la SARL [E], la société Le Monde Animal ou à M. [X] [R], faute d'accord exprès de la salariée sur ce transfert.
De même, Mme [E] ne peut alléguer que Mme [N] ne se serait pas tenue à sa disposition du fait de son travail auprès d'autres employeurs puisqu'il est démontré qu'il s'agissait d'emplois à temps partiel.
Dans ces conditions, il s'avère que le salaire restait dû à la salariée jusqu'au terme de son contrat de travail, fixée par l'employeur au 11 juin 2019.
Mme [E] ne conteste pas que le contrat de travail à temps partiel qui la liait à Mme [N] était de 15h par semaine et un salaire mensuel brut de 639,00 euros.
Dès lors, le jugement est confirmé en ce qu'il a octroyé à Mme [N] la somme de 11 054,70 euros à titre de rappel de salaire et la somme de 1 105,47 euros, à titre d'indemnité de congés payés sur ce rappel de salaire.
Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement :
Aux termes de l'article L 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
Selon les dispositions de l'article L 1232-6 du même code, lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception.
L'absence de respect de la procédure de licenciement et de la notification du licenciement rend la rupture du contrat de travail sans cause réelle et sérieuse.
Mme [E] a mis fin à la relation de travail par une simple mention «fin du contrat» sur un bulletin de paye daté du 11 juin 2019. Elle ne justifie pas de l'envoi de la lettre de notification du licenciement à Mme [N]. Le licenciement de cette dernière est dès lors sans cause réelle et sérieuse.
Les premiers juges ne pouvaient donc, à juste titre, considérer que ce licenciement était pourvu d'une cause réelle et sérieuse.
Le jugement est donc infirmé de ce chef.
Aux termes de l'article L 1235-2 alinéas 4 du code du travail, en l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, le préjudice résultant du vice de motivation de la lettre de rupture est réparé par l'indemnité allouée conformément à l'article L 1235-3.
L'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement n'est donc pas due à Mme [N]. Le jugement est infirmé de ce chef.
L'employeur n'est pas utilement contredit par l'intimée lorsqu'il reconnaît à Mme [N] une ancienneté ayant débuté au 1er janvier 2001, la salariée ne justifiant pas avoir commencé son emploi chez Mme [E] avant cette date. En effet, la pièce 2 produite par l'intimée est suspecte puisqu'elle se présente comme un bulletin de salaire pour le mois d'avril 2000 mais est daté du 3 mai 2001.La salariée travaillait donc depuis 18 ans et quelques mois chez Mme [E]. L'indemnité due à Mme [N] se situe donc entre 3 mois de salaire brut et 14,5 mois de salaire brut, selon les termes de l'article L 1235-3 du code du travail.
Au dispositif de ses écritures, Mme [N] réclame la somme de 12 000,00 euros de ce chef.
Au regard des circonstances très particulières de ce dossier et des relations personnelles unissant les parties, la cour octroie à Mme [N] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse équivalente à 3 mois de salaire, soit la somme de 1 917,00 euros.
Aucune demande à titre d'indemnité compensatrice de préavis n'est formée au dispositif des conclusions de la salariée. La cour ne statuant qu'au regard des demandes formulées dans le dispositif des écritures, ne saurait faire droit à cette prétention.
3- Sur la demande de dommages et intérêts pour non-remise des documents :
Faute de justifier d'un préjudice résultant de l'absence de remise des documents de fin de contrat, la demande de dommages et intérêts de Mme [N] est rejetée et le jugement querellé confirmé.
4- Sur la remise des documents de fin de contrat :
Il convient d'ordonner à Mme [E] la remise des documents sollicités, ainsi le certificat de travail, l'attestation Pôle Emploi et le solde de tout compte. Le jugement est confirmé de ce chef. Ces documents seront conformes aux dispositions du présent arrêt.
Sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :
Mme [E] est condamnée aux entiers dépens.
Les parties sont déboutées de leurs demandes respectives fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement sur les condamnations prononcées au titre du rappel de salaire et de l'indemnité compensatrice de congés payés, en ce qu'il a débouté Mme [W] [N] de sa demande de dommages et intérêts pour non-remise des documents de fin de contrat, et en ce qu'il a fait droit à la remise desdits documents,
L'infirme sur le surplus des dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau,
Dit le licenciement de Mme [W] [N] sans cause réelle et sérieuse,
Condamne Mme [J] [E] à verser à Mme [W] [N] la somme de 1917,00 euros, à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Y ajoutant,
Dit que les documents de fin de contrat, soit le certificat de travail, l'attestation Pôle Emploi et le solde de tout compte seront conformes aux dispositions du présent arrêt,
Condamne Mme [J] [E] aux dépens,
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Et ont signé le présent arrêt Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Rose-Colette GERMANY, Greffier
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,