ARRET N° 23/001
N° RG 22/00302 -
N° Portalis DBWA-V-B7G-CKS7
LE PROCUREUR GENERAL
C/
CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS
M. LE BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS
Partie Intervenante :
[P] [B]
COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 06 JANVIER 2023
Décision déférée à la cour : recours contre la décision du Conseil de l'ordre des avocats du Barreau de Martinique, en date du 17 Juin 2022,
DEMANDEUR AU RECOURS :
Monsieur LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE
28 rue Schoelcher
97200 FORT DE FRANCE
Présent, en la personne de Monsieur Eric BEDOS, Procureur Général,
DÉFENDEURS AU RECOURS :
CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE MARTINIQUE
Palais de Justice - CS 20447
35 boulevard du général de Gaulle
97200 FORT-DE-FRANCE
Représenté par Me Isadora ALVES, avocat au barreau de MARTINIQUE
MONSIEUR LE BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS
DU BARREAU DE MARTINIQUE
Palais de justice
35 Boulevard Général de Gaulle
97200 FORT-DE-FRANCE
Représenté par Me Laurie CHANTALOU-NORDE, avocat au barreau de MARTINIQUE
PARTIE INTERVENANTE :
Monsieur [P] [B]
Comparant en personne,
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue à l'audience solennelle du 02 Décembre 2022 tenue en chambre du conseil sur le rapport de Monsieur Laurent SABATIER, Premier Président, devant la cour composée de :
Président : Monsieur Laurent SABATIER, Premier président
Assesseur : M. Olivier TELL, Président de Chambre
Assesseur : Monsieur Didier GUISSART, Président de chambre
Assesseur : Madame Emmanuelle TRIOL, Conseillère
Assesseur : Madame Claire DONNIZAUX, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Micheline MAGLOIRE,
Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l'arrêt fixée au 30 Décembre 2022, puis prorogée au 06 Janvier 2023
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
EXPOSÉ DU LITIGE
Par délibération du 17 juin 2022, le conseil de l'ordre du barreau de Martinique a décidé d'inscrire M. [P] [B], de nationalité ivoirienne, au tableau de l'ordre des avocats de Martinique à compter de la date de sa prestation de serment.
Le procureur général près la cour d'appel de Fort-de-France, qui a reçu notification de la décision le 04 juillet 2022, a déposé un recours le 04 août 2022, selon un récépissé de dépôt du greffier en chef de la cour d'appel.
Aux termes de ses écritures, lesquelles ont été soutenues à l'audience du 02 décembre 2022, le procureur général conclut à l'infirmation de la décision d'inscription au barreau de Martinique de M. [P] [B].
Il soutient que :
- M. [P] [B] n'a pas à ce jour la nationalité française mais la nationalité ivoirienne ;
- qu'aucun accord bilatéral entre la France et la Côte d'Ivoire ne permet de remplir la condition de réciprocité édictée par l'article 11 alinéa 1 de la loi du 31 décembre 1971, laquelle régit les conditions d'inscription au barreau ;
- que si l'article 34 de l'accord de coopération en matière judiciaire du 24 avril 1961 entre la République française et la République de Côte d'Ivoire permet aux avocats de chacun des deux pays d'intervenir devant les juridictions nationales de l'un et de l'autre pays, il ne prévoit pas que les ressortissants d'un des deux Etats puissent s'inscrire dans un barreau de l'autre pays.
Aux termes d'écritures déposées et soutenues à l'audience, le bâtonnier et le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Martinique sollicitent la confirmation de la décision du 17 juin 2022. Ils font valoir que M. [B] a fait une demande de nationalité française par le mariage en date du 07 octobre 2022. Ils ajoutent que la Côte d'Ivoire étant membre de l'OMC, la condition tenant à la réciprocité est remplie au motif que l'Accord général sur le commerce des services entraîne de plein droit celle-ci.
Les débats clos la présente décision a été mise en délibéré au 30 décembre 2022 et a fait l'objet d'une prorogation du délai de délibéré au 06 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il convient de souligner qu'à la date du conseil de l'ordre du barreau de Martinique, soit le 17 juin 2022, M. [P] [B] ne détenait pas la nationalité française mais la nationalité ivoirienne.
L'article 11 alinéa 1 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dispose que nul ne peut accéder à la profession d'avocat s'il ne remplit les conditions suivantes : 1° Etre français, ressortissant d'un Etat membre des communautés européennes ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen, ou ressortissant d'un Etat ou d'une unité territoriale n'appartenant pas à l'Union ou à cet Espace économique qui accorde aux Français la faculté d'exercer sous les mêmes conditions l'activité professionnelle que l'intéressé se propose lui même d'exercer en France, sous réserve des décisions de conseil de l'Union européenne relatives à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté économique européenne ou avoir la qualité de réfugié ou d'apatride reconnue par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides".
Cet article ne pose pas une condition de nationalité mais de réciprocité pour les ressortissants d'un Etat ou d'une unité territoriale n'appartenant pas à l'Union ou à l'Espace économique européen.
L'article 34 de l'accord de coopération en matière de justice entre la République française et la République de Côte d'Ivoire du 24 avril 1961 dispose que les avocats inscrits au barreau de Côte d'Ivoire pourront assister ou représenter les parties devant toutes les juridictions françaises tant au cours des mesures d 'instruction qu'à l'audience dans les mêmes conditions que les avocats inscrits aux barreaux français. A titre de réciprocité les avocats inscrits aux barreaux français pourront assister ou représenter les parties devant toutes les juridictions ivoiriennes, tant au cours des mesures d'instruction qu'à l'audience, dans les mêmes conditions que les avocats inscrits au barreau de Côte d'Ivoire. L'alinéa 2 de l'article prévoit que toutefois, l'avocat qui use de la faculté d'assister ou de représenter les parties devant une juridiction de l'autre Etat devra, pour la réception de toutes notifications prévues par la loi, faire élection de domicile chez un avocat dudit Etat.
Cet article permet aux avocats de chacun des deux pays d'intervenir devant les juridictions nationales de l'un et de l'autre. Cependant, il ne prévoit pas que les ressortissants d'un des deux Etats puissent s'inscrire dans un barreau de l'autre pays.
Il convient de constater qu'aucune réciprocité ne peut intervenir en l'espèce. En effet, il n'est pas établi que des avocats français ont pu être inscrits au barreau de Côte d'Ivoire, aucune pièce de nature à établir ce fait n'ayant été versée aux débats.
Par conséquent, la condition de réciprocité exigée par l'article 11 de la loi du 31 décembre 1071 n'est pas présente. Il n'y a ainsi pas lieu d'inscrire M. [P] [B] au tableau de l'ordre des avocats de Martinique.
La décision du conseil de l'ordre des avocats de Martinique du 17 juin 2022 doit donc être infirmée.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant en audience solennelle, contradictoirement, après débats en chambre du conseil, en dernier ressort et par mise à disposition.
- INFIRME la décision du conseil de l'ordre des avocats de Martinique du 17 juin 2022 ;
Statuant à nouveau,
- DIT n'y avoir lieu d'inscrire M. [P] [B] au tableau de l'ordre des avocats de Martinique ;
- DIT que la présente décision sera notifiée aux parties par le greffe.
Signé par Monsieur Laurent SABATIER, Premier Président et par Mme Micheline MAGLOIRE, Greffière, lors du prononcé à laquelle la minute a été remise.
LA GREFFIERE, LE PREMIER PRESIDENT,