ARRET No12/
R. G : 11/ 00196
Du 27/ 09/ 2012
X...
C/
Y...
COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU 27 SEPTEMBRE 2012
Décision déférée à la cour : jugement de la section Commerce du Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de FORT-DE-FRANCE en date du 03 Mai 2011, enregistré sous le no F10/ 00492
APPELANTE :
Madame Emma Minghua X...
...
97200 FORT-DE-FRANCE
représentée par Me Margaret TANGER, avocat au barreau de MARTINIQUE
INTIME :
Monsieur Marjorie Y...
C/ 0 M. Maurice Z...
...
97200 FORT-DE-FRANCE
représenté par Me Micheline JEAN FRANCOIS, avocat au barreau de MARTINIQUE
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Madame Dominique HAYOT, présidente de chambre
Monsieur Patrick CHEVRIER, conseiller
Madame Micheline BENJAMIN, conseillère
GREFFIER :
M. Philippe BLAISE
DÉBATS : A l'audience publique du 28 juin 2012
A l'issue des débats, le président a avisé les parties que la décision sera prononcée le 27 septembre 2012par sa mise à disposition au greffe de la Cour conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile
ARRÊT : contradictoire et en dernier ressort
EXPOSE DU LITIGE
Mlle Marjorie Y... (la salariée) était embauchée par Mme Mingua X... en qualité de vendeuse, suivant trois contrats de travail à durée déterminée, conclus chacun pour une période de six mois, du 1er septembre 2008 au 28 février 2009, de mars 2009 au 31 août 2009 et du 1er septembre 2009 au 31 août 2010.
Par lettre du 20 février 2010, la salariée était convoquée à un entretien préalable tenu le 02 mars 2010, puis son licenciement pour faute grave lui était notifié par lettre du 12 mars 2010, en ces termes :
" Lors de notre entretien du mardi 02 mars 2010 à 9 h 30, dans nos locaux sis ..., je vous ai fait part des griefs que j'étais amenée à formuler à votre encontre.
Ces griefs se rapportent à :
- Vous avez multiplié des attitudes incompatibles avec le lien de subordination juridique caractérisant le contrat de travail en refusant à de nombreuses reprises de suivre mes instructions dans le cadre de votre poste, ainsi le 10 Février, je vous demande d'essuyer une vitrine du magasin, vous avez refusé de le faire en me répondant : « je ne peux pas, je ne suis pas ton enfant »,
- Vous tenez régulièrement des propos insultants et racistes en relation avec mes origines chinoises, mais également à l'encontre de votre collègue de travail
martiniquaise ;
- Vous ne respectez pas les horaires de travail et les jours de travail qui vous sont fixés, étant toujours en retard et partant avant " heure normale ; de plus vous exigez des jours de congé qui ne sont pas dus ;
- Vous entachez la réputation de l'établissement en tenant aux clients des propos dénigrants sur l'établissement : ainsi, vous prétendez que le magasin met des chaussures usagées dans des cartons neufs pour tromper ra clientèle ;
- Vous êtes constamment en train de me menacer ainsi que votre collègue de travail de faire usage contre nous de sortilèges vaudous ; et vous m'avez menacée de mort, mais également de « prendre une alguil ! e pour me coudre la bouche » ;
- le 10 février vous avez fait venir sur votre lieu de travail votre compagnon pour m'intimider et faire pression sur moi. A cette occasion, alors qu'il me maintenait fermement, vous m'avez frappée d'un coup de poing dans le dos.
Je rappelle par ailleurs que vous aviez déjà été l'objet d'une lettre d'avertissement après avoir provoqué une dispute avec moi le 21 janvier 2010, alors que je vous demandais simplement de mettre un peu d'ordre en rangeant les marchandises sur leurs présentoirs. Vous avez refusé en indiquant que je n'étais « ni votre maman, ni dieu, et que vous n'étiez pas une esclave ".
Les observations qui vous ont été faites sont restées sans effets et l'entretien préalable n'a apporté aucun élément nouveau.
Je me vois dans l'obligation de mettre fin au contrat de travail vous liant à mon entreprise. Les conséquences immédiates de votre comportement rendent impossible la poursuite de votre activité au service de l'entreprise même pendant un préavis.
Je vous notifie par la présente votre licenciement pour faute grave, immédiat, sans préavis ni indemnité de rupture. Vous cesserez définitivement de faire partie du personnel de l'entreprise à première présentation de cette lettre.
Le certificat de travail est tenu à votre disposition, ainsi que les salaires vous restant dus et l'indemnité compensatrice de congé payés acquise à ce jour./. "
S'estimant lésée et contestant les conditions de la rupture de son contrat de travail, le 15 juin 2010, Mlle Y... saisissait le conseil de prud'hommes de Fort-de-France aux fins de requalification de son contrat de travail et paiement de diverses sommes.
