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26/07/2022 | FRANCE | N°21/00081

France | France, Cour d'appel de Fort-de-France, Chambre civile, 26 juillet 2022, 21/00081


ARRET N° 22/346



N° RG 21/00081 - N° Portalis DBWA-V-B7F-CGQS





SOCIÉTÉ MAAF ASSURANCES





C/



[S] [C]



















COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE



CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 26 JUILLET 2022





Décision déférée à la cour : Jugement du tribunal judiciaire de FORT-DE-FRANCE en date du 05 janvier 2021, enregistrée sous le n° 19/02012





APPELANTE :



SOCIÉTÉ MAAF ASSURANCE

S

Chaban

[Localité 2]



Représentée par Me Nathalie DRIGUEZ, avocat au barreau de MARTINIQUE, avocat postulante



et par Me Lisa HAYERE, avocat associé au sein de l'AARPI ACLH AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant





INTIMEE :



M...

ARRET N° 22/346

N° RG 21/00081 - N° Portalis DBWA-V-B7F-CGQS

SOCIÉTÉ MAAF ASSURANCES

C/

[S] [C]

COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE

CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 26 JUILLET 2022

Décision déférée à la cour : Jugement du tribunal judiciaire de FORT-DE-FRANCE en date du 05 janvier 2021, enregistrée sous le n° 19/02012

APPELANTE :

SOCIÉTÉ MAAF ASSURANCES

Chaban

[Localité 2]

Représentée par Me Nathalie DRIGUEZ, avocat au barreau de MARTINIQUE, avocat postulante

et par Me Lisa HAYERE, avocat associé au sein de l'AARPI ACLH AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

INTIMEE :

Madame [S] [C]

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Romain PREVOT, avocat au barreau de MARTINIQUE, avocat postulant

et par Me Charles J. NICOLAS, de la SELARL NICOLAS & DUBOIS, avocat au barreau de GUADELOUPE, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 mars 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Claire DONNIZAUX, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Christine PARIS, présidente de chambre

Assesseur : Monsieur Thierry PLUMENAIL, conseiller

Assesseur : Claire DONNIZAUX, conseillère

Greffier lors des débats : Mme Béatrice PIERRE-GABRIEL,

Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l'arrêt fixée au 14 juin 2022 puis prorogée au 26 juillet 2022

ARRÊT : contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE :

Le 3 août 1985, Madame [S] [C], alors âgée de 17 ans, a été victime d'un accident de la circulation. Elle était passagère avant d'un véhicule assuré par la compagnie MAAF ASSURANCES, dont le pare-brise a éclaté entrainant la protection d'éclats de verre sur son visage et dans ses yeux.

Après avoir subi plusieurs interventions chirurgicales, et souffrant d'un déficit visuel important bien corrigé par le port de lentilles de contact, Madame [S] [C] a accepté l'offre d'indemnisation de son préjudice initial.

En raison de l'aggravation de son état, consistant notamment en une baisse brutale de son acuité visuelle suivie de l'apparition d'une cécité totale définitive, Madame [S] [C] a obtenu la désignation d'un expert judiciaire par ordonnance de référé du 15 juin 2018.

Le docteur [D] a déposé son rapport le 16 octobre 2018.

Par acte délivré le 5 septembre 2019, Madame Madame [S] [C] a fait assigner la compagnie MAAF ASSURANCES et la CAISSE GENERALE DE SECURITE SOCIALE DE LA MARTINIQUE en indemnisation de ses préjudices nés de l'aggravation de son état.

