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11/07/2024 | FRANCE | N°23/01244

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 11 juillet 2024, 23/01244


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 11/07/2024



****





N° de MINUTE :24/229

N° RG 23/01244 - N° Portalis DBVT-V-B7H-UZVS



Jugement (N° 21/00493) rendu le 07 Février 2023 par le tribunal judiciaire d'Avesnes sur Helpe





APPELANTE



Compagnie d'assurance Relyens (précédemment dénommée Sham) prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité

3]



Représentée par Me Jean-François Segard, avocat au barreau de Lille, avocat constitué



INTIMÉE



Etablissement Public ONIAM représenté par son Directeur en exercice

[Adresse 7]

[Localité 4]...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 11/07/2024

****

N° de MINUTE :24/229

N° RG 23/01244 - N° Portalis DBVT-V-B7H-UZVS

Jugement (N° 21/00493) rendu le 07 Février 2023 par le tribunal judiciaire d'Avesnes sur Helpe

APPELANTE

Compagnie d'assurance Relyens (précédemment dénommée Sham) prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jean-François Segard, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉE

Etablissement Public ONIAM représenté par son Directeur en exercice

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représenté par Me Nicolas Delegove, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, assisté de Me Sylvie Welsch, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant substitué par Me Ansiau Maxime Ebersolt, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 04 avril 2024 après rapport oral de l'affaire par Claire Bertin

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2024 après prorogation du délibéré du 04 juillet 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 18 mars 2024

****

EXPOSE DU LITIGE

1. Les faits et la procédure antérieure :

Le 18 novembre 2014, [V] [W] consultait le médecin remplaçant de M. [K], gynécologue libéral au sein de la clinique du [8], qui réalisait un frottis pour rechercher d'éventuelles lésions.

Recevant les résultats du frottis, M. [K] prévoyait de revoir la patiente pour biopsie compte tenu de la présence d'une lésion épithéliale de haut grade, mais celle-ci n'était pas reconvoquée pour réaliser cet examen complémentaire.

Courant février-mars 2015, [V] [W] présentait des douleurs pelviennes avec brûlures urinaires. Au cours d'un examen gynécologique réalisé en juillet 2015, le médecin traitant retrouvait une anomalie au niveau vaginal, et adressait sa patiente à M. [K].

Lors de l'examen clinique du 6 août 2015, M. [K] constatait la lésion vaginale et procédait, le 12 août suivant, à l'ablation d'une tuméfaction latéro-cervicale droite. L'examen anatomopathologique qui s'est ensuivi révélait la présence d'un carcinome épidermoïde moyennement différencié au niveau de la lésion.

Le 17 septembre 2015, lors d'une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) au centre Oscar Lambret après bilan radiologique, l'équipe médicale concluait à une lésion du col utérin de 6 centimètres de diamètre. Le 25 septembre 2015, [V] [W] bénéficiait d'un curage lombo-aortique sous coelioscopie, puis débutait le 26 octobre 2015 une radio-chimiothérapie, qui était complétée par une curiethérapie à compter de décembre 2015.

Le 9 novembre 2016, une imagerie par résonance magnétique (IRM) mettait en évidence un lymphocèle avec augmentation du volume du membre inférieur gauche et une dilatation pyélocalicielle bilatérale. Le 2 juin 2017, une sonde urinaire « en double J » était posée à gauche compte tenu de l'aggravation de l'hydronéphrose avec retentissement fonctionnel rénal.

Le 9 mars 2017, [V] [W] saisissait la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) de la région Nord-Pas-de-Calais d'une demande d'indemnisation de son préjudice.

Désigné en qualité d'expert par la CCI, M. [J], chirurgien gynécologue, déposait son rapport le 9 août 2017, retenant un retard de diagnostic du cancer du col de l'utérus qui, diagnostiqué à un stade plus précoce, aurait été traité de manière moins lourde ; l'état de la patiente n'était pas consolidé.

Le 29 août 2017, par suite de la réapparition des douleurs pelviennes et de l'augmentation du marqueurs tumoraux SCC spécifiques du carcinome épidermoïde, un examen sous anesthésie générale montrait une récidive profonde avec lésion para-vertébrale au contact du nerf sciatique.

