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11/07/2024 | FRANCE | N°23/03228

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 11 juillet 2024, 23/03228


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 11/07/2024



****

N° de MINUTE : 24/226

N° RG 23/03228 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U73X



Jugement (N° 21/00383) rendu le 25 Mai 2023 par le tribunal judiciaire de Béthune





APPELANTS



Monsieur [D] [L]

né le [Date naissance 3] 1972 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 8]



Madame [J] [L] née [Y]

née le

[Date naissance 1] 1951 à [Localité 12]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 8]



Représentés par Me Stéphane Campagne, avocat au barreau de Béthune, avocat constitué



INTIMÉES



Madam...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 11/07/2024

****

N° de MINUTE : 24/226

N° RG 23/03228 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U73X

Jugement (N° 21/00383) rendu le 25 Mai 2023 par le tribunal judiciaire de Béthune

APPELANTS

Monsieur [D] [L]

né le [Date naissance 3] 1972 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 8]

Madame [J] [L] née [Y]

née le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 12]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 8]

Représentés par Me Stéphane Campagne, avocat au barreau de Béthune, avocat constitué

INTIMÉES

Madame [E] [V], es qualité de représentante légale de l'enfant mineur [R], [F], [A] [L] né le [Date naissance 4] 2008, ayant droit de [M] [L]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 7]

Défaillante, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 5 septembre 2023 à l'étude

SA BPCE VIE venant aux droits de la société BPCE PREVOYANCE en suite d'une scission intervenue, prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 9]

[Localité 10]

BPCE VIE prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 9]

[Localité 10]

Représentées par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistées de Me Olivia Rispal Chatelle, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

DÉBATS à l'audience publique du 10 avril 2024 tenue par Claire Bertin magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT RENDU PAR DÉFAUT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 18 mars 2024

****

EXPOSE DU LITIGE

1. Les faits et la procédure antérieure :

Par acte authentique du 1er juillet 2013, l'EURL [13] a souscrit un prêt professionnel de 234 000 euros au taux d'intérêt de 2,80% l'an.

Sa gérante, Mme [J] [Y] épouse [L] (Mme [Y]), et les deux fils de celle-ci, MM. [D] et [M] [L], se sont portés cautions solidaires à hauteur de 56 160 euros chacun du prêt consenti par la société Banque populaire du nord (BPN).

Le contrat de prêt professionnel précisait que l'emprunteur avait choisi de souscrire à une assurance décès, perte totale et irréversible d'autonomie, et incapacité de travail auprès de la société ABP vie, devenue BPCE vie, sur la tête de chacune des cautions à hauteur de 50% chacune.

Par jugement du 16 mars 2018, le tribunal de commerce d'Arras a ouvert la procédure de liquidation judiciaire de l'EURL [13], la SELARL Depreux Sébastien étant désignée comme mandataire liquidateur.

[M] [L] est décédé le [Date décès 2] 2019.

Par lettre du 18 décembre 2019, l'assureur a refusé de mettre en 'uvre la garantie décès à laquelle avait adhéré [M] [L], considérant que la déchéance du terme du prêt était intervenue le 5 avril 2018, et que le contrat d'assurance prévoyait à l'article 7.2 une fin de garantie à compter de ladite déchéance.

Considérant que l'assureur ne justifiait pas avoir porté à la connaissance de [M] [L] la clause qualifiée d'exclusion de garantie qu'il entendait opposer à celui-ci, Mme [Y] et M. [D] [L] (M. [L]) ont, par actes du 12 et 14 janvier 2021, fait assigner les sociétés BPCE vie et BPCE prévoyance, et Mme [E] [V] en qualité de représentante légale de son fils mineur [R] [L], ayant droit de [M] [L], devant le tribunal judiciaire de Béthune pour exercer l'action oblique tenue par la succession à l'égard de l'assureur par suite du paiement intégral de la dette bancaire par la caution, M. [L].