Par jugement réputé contradictoire du 5 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Fort de France a :

- rappelé que la CGSS de la Martinique est partie à la procédure ;

- dit que la CGSS est subrogée dans les droits de Madame [S] [C] au titre des dépenses de santé actuelles ;

- fixé les préjudices de Madame [S] [C] consécutifs à l'aggravation le 20 octobre 2010 de son état de santé imputable au fait dommageable du 03 août 1985 ainsi qu'il suit :

- dépenses de santé actuelles : débours définitifs de la CGSS : NEANT

- frais divers (séjours, déplacements) : 9 787,49 €

- assistance par tierce personne à titre temporaire (du 20/10/20l0 au 25/10/2017) : 188 256 euros

- assistance par tierce personne permanente sur la période échue (du 26/10/2017 au 15/10/2019) : 69 024 euros

- pertes de gains professionnels actuels : réservées

- pertes de gains professionnels futurs : réservées

- incidence professionnelle : 173 184 euros

- déficit fonctionnel temporaire : 42 091,25 €

- préjudice esthétique temporaire : 5.000 €

- déficit fonctionnel permanent : 46.750 €

- préjudice esthétique permanent : 8 000 euros

- préjudice d'agrément : 10 000 euros

- préjudice sexuel : 15 000 €

- préjudice d'établissement : 40 000 euros

TOTAL : 607 092,74 euros

- condamné la Compagnie d'assurances MAAF à payer si Madame [S] [C] le somme de 607 092,74 euros en deniers ou quittances valables eu égard aux provisions qui n'ont pas été déduites de ce montant ;

Avant dire droit,

- enjoint à Madame [S] [C] de justifier des indemnités journalières perçues des organismes sociaux, des rentes et pensions d'invalidité perçues, des indemnités chômage et de produire également ses avis d'imposition afférents à la période d'octobre 2010 à janvier 2021 ;

- ordonne une mesure d'expertise et commet pour y procéder le Docteur [D], [Adresse 1] - [Localité 3], expert inscrit sur la liste de la cour d'appel de Fort-de-France, qui aura pour mission, après avoir convoqué les parties qui pourront se faire assister par un médecin-conseil, et leurs avocats par lettres recommandées avec avis de réception, recueilli les renseignements nécessaires sur l'identité de la victime et sa situation actuelle, s'être fait remettre tous documents relatifs aux examens, soins et interventions dont la victime a été l'objet, et notamment le rapport d'expertise du 27 octobre 2018 :

d'évaluer les besoins en tierce personne future de Madame [S] [C], à l'issue de la période d'adaptation d'un an écoulée depuis le dépôt du rapport définitif, après le 15 octobre 2019 ;

- dit que l'expert pourra d'adjoindre tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d'en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises et de joindre l'avis du sapiteur à son rapport ;

- dit que si le sapiteur n'a pu réaliser ses opérations de manière contradictoire, son avis devra être immédiatement communiqué aux parties par l'expert ;

- dit que l'expert devra établir un pré-rapport qu'il communiquera aux parties en leur laissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif ;

- dit que l'expert devra déposer son rapport définitif auquel seront annexées les pièces nécessaires et les dires des parties, dans un délai de six mois à compter de 1'avis de consignation ;

- fixé à 1200 euros le montant de la somme que la Compagnie d'assurances MAAF devra consigner à la régie du tribunal au plus tard le 31 janvier 2021, faute de quoi la désignation de l'expert sera caduque ;

- commis le magistrat chargé du contrôle des expertises pour surveiller les opérations d'expertise ;

- dit qu'en cas de refus ou d'empêchement de l'expert commis il sera pourvu à son remplacement par ordonnance du magistrat chargé du contrôle des expertises rendue sur simple requête ou même d'office ;

- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état électronique du 05 mars 2021 à 8 h 00 ;

- condamné la compagnie d'assurances MAAF à payer à Madame [S] [C] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la compagnie d'assurances MAAF aux entiers dépens en ce compris les frais de consignation pour expertise dont distraction au profil de la SELARL [N] & [C] ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration électronique du 5 février 2021, la MAAF ASSURANCES a interjeté appel du jugement en ce qu'il a :

- fixé les préjudices de Madame [S] [C] consécutifs à l'aggravation le 20 octobre 2010 de son état de santé imputable au fait dommageable du 03 août 1985 ainsi qu'il suit :

- dépenses de santé actuelles : débours définitifs de la CGSS : NEANT

- frais divers (séjours, déplacements) : 9 787,49 €

- assistance par tierce personne à titre temporaire (du 20/10/20l0 au 25/10/2017) : 188 256 euros