Par jugement réputé contradictoire du 03 mai 2011, le conseil de prud'hommes a dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, a requalifié les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et a condamné Mme Mingua X... à payer à Mlle Marjorie Y... les sommes suivantes :
-1. 343, 80 € au titre d'indemnités de requalification,
-1. 343, 80 € à titre d'indemnité de préavis,
-134, 38 € à titre d'indemnité de congés payés,
-1. 343, 80 € à titre de l'indemnité de licenciement,
-2. 500, 00 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Il a ordonné la remise du certificat de travail conforme pour la période travaillée et des bulletins de salaire d'août et octobre 2009, sous astreinte de 10 € par jour de retard ainsi que l'exécution provisoire de la somme de 4. 000 €.
Par déclaration déposée au greffe de la cour d'appel de Fort-de-France, le 24 mai 2011, Mme Mingua X... interjetait appel de cette décision.
Elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de la décharger des
condamnations prononcées à son encontre.
L'appelante explique que la salariée ne produit pas son titre de séjour pour la période du 14 septembre 2008 jusqu'au 12 mars 2010 et demande à la cour d'en tirer toute conséquence de droit en ce qui concerne la question de la requalification du contrat de travail.
Elle soutient que le licenciement est régulier et motivé, faisant état de griefs mentionnés dans la lettre de licenciement et d'un comportement irrespectueux et objet d'un premier avertissement en date du 05 février 2010.
Elle précise avoir toujours remis les bulletins de paye à l'intimée et, en ce qui concerne le certificat de travail, s'être exécutée pour se conforme au jugement.
De son côté, l'intimée demande à la cour de condamner la société à lui payer les sommes suivantes :
-141, 76 € au titre du rappel de salaires des 22 et 23 février 2010,
-1. 120, 00 € au titre des congés payés (période juin 2009 à mars 2010)
-3. 404, 29 € au titre de l'indemnité de licenciement,
-8. 062, 80 € au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive et vexatoire
-1. 346, 72 € au titre des salaires dus durant la mise à pied infligée (période 24 février au 17 mars 2010),
-134, 67 € au titre des congés payés dus la mise à pied.
Elle sollicite la confirmation du jugement pour le surplus et réclame 2. 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
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Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, la cour se réfère au jugement du conseil de prud'hommes et aux conclusions régulièrement notifiées auxquelles les parties ont expressément déclaré se rapporter à l'audience de plaidoirie.
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MOTIFS DE LA DECISION
Sur la requalification du contrat
Il résulte des dispositions combinées des articles L. 122-1 et L. 122-1-1, devenus
L. 1242-1 et L. 1242-2 du code du travail, que le contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif,
ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise,
ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tache précise et temporaire et seulement dans les cas énumérés par la loi.
Tout contrat conclu en méconnaissance de ces dispositions est réputé à durée indéterminée et, s'il est fait droit à la demande de requalification du salarié, il doit lui être accordé une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire, sans préjudice des indemnités dues en cas de rupture injustifiée.
En l'espèce, au regard des dispositions légales précitées ; les explications de l'employeur, à savoir sa décision d'étendre son activité de bazar à la vente de chaussures en juillet 2009, créant ainsi le besoin d'un intervenant supplémentaire, ne justifie pas le recours au CDD. En outre, le caractère temporaire de la fonction de Mme Y... n'est pas établi.
S'agissant de la situation administrative de la salariée, de nationalité haïtienne cette dernière produit un titre de séjour dans son entrée en France le 01 janvier 2005 mentionnant une date de validité du 14 septembre 2010 au 13 septembre 2020.
Au des dispositions de l'article L 8251-1 du code du travail, d'autre part et du titre de séjour obtenu par Mlle Y..., la non-production d'une carte de séjour couvrant la période allant du 14 septembre 2008 au 12 mars 2010, ne justifie pas le recours au CDD par l'employeur.
Compte-tenu de l'ensemble de ces éléments, la cour confirmera le jugement entrepris en ce qu'il a requalifié les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et a condamné Mme Mingua X... à payer à Mlle Marjorie Y... la somme de 1. 343, 80 € au titre d'indemnités de requalification.
Sur le licenciement
L'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige.
La faute grave, dont la preuve incombe à l'employeur, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation de son contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
En l'espèce, dans la lettre de licenciement reproduite dans l'exposé du litige, l'employeur reproche à la salariée plusieurs griefs, notamment de lui avoir donné un coup de poing dans le dos le 10 février 2010, sur son lieu de travail où elle avait fait venir son compagnon ainsi que le refus de suivre les instructions et des propos menaçants.
Le procès-verbal de police du 10 février 2010 à 17 heures trente cinq, constate le dépôt de plainte par Mme X... à l'encontre de Mlle Y..., la plaignante déclarant " aujourd'hui j'ai été frappée par Mlle Y... d'un coup de poing dans le dos, pendant que son ami me tenait par les épaules. Les deux sont partis de suite. Je précise que Mlle Y... travaillait initialement.... ce jour vers 16 h 36, Mlle Y... devait quitter sa vacation à 17 h. "
Ces déclarations précises et circonstanciées, corroborent les faits de violence reprochés à la salariée dans la lettre de licenciement.