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 25 mai 2023, le tribunal judiciaire de Béthune a :

1. constaté que Mme [Y] et M. [L] déclaraient spontanément au tribunal la constitution de la SELARL Cabinet Altura, prise en la personne de Maître [T] [H], au soutien de leurs intérêts, mention initialement omise en page 1 de leurs deux assignations délivrées le 12 et 14 janvier 2021 ;

2. dit qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner une mesure d'instruction consistant en une expertise graphologique aux fins d'examiner les originaux des pièces numérotées 2 et 3 figurant au dossier des compagnies d'assurances défenderesses, telle que formulée par Mme [Y] et M. [L] ;

3. débouté Mme [Y] et M. [L] de l'ensemble de leurs demandes ;

4. dit qu'ils supporteront seuls les entiers dépens de l'instance ainsi que leurs frais irrépétibles ;

5. les a condamnés in solidum à payer aux assureurs BPCE prévoyance et BPCE vie la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

6. rappelé que le jugement bénéficiait de l'exécution provisoire de plein droit.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 12 juillet 2023, Mme [Y] et M. [L] ont formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de ce jugement en limitant leur contestation aux seuls chefs du dispositif numérotés 2 ; 3 ; 4 ; et 5 ci-dessus.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 25 septembre 2023, Mme [Y] et M. [L] demandent à la cour de :

- réformer le jugement critiqué en ce qu'il :

. a dit qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner une mesure d'instruction consistant en une expertise graphologique aux fins d'examiner les originaux des pièces numérotées 2 et 3 figurant au dossier des compagnies d'assurances défenderesses, telle que formulée par leurs soins ;

. les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes ;

. a dit qu'ils supporteront seuls les entiers dépens de l'instance ainsi que leurs frais irrépétibles ;

. les a condamnés in solidum à payer aux assureurs BPCE prévoyance et BPCE vie la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- statuant à nouveau, les juger recevables et bien fondés en leur appel, demandes et conclusions ;

- avant dire droit si le juge l'estime nécessaire, ordonner une mesure d'expertise graphologique, et désigner tel expert qu'il plaira avec mission de :

. se faire remettre l'original de la demande d'adhésion de [M] [L] aux contrats d'assurance N0501 et N0502 BPCE prévoyance et BPCE vie ;

. se faire remettre des exemplaires et notamment authentifiés de signature de [M] [L] ;

. procéder à la comparaison des exemplaires de signature de [M] [L] ;

. donner son avis sur la question de savoir si la signature apposée sur la demande d'adhésion aux contrats d'assurance N0501 et N0502 BPCE prévoyance et BPCE vie est ou n'est pas de la main de [M]

[L] ;

. du tout dresser rapport après avoir déposé un pré-rapport aux termes duquel les parties auront bénéficié d'un délai de 15 jours minimum pour faire valoir leurs observations récapitulatives ;

- statuer ce que de droit quant à la première consignation ;

- sursoir à statuer sur les autres demandes, dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise ;

- au fond, " juger de l'absence de clause résultant à une fin des garanties

d'assurance " ;

- juger à tout le moins que la clause invoquée par l'assureur est inopposable pour ne pas avoir été portée à la connaissance des assurés ;

- juger que [M] [L] bénéficiait de la garantie de son contrat souscrit auprès de BPCE assurances et BPCE vie d'assurance décès/perte totale irréversible autonomie/incapacité de travail souscrits auprès de ABP vie ;

- les juger bien fondés à exercer l'action récursoire sur le fondement de l'article 1341-1 du code civil ;

- condamner solidairement les sociétés BPCE vie et BPCE vie venant aux droits de BPCE prévoyance, à leur payer la somme de 60 131,71 euros, avec intérêts au taux légal à compter du courrier recommandé avec accusé de réception du 5 juin

2019 ;

- ordonner la capitalisation annuelle des intérêts ;

- condamner solidairement les sociétés BPCE vie et BPCE vie venant aux droits de BPCE prévoyance à verser à chacun des demandeurs la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement les sociétés BPCE vie et BPCE vie venant aux droits de BPCE prévoyance aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel ;

- débouter les sociétés BPCE vie et BPCE vie venant aux droits de BPCE prévoyance de l'intégralité de leurs demandes, fins, et conclusions supplémentaires ou contraires.