- assistance par tierce personne permanente sur la période échue (du 26/10/2017 au 15/10/2019) : 69 024 euros

- pertes de gains professionnels actuels : réservées

- pertes de gains professionnels futurs : réservées

- incidence professionnelle : 173 184 euros

- déficit fonctionnel temporaire : 42 091,25 €

- préjudice esthétique temporaire : 5.000 €

- déficit fonctionnel permanent : 46.750 €

- préjudice esthétique permanent : 8 000 euros

- préjudice d'agrément : 10 000 euros

- préjudice sexuel : 15 000 €

- préjudice d'établissement : 40 000 euros

TOTAL : 607 092,74 euros

- condamné la Compagnie d'assurances MAAF à payer si Madame [S] [C] le somme de 607 092,74 euros en deniers ou quittances valables eu égard aux provisions qui n'ont pas été déduites de ce montant ;

- condamné la compagnie d'assurances MAAF à payer à Madame [S] [C] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'affaire a été orientée à la mise en état, et a fait l'objet d'une clôture le 17 février 2022.

PRETENTIONS DES PARTIES :

Aux termes de ses conclusions récapitulatives d'appelant notifiées par voie électronique le 7 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et de moyens, la compagnie MAAF ASSURANCES demande à la cour de réformer le jugement querellé et, statuant à nouveau, de :

- fixer l'indemnisation du préjudice de Madame [C] dans les conditions suivantes :

Tierce personne temporaire du 20 octobre 2010 au 26 octobre 2017: 188.048 €

Tierce personne future à compter du 15 octobre 2019 :

- Tierce personne échue jusqu'au 27 décembre 2021 : 141 056€

- Tierce personne future à compter du 1er janvier 2022: indemnisation sous forme d'une rente trimestrielle de 8.568 €. La rente sera revalorisée annuellement conformément aux dispositions de l'article L 434-17 du code de la sécurité sociale, suspendue en cas d'hospitalisation d'une durée de plus de 45 jours et en cas de placement ou d'institutionnalisation.

PGPF :

- échus : : 32.479,68 €, avant déduction des éventuels revenus de substitution.

- à échoir : rente mensuelle de 1.098,16 €. A titre subsidiaire, dans l'hypothèse d'une capitalisation, faire application du BCRIV 2021.

Incidence professionnelle : 20.000 €.

Préjudice esthétique permanent : 3.000 €.

Préjudice d'agrément : déboutée

Préjudice sexuel : 5.000 €.

Préjudice d'établissement : 20.000 €.

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Aux termes de ses conclusions numéro 3 d'intimée au principal et d'appelante à titre incident, notifiées par voie électronique le 7 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et de moyens, Madame [S] [C] demande à la cour de :

1/ en sa qualité d'intimé au principal :

- débouter la compagnie d'assurances MAAF de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- confirmer la décision sur l'indemnisation des postes de préjudices suivants :

- préjudice esthétique permanent

- préjudice sexuel

- préjudice d'agrément

- préjudice d'établissement

2/ en sa qualité d'appelant incident :

- infirmer le jugement querellé en ce qu'il :

- n'a pas fait droit a sa demande de fixation de son besoin en tierce personne à 8 heures par jour ;

- a fixé l'indemnité réparatrice du préjudice constitué par le besoin en tierce personne à 183 256.00 euros pour la partie avant consolidation et à celle de 69 024 euros pour la partie échue après consolidation, ;

- n'a pas liquidé l'indemnité due au titre de la tierce personne à échoir ;

- n'a pas statué sur le poste perte de gains professionnels futur et a réservé de poste ;

- a indemnisé le poste incidence professionnelle d'une part en retenant pour indice de capitalisation, un indice limité à 67 ans pour une lemme de 43 ans, en fixant l'indemnité à la somme de 173 184 euros et d'autre part en chiffrant ce poste de préjudice alors même de le poste perte de gains professionnels futurs avant été réservé et donc non évalué ;

Et statuant à nouveau :

- sur l'indemnisation du poste tierce personne avant consolidation :

à titre principal : condamner la MAAF à payer à Madame [C] [S] la somme de 327 808 euros sur la base d'un besoin en tierce personne de 3 heures par jour en réparation de d'indemnité sollicitée au titre de la tierce personne avant consolidation ;

à titre subsidiaire : désigner tel expert compétent pour évaluer le besoin en tierce personne de Madame [C] [S] ;

à titre infiniment subsidiaire: condamner la MAAF à payer à Madame [C] [S] la somme de 245 856 euros sur la base d'un besoin en tierce personne de 6 heures par jour en réparation de l'indemnité sollicitée au titre de la tierce personne après consolidation de manière viagère.

- sur l'indemnisation du poste tierce personne après consolidation :

à titre principal : condamner la MAAF à payer à Madame [C] [S] la somme de 327 808 euros sur la base d'un besoin en tierce personne de 8 heures par jour, en réparation de d'indemnité sollicitée au titre de la tierce personne avant consolidation.

à titre subsidiaire : désigner tel expert compétent pour évaluer le besoin en tierce personne de Madame [C] [S] ;

à titre infiniment subsidiaire: condamner la MAAF à payer à Madame [C] [S] la somme de 245 356 euros sur la base d'un besoin en tierce personne de 6 heures par jour en réparation de l'indemnité sollicitée au titre de la tierce personne après consolidation de manière viagère.

- sur l'indemnisation du poste perte de gains professionnels futurs :

condamner la MAAF à payer à Madame [C] la somme de 878 796,76 euros au titre de 1`indemnisation de ce poste de préjudice.

- sur l'indemnisation du poste incidence professionnelle :

condamner la MAAF à payer à Madame [C] [S] la somme de 385 603,05 euros au titre de l'incidence professionnelle.

En tout état de cause :

- condamner la MAAF à payer à Madame [C] [S] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la MAAF aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, il sera fait expressément référence à la décision déférée à la cour et aux dernières conclusions déposées.

MOTIFS :

Au regard des termes de la déclarations d'appel et des derniers conclusions respectives des parties, le litige en appel porte uniquement sur l'évaluation et la fixation des postes de préjudice suivants :

- assistance par tierce personne à titre temporaire et à titre permanent;

- perte de gains professionnels futurs ;

- incidence professionnelle ;

- préjudice esthétique permanent ;

- préjudice d'agrément ;

- préjudice sexuel ;

- préjudice d'établissement.

Sur l'assistance par tierce personne à titre temporaire :

Sur ce poste de préjudice, les parties ne font de reprendre les moyens soutenus en première instance, auxquels il a été répondu de manière exhaustive et pertinente par le tribunal.

Le jugement sera donc confirmé par adoption de motifs en ce qu'il a fixé l'indemnisation due au titre du besoin d'assistance par tierce personne avant la consolidation à la somme de 188 256 euros, sur la base d'une aide journalière de 4,5 heures par jour à compter de l'aggravation du préjudice, fixée au 20 octobre 2010, puis de 6 heures par jour à compter de l'apparition de la cécité quasi-totale, le 17 mars 2017, jusqu'à la date de la consolidation, le 26 octobre 2017, pour un coût horaire de 16 euros.

La date de l'apparition de la cécité a été justement fixée par le tribunal sur la base des propres constatations de la victime, qui a ressenti ce handicap à compter de mars 2017, constatations qui ont été confirmées par le certificat médical du docteur [R] du 31 mars 2017, qui a constaté lors d'un examen réalisé le 17 mars 2017 que l'acuité visuelle était limitée à une perception lumineuse positive sur l''il droit, et une perception lumineuse négative sur l''il gauche, soit une acuité visuelle suscitant le même besoin d'assistance qu'une cécité totale.