Au vu de ce procès-verbal, l'absence de témoins de cette scène où la salariée a frappé son employeur, ne permet de remettre en cause la véracité de ces faits, comme le soutien l'intimée qui les conteste.
M. Samir A..., déclare, dans son attestation du 04 août 2010 que la salariée criait sur son employeur, lui proférait des menaces, refusait de servir les clients, disait qu'elle n'était pas une esclave et ne faisait aucun travail.
M. Grégory B..., autre vendeur de Mme X..., déclare dans une attestation du 15 octobre 2010, avoir assisté à des disputes des cries et des insultes, qu'en outre, la salariée avait un comportement agressif envers l'employeur, elle n'acceptait pas les ordres et n'avait pas de respect envers la patronne.
Ces deux témoignages établissent le comportement irrespectueux et agressif de la salariée à l'égard de son employeur ainsi que son non-respect du lien de subordination inhérent au contrat de travail.
Ces faits mettant en exergue le comportement d'insubordination et d'agressivité de l'intimée à l'égard de son employeur, qui sont établis et rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, sont constitutifs d'une faute grave, sans qu'il soit nécessaire d'analyser les autres griefs invoqués et justifient le licenciement pour ce motif.
Par ailleurs, la salariée de son côté ne prouve pas, par les pièces qu'elle produit, du harcèlement moral exercé par son employeur à son encontre.
En conséquence, la cour infirmera le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et de dire que le licenciement est fondé sur une faute grave.
Sur les sommes réclamées par la salariée
Sur le rappel de salaires
Il résulte de la fiche de paye de février 2010 ainsi que de l'attestation UNEDIC versés aux débats mentionnent que la salarié a été rémunérée sur la base de 12, 32 heures travaillées durant ce mois.
Devant la cour, l'intimée ne justifie pas plus que devant les premiers juges, sa demande de versement complémentaire de salaires pour les 22 et 23 février 2010.
Il conviendra donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté cette demande.
En ce qui concerne le rappel de salaire pour la période du 24 février au 17 mars 2010, la mise à pied à titre conservatoire de la salariée étant justifiée en raison de la faute grave qui lui est reprochée, la demande de cette dernière à ce titre n'est pas justifiée.
Sur le rappel de congés payés
Il ressort des indications portées sur les derniers bulletins de paye (février et mars 2010) et l'attestation UNEDIC sur laquelle figure une indemnité compensatrice de congés payés de 598, 19 € et à défaut d'autres éléments permettant de justifier la demande de l'intimée à ce titre, que cette dernière a été remplie de ses droits.
En conséquence, la cour confirmera le jugement querellé en ce qu'il a rejeté la demande de la salariée à ce titre.
Sur les indemnités
Le licenciement de Mlle Y... étant fondé sur une faute grave, en application des dispositions des articles L 1234-1 et L 1234-9 du code du travail, elle ne peut prétendre à une indemnité de préavis ni aux indemnités de licenciement.
La cour infirmera le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Mme Mingua X... à payer à Mlle Marjorie Y... les sommes de 1. 343, 80 € à titre d'indemnité de préavis, 134, 38 € à titre d'indemnité de congés payés et 1. 343, 80 € à titre de l'indemnité de licenciement.
Sur les dommages et intérêts
En l'espèce, le licenciement de M. C...est fondé sur une cause réelle et sérieuse.
La cour infirmera le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Mme Mingua X... à payer à Mlle Marjorie Y... la somme de 2. 500 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive.
Sur la remise des bulletins de paye et du certificat de travail
Il résulte des documents versés aux débats, notamment du bordereau de communication de pièces de Me TANGER en date du 22 juin 2011, notifié le 23 juin 2011 et visé par Mme Y..., que les bulletins de paie des mois d'août et octobre 2009 ainsi que le certificat de travail, par ailleurs produits par l'appelante, ont bien été remis à l'intimée.
En conséquence, il conviendra de dire que la demande de remise de ces documents, sous astreinte est devenue sans objet.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la salariée, au surplus, partie perdante, sera déboutée de sa demande à ce titre.
L'intimé partie perdante supportera les dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a requalifié les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et a condamné Mme Mingua X... à payer à Mlle Marjorie Y... la somme de 1. 343, 80 € au titre d'indemnités de requalification
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Dit que le licenciement de Mlle Marjorie Y... par Mme Mingua X... est fondé sur une faute grave ;
Déboute Mlle Marjorie Y... de l'ensemble de ses demandes à l'exception de celles au titre de la requalification de contrat de travail en CDI ;
Dit n'y avoir lieur à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes des parties ;
Condamne Mlle Marjorie Y... aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.
Et ont signé le présent arrêt Madame Dominique HAYOT, Président et Monsieur Philippe BLAISE, Greffier
LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE