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26/07/2022 | FRANCE | N°21/00174

France | France, Cour d'appel de Fort-de-France, Chambre civile, 26 juillet 2022, 21/00174


ARRET N°



N° RG 21/00174 -

N° Portalis DBWA-V-B7F-CG4M





CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES CHIRURGIENS DENTISTES ET DES SAGES-FEMMES





C/



L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT





MINISTERE PUBLIC













COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE



CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 26 JUILLET 2022





Décision déférée à la cour : Jugement du Tribunal Judiciaire hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Fort-de-France, en date du 26 J

anvier 2021, enregistrée sous le n° 19/00652





APPELANTE :



CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES CHIRURGIENS DENTISTES ET DES SAGES-FEMMES 'CARCDSF'

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Aurélie BEL, avocat au bar...

ARRET N°

N° RG 21/00174 -

N° Portalis DBWA-V-B7F-CG4M

CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES CHIRURGIENS DENTISTES ET DES SAGES-FEMMES

C/

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

MINISTERE PUBLIC

COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE

CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 26 JUILLET 2022

Décision déférée à la cour : Jugement du Tribunal Judiciaire hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Fort-de-France, en date du 26 Janvier 2021, enregistrée sous le n° 19/00652

APPELANTE :

CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES CHIRURGIENS DENTISTES ET DES SAGES-FEMMES 'CARCDSF'

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Aurélie BEL, avocat au barreau de MARTINIQUE

Me Catherine GRANIER, avocat plaidant, au barreau de Paris

INTIMÉ :

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Ministère de l'Economie des Finances et de la Relance - Direction des Affaires juridiques

[Adresse 2]

[Adresse 2])

Représenté par Me Virginie MOUSSEAU, avocat au barreau de MARTINIQUE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 Mai 2022 sur le rapport de Monsieur Thierry PLUMENAIL, devant la cour composée de :

Président : Madame Christine PARIS, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Marjorie LACASSAGNE, Conseillère

Assesseur : Monsieur Thierry PLUMENAIL, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Micheline MAGLOIRE,

Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l'arrêt fixée au 26 Juillet 2022

MINISTERE PUBLIC :

l'affaire a été communiqué au Ministère Public, représenté par Mme Bérangère SENECHAL, vice-procureure placée, qui a fait connaitre son avis, et notifié aux parties le 08 octobre 2021.

ARRÊT : Contradictoire

prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'alinéa 2 de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [U], chirurgien-dentiste, est affilié à la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES CHIRURGIENS DENTISTES ET DES SAGES-FEMMES "CARCDSF", organisme de sécurité sociale venant aux droits de la C.A.R.C.D ; un décret n° 2008-1421 du 19 décembre 2008 ayant fusionné, à compter du 1 er janvier 2009, les sections professionnelles des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes.

Le 18 août 1994 Monsieur [T] [U] a été victime d'un très grave accident de la circulation impliquant un poids lourd appartenant à la direction départementale de l'équipement de la Martinique.

Les 13 et 14 novembre 1996, Monsieur [U] afait assigner l'agent judiciaire du Trésor, la

CARCD aujourd'hui CARCDSF et la CPAM de MARTINIQUE aux fins de voir fixer son indemnisation.

L'agent judicaire du Trésor représentant l'Etat a été condamné par le tribunal de grande instance de Fort-de-France le 6 novembre 2001 à verser à la CARCD :

« 73 011, 19 € en remboursement de ses dépenses

Et à première demande de cet organisme et à compter de leur survenance les sommes échues et à échoir versées à Monsieur [U] au titre de la retraite pour inaptitude dont le total s'élève à la somme de 145 709,80 euros. »

Il a été versé par la direction départementale de l'équipement les deux sommes suivantes: 73.620,99 euros le 21 avril 2002 et 1.195,36 euros le 07 novembre 2002, soit 74 816,35 euros.