A l'appui de leurs prétentions, Mme [Y] et M. [L] font valoir que :

- une partie du débat consiste à trancher l'opposabilité d'une clause contractuelle qui, selon l'assureur, aurait eu pour effet par suite de la liquidation judiciaire d'entraîner la résolution des contrats d'assurance ;

- il appartient à l'assureur de démontrer que la clause d'exclusion de garantie a été valablement portée à la connaissance de l'assuré ;

- la signature apposée sur le certificat d'adhésion n'est pas celle de [M] [L], de sorte que la clause d'exclusion excipée par l'assureur n'est pas opposable à l'action oblique ici exercée ;

- ils ont appelé en la cause l'héritier de [M] [L] ;

- M. [L] a réglé à la banque la fraction du prêt due au titre de l'engagement de caution de [M] [L] ; ils sont donc créanciers de la succession, qui n'exerce pas son action contre l'assureur ;

- sur le fondement de l'article 1341-1 du code civil, ils sont recevables à exercer, pour le compte de la succession de [M] [L], leur action récursoire contre l'assureur pour recouvrer les sommes qui n'ont pas été versées au titre des garanties incapacité de travail et décès ;

- c'est la succession de [M] [L] qui est créancière de la garantie assurance décès de ce dernier à l'égard de l'assureur ;

- le décompte de la créance de la société BPN arrêté au 1er décembre 2020 montre que M. [L] lui a réglé au total la somme de 81 996,73 euros au titre du prêt professionnel consenti à l'EURL [13] ;

- l'assureur entend leur opposer, par suite de la liquidation judiciaire de l'emprunteur, la déchéance informatique automatique du terme du prêt, telle qu'elle résulte du système d'exploitation du prêteur ;

- or seule une lettre recommandée avec accusé de réception peut provoquer la déchéance du terme du prêt à l'égard de l'emprunteur ;

- l'assureur affirme de mauvaise foi que les garanties décès et incapacité de travail avaient cessé avant le sinistre ;

- il n'existe pas de lien contractuel entre la liquidation judiciaire d'un emprunteur et la garantie décès souscrite par une caution personne physique ;

- la déchéance du terme résultant de la liquidation judiciaire n'a d'effet qu'à l'égard du débiteur principal sans pouvoir être étendue à la caution, à défaut de clause contraire ;

- ils relèvent que la demande d'adhésion du 13 juin 2013 aux contrats N0501 et N0502, attribuée à [M] [L], porte une date de naissance erronée et une signature qu'ils contestent, et fournissent à cet égard plusieurs documents de comparaison ;

- le contrat d'assurance incapacité de travail et décès est applicable, et l'assureur doit régler une indemnité d'assurance égale à 50% des sommes dues, soit 60 131,71 euros (1/2 x (107 001,15 + 13 2562,27)), le décompte de la créance bancaire montrant des paiements à hauteur de 107 001,15 euros et un solde restant dû de 13 262,27 euros ;

- l'action oblique est recevable, le cofidéjusseur ayant désintéressé le créancier a droit de recevoir la part incombant au codébiteur caution.

4.2. Aux termes de ses conclusions notifiées le 26 décembre 2023, la société BPCE vie, en personne et venant aux droits de la société BPCE prévoyance, intimée et appelante incidente, demande à la cour, au visa de l'article 1134 ancien du code civil, de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [Y] et M. [L] de l'intégralité de leurs demandes, en ce compris l'expertise ;

- rejeter toutes autres demandes formées en cause d'appel ;

- si par impossible la cour entrait en voie de condamnation, dire que toute indemnisation interviendra dans le respect des dispositions contractuelles ;

- dire que toute indemnisation devra intervenir entre les mains de l'organisme prêteur, bénéficiaire contractuel de la garantie, non partie à la procédure, à charge pour elle de restituer les sommes indues ;

- en tout état de cause, condamner in solidum Mme [Y] et M. [L] à payer à la société BPCE vie la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner en tous les dépens, en ce compris les frais d'expertise.

A l'appui de ses prétentions, la société BPCE vie, en personne et venant aux droits de la société BPCE prévoyance fait valoir que :

- si M. [L] et Mme [Y] disposent d'un droit propre et direct contre l'assureur, ils puisent néanmoins ce droit dans le contrat souscrit entre le souscripteur, la société BPN, et elle-même ;

- dès lors, l'existence et l'étendue de leur créance sont déterminées par la police d'assurance et elle seule ;

- la notice d'information est opposable à [M] [L] qui l'a acceptée en y apposant sa signature le 13 juin 2013 ;

- les articles 7.2 et 9.4 de la notice d'information N0501 et N0502 stipulent que les garanties cessent à la date de déchéance du terme ;

- la liquidation judiciaire a été prononcée le 16 mars 2018 ; la déchéance du terme du prêt a pris effet informatiquement le 5 avril 2018, et l'arrêt de travail de [M] [L] est survenu postérieurement le 18 juin 2018, et son décès le [Date décès 2] 2019 ;