Le 19 octobre 2017, l'équipe du centre Oscar Lambret, après réunion de concertation pluridisciplinaire, décidait d'un traitement par chimiothérapie auquel la patiente ne répondait pas favorablement ; son état de santé se dégradait début 2018, et nécessitait une orientation en soins palliatifs à compter du 28 mars 2018.

Suivant avis du 25 janvier 2018, la CCI considérait que la responsabilité de M. [K] était engagée à hauteur d'une perte de chance de 85% d'éviter la progression du cancer.

[V] [W] décédait des suites de sa pathologie le [Date décès 2] 2018.

Par suite du décès de son épouse, M. [X] [W] saisissait à nouveau la CCI, qui confiait une nouvelle mission d'expertise à M. [J]. Dans son rapport du 9 mars 2019, celui-ci indiquait que le décès était en lien avec le retard de diagnostic du cancer, et évaluait les postes de préjudice subis par [V] [W] de son vivant, ainsi que ceux subis par son mari et ses ayants droit.

Dans un second avis du 10 juillet 2019, la CCI considérait que le décès de [V] [W] était en lien avec le retard de diagnostic du cancer du col de l'utérus et que l'indemnisation des ayants droit incombait à l'assureur de M. [K] au titre d'une perte de chance d'éviter la progression du cancer évaluée à 85%.

Refusant de suivre l'avis de la CCI, la Société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM) n'a pas présenté d'offre d'indemnisation à M. [W], qui a saisi l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes, et des infections nosocomiales (ONIAM), sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, d'une demande de substitution à l'assureur défaillant, ce dont la SHAM a été avisée par l'ONIAM par courrier du 25 février 2020.

L'ONIAM s'est ainsi substitué à la SHAM, et trois protocoles d'indemnisation ont été acceptés et signés le 31 juillet 2020 par M. [W] :

- un protocole d'indemnisation transactionnelle pour un montant de 35 323,88 euros ;

- un protocole d'indemnisation transactionnelle pour un montant de 36 303,50 euros ;

- un protocole d'indemnisation transactionnelle accepté par M. [X] [W] pris en sa qualité de représentant légal de sa fille, [L] [W], pour un montant de 32 053,50 euros.

Pour recouvrer la somme de 103 680,88 euros versée en substitution de l'assureur de M. [K], l'ONIAM a émis les titres exécutoires suivants à l'encontre de la SHAM :

- le titre 2020-1041 émis le 4 septembre 2020 à hauteur de 71 627,38 euros ;

- le titre 2021-311 émis le 11 mars 2021 à hauteur de 32 053,50 euros.

Par acte du 17 novembre 2020, la SHAM a fait assigner l'ONIAM devant le tribunal judiciaire d'Avesnes-sur-Helpe aux fins notamment d'annulation du titre exécutoire n°2020-1041 émis à son encontre le 4 septembre 2020 et, à titre subsidiaire, de juger que la responsabilité de M. [K] était engagée au titre d'une perte de chance d'éviter la progression de la maladie qui ne pouvait être supérieure à 25%, et de voir en conséquence limiter la somme susceptible d'être remboursée à l'ONIAM à un montant de 18 352,44 euros.

Par arrêt du 16 décembre 2021, la cour d'appel de Douai a infirmé l'ordonnance rendue le 19 février 2021 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'Avesnes-sur-Helpe, qui avait retenu l'exception d'incompétence territoriale soulevée au profit du tribunal judiciaire de Bobigny, a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par l'ONIAM, et déclaré le tribunal judiciaire d'Avesnes-sur-Helpe compétent pour statuer.

Par acte du 1er avril 2021, la SHAM a fait assigner l'ONIAM devant le tribunal judiciaire d'Avesnes-sur-Helpe aux fins notamment de statuer sur le bien-fondé du titre exécutoire n°2021-311 émis le 11 mars 2021, et de juger que la responsabilité de M. [K] était engagée au titre d'une perte de chance d'éviter la progression de la maladie qui ne pouvait être supérieure à 25%, et limiter la somme susceptible d'être remboursée à l'ONIAM à un montant de 8 013,37 euros.

