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18/02/2009 | FRANCE | N°08/00084

France | France, Cour d'appel de Fort-de-France, Chambre sociale, 18 février 2009, 08/00084


ARRET No
R. G : 08 / 00054
Du 18 / 02 / 2009

S. A. R. L BANAIR

C /
X...

COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE

CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU 18 FEVRIER 2009

Décision déférée à la cour : jugement de la section de commerce du Conseil de Prud'hommes de FORT-DE-FRANCE en date du 8 novembre 2007, enregistré sous le no F06 / 00238.

APPELANTE :
S. A. R. L BANAIR, prise en la personne de son représentant légal. Zone d'Aviation Générale 97232 LAMENTIN

représentée par Me Pascale BERTE, avocat de la SCP BERTE et Associés, avocats

au barreau de FORT DE FRANCE
INTIME :
Monsieur Claude X... ... 97228 SAINTE-LUCE

représenté par Me DORWLING-CART...

ARRET No
R. G : 08 / 00054
Du 18 / 02 / 2009

S. A. R. L BANAIR

C /
X...

COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE

CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU 18 FEVRIER 2009

Décision déférée à la cour : jugement de la section de commerce du Conseil de Prud'hommes de FORT-DE-FRANCE en date du 8 novembre 2007, enregistré sous le no F06 / 00238.

APPELANTE :
S. A. R. L BANAIR, prise en la personne de son représentant légal. Zone d'Aviation Générale 97232 LAMENTIN

représentée par Me Pascale BERTE, avocat de la SCP BERTE et Associés, avocats au barreau de FORT DE FRANCE
INTIME :
Monsieur Claude X... ... 97228 SAINTE-LUCE

représenté par Me DORWLING-CARTER, avocat de la SELARL DORWLING-CARTER CELCAL, avocats au barreau de FORT-DE-FRANCE

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Monsieur Yves ROLLAND, Président de Chambre Madame Marie-Noëlle ABBA, Conseillère Madame Dominique HAYOT, Conseillère

GREFFIER :
Philippe BLAISE
DÉBATS : A l'audience publique du 27 novembre 2008
A l'issue des débats, le président a avisé les parties que la décision sera prononcée le 29 janvier 2009 par sa mise à disposition au greffe de la Cour conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile. Le délibéré a été prorogé au 18 février 2009.
ARRÊT : contradictoire et en dernier ressort
EXPOSE DU LITIGE.
M. Claude X... était embauché le 1er avril 2002 en qualité de pilote professionnel d'avion agricole par la société Banair SARL (la société), dont l'activité est le traitement aérien agricole des plantations de bananes.
Le jeudi 25 avril 2002, il était victime d'un accident alors qu'il effectuait une mission d'épandage aérien sur une parcelle située située commune du lorrain.
Par lettre du 9 mai 2004, M. Claude X... avisait la société qu'il pouvait " reprendre (son) activité professionnelle le 1er juin 2004 en mi-temps thérapeutique " et fournissait par la suite un avis du « conseil médical de l'aéronautique civile » daté du 10 juin 2004 le déclarant « apte classe 1 et classe 2 par dérogation ».
Convoqué à un entretien préalable par lettre remise en main propre le 2 août, M. Claude X... était licencié par lettre recommandée avec AR du 27 août 2004 pour le motif économique suivant :
" (...) Vous avez été déclaré apte et avez repris votre poste le 2 août 2004. Or, nous n'avons que deux avions pour deux pilotes. Nous nous retrouvons par conséquent avec trois pilotes. Nous sommes donc contraints de supprimer un poste de pilote. En effet, pour des raisons matérielles évidentes (le nombre d'avions), financières (les charges) et pour des raisons liées à la diminution des surfaces bananières à traiter (fermeture des exploitations), il nous est impossible de maintenir un troisième poste de pilote, sauf à remettre en cause la pérennité de notre exploitation. En conséquence, votre poste est supprimé, après application des critères légaux pour déterminer l'ordre des licenciements (...) ".