Un commandement de payer la somme de 219 439,10 € a été adressé par huissier de justice le 25 mai 2018 à l'agent judiciaire du Trésor, lequel répondait par mail du 6 juin 2018 transmettre la demande au ministère chargé d'exécuter le jugement, c'est-à-dire le ministère de l'écologie et du développement durable. Aucun mandatement n'a été effectué par le service concerné, malgré une demande adressée à la direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 juin 2018 reçue par l'administration le 19 juin 2018.

Par acte d'huissier en date du 19 septembre 2019, la CARCDSF a assigné l'agent judiciaire de l'Etat devant le tribunal de grande instance de Fort-de-France.

La CARCDSF a sollicité du tribunal de grande instance dans ses dernières écritures en date du 20 juillet 2020 de:

- Condamner l'agentjudiciaire du Trésor représentant l'Etat Français (Ministre de la Transition Ecologique et solidaire), à exécuter, le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Fort-de-France le 6 novembre 2001 sous astreinte de 1 000 € par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir jusqu'à la date d'exécution du jugement.

- Condamner l'agent judiciaire du Trésor à payer à la CARCDSF, la somme de 145 514,44 € avec intérêts légal majoré de 5 points à compter du 23 mars 2003.

SUBSIDIAIREMENT

- CONSTATER, qu'à la date du 6 novembre 2001, la créance exigible s'élevait à la somme de 120. 794,83 €.

- En conséquence, condamner l'agent judiciaire du Trésor à la somme de 45.978,46 € sous astreinte de 1000 € parjour de retard avec intérêts légal majoré de 5 points à compter du 23 mars 2003.

EN TOUT ETAT DE CAUSE;

- Sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile condamner l'agent judicaire du Trésor représentant l'Etat Français à payer à la CARCDSF la somme de 3 000 € au titre des frais exposés dans la présente instance et non compris dans les dépens.

- Le condamner aux entiers dépens de l'instance.

Par jugement en date du 26 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Fort-de-France a:

- déclaré nulle l'assignation délivrée à "L'ETAT" représenté par le Ministère de l'Ecologie et du Développement Durable, lui-même représenté par le Ministère de l'Ecologie et du Développement Durable, lui-même représenté par la Direction Générale des Finances Publiques;

- déclaré irrecevable l'action engagée par la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES CHIRURGIENS DENTISTES ET DES SAGES-FEMMES "CARCDSF" le 17.09.2019 à l'encontre de l'Agent judiciaire de L'Etat en exécution du jugement du tribunal de grande instance de Fort-de-France du 06.11.2001 car prescrite;

- dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile;

- condamné la CARCDSF aux entiers dépens.

Par déclaration enregistrée au Greffe de la cour le 23 mars 2021, la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES CHIRURGIENS DENTISTES ET DES SAGES-FEMMES a critiqué les chefs du jugement rendu le 26 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Fort-de-France en ce qu'il a:

- déclaré irrecevable l'action engagée par la CARCDSF le 17.09.2019 contre l'Agent judiciaire de L'Etat en exécution du jugement du tribunal de grande instance de Fort-de-France du 06.11.2001 car prescrite;

- dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile;

- condamné la CARCDSF aux entiers dépens.

Dans des conclusions récapitulatives n°1 en date du 26 octobre 2021, la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES CHIRURGIENS DENTISTES ET DES SAGES-FEMMES "CARCDSF" demande à la cour d'appel de:

Réformer le jugement en ce qu'il a jugé l'action de la CARCDSF irrecevable car prescrite.

- Juger recevable, car non prescrite, et bien fondée l'action de la CARCDSF

Statuant à nouveau:

- Condamner l'agent judiciaire du Trésor représentant l'Etat Français (Ministère de la Transition Ecologique et solidaire), à exécuter, le jugement rendu par le trinunal de grande instance de Fort-de-France le 6 novembre 2001 sous astreinte de 1 000 € par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir jusqu'à la date d'exécution du jugement.

- Condamner l'agent judiciaire du Trésor à payer à la CARCDSF, la somme de 145 514,44 €

avec intérêts au taux légal légal majoré de 5 points à compter du 23 mars 2003.