La jonction des procédures a été ordonnée par ordonnance du 1er avril 2022.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 7 février 2023, le tribunal judiciaire d'Avesnes-sur-Helpe a :

dit que la perte de chance de [V] [W] était de 85% ;

condamné la SHAM à payer à l'ONIAM la somme de 97 129,50 euros en remboursement des indemnisations versées à M. [W] et à [L] [W] à la suite du décès de [V] [W] ;

dit que cette somme produira intérêt au taux légal à compter du 17 novembre 2020 ;

ordonné la capitalisation des intérêts ;

condamné la SHAM à verser à l'ONIAM une pénalité de 14 569,42 euros sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;

débouté l'ONIAM de sa demande de remboursement des frais d'expertise ;

dit n'y avoir lieu à rejeter les demandes d'annulation des titres n°2020-1041 et n°2021-311 en l'absence de demande de la SHAM en ce sens ;

dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens ;

dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 13 mars 2023, la société Relyens précédemment dénommée SHAM a formé appel partiel de ce jugement, dans des conditions de forme et de délai non contestées, en limitant sa contestation aux seuls chefs du dispositif numérotés 1, 2, 3, 4, et 5 ci-dessus.

4. Les prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 30 novembre 2023, la société Relyens, précédemment dénommée SHAM, demande à la cour de :

- infirmer le jugement critiqué en ce qu'il a :

jugé que le taux de perte de chance pour [V] [W] d'éviter la progression de la maladie devait être évalué à 85% ;

l'a condamnée à verser à l'ONIAM une somme de 97 129,50 euros en remboursement des indemnisations versées à M. [W] et [L] [W] à la suite du décès de [V] [W], et une pénalité de 14 569,42 euros en application de l'article L 1142-15 du code de la santé publique ;

dit que cette somme produira intérêt au taux légal à compter du 17 novembre 2020 avec capitalisation des intérêts ;

- en conséquence, juger que la responsabilité de M. [K] est engagée au titre d'une perte de chance de survie évaluée à 25% et limiter la somme susceptible d'être remboursée à l'ONIAM à un montant de 28 566,50 euros ;

- rejeter les demandes de l'ONIAM quant à la pénalité prévue par l'article L. 1142-15 précité, aux intérêts, à la capitalisation, et aux frais d'expertise ;

- rejeter l'appel incident de l'ONIAM ;

- en cause d'appel, condamner l'ONIAM à lui verser une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700, ainsi qu'en tous les frais et dépens d'appel.

A l'appui de ses prétentions, la société Relyens, précédemment dénommée SHAM, fait valoir que :

- elle ne conteste pas le retard de diagnostic de la maladie cancéreuse par M. [K], mais considère que la CCI et le tribunal ont interprété de façon erronée le rapport de l'expert [J] ;

- si la maladie avait été prise en charge et traitée en novembre 2014 lors de son évaluation au stade IB1, la patiente aurait pu bénéficier d'une hystérectomie sans radiothérapie ni chimiothérapie ;

- neuf mois plus tard en août 2015, la pathologie avait évolué au stade IIB, et la prise en charge a nécessité un curage lombo-aortique avec radio-chimiothérapie, puis une curiethérapie ;

- la perte de chance indemnisable est caractérisée par une perte de chance de survie qui s'amenuise entre novembre 2014 (à cette date, la chance de survie à 5 ans est de 80 à 85% selon l'expert) et août 2015 (à cette date, la chance de survie à 5 ans est de 55 à 60%) ; il s'en déduit une perte de chance de survie qui ne peut excéder 25% ;

- M. le docteur [C] considère, compte-tenu des éléments figurant dans le rapport d'expertise et des données de la littérature médicale, que la dégradation du pronostic vital entre le stade IB1 et IIB correspond à un ratio voisin de 1,2, et donc à une perte de chance de survie de 20%.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 3 novembre 2023, l'ONIAM, intimé et appelant incident, demande à la cour, au visa des articles L. 1142-1 et L. 1142-15 du code de la santé publique, de :

- déclarer la société Relyens mal fondée en son appel ;

- constater l'absence de demande d'annulation des titres exécutoires 2020-1041 et 2021-311 émis par l'ONIAM ;

- en conséquence, débouter la société Relyens de l'ensemble de ses demandes ;

- confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a :

dit que la perte de chance de [V] [W] était de 85% ;

dit que cette somme produira intérêt au taux légal à compter du 17 novembre 2020 ;

ordonné la capitalisation des intérêts ;

dit n'y avoir lieu à rejeter les demandes d'annulation des titres n°2020-1041 et n°2021-311 en l'absence de demande de la SHAM en ce sens ;