Sur l'assistance par tierce personne à titre permanent :

1/ Sur la période échue du 26 octobre 2017 au 15 octobre 2019, telle que liquidée par le tribunal, qui a inclus la période d'adaptation d'un an après le dépôt du rapport d'expertise :

Il est constant que la situation de dépendance de Madame [C] n'a pas évolué entre la date de l'apparition de la cécité et la période post-consolidation, de sorte que le besoin d'assistance par tierce personne doit être fixé à 6 heures par jour, au coût horaire de 16 euros, comme il a été procédé s'agissant du besoin d'assistante par tierce personne à titre temporaire après l'apparition de la cécité.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

2/ Sur la période courant depuis le 15 octobre 2019 :

Le tribunal a réservé la liquidation de ce poste de préjudice concernant la période courant à compter du 15 octobre 2019 et ordonné une mesure d'expertise afin d'évaluer le besoin d'assistance par tierce personne après une période d'adaptation d'au moins un an.

Depuis le jugement du 5 janvier 2021, le docteur [D], expert commis par le tribunal dans la décision querellée, aurait déposé son rapport, dans lequel le besoin d'assistance par tierce personne serait évalué à 5h35 par jour à compter du 15 octobre 2019.

Si Madame [C] demande à la cour d'évoquer cette partie du litige qui n'a pas été tranchée par le tribunal, la MAAF s'y oppose, en considération du droit au double degré de juridiction et au motif que les conditions de l'article 568 du code de procédure civile ne seraient pas réunies.

L'article 568 du code de procédure civile dispose que « lorsque la cour d'appel infirme ou annule un jugement qui a ordonné une mesure d'instruction, ou qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l'instance, elle peut évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction. »

La cour ne peut évoquer la partie du litige ayant fait l'objet d'une mesure d'instruction ordonnée par le tribunal qu'autant qu'elle est saisie du chef du jugement qui a prescrit cette mesure (Civ 2e, 12 mars 1980, n° 78-15.054).

En l'espèce, aucune des parties n'a interjeté appel de la disposition du jugement querellé qui a ordonné une nouvelle mesure d'expertise aux fins d'évaluation des besoins en tierce personne future de Madame [C] à l'issue de la période d'adaptation. La cour n'a donc pas la faculté d'évoquer cette partie du litige.

Surabondamment, eu regard des enjeux financiers et de l'écart particulièrement significatif entre le montant des sommes réclamées par Madame [C] et le montant de l'indemnité proposée par la MAAF sur ce poste de préjudice, la cour considère qu'il ne serait pas de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive qui priverait les parties du double degré de juridiction, d'autant que le dispositif des conclusions de l'intimée comporte manifestement une erreur de nature à réduire considérablement ses prétentions, et que le rapport complémentaire du docteur [D] n'a pas été versé aux débats par les parties.

Sur la perte de gains professionnels futurs :

De même que pour l'évaluation du besoin en assistance tierce personne future, le tribunal a réservé la demande de Madame [C] concernant le préjudice lié à la perte de gains professionnels futurs, et l'a enjoint de justifier des indemnités journalières perçues par les organismes sociaux, des rentes et pensions d'invalidité perçues, des indemnités chômage et de produire également ses avis d'imposition afférents à la période d'octobre 2010 à janvier 2021.

Or aucune des parties n'a interjeté appel de la disposition du jugement querellé ayant enjoint Madame [C] de produire les pièces ci-dessus mentionnées.

La cour ne peut donc évoquer cette partie du litige et statuer définitivement sur l'évaluation de la perte de gains professionnels futurs, qui n'a pas été effectuée en première instance, étant en outre précisé qu'eu égard à l'enjeu financier, il est de bonne justice, pour les deux parties, de préserver le double degré de juridiction.

Sur l'incidence professionnelle :

S'agissant de l'incidence professionnelle, les parties ne font que reprendre devant la cour leurs prétentions et moyens de première instance. En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation de ce poste de préjudice.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a fixé le montant dû au titre de l'incidence professionnelle à la somme de 173 184 euros.

Sur le préjudice esthétique permanent :

Par des motifs pertinents que la cour adopte, le tribunal a fait une exacte évaluation de l'indemnisation due au titre du préjudice esthétique permanent en le fixant à la somme de 8000 euros, au regard des conclusions de l'expert qui a évalué le préjudice à 3,5 sur une échelle de 7.