- les garanties avaient donc cessé avant même les sinistres ;

- les clauses de cessation des garanties à la date de déchéance du terme du prêt sont valides ;

- c'est par erreur que son gestionnaire d'assurance CBP solutions retient, dans une lettre du 15 octobre 2019 adressée à M. [L], une date de déchéance du terme au 19 juin 2018 ;

- selon l'article L. 643-1 du code de commerce, le jugement qui prononce une liquidation judiciaire rend exigible les créances non échues, et le capital restant dû au titre du prêt professionnel devient immédiatement exigible ;

- le fait que les créanciers ne puissent pas actionner une caution lors de l'ouverture d'une liquidation judiciaire est sans rapport avec le litige ;

- le prêt est devenu exigible en application des dispositions de l'article L. 643-1 précité, et des stipulations contractuelles, qui prévoient la cessation des garanties à la date de déchéance du terme, le contrat d'assurance de groupe afférent audit prêt a alors disparu ;

- la comparaison des signatures de [M] [L] portées sur les divers documents ne laisse planer aucun doute raisonnable sur une prétendue falsification de signature ;

- pour évaluer le montant de l'indemnisation qu'ils réclament, les appelants ne tiennent aucun compte des dispositions contractuelles, et notamment pas de la définition de la garantie incapacité de travail, qui suppose d'être " dans l'impossibilité absolue constatée par le médecin conseil de l'assureur d'exercer son activité professionnelle, même partiellement ", ni du délai de franchise de 90 jours, ni de la quotité d'assurance fixée à 50%, ni du bénéficiaire de la garantie, à savoir la banque non partie à la procédure.

4.3. Mme [E] [V] en qualité de représentante légale de l'enfant mineur [R] [L], ayant droit de [M] [L], régulièrement intimée, n'a pas constitué avocat en cause d'appel.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, sur la recevabilité de l'action oblique, l'article 1341-1 du code civil dispose que lorsque la carence du débiteur dans l'exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial compromet les droits de son créancier, celui-ci peut les exercer pour le compte de son débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne.

L'exercice de l'action oblique par les cautions, co-débitrices solidaires, suppose la carence et l'inaction de l'ayant droit de l'assuré, qui s'abstient de réclamer son dû à l'assureur et compromet ainsi les droits de ses propres créanciers.

À la différence de l'action directe, le créancier agissant par voie oblique intervient du chef de son débiteur afin de reconstituer le patrimoine de ce dernier.

La société BPCE vie ne conteste pas la recevabilité de l'action oblique intentée par Mme [Y] et M. [L], mais son bien fondé

En l'espèce, la carence de l'ayant droit de [M] [L], qui n'a entrepris aucune diligence dans la réclamation de son dû à l'assureur, justifie que les cautions du prêt professionnel, qui ont réglé au prêteur, pour partie en lieu et place du défunt, la somme de 81 996,73 euros suivant décompte du solde du prêt arrêté au 1er décembre 2020, soient recevables à agir, par la voie oblique, contre l'assureur du défunt en exécution du contrat d'assurance qui les lie.

Sur la demande d'expertise graphologique

Conformément à l'article 232 du code de procédure civile, le juge peut commettre toute personne de son choix pour l'éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien.

En application des articles 263 à 284-1 du code de procédure civile, le juge peut autoriser le recours à l'expertise dans les cas où des constatations ou une consultation ne peuvent suffire à éclairer le juge.

Aux termes de l'article 1373 du code civil, la partie à laquelle on l'oppose peut désavouer son écriture ou sa signature. Les héritiers ou ayants cause d'une partie peuvent pareillement désavouer l'écriture ou la signature de leur auteur, ou déclarer qu'ils ne les connaissent. Dans ces cas, il y a lieu à vérification d'écriture.

Aux termes de l'article 288 du code de procédure civile, il appartient au juge de procéder à la vérification d'écriture au vu des éléments dont il dispose après avoir, s'il y a lieu, enjoint aux parties de produire tous documents à lui comparer et fait composer, sous sa dictée, des échantillons d'écriture. Dans la détermination des pièces de comparaison, le juge peur retenir tous documents utiles provenant de l'une des parties, qu'ils aient été émis ou non à l'occasion de l'acte litigieux.