- le recevoir en son appel incident et le déclarer bien fondé ;

- infirmer le jugement critiqué en ce qu'il a :

condamné la SHAM à lui payer la somme de 97 129,50 euros en remboursement des indemnisations versées à M. [W] et à [L] [W] à la suite du décès de [V] [W] ;

condamné la SHAM à lui verser une pénalité de 14 569,12 euros sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;

l'a débouté de sa demande de remboursement des frais d'expertise ;

statuant à nouveau,

- condamner la société Relyens à lui régler la somme de 103 680,88 euros en remboursement des indemnisations versées à M. [W] en substitution de l'assureur ;

- condamner la société Relyens à lui payer les intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2020 sur la somme de 103 680,88 euros avec capitalisation ;

- condamner la société Relyens à lui verser la somme de 15 552,13 euros à titre de pénalité prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique correspondant à 15% de la somme de 103 680,88 euros ;

- condamner la société Relyens à lui rembourser les honoraires versés à l'expert amiable à hauteur de 700 euros ;

en tout état de cause,

- condamner la société Relyens à lui régler la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Relyens aux entiers dépens.

A l'appui de ses prétentions, l'ONIAM fait valoir que :

- la SHAM n'a pas demandé l'annulation des titres exécutoires qu'il a émis ;

- le retard de diagnostic a engendré un retard de prise en charge adaptée, et permis la dissémination de la tumeur faisant perdre une chance de survie à [V] [W] ;

- il convient d'homologuer l'avis de la CCI selon lequel la perte de chance de survie de la patiente s'élève à 85% ;

- si l'assuré de la société Relyens avait posé le bon diagnostic à l'automne 2014 et permis à sa patiente de bénéficier à cette date de l'exérèse de la tumeur, ses chances de survie se seraient élevées à 85% ;

- au-delà de l'aggravation de la pathologie, le retard de diagnostic est aussi à l'origine de la radiothérapie subie et de ses conséquences, dont le risque accru de lymphocèle.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la cour constate que la société Relyens ne sollicite pas l'annulation des titres exécutoires n°2020-1041 et n°2021-311 émis par l'ONIAM.

Aux termes de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, en cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré ou la couverture d'assurance prévue à l'article L. 1142-2 est épuisée ou expirée, l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur.

Dans ce cas, les dispositions de l'article L. 1142-14, relatives notamment à l'offre d'indemnisation et au paiement des indemnités, s'appliquent à l'office, selon des modalités déterminées par décret en Conseil d'Etat.

L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. La transaction est portée à la connaissance du responsable et, le cas échéant, de son assureur ou du fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances.

L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 du même code. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise.

En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue.

Lorsque l'office transige avec la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article, cette transaction est opposable à l'assureur ou, le cas échéant, au fonds institué au même article L. 426-1 du code des assurances ou au responsable des dommages sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime lui reste acquis.

I - Sur le taux de perte de chance de survie

L'assureur ne conteste pas le retard de diagnostic imputable à son assuré, mais uniquement le taux de la perte de chance qui lui est imputé.

Dans son rapport du 9 août 2017, l'expert de la CCI, M. [N] [J], retient que [V] [W] avait subi un accident médical par suite d'un retard de diagnostic et de prise en charge d'un cancer du col de l'utérus. Il indique que :

- M. [K] a reçu les résultats portant l'anomalie du frottis, a envisagé une prise en charge avec biopsie du col qu'il n'a toutefois pas réalisée ;

- est survenue une perte de chance de diagnostiquer un cancer à un stade plus précoce, laquelle est entièrement imputable à M. [K], la patiente présentant une seule et unique pathologie, mais que la quantification de cette perte de chance s'avère difficile ;

- le cancer était en novembre 2014 au stade IB1 au maximum, sans lésion macroscopiquement visible ni symptomatologie ; il n'y a pas de traitement standard de ce type de pathologie ; le traitement n'aurait probablement pas compris de lymphadénectomie lombo-aortique, mais une hystérectomie avec lymphadénectomie pelvienne, ni de radiothérapie ni de chimiothérapie ;

- la survie à 5 ans est de 80 à 85% au stade IB1, et de 55 à 60% au stade IIB.