- SUBSIDIAIREMENT.

- JUGER que le commandement de payer et la reconnaissance par le débiteur du droit de la

CARCDSF ont eu un effet interruptif.

- JUGER que la condamnation figurant sur le jugement de Fort-de-France du 6 novembre 2001 porte que sur une somme déterminée et non sur des créances périodiques.

- CONSTATER, qu'à la date du 6 novembre 2001, la créance exigible s'élevait à la somme de 120.794,83€.

- En conséquence, condamner l'agent judiciaire du Trésor à la somme de 120.794,83 € ou à la somme de 45.978,46 € à titre subsidiaire sous astreinte de 1000 € par jour de retard avec intérêts au taux légal majoré de 5 points à compter du 23 mars 2003.

- EN TOUT ETAT DE CAUSE ;

- Sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile condamner l'agent judiciaire du Trésor représentant l'Etat Français à payer à la CARCDSF la somme de 3 000 € au titre des frais exposés dans la présente instance et non compris dans les dépens.

- Le condamner aux entiers dépens de l'instance.

La CARCDSF expose que son action n'est pas prescrite en application de l'article 7, alinéa 2 de la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat et de l'article L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution, de sorte que la loi du 31 décembre 1968 prime sur l'application du code des procédures civiles d'exécution. Elle fait valoir que le jugement du 06 novembre 2001 est définitif depuis le 28 avril 2002 et qu'il s'agit de l'exécution d'une décision passée en force de chose jugée pour laquelle la loi du 31 décembre 1968 est applicable. Elle prétend qu'aucune prescription ne peut être invoquée en l'espèce.

Subsidiairement, la CARCDSF soutient que, lorsqu'il s'agit de l'exécution d'un jugement, c'est la prescription des titres exécutoires qui s'applique en vertu des articles L. 111-3 et L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution. Elle fait valoir que, par application de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 et dans l'hypothèse d'une prescription trentenaire ayant commencé à courir avant la réforme des prescriptions, la loi précise que le délai de prescription décennal court à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi, soit à compter du 19 juin 2008 (article 2222, alinéa 2 du code civil). Elle prétend que le délai de prescription peut être interrompu par les causes prévues aux articles 2240 et suivants du code civil. La CARCDSF ajoute que, s'agissant de la prescription en matière d'accident corporel, le délai de prescription décennal est applicable.

Par ailleurs, l'appelante expose que la prescription a été interrompue par la reconnaissance par la direction départementale de l'équipement du droit de la CARCDSF dans un mail en date du 04 mars 2002, par un commandement de payer délivré le 25 mai 2018 à l'agent judiciaire du Trésor et par une lettre recommandée avec accusé de réception adressée le 15 juin 2018 au ministère de l'écologie et du développement durable, de sorte que la prescription n'était pas expirée le 25 mai 2018, alors que l'assignation est intervenue le 19 septembre 2019. La CARCDSF fait valoir que, en l'espèce, il ne s'agit pas de recouvrer des créances périodiques mais d'exécuter un titre exécutoire conformément à la loi du 31 décembre 1968 et que, dans l'hypothèse d'un texte dérogatoire au droit commun de la prescription quinquennale, c'est la prescription prévue par ce texte, en l'occurrence la prescription décennale. Elle ajoute que, à la différence des arriérés qui ne peuvent être recouvrés dès lors qu'ils sont échus plus de cinq ans avant la date de la demande et non exigibles à la date du jugement, les créances échues au jour du jugement sont recouvrables pendant la durée d'exécution du jugement, de sorte que l'agent judiciaire du Trésor ayant réglé la somme de 74.816,37 euros, il reste devoir la somme de 45.978,46 euros selon décompte arrêté à la date du jugement du 06 novembre 2001.

Dans des conclusions responsives en date du 22 septembre 2021, L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT demande à la cour d'appel de:

Déclarer l'agent judiciaire de l'Etat recevable et bien fondé en ses présentes écritures.

En conséquence,

Débouter la CARCDSF de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Confirmer le jugement rendu le 26 janvier 2021 par le Tribunal judiciaire de Fort-de-France en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

Condamner la CARCDSF à verser à l'agent judiciaire de l'Etat la somme de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Virginie MOUSSEAU.

L'agent judiciaire de l'Etat expose que la prescription quadriennale prévue par l'article 1er de la loi n°68-250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics est acquise à son profit au 1er janvier 2013. Il fait valoir également que, envertu del'article 2224 du code civil, le créancier avait jusqu'au 30 mars 2013 pour exercer une action à l'encontre de l'Etat puisque la dernière mensualité de la retraite pour inaptitude datait du 30 mars 2008. S'agissant des dommages corporels, l'agent judiciaire de l'Etat prétend que, en application de l'article 2226 du code civil, les victimes peuvent agir en indemnisation de leurs préjudices subis pendant un délai de dix ans mais que ce délai commence à courir à compter de la date de la consolidation du dommage intial ou de son aggravation, de sorte que la CARCDSF ne pouvait agir en paiement à l'encontre de l'agent judiciaire de l'Etat au plus tard que le 29 avril 2008, la date de consolidation des blessures de Monsieur [U] ayant été fixée au 29 avril 1998 dans le deuxième rapport d'expertise. L'agent judiciaire de l'Etat ajoute que le titre exécutoire sur lequel se fonde la CARCDSF est un jugement rendu le 06 novembre 2001 par le tribunal de grande instance de Fort-de-France, de sorte que, s'agissant d'une décision d'une juridiction de l'ordre judiciaire, la loi du 17 juin 2008 étant entrée vigueur le 19 juin 2008, l'action en paiement était prescrite à compter du 19 juin 2018.

Par ailleurs, l'agent judiciaire de l'Etat expose que, si la cour estime que la retraite pour inaptitude devait être considérée comme entrant dans le champ d'application de l'ancien article 2277 du code civil, la CARCDSF ne pourrait pas obtenir le recouvrement des arriérés échus plus de cinq ans avant la date de sa demande. Il fait valoir que la CARCDSF ne peut pas recouvrer les arriérés qu'elle réclame dès lors que l'assignation a été délivrée le 19 septembre 2019 et que, en l'espèce, les arriérés à recouvrer sont antérieurs au 19 septembre 2014. L'agent judiciaire de l'Etat prétend également que la prescription n'a pas été interrompue par le commandement de payer qui lui a été délivré le 25 mai 2018. Il ajoute que la presciption n'a pas été interrompue par le mail du 06 juin 2018, dans lequel l'agent judiciaire du Trésor ne reconnaît pas la créance mais indique que la demande sera transmise au ministère de la transition écologique et solidaire, et par le courrier recommandé adressé le 15 juin 2018 au ministère de la transition écologique et solidaire et qui émane de la caisse de retraite.

Les observations écrites du ministère public ont été mises à la disposition des parties par RPVA le 08 octobre 2021.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 novembre 2021.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, il sera fait expressément référence à la décision déférée à la cour et aux dernières conclusions déposées.

L'affaire a été plaidée le 20 mai 2022. La décision a été mise en délibéré au 26 juillet 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

L'article 122 du code de procédure civile dispose que : "Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée".

La CARCDSF expose qu'elle détient une créance à l'égard de l'agent judiciaire du Trésor, devenu agent judiciaire de l'Etat, en vertu d'un jugement rendu le 06 novembre 2001 par le tribunal de grande instance de Fort-de-France, signifié le 28 mars 2002 et devenu définitif, aucun appel n'ayant été interjeté dans le délai. Elle prétend que cette décision passée en force de chose jugée a reçu un commencement d'exécution mais qu'elle n'a pu procéder à aucun acte d'exécution forcée à l'encontre de l'Etat qui bénéficie d'une immunité d'exécution.

En application de l'article L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution, l'exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d'une immunité d'exécution. Si les biens et créances de l'Etat sont insaisissables, l'immunité d'exécution dont bénéficie l'Etat ne fait pas obstacle cependant à ce que le juge qui a prononcé la condamnation assortisse celle-ci d'une astreinte qui est le corollaire de tout pouvoir d'injonction et dont le seul effet est de mettre une somme à sa charge, en cas de retard dans l'exécution volontaire de la décision de justice.

La CARCDSF fait valoir que l'agent judiciaire du Trésor reste lui devoir la somme de 145.514,44 euros, outre les intérêts légaux majorés de 5 points à compter du 28 mars 2003, et qu'aucune prescription n'est applicable à sa créance soumise aux dispositions de la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968. Subsidiairement, elle soutient que, s'agissant de l'exécution d'un jugement, c'est la prescription des titres exécutoires qui s'applique.

En l'espèce, le jugement rendu le 06 novembre 2001 par le tribunal de grande instance de Fort-de-France et condamnant l'agent judiciaire du Trésor à payer diverses sommes à la CARCDSF dans le cadre du préjudice soumis à recours des organismes sociaux pour les sommes versées à leur assuré victime d'un accident de la circulation, dont il est résulté un préjudice corporel causé à un tiers, constitue un titre exécutoire.

Selon l'article 7 de la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968, "l'Administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond.

En aucun cas, la prescription ne peut être invoquée par l'Administration pour s'opposer à l'exécution d'une décision passée en force de chose jugée."

La prescription ne court pas tant que l'autorité judiciaire n'a pas fixé l'indemnité due par la collectivité publique.

En l'espèce, le premier juge a fixé le montant de la créance de la CARCDSF suivant jugement rendu le 06 novembre 2001, de sorte que la prescription a commencé à courir à compter du 28 mars 2002, date de signification de la décision.

Par ailleurs, l'agent judiciaire de l'Etat a invoqué la prescription quadriennale et la prescription décennale en première instance avant que la juridiction saisie du litige le 06 février 2019 se soitprononcée sur la demande de condamnation à exécuter sous astreinte le jugement du 06 novembre 2001.

Dès lors, le moyen soulevé par l'appelante et visant à voir constater l'absence d'un délai de prescription applicable à son titre exécutoire sera déclaré inopérant.

Le jugement signifié le 28 mars 2002 constitue un titre exécutoire dont l'exécution était soumise à la prescription trentenaire avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, qui a raccourci ce délai à dix ans.

L'article 2222 du code civil est issu de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 laquelle prévoit des dispositions transitoires, s'agissant des prescriptions en cours, en particulier son article 26.II qui dispose que "les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure".

En l'occurrence, le délai de prescription du titre exécutoire a commencé à courir le 28 mars 2002 pour expirer, après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, et en application de l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, le 19 juin 2018.

Il est constant que le délai de prescription des titres exécutoires ne vaut que pour les condamnations au paiement des créances échues au moment du prononcé du jugement. Toutefois, si le créancier peut poursuivre pendant dix ans l'exécution du jugement portant condamnation au paiement d'une somme payable à termes périodiques, le recouvrement des arriérés échus avant la date de sa demande et non encore exigibles à celle arrêtée par le jugement est soumis au délai de prescription applicable en raison de la nature de la créance. Par voie de conséquence, le délai d'exécution d'un titre exécutoire, prévu à l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, n'est pas applicable aux créances périodiques nées de ce titre exécutoire.

En l'espèce, le délai de prescription applicable est le délai de prescription quadriennale des créances contre l'Etat consacré à l'article 1er de la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968, à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ou en l'espèce à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle s'est produit le fait générateur, soit la date de paiement de la rente de retraite pour inaptitude.

La cour relève que les sommes que la CARCDSF n'avait pas encore versées à son assuré lors du prononcé de la condamnation n'étaient pas exigibles, cette exigibilité étant soumise à deux conditions: le paiement préalable à l'assuré et une demande en remboursement adressée à l'agent judiciaire du Trésor en application de l'article L. 911-9 du code de justice administrative.

Aussi, les échéances versées postérieurement au 06 novembre 2001 se prescrivent par quatre ans, à compter du 1er janvier suivant la date de ces règlements.

La CARCDSF justifie avoir reçu deux versements respectivement d'un montant de 73.620,99 euros le 21 avril 2002 et de 1.195,36 euros le 07 novembre 2002, alors qu'il résulte du dispositif du jugement daté du 06 novembre 2001, que le montant des dépenses engagées par la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE s'élève à la somme de 73.011,19 euros et que le montant des sommes échues et à échoir s'élève à la somme de 145.709,80 euros. Dans ces conditions, le solde de la créance de la CARCDSF, s'agissant des sommes échues et à échoir, s'élève à la somme de 70.893,45 euros (145.709,80 euros- 74.816,35 euros).

Il est établi (pièce n°20 de l'appelante) que, au jour du prononcé du jugement, le montant des créances dues s'élevait à la somme de 120.794,83 euros.

Ainsi, les sommes dont les termes étaient échus à la date du jugement mais qui n'ont pas été recouvrées s'élèvent à 120.794,83 euros - 74.816,35 euros = 45.978,48 euros.

Le surplus, soit 145.709,80 euros - 45.978,48 euros = 99.731,32 euros correspond aux échéances non exigibles à la date du jugement car échues entre décembre 2001 et le 31 mars 2008.

La prescription de l'action en exécution des échéances non échues au jour du jugement, d'un montant total de 99.731,32 euros, est intervenue le 1er janvier 2013 pour la dernière d'entre elles conformément à l'article 1er de la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968. La CARCDSF ne rapporte pas la preuve qu'elle aurait procédé à un acte interruptif de prescription avant le 1er janvier 2013.

Dès lors, l'action de la CARCDSF en exécution des échéances non échues au jour du jugement est prescrite.

Le délai de prescription de la créance d'un montant de 45.978,48 euros au titre des échéances exigibles au jour du jugement et non recouvrées expirait le 19 juin 2018.

La CARCDSF invoque l'effet interruptif du commandement de payer délivré le 25 mai 2018 à l'agent judiciaire de l'Etat. Toutefois et par des motifs pertinents que la cour adopte, le premier juge a rappelé qu'un commandement de payer n'interrompt la prescription que s'il constitue un préalable obligatoire à une voie d'exécution forcée, de sorte que le commandement de payer en date du 25 mai 2018 n'a pas pu interrompre la prescription dès lors qu'il ne pouvait être le préalable à aucune voie d'exécution forcée en raison de l'immunité d'exécution dont bénéficie l'Etat.

Il s'en déduit qu'un créancier ne pouvant recourir à aucune voie d'exécution forcée à l'encontre de l'Etat, toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement, constitue un acte interruptif de prescription.

Ainsi, la CARCDSF, qui ne pouvait recourir à l'encontre de l'Etat à aucune voie d'exécution forcée aux fins de recouvrement de sa créance exigible à la date du jugement, alors qu'elle bénéficie d'un titre exécutoire dont le délai de prescription applicable est de dix ans, a adressé à juste titre le 18 juin 2018une lettre recommandée avec accusé de réception à la direction des affaires juridiques du Ministère de l'économie et des finances aux fins de mettre en demeure le débiteur de lui verser les sommes de 73.011,19 euros en remboursement des dépenses engagées et de 145.709,80 euros au titre de la retraite pour inaptitude.

Dès lors, la cour relève que la lettre recommandée avec accusé de réception du 18 juin 2018 a valablement interrompu le délai de prescription décennal.

Dans ces conditions, la cour déclare que l'action engagée par la CARCDSF aux fins d'exécution des échéances échues à la date du jugement, soit un solde de créance de 45.978,48 euros, n'est pas prescrite. Elle sera déclarée recevable.

Dès lors que le I de l'article L. 911-9 du code de justice administrative permet à la partie gagnante, en cas d'inexécution d'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée, d'obtenir du comptable public assignataire le paiement de la somme que l'Etat est condamné à lui verser à défaut d'ordonnancement dans le délai prescrit, il n'y a pas lieu en principe de faire droit à une demande tendant à ce que le juge prenne des mesures pour assurer l'exécution de cette décision. Il en va toutefois différemment lorsque le comptable public assignataire, bien qu'il y soit tenu, refuse de procéder au paiement.

En l'espèce, l'agent judiciaire de l'Etat n'a pas donné suite au commandement de payer délivré le 25 mai 2018 et la direction des affaires juridiques du Ministère de la transition écologique et solidaire et de la cohésion des territoires a déclaré dans un mail du 06 juin 2018 que le commandement était inopérant à l'encontre de l'Etat, sans reconnaître expressément le principe et le montant de la créance, et a confirmé au conseil de la CARCDSF, par courrier en date du 13 septembre 2018, qu'il ne pourra être donné une suite favorable à sa demande visant à obtenir le règlement de sommes fixées par un jugement du tribunal de grande instance de Fort-de-France en date du 06 novembre 2001.

Dans ces conditions, il sera ordonné à l'agent judiciaire de l'Etat, en exécution du jugement rendu le 06 novembre 2001 par le tribunal de grande instance de Fort-de-France, de procéder au règlement de la somme en principal de 45.978,48 euros due à la CARCDSF, outre les intérêts au taux légal majoré de cinq points à compter du 23 mars 2003 dus à la CARCDSF et jusqu'à parfait paiement, et ce sous astreinte provisoire de 300 euros par jour de retard passé un délai de trente jours à compter de la signification de la présente décision et sans que le délai d'astreinte puisse courir au-delà de 180 jours. Le jugement de première instance sera infirmé sur ce point.

Les dispositions du jugement déféré sur les frais irrépétibles seront confirmées.

Il sera alloué à la CARCDSF la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles dans le cadre de la présente instance.

Succombant, l'agent judiciaire de l'Etat sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement rendu le 26 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Fort-de-France dans toutes ses dispositions dont appel, sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

CONSTATE que la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES CHIRURGIENS DENTISTES ET DES SAGES-FEMMES "CARCDSF" vient aux droits de la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES CHIRURGIENS DENTISTES;

Statuant à nouveau,

DÉCLARE que l'action engagée par la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES CHIURURGIENS DENTISTES ET DES SAGES-FEMMES "CARCDSF", aux fins d'exécution des échéances échues à la date du jugement du 06 novembre 2001 et non recouvrées, soit un solde de créance de 45.978,48 euros, est recevable;

ORDONNE à l'agent judiciaire de l'Etat, en exécution du jugement rendu le 06 novembre 2001 par le tribunal de grande instance de Fort-de-France, de procéder au règlement de la somme en principal de 45.978,48 euros due à la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES CHIURURGIENS DENTISTES ET DES SAGES-FEMMES "CARCDSF", outre les intérêts au taux légal majoré de cinq points à compter du 23 mars 2003 dus à la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES CHIURURGIENS DENTISTES ET DES SAGES-FEMMES "CARCDSF" et jusqu'à parfait paiement, et ce sous astreinte provisoire de 300 euros par jour de retard passé un délai de trente jours à compter de la signification de la présente décision et sans que le délai d'astreinte puisse courir au-delà de 180 jours;

Y ajoutant,

DÉBOUTE les parties de leurs plus amples demandes;

CONDAMNE l'agent judiciaire de l'Etat à payer à la CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES CHIRURGIENS DENTISTES ET DES SAGES-FEMMES "CARCDSF" la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

CONDAMNE l'agent judiciaire de l'Etat aux dépens de première instance et d'appel.

Signé par Madame Christine PARIS, Présidente de chambre et par Mme Micheline MAGLOIRE, Greffière, à laquelle la minute a été remise.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Fort-de-France
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/00174
Date de la décision : 26/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-26;21.00174 ?
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