COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre des Libertés Individuelles
N° RG 24/01464 - N° Portalis DBVT-V-B7I-VVUU
N° de Minute : 1435
Ordonnance du vendredi 19 juillet 2024
République Française
Au nom du Peuple Français
APPELANT
M. [D] [B]
né le 06 Juillet 1993 à [Localité 1] (ALGERIE), de nationalité Algérienne
Actuellement retenu au centre de Rétention de [Localité 2]
dûment avisé, comparant en personne
assisté de Me Orlane REGODIAT, avocat au barreau de DOUAI, avocat commis d'office et de M. [K] interprète assermenté en langue arabe, tout au long de la procédure devant la cour, serment préalablement prêté ce jour
INTIMÉ
M. LE PREEFT DU NORD
dûment avisé, absent non représenté
PARTIE JOINTE
M. le procureur général près la cour d'appel de Douai : non comparant
MAGISTRAT DELEGUE : Céline MILLER, conseillère à la cour d'appel de Douai désigné par ordonnance pour remplacer le premier président empêché
assistée de Karine CAJETAN, Greffière
DÉBATS : à l'audience publique du vendredi 19 juillet 2024 à 15 h 00
ORDONNANCE : prononcée publiquement à Douai, le vendredi 19 juillet 2024 à
Le premier président ou son délégué,
Vu les articles L.740-1 à L.744-17 et R.740-1 à R.744-47 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et spécialement les articles R 743-18 et R 743-19 ;
Vu l'appel interjeté par Maître Maxence CLIQUENNOIS, avocat au barreau de Lille venant au soutien des intérêts de M. [D] [B] par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel de ce siège le 18 juillet 2024 à 15h20 sollicitant la main-levée du placement en rétention administrative ;
Vu l'audition des parties, les moyens de la déclaration d'appel et les débats de l'audience ;
EXPOSE DU LITIGE
M. [D] [B] né le 6 juillet 1993 à [Localité 1] (Algérie), de nationalité algérienne, a fait l'objet d'un placement en rétention administrative ordonné par M. Le préfet du Nord le 18 mai 2024 et notifié le même jour à 9h00 pour l'exécution d'une obligation de quitter le territoire français délivrée le 8 juin 2023 et notifiée le jour même par la même autorité.
Par décision rendue le 20 mai 2024, le juge des libertés et de la détention de Lille a rejeté la demande d'annulation du placement en rétention et ordonné la prolongation de la rétention administrative de M. [D] [B] pour une durée maximale de vingt-huit jours.
Par décision rendue le 17 juin 2024, confirmée par la cour d'appel de Douai le 19 juin 2024, le juge des libertés et de la détention de Lille a ordonné la prolongation de la rétention administrative de M. [D] [B] pour une durée maximale de trente jours.
- Vu l'article 455 du code de procédure civile,
- Vu l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lille en date du 17 juillet 2024 notifié à 18h01, ordonnant la troisième prolongation du placement en rétention administrative de l'appelant pour une durée de 15 jours,
- Vu la déclaration d'appel du 18 juillet 2024 à 15h20 sollicitant la main-levée du placement en rétention administrative.
Au soutien de sa déclaration d'appel, l'appelant soutient les moyens suivants en appel :
- l'absence de caractérisation de la menace à l'ordre public ;
- l'absence de perspectives de délivrance à bref délai d'un laissez-passer consulaire.
M. Le représentant de la préfecture n'a pas comparu ni formulé d'observations écrites.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de troisième prolongation pour une durée exceptionnelle de quinze jours
L'article L.742-5 1° du CESEDA dispose que :
« A titre exceptionnel, le juge des libertés et de la détention peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l'article L. 742-4, lorsqu'une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours :
1° L'étranger a fait obstruction à l'exécution d'office de la décision d'éloignement ;
2° L'étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d'éloignement :
a) une demande de protection contre l'éloignement au titre du 5° de l'article L. 631-3 ;
b) ou une demande d'asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3';
3° La décision d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé et qu'il est établi par l'autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.
Le juge peut également être saisi en cas d'urgence absolue ou de menace pour l'ordre public.
L'étranger est maintenu en rétention jusqu'à ce que le juge ait statué.
Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l'expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d'une durée maximale de quinze jours.
Si l'une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l'avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n'excède alors pas quatre-vingt-dix jours ».
Il convient de rappeler que lorsque la procédure se situe dans le cadre des articles précités et concerne une demande de troisième ou de quatrième prorogation exceptionnelle du placement en rétention administrative, il n'existe aucune obligation de justification d'une arrivée à 'bref délai' des documents et titres en attente pour exécuter l'éloignement dès lors que l'étranger a fait obstruction à la mesure d'éloignement dans les 15 jours précédents la demande, notamment par des demandes dilatoires d'asile ou de protection ; qu'en revanche, lorsqu'aucune obstruction ne peut être invoquée à l'encontre de l'étranger, une troisième prorogation exceptionnelle du placement en rétention administrative ne peut être ordonnée que si l'administration française est en mesure de justifier que les obstacles administratifs à la mise en 'uvre de l'éloignement peuvent être levés à ' bref délai' ; que le texte n'exige pas, pour la troisième prolongation, que la circonstance prévue par son septième aliéna corresponde à des faits commis dans les 15 derniers jours de la période précédente.
* Sur le trouble à l'ordre public
Pour l'application à la requête en troisième prolongation du dernier alinéa de l'article précité, créé par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, il appartient à l'administration de caractériser l'urgence absolue ou la menace pour l'ordre public.
La notion de menace pour l'ordre public, telle que prévue par le législateur, a pour objectif manifeste de prévenir, pour l'avenir, les agissements dangereux commis par des personnes en situation irrégulière sur le territoire national.
Dans ce contexte, la menace pour l'ordre public fait l'objet d'une appréciation in concreto, au regard d'un faisceau d'indices permettant, ou non, d'établir la réalité et la gravité des faits, la récurrence ou la réitération, et l'actualité de la menace selon le comportement de l'intéressé et, le cas échéant, sa volonté d'insertion ou de réhabilitation.
L'appréciation de cette menace doit prendre en considération les risques objectifs que l'étranger en situation irrégulière fait peser sur l'ordre public (ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat dont la jurisprudence peut inspirer le juge judiciaire dans un souci de sécurité juridique CE, Réf. N°389959, 7 mai 2015, ministre de l'Intérieur, B).
La commission d'une infraction pénale n'est pas de nature, à elle seule, à établir que le comportement de l'intéressé présenterait une menace pour l'ordre public, mais, surtout, cette menace doit être réelle à la date considérée.
En l'espèce, dans sa requête aux fins de prolongation, le préfet vise le critère d'urgence absolue ou de menace à l'ordre public prévu par l'alinéa 7 du texte précité, en précisant que l'intéressé a fait l'objet d'une condamnation par un jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 31 janvier 2022 à une peine de six mois d'emprisonnement pour des faits de violence aggravée par trois circonstances suivie d'incapacité n'excédant par huit jours et qu'il est défavorablement connu au Traitement des Antécédents Judiciaires (TAJ) pour des faits de violation de domicile.
Tout d'abord, c'est à juste titre que le premier juge a relevé que la consultation du TAJ était insuffisante à établir une menace à l'ordre public en l'absence d'indication sur le devenir des procédures concernées.
En revanche, c'est par une appréciation erronnée qu'il a estimé que la condamnation de l'intéressé, le 31 janvier 2022, par le tribunal correctionnel de Paris à la peine de six mois d'emprisonnement, peine qu'il a exécuté du 6 janvier 2024 au 18 mai 2024, suffisait à établir une menace à l'ordre public dès lors qu'elle était récente et qu'elle portait sur des faits d'atteinte aux personnes alors qu'il n'est fait état d'aucune autre condamnation de l'intéressé, que le juge correctionnel n'a pas estimé nécessaire d'assortir sa condamnation d'une interdiction du territoire français ni d'un mandat de dépôt et que l'exécution de la peine s'est déroulée sans aucun incident disciplinaire comme le démontre la fiche pénale de l'intéressé.
Le trouble à l'ordre public n'apparaît en l'espèce pas caractérisé.
* Sur les perspectives de délivrance à bref délai d'un laissez-passer consulaire
En l'espèce, il résulte de la procédure que l'autorité préfectorale a effectué de nombreuses démarches depuis février 2024 auprès des autorités consulaires algériennes, tunisiennes et marocaines, sans succès à ce jour ; que M. [B] n'a pas été reconnu de nationalité algérienne par les autorités consulaires alors qu'il se revendique de manière constance de cerre nationalité ; qu'aucun nouveau rendez-vous consulaire n'est prévu à ce jour ; qu'enfin, M. [B] n'a jamais fait obstruction à l'exécution de la décision d'éloignement.
Ainsi, s'il est établi que la décision d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé, il n'est pas établi par l'autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai, de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de troisième prolongation.
La décision entreprise sera infirmée et M. [D] [B] sera remis en liberté.
PAR CES MOTIFS
DÉCLARE l'appel recevable ;
INFIRME l'ordonnance entreprise ;
Statuant à nouveau,
REJETTE la demande de prolongation exceptionnelle de la rétention administrative de M.[D] [B] ;
ORDONNE la mise en liberté immédiate deM. [D] [B] ;
DIT que la présente ordonnance sera communiquée au ministère public par les soins du greffe ;
DIT que la présente ordonnance sera notifiée dans les meilleurs délais à l'appelant, à son conseil et à l'autorité administrative ;
Karine CAJETAN,
Greffière
Céline MILLER,
Conseillère
N° RG 24/01464 - N° Portalis DBVT-V-B7I-VVUU
REÇU NOTIFICATION DE L'ORDONNANCE DU 19 Juillet 2024 ET DE L'EXERCICE DES VOIES DE RECOURS :
Vu les articles 612 et suivants du Code de procédure civile et R743-20 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
Pour information :
L'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.
Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d'attente ou la rétention et au ministère public.
Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.
Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.
Reçu copie et pris connaissance le vendredi 19 juillet 2024 :
- M. [D] [B]
- l'interprète
- l'avocat de M. [D] [B]
- l'avocat de M. LE PREEFT DU NORD
- décision notifiée à M. [D] [B] le vendredi 19 juillet 2024
- décision transmise par courriel pour notification à M. LE PREEFT DU NORD et à Maître Orlane REGODIAT le vendredi 19 juillet 2024
- décision communiquée au tribunal administratif de Lille
- décision communiquée à M. le procureur général :
- copie à l'escorte, au Juge des libertés et de la détention de LILLE
Le greffier, le vendredi 19 juillet 2024
N° RG 24/01464 - N° Portalis DBVT-V-B7I-VVUU