Suivant avis du 25 janvier 2018 confirmé par avis du 10 juillet 2019, s'appuyant sur les conclusions de l'expert [J] selon lesquelles le dommage subi par [V] [W] était anormal au regard de son état de santé antérieur comme de l'évolution prévisible de celui-ci puisque le cancer aurait dû être diagnostiqué à un stade plus précoce et possiblement guéri, la CCI a considéré que le manquement imputable à M. [K] avait fait perdre à sa patiente une chance d'éviter la progression du cancer et, par voie de conséquence, une perte de chance de survie, évaluée à 85%.

Au soutien de sa contestation, la société Relyens produit un avis médical rédigé le 1er mars 2023 à sa demande par M. [E] [C], cancérologue et oncologue au centre hospitalier universitaire [5] à [Localité 6], qui confirme le retard indiscutable de prise en charge entre le frottis cervico-vaginal du 18 novembre 2014, et la consultation du 6 août 2015 au cours de laquelle était diagnostiquée la lésion du col utérin.

Ce praticien expose, compte tenu de la littérature médicale et des éléments figurant au dossier de la patiente, que la dégradation du pronostic vital entre les stades IB1 et IIB correspond à un ratio voisin de 1,2, que la patiente avait, en cas de stade IB1, une survie de l'ordre de 90% à cinq ans, et une survie de 70% à cinq ans en cas de stade IIB ; que l'erreur de prise en charge a donc modifié le plan de soins et fait perdre 20% de chance de survie à cette patiente.

La cour observe cependant que l'expert [J], dans ses conclusions, et la CCI, dans deux avis circonstanciés, écartent la thèse du praticien et de son assureur, selon laquelle la perte de chance de survie de la patiente doit s'apprécier en fonction de la variation existant entre la chance de survie lors du fait dommageable, et la chance de survie lors du diagnostic.

Or il est constant que le retard de diagnostic de près de neuf mois a entraîné la dissémination de la tumeur et l'aggravation corrélative de la pathologie, laquelle a rendu nécessaire le traitement par radio-chimiothérapie puis curiethérapie, et leurs conséquences néfastes, dont la majoration du risque de lymphocèle. Si l'assuré de la société Relyens avait posé le diagnostic légitimement attendu à l'automne 2014, il aurait permis à sa patiente de bénéficier de l'exérèse de la tumeur et de conserver ainsi une chance de survie de 85%.

C'est par une exacte appréciation du litige que le premier juge a retenu qu'en l'espèce, la perte de chance s'appréciait à la date du retard fautif de diagnostic survenu dès le 18 novembre 2014, et non neuf mois plus tard à la date du diagnostic effectif, et fixé à 85% le taux de perte de chance de la patiente.

II - Sur le quantum de l'indemnisation

Le premier juge a condamné la SHAM à payer à l'ONIAM, après application d'un taux de perte de chance de 85%, une somme de 5 822,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, total et partiel, subi par [V] [W] (soit 1 700 + 2 103,75 + 616,25 + 1 402,50).

La société RELYENS considère, s'agissant de l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire partiel, qu'il convient de confirmer le calcul du premier juge qui s'est fondé sur les conclusions du rapport d'expertise plutôt que sur l'avis de la CCI.

L'ONIAM forme appel incident sur ce point ; il sollicite l'infirmation du jugement critiqué s'agissant de l'évaluation du déficit fonctionnel temporaire partiel, et l'homologation de l'avis de la CCI qui a retenu, en dehors des périodes d'hospitalisation, un déficit fonctionnel temporaire partiel de classe IV jusqu'au décès, soit une somme de 12 373,88 euros.

Sur ce, les moyens soutenus par les parties ne font que réitérer, sans justification complémentaire utile, ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.

Il convient seulement de souligner et d'ajouter les points suivants :

- Seules les modalités de calcul du déficit fonctionnel temporaire partiel sont contestées par l'ONIAM.

- La CCI, dont la saisine est facultative, rend un avis consultatif afin de préparer et faciliter, le cas échéant, le règlement amiable des litiges relatifs à des accidents médicaux, lequel ne lie ni l'ONIAM ni le juge.