Suivant acte notarié du 1er juillet 2013, l'EURL [13] a souscrit auprès de la BPN un prêt professionnel de 234 000 euros afin d'acquérir un fonds de commerce de café brasserie restaurant (pièce 1 des appelants).

En pages 22 et 23 de l'acte, la gérante, Mme [Y], et ses deux fils, MM. [D] et [M] [L], se sont portés cautions personnelles solidaires et indivisibles du prêt consenti par la BPN, chacun à hauteur de 56 160 euros, avec renonciation aux bénéfices de discussion et de division.

Le contrat de prêt professionnel a précisé que l'emprunteur avait choisi de souscrire à une assurance décès, perte totale et irréversible d'autonomie, et incapacité de travail auprès de la société ABP vie, devenues BPCE vie, sur la tête de chacune des trois cautions à hauteur de 50% chacune (pièce 2 des appelants).

Suivant acte sous seing privé du 13 juin 2013, [M] [L] en sa qualité de caution a demandé aux sociétés BPCE vie et BPCE prévoyance son adhésion au contrat d'assurance de groupe N0501 afin de garantir le remboursement du prêt professionnel en cas de décès, perte totale et irréversible d'autonomie, et incapacité de travail (pièce 2 de l'intimée).

Il a le même jour renseigné un questionnaire de santé en répondant " NON " à l'ensemble des questions qui lui étaient posées (pièce 3 de l'intimée).

Les appelants contestent la signature de [M] [L] portée sur ces deux documents contractuels, et sollicitent la mise en 'uvre d'une expertise graphologique.

Le juge peut vérifier personnellement la similitude des signatures par simple comparaison des signatures apposées sur différents documents.

Au soutien de leur contestation, les appelants produisent divers éléments de comparaison :

- la signature de [M] [L] figurant en page 36 de l'acte authentique de cession du fonds du 1er juillet 2013 (pièce 1 des appelants) ;

- la signature figurant sur son passeport délivré le 21 février 2012 (pièce 17 des appelants) ;

- la signature figurant sur une formule de chèque non remplie (pièce 18 des appelants) ;

- la signature figurant sur deux mandats de vente régularisés le 19 avril 2018 et 10 juillet 2018 (pièces 19 et 20 des appelants) ;

- la signature figurant sur un extrait de bail commercial authentique du 23 avril 2002 (pièce 21 des appelants).

La comparaison des signatures prétendument litigieuses portées sur la demande d'adhésion et le questionnaire de santé, et avec celles attribuées à [M] [L] figurant sur les pièces sus-décrites, montre de façon suffisante que la graphie est bien similaire, et que ces documents sont signés de la même main.

A ce stade de la procédure civile, il relève du pouvoir discrétionnaire du juge d'apprécier l'opportunité et l'utilité d'une mesure d'instruction ou de consultation. Celui-ci n'est en principe pas tenu d'ordonner une telle mesure en cas d'insuffisance des éléments fournis par les parties.

Plus de dix ans après la régularisation de l'acte, alors que les parties ne contestent finalement pas la volonté de [M] [L] en 2013 d'adhérer au contrat d'assurance groupe pour garantir son engagement de caution, la cour attribue les actes litigieux, bien que désavoués par les proches de la caution défunte, à cette dernière.

L'ensemble des vérifications permet de conclure à la véracité de la signature et à la sincérité des documents contractuels régularisés le 13 juin 2013, sans qu'il soit besoin d'ordonner avant dire droit une mesure d'expertise graphologique, et peu important que les cases préremplies de la demande d'adhésion portent une date de naissance erronée et non rectifiée, à savoir le 19-09-1981 au lieu du 17-09-1981.

Sur l'opposabilité de la notice d'information

Dans sa demande d'adhésion au contrat assurance groupe N0501 renseignée le 13 juin 2013, [M] [L] déclare notamment " avoir reçu, ce jour, la notice d'information des contrats d'assurance de groupe N501 et N0502 et en avoir pris connaissance, notamment de l'objet, du contrat, des conditions et exclusions des garanties, et des limitations d'indemnisation, et en accepter tous les termes ".

En outre, le gestionnaire d'assurance, la société CBP solutions, lui a adressé un courrier le 15 juin 2013, acquiesçant à sa demande d'adhésion n°5091430, et lui indiquant " vous êtes accepté dans l'assurance aux conditions du contrat " au titre de la garantie décès, perte totale et irréversible d'autonomie, et incapacité de travail.

Il s'ensuit que la notice d'information, claire et précise remise à l'adhérent lors de son adhésion, et portant sur l'étendue de ses droits et obligations, peut valablement lui être opposée par l'assureur.

Sur le droit à garantie

Aux termes de l'article L. 643-1 du code de commerce, dans sa version applicable au présent litige, le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire rend exigibles les créances non échues. Toutefois, lorsque le tribunal autorise la poursuite de l'activité au motif que la cession totale ou partielle de l'entreprise est envisageable, les créances non échues sont exigibles à la date du jugement statuant sur la cession ou, à défaut, à la date à laquelle le maintien de l'activité prend fin. [']

Les clauses 7.2 et 9.4 de la notice d'information, intitulées " fin de la garantie et des prestations ", sont des clauses définissant le périmètre de la garantie, et non des clauses d'exclusion de garantie ; elles stipulent que les garanties décès et incapacité de travail cessent ['] " au terme normal ou anticipé de chaque prêt, à la date d'exigibilité de chaque prêt, à la date de déchéance du terme ['] ".

La liquidation judiciaire de l'EURL [13] a été prononcée par jugement du tribunal de commerce d'Arras rendu le 16 mars 2018, sans qu'il soit autorisé de poursuite d'activité ni envisagé de cession de l'entreprise.

Par lettre du 1er juillet 2019, la BPN a indiqué au gestionnaire d'assurance, la société CBP France, que la déchéance du terme du prêt professionnel souscrit par l'EURL [13] était consécutive au prononcé de la liquidation judiciaire, que " le prêt [avait] été déchu informatiquement le 5 avril 2018 ", et que le capital restant dû au 16 mars 2018 s'élevait à la somme de 99 326,36 euros (pièce 5 de l'intimée).

Il s'en déduit que la déchéance du terme du prêt professionnel a été prononcée par le prêteur le 5 avril 2018 par suite du prononcé de la liquidation judiciaire de l'emprunteur.

En effet, au paragraphe intitulé " cautions " figurant en page 23 de l'acte notarié de cession du 1er juillet 2013, il a été " en outre convenu que toute déchéance des termes d'exigibilité s'appliquera à la caution comme au débiteur principal, sans mise en demeure préalable ".

C'est par erreur que le gestionnaire d'assurance, la société CBP France, retient, dans une lettre du 15 octobre 2019 adressée à M. [L], une date de déchéance du terme au 19 juin 2018 (pièce 6 de l'intimée), alors que le capital restant dû était devenu immédiatement exigible en application de l'article L.643-1 précité, et que le prêteur avait consécutivement enregistré la déchéance du terme du prêt professionnel au 5 avril 2018.

Alors qu'une clause contractuelle claire et précise prévoyait la cessation des garanties en cas d'exigibilité du prêt avant terme, la cour retient que les garanties incapacité du travail et décès, prévues par le contrat auquel avait adhéré [M] [L], avaient pris fin à la date de la déchéance du terme prononcée par la banque, avant même la survenance des sinistres allégués, l'adhérent ayant été placé en arrêt de travail le 18 juin 2018, et étant décédé le [Date décès 2] 2019.

En conséquence, le jugement dont appel est confirmé en ce qu'il a purement et simplement débouté M. [L] et Mme [Y] de leur action oblique dirigée contre l'assureur.

Il s'ensuit que les plus amples demandes des parties sont sans objet.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement dont appel sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance.

M. [L] et Mme [Y] qui succombent sont condamnés in solidum aux entiers dépens d'appel.

Le sens de l'arrêt et l'équité conduisent la cour à condamner in solidum Mme [Y] et M. [L] à payer à la société BPCE vie, en personne et venant aux droits de la société BPCE prévoyance, la somme de 1 500 euros à titre d'indemnité de procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 mai 2023 par le tribunal judiciaire de Béthune,

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs plus amples prétentions ;

Condamne in solidum M. [D] [L] et Mme [J] [Y] épouse [L] aux dépens d'appel ;

Les condamne en outre in solidum à payer à la société BPCE vie, en personne et venant aux droits de la société BPCE prévoyance, la somme de 1 500 euros à titre d'indemnité de procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier

Fabienne DUFOSSÉ

Le président

Guillaume SALOMON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 23/03228
Date de la décision : 11/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-11;23.03228 ?
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