M. Claude X... contestait la régularité et le bien-fondé de ce licenciement devant le Conseil de Prud'hommes de Fort-de-France qui, par jugement rendu en formation de départage le 8 novembre 2007, déclarait le licenciement nul et condamnait la société à lui payer, outre les intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2004 :
• 50 000 euros de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; • 20 000 euros pour rupture abusive • le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel le 20 mars 2008, la société interjetait appel de cette décision qui lui avait été notifiée le même jour.
Elle conclut à l'infirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré sauf en ce qu'elle a rejeté la demande faite au titre de l'indemnité spéciale de licenciement, au rejet de toutes les demandes et à la condamnation de l'intimé à lui payer 3000 euros sur le fondement l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle fait valoir en substance à l'appui de ses demandes que :
à la date à laquelle elle a mis en oeuvre la procédure de licenciement, la période de suspension du contrat de travail avait pris fin dans la mesure où M. Claude X... avait informé son employeur qu'il pouvait reprendre le travail le 1er juin 2004 et fourni la notification par le « conseil médical de l'aéronautique civile » de l'avis d'aptitude rendu le 9 juin 2004 à la suite d'une visite médicale passée le 6 mai 2004 ;
la reprise fut fixée en définitive au 1er août 2004 comme en atteste le certificat médical établi le 24 juin 2004 ainsi que la lettre de l'assurance-maladie adressée à M. Claude X... le 1er septembre 2004 ;
les motifs économiques du licenciement sont parfaitement justifiés et elle rapporte la preuve que sa situation financière ne lui aurait pas permis de survivre aux charges supplémentaires générées par l'emploi de trois pilotes ;
à la suite de l'accident, elle a en effet dû procéder à l'achat d'un nouvel avion et pérenniser l'embauche d'un pilote dont d'ancienneté dans l'entreprise, la qualification professionnelle et le nombre d'heures de vol dans le domaine agricole constituaient autant de critères justifiant qu'il soit privilégié dans l'ordre des licenciements.

M. Claude X... conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a jugé le licenciement nul sauf à constater qu'il était en arrêt de maladie et que le contrat de travail était donc suspendu et, formant un appel incident, demande à la cour de condamner la société à lui payer, outre les intérêts au taux légal à compter de la demande en justice :

• 10 345, 32 euros d'indemnité spéciale de licenciement en application de l'article L. 122-32-6 du code du travail ; • 144 167, 04 euros " au titre de l'indemnité sans cause réelle et sérieuse " ; • 100 000 euros de dommages intérêts pour rupture abusive ; • 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux dépens dont distraction au profit de son avocat.

À titre subsidiaire, il demande à la cour de considérer le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la société aux mêmes sommes.
Il fait valoir pour l'essentiel à l'appui de ses demandes que :
en l'absence de consultation et de saisine de la médecine du travail, il n'a pu bénéficier du seul avis médical recevable pour statuer sur son aptitude, celui émanant des autorités de médecine aéronautique n'ayant pas vocation à se substituer à celui du médecin du travail ;
devant la carence fautive de l'employeur refusant de respecter la procédure légale et de le faire convoquer par le médecin du travail, il a sollicité l'aménagement de son contrat de travail en mi-temps thérapeutique, requête favorablement accueillie par l'assurance-maladie, et demandé à son médecin traitant la prolongation de son arrêt de travail qui lui était accordé jusqu'au 30 septembre 2004 ;
son contrat de travail était donc toujours suspendu à la date de la rupture et l'employeur l'a licencié pour un motif tenant exclusivement à son accident professionnel en infraction avec les dispositions de l'article L. 122-32-2 du code du travail ;
les difficultés économiques invoquées à l'appui du licenciement ne sont au surplus qu'hypothétiques et l'employeur s'est abstenu de définir les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements et de respecter son obligation de reclassement alors qu'il était reconnu travailleur handicapé ;
il a droit à l'indemnité spéciale de licenciement prévu par l'article L. 122-32-6 dès lors qu'il remplit les conditions pour en bénéficier compte tenu de sa situation de salarié handicapé et donc de sa fragilité ;
son préjudice est très important comme en attestent le bilan psychologique qu'il verse aux débats et le rapport d'expertise du docteur Y... en date du 17 janvier 2005.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions respectives des parties, la cour se réfère au jugement du Conseil de Prud'hommes de Fort-de-France et aux conclusions notifiées le 28 mai 2008 pour l'appelante, les 23 septembre et 21 novembre 2008 pour l'intimé, auxquelles les parties ont expressément déclaré se rapporter lors des débats.

MOTIFS DE LA DECISION.

Sur la fin de la période de suspension.

Il résulte de la combinaison des articles L. 122-32-1 et R. 241-51 du code du travail que :
le contrat de travail du salarié victime d'un accident du travail est suspendu pendant la durée de l'arrêt de travail provoqué par l'accident ;
seul l'examen pratiqué par le médecin du travail, dont doit bénéficier le salarié lors de la reprise du travail en application des alinéas 1 à 3 de l'article R. 241-51 du code du travail, met fin à cette période de suspension ;
en l'absence de cette visite de reprise, le contrat se trouve toujours suspendu en conséquence de l'accident du travail dont a été victime le salarié.
La loi no 46-2195 du 11 octobre 1946 « relative à l'organisation des services médicaux du travail », codifiée sous les articles L. 241-1 et suivants du titre IV du livre II du code du travail dans sa version en vigueur lors du licenciement, est applicable aux entreprises de transport aérien conformément au 2ème alinéa de l'article L. 241-1 et du décret no 59-664 du 20 mai 1959 pris pour son application.
Il s'en déduit que les dispositions relatives aux « services de santé au travail » et notamment à la visite médicale de reprise par le médecin du travail sont applicables aux entreprises de transport aérien de marchandises comme la société appelante, sans que celles du code de l'aviation civile puissent s'y substituer.
En effet les « centres d'expertise de médecine aéronautique » prévus par l'article L. 410-2 du code de l'aviation civile ont vocation à délivrer, pour le personnel navigant et après examen, « les certificats médicaux exigés pour exercer les fonctions correspondant au titre aéronautique » et non à statuer sur leur aptitude à l'exercice d'un emploi déterminé.

De la même façon le « conseil médical de l'aéronautique civile » créé au ministère chargé de l'aviation civile par les articles D. 424-1 et suivants du code de l'aviation civile n'a pas vocation à exercer les attributions de la médecine du travail auprès du personnel navigant.

Il n'est pas discuté qu'avant la mise en oeuvre de la procédure de licenciement par la société, M. Claude X... n'a jamais été examiné par le médecin du travail ni même été convoqué à cette fin.
La notification par le « conseil médical de l'aéronautique civile » de l'avis d'aptitude pris par le « centre d'expertise de médecine aéronautique » (CEMPN) de Bordeaux ne pouvait suppléer cet examen, quand bien même cet avis relèverait l'aptitude de M. Claude X... à piloter des avions de « classe 1 et classe 2 ».
Il s'en déduit qu'à la date du licenciement le contrat de travail de M. Claude X... était toujours " suspendu " au sens de l'article L. 122-32-1 du code du travail.

Sur la rupture.

" Au cours des périodes de suspension, l'employeur ne peut résilier le contrat de travail à durée indéterminée que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de l'impossibilité où il se trouve, pour un motif non lié à l'accident, de maintenir ledit contrat (...). Toute résiliation du contrat de travail prononcé en méconnaissance des dispositions du présent article est nulle " (article L. 122-32-2 du code du travail).

La référence dans la lettre de licenciement aux difficultés auxquelles serait confrontée l'entreprise si elle devait maintenir l'emploi de trois pilotes ne constitue pas un motif caractérisant l'impossibilité dans laquelle se trouvait l'employeur, pour un motif non lié à l'accident, de maintenir le contrat de travail.
Il s'ensuit que le licenciement est nul.

Sur les conséquences de la nullité.

Lorsque le salarié dont le licenciement a été annulé ne demande pas sa réintégration, il a droit, d'une part aux indemnités de rupture (indemnité de licenciement, de préavis, de congés payés), d'autre part à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l'article L. 122-14-4 du code du travail, quelles que soient son ancienneté et la taille de l'entreprise.

Sur l'indemnité de licenciement.

M. Claude X... ne peut à la fois arguer de la nullité du licenciement et revendiquer le bénéfice de l'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L. 122-32-6 du code du travail en cas de non-respect par l'employeur des dispositions du 4ème alinéa de l'article L. 122-32-5 du même code, qui ôte toute justification au licenciement mais ne le rend pas nul.
L'intéressé a perçu l'indemnité de licenciement à laquelle il était en droit de prétendre et ce chef de demande doit être rejeté.

Sur les dommages intérêts.

Dans le cadre de la présente instance, M. Claude X... est en droit de prétendre à la réparation intégrale du préjudice subi du fait de la rupture du contrat de travail et de la perte injustifiée de l'emploi qui en résulte mais ne peut réclamer l'indemnisation des conséquences de l'accident d'avion dont il a été victime.

Pour apprécier le préjudice indemnisable ensuite de la nullité du licenciement, la cour doit prendre en considération :
la durée effective de l'activité au service de la société, l'intéressé ayant volé en tout et pour tout environ six heures avant l'accident ; le bénéfice d'une pension de retraite de l'armée de l'air dont il n'a pas voulu justifier malgré une demande de communication de pièces ; l'exercice d'une activité (semble-t-il très ponctuelle) dans le domaine de l'assurance ; l'aptitude au pilotage qui lui était reconnue dès le mois de juin 2004 ; la reprise d'une activité de pilote dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter de février 2007, mais avec une diminution de sa rémunération ; un salaire effectif brut moyen de 4004 euros à la date de la rupture.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la cour est en mesure de fixer le préjudice indemnisable à la somme totale de 30 000 euros.
L'intimé ne démontre pas que les circonstances de la rupture aient été particulièrement brutales et vexatoires et qu'il puisse prétendre à une indemnisation spécifique à ce titre.

Sur les dépens.

Les dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile relatives à la distraction des dépens ne sont pas applicables à la procédure sans représentation obligatoire.

PAR CES MOTIFS.

La cour ;

Confirme le jugement rendu par la section agriculture du Conseil de Prud'hommes de Fort-de-France statuant en formation de départage en ce qu'il a retenu la nullité du licenciement ;
L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau ;
Condamne la société Banair SARL prise en la personne de son gérant en exercice à payer à M. Claude X... la somme de 30 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture, outre les intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2006, date de la convocation devant le bureau de conciliation valant demande en justice ;

Rejette les demandes incidentes plus amples et notamment celles en paiement d'une indemnité spéciale de licenciement et en dommages intérêts pour rupture abusive ;

Y ajoutant ;
Condamne la société Banair SARL à payer à M. Claude X... 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
La condamne aux dépens de première instance et d'appel.
Et ont signé le présent arrêt Monsieur Yves ROLLAND, Président et Monsieur Philippe BLAISE, Greffier
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Fort-de-France
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 08/00084
Date de la décision : 18/02/2009
Type d'affaire : Sociale

Analyses

TRAVAIL REGLEMENTATION, SANTE ET SECURITE - Services de santé au travail - Examens médicaux - Visite de reprise - Défaut - Portée

Conformément aux dispositions de l'article L. 241-1 devenu article L. 4621-1 du code du travail, les dispositions relatives aux "services de santé du travail", notamment à la visite médicale de reprise par le médecin de travail, sont applicables aux entreprises de transport aérien de marchandises, sans que celles du code de l'aviation civile puissent s'y substituer. Dès lors que le salarié, victime d'un accident du travail alors qu'il pilotait un avion, n'a jamais bénéficié d'une visite médicale de reprise auprès des services de la médecine du travail à l'issue de la période de suspension de son contrat de travail, son licenciement est nul, peu important la notification par le « conseil médical de l'aéronautique civile » de l'avis d'aptitude émis par le «centre d'expertise de médecine aéronautique » (CEMPN) compétent


Références :

ARRET du 30 novembre 2010, Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 30 novembre 2010, 09-66.210, Publié au bulletin
article L. 241-1 devenu article L. 4621-1 du code du travail

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Fort-de-France, 08 novembre 2007


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.fort-de-france;arret;2009-02-18;08.00084 ?
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