- L'expert [J] a pris soin de distinguer trois périodes distinctes pour apprécier le plus exactement possible le déficit fonctionnel temporaire de la victime et son évolution entre le 8 décembre 2015 et le 27 mars 2018, alors que la CCI a retenu, sans aucune distinction ni modulation, un déficit fonctionnel temporaire de classe IV du 1er décembre 2014 au 25 janvier 2018 sur une période de plus de trois années.

- L'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire total sur la base de 25 euros par jour est conforme à la jurisprudence de la cour.

Le jugement dont appel est confirmé en ce qu'il a limité l'indemnisation de ce poste, après application du taux de perte de chance de 85%, à la somme de 5 822,50 euros.

III - Sur les autres demandes

A - Sur la pénalité de retard

Le premier juge a condamné la SHAM à payer à l'ONIAM une pénalité de 14 569,42 euros en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.

La société Relyens sollicite l'infirmation du jugement critiqué, et le rejet de la demande sur ce point, considérant que la pénalité légale de 15% prévue à l'article L. 1142-15 relève de l'appréciation souveraine du juge du fond, de sorte que celui-ci doit prendre en considération la pertinence de la contestation apportée par le débiteur de l'obligation indemnitaire.

L'ONIAM sollicite la confirmation de ce chef, indiquant que l'octroi de ladite pénalité se justifie par le fait qu'il a, en lieu et place de l'assureur, géré le dossier, instruit la demande, mis en place des propositions d'indemnisation après avoir examiné les pièces justificatives reçues, et que les moyens ainsi distraits pour l'instruction du dossier, le calcul et le recouvrement de l'indemnisation, ont été supportés par la solidarité nationale financée par une dotation de l'Etat et de l'assurance maladie.

Sur ce, l'article L.1142-15 alinéa 5 du code de la santé publique prévoit qu'en cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue.

Si une telle pénalité est laissée à l'appréciation souveraine du juge, il reste pour autant que la société Relyens a refusé de présenter une offre d'indemnisation aux ayants droit de la victime, et qu'un tel refus apparaît manifestement infondé en l'absence d'ambiguïté quant au retard fautif de diagnostic imputable à son assuré.

Considérant que l'ONIAM a été contraint d'instruire la demande d'indemnisation de la victime puis de ses ayants droit, d'étudier leurs pièces justificatives, d'évaluer le préjudice indemnisable, de leur verser les indemnités dues, puis d'exposer des frais de fonctionnement pour tenter de recouvrer sa créance, de supporter un contentieux subrogatoire risqué quant au recouvrement des sommes avancées,

C'est par une exacte appréciation des faits et de la cause que le premier juge a condamné l'assureur à verser à l'ONIAM une pénalité de 14 569,42 euros correspondant à 15% du montant de l'indemnité mise à sa charge en application de l'article L. 1142-15 précité (soit 97 129,50 x 15%).

B - Sur les frais d'expertise

Le premier juge a débouté l'ONIAM de sa demande de remboursement des frais d'expertise, faute de justifier de leur montant.

La société Relyens conclut au rejet de la demande à ce titre, faisant valoir que l'ONIAM doit justifier du caractère effectif du virement réalisé au bénéfice de l'expert [J], et ne peut se constituer de preuve à elle-même.

L'ONIAM sollicite l'infirmation sur ce point ; il fait valoir qu'en vertu des articles L. 1142-12 et L. 1142-15 du code de la santé publique, l'office subrogé dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou son assureur peut obtenir remboursement des frais d'expertise ; qu'il a réglé des honoraires d'expertise à hauteur de 700 euros ; que l'attestation produite par son agent comptable suffit, en vertu des règles de comptabilité publique, à établir la matérialité du versement effectué.

Sur ce, les articles L. 1142-12 in fine et L. 1142-15 alinéa 4 du code de la santé publique disposent que :

- l'office prend en charge le coût des missions d'expertise, sous réserve du remboursement prévu aux articles L. 1142-14 et L. 1142-15 ;

- l'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 du même code ; il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise.

Au soutien de sa prétention, l'ONIAM, qui a réglé des honoraires d'expertise à hauteur de 700 euros, produit une attestation de paiement du 18 juillet 2023 de son agent comptable, qui certifie que les frais d'expertise du dossier de [V] [W] ont été réglés pour un montant de 700 euros par virement du 30 avril 2019 effectué au profit de M. [J].