Aucun élément ne permet d'affirmer, contrairement à ce qui est soutenu par la MAAF, que l'expert a procédé à une évaluation globale du préjudice esthétique, incluant tant le préjudice initial que le préjudice en aggravation. La cour estime que la somme de 8000 euros indemnise justement l'aggravation du préjudice esthétique permanent, qui résulte de cornées blanches et opaques, d'une absence de regard - compensée par le port de lentilles cosmétiques mal tolérées du fait de la sécheresse oculaire et de l'instillation quotidienne de gouttes pour le glaucome -, ainsi qu'une démarche d'aveugle, autant de stigmates physiques que ne présentait pas Madame [C] en 1986, date de description de son préjudice esthétique initial.

Sur le préjudice d'agrément :

Comme le rappelle la MAAF, le poste de déficit fonctionnel permanent indemnise déjà la perte de qualité de vie et des troubles dans les conditions d'existence, tandis que le préjudice d'agrément est plus spécifiquement constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs. Il appartient à la victime de justifier de la pratique de ces activités (licences sportives, adhésions d'associations, attestations...) et de l'évoquer auprès du médecin expert afin que celui-ci puisse confirmer qu'elle ne peut plus pratiquer ces activités.

Or, par plus qu'en première instance, Madame [C] ne produit de preuve, qu'elle peut pourtant apporter par tout moyen, y compris testimonial, de la pratique spécifique de la peinture, de la couture, de la lecture et de la danse.

C'est donc à tort que le tribunal a fait droit à cette demande, qui n'est pas étayée par la victime, qui ne démontre pas une pratique spécifique justifiant une indemnisation distinct du déficit fonctionnel permanent.

Le jugement sera réformé en ce sens et Madame [C] déboutée de sa demande au titre du préjudice d'agrément.

Sur le préjudice sexuel :

S'agissant du préjudice sexuel, les parties ne font que reprendre devant la cour leurs prétentions et moyens de première instance. En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation de ce poste de préjudice.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a fixé l'indemnisation du préjudice sexuel à la somme de 15 000 euros.

Sur le préjudice d'établissement :

Après avoir sollicité la somme de 120 000 euros en première instance en indemnisation de son préjudice d'établissement, consistant en la renonciation définitive à tout projet de fonder un foyer et d'avoir des enfants, Madame [C] sollicite désormais la confirmation du jugement qui lui a accordé la somme de 40 000 euros. La MAAF, qui s'opposait à toute indemnisation de ce chef, propose en appel la somme de 20 000 euros.

Le tribunal a fait une juste évaluation de ce poste de préjudice, par des motifs dont les débats d'appel n'ont pas modifié la pertinence et que la cour adopte.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur les demandes accessoires :

La MAAF, dont les prétentions ont été partiellement accueillies en appel, mais qui succombe globalement au litige, sera condamnée aux dépens d'appel.

Elle sera en outre condamnée au paiement de la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement querellé en toutes ses dispositions frappées d'appel sauf en ce qu'il a fixé l'indemnisation au titre du préjudice d'agrément à la somme de 10 000 euros ;

Statuant à nouveau de ce seul chef, et y ajoutant,

DEBOUTE Madame [S] [C] de sa demande formée au titre du préjudice d'agrément,

DIT n'y avoir lieu à évoquer les points suivants du litige :

- l'évaluation du besoin d'assistance par tierce personne à compter du 15 octobre 2019 ;

- l'évaluation de la perte de gains professionnels futurs ;

CONDAMNE la compagnie MAAF ASSURANCES à payer la somme de 2000 euros à Madame [S] [C] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la compagnie MAAF ASSURANCES aux dépens d'appel.

Signé par Madame Christine PARIS, président de chambre, et par Madame Micheline MAGLOIRE, greffière, à qui la minute a été remise.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Fort-de-France
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/00081
Date de la décision : 26/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-26;21.00081 ?
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