En vertu des articles L. 1142-22 et L. 1142-23 du code de la santé publique, l'ONIAM est un établissement public administratif doté d'un agent comptable public, qui est chargé, sous sa seule responsabilité, de l'ensemble des opérations comptables et financières de l'organisme, et assure l'encaissements des recettes, le paiement des dépenses, et les opérations de trésorerie ; ce dernier n'est pas soumis à l'autorité hiérarchique de l'ordonnateur de la dépense pris en la personne du directeur de l'office.

En conséquence, l'attestation de l'agent comptable de l'ONIAM suffit à démontrer l'existence et le quantum de la somme décaissée par l'office pour couvrir les frais d'expertise amiable de la victime.

L'ONIAM est fondé en sa demande tendant à obtenir le remboursement de la somme de 700 euros au titre des frais d'expertise.

Le jugement critiqué est réformé en ce qu'il a débouté l'ONIAM de sa demande de remboursement des frais d'expertise.

C - Sur les intérêts au taux légal et la demande d'anatocisme judiciaire

Le premier juge a dit que la somme principale de 97 129,50 euros en remboursement des indemnités versées à M. [X] [W] et à Mme [L] [W] à la suite du décès de [V] [W] produira intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2020, date de l'assignation, et a ordonné la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil.

La société Relyens conclut au rejet de la demande de l'ONIAM au titre des intérêts moratoires et de la capitalisation des sommes dues, et ce en l'absence de tout fondement ; en tout état de cause, elle ajoute que les intérêts ne peuvent commencer à courir à compter de l'assignation du 17 novembre 2020, mais à compter de la décision rendue.

L'ONIAM demande que les sommes qui lui sont dues portent intérêts à compter du 17 novembre 2020, date de l'assignation initiale, avec capitalisation des intérêts à chaque échéance annuelle à partir du 18 novembre 2021 ; compte tenu du délai écoulé entre l'envoi du titre exécutoire et la date du jugement, il y a lieu de compenser l'avance de trésorerie supportée par la solidarité nationale, en condamnant le responsable aux intérêts légaux avec capitalisation.

Sur ce,

Aux termes de l'article 1231-6 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consiste dans l'intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure.

Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. [']

Aux termes de l'article 1343-2 du code civil, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise.

En application de l'article 1231-6 précité, la créance de l'ONIAM, dont le recouvrement est poursuivi par subrogation dans le droit d'action des ayants droit de la victime, n'est pas indemnitaire et se borne au paiement d'une somme d'argent, de sorte que le point de départ des intérêts au taux légal doit être fixé au jour de la demande en justice.

Le jugement dont appel est confirmé en ce qu'il a dit que la somme en principal de 97 129,50 euros produira intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2020, et a ordonné la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière, sauf à ajouter que la capitalisation interviendra chaque année à compter du 18 novembre 2021.

Le jugement critiqué sera émendé sur ce point.

D - Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement dont appel sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance.

La société Relyens qui succombe est condamnée aux entiers dépens d'appel.

Le sens de l'arrêt et l'équité conduisent la cour à condamner la société Relyens à payer à l'ONIAM une somme de 2 500 euros à titre d'indemnité de procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 février 2023 par le tribunal judiciaire d'Avesnes-sur-Helpe, sauf en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts, et débouté l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes, et des infections nosocomiales de sa demande de remboursement des frais d'expertise ;

Le réforme de ces seuls chefs ;

Prononçant à nouveau des chefs réformés et y ajoutant,

Ordonne la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière, chaque année à compter du 18 novembre 2021 ;

Condamne la société Relyens, anciennement dénommée la Société hospitalière d'assurance mutuelle, à payer à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes, et des infections nosocomiales la somme de 700 euros en remboursement des frais d'expertise ;

Rejette les plus amples prétentions des parties ;

Condamne la société Relyens, anciennement dénommée la Société hospitalière d'assurance mutuelle, au entiers dépens d'appel ;

La condamne à payer à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes, et des infections nosocomiales la somme de 2 500 euros à titre d'indemnité de procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier

Fabienne Dufossé

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 23/01244
Date de la décision : 11/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-11;23.01244 ?
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