République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 11/07/2024
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N° de MINUTE :
N° RG 22/05329 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UTBP
Jugement n° 2021009039 rendu le 06 octobre 2022 par le tribunal de commerce de Lille Métropole
APPELANTE
SA Assurances du Crédit Mutuel-IARD agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 2]
représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Serge Paulus, avocat au barreau de Strasbourg, avocat plaidant
INTIMÉES
SARL Charlet et Associés, société en procédure de liquidation judiciaire, prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège en cette qualité
ayant son siège social [Adresse 1]
représentée par Me Catherine Pouzol, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
INTERVENANT VOLONTAIRE
SELAS MJS Partners, mandataires judiciaires, agissant par l'intermédiaire de Me [K] [H], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Charlet et Associés
ayant son siège social [Adresse 3]
représentée par Me Catherine Pouzol, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 31 janvier 2024 tenue par Dominique Gilles magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Aude Bubbe, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2024 après prorogation du délibéré initialement prévu le 16 mai 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 10 janvier 2024
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EXPOSE DU LITIGE
La SARL Charlet et associés a souscrit le 21 juin 2016, un contrat d'assurance multirisque professionnelle, dit « Acajou Signature » auprès de la société Assurances Crédit Mutuel - IARD.
Cet assuré a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, par jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 18 juin 2018, un plan de redressement ayant été adopté le 5 novembre 2019.
Se plaignant de fermetures provoquées par les mesures découlant des arrêtés du gouvernement des 14 et 15 mars 2020 portant diverses mesures de lutte contre le virus du covid-19 et invoquant les conditions générales et particulières de son contrat d'assurance, prévoyant le versement d'une indemnité correspondant à la perte d'exploitation résultant de la perte de marge brute, l'assuré a déclaré auprès de l'assureur, un premier sinistre, par lettre du 19 mars 2020, auquel la société Assurances Crédit Mutuel - IARD a répondu par lettre du 30 mars 2020 en opposant un refus de prise en charge.
Comme suite au décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie, la SARL Charlet et associés a déclaré en vain un nouveau sinistre à son assureur, le 30 octobre 2020.
La SARL Charlet et associés a fait délivrer assignation, par acte du 31 mai 2021, à la SA Assurances Crédit Mutuel - IARD aux fins de la voir condamner à garantir ses pertes d'exploitation à la suite des fermetures administratives des 15 mars et 30 octobre 2020, et pour ce faire après avoir déclaré non écrite et/ou inapplicable la clause d'exclusion opposée à l'assuré et tenant au fait que le dommage a été causé par un micro-organisme.
Par jugement contradictoire du 6 octobre 2022, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :
- dit que les conditions requises au titre de la perte d'exploitation sont remplies,
- dit que la clause d'exclusion insérée au contrat d'assurance souscrit est inopposable à la SARL Charlet et associés,
- ordonné le versement à titre de provision de la somme de 25 000 euros à la SARL Charlet et associés par la SA Assurances Crédit Mutuel - IARD,
- désigné comme expert M. [I] [B] avec pour mission de donner son avis sur le montant de la perte d'exploitation susceptible d'être indemnisée,
- débouté la SARL Charlet et associés de sa demande d'indemnisation du préjudice résultant de l'inexécution contractuelle,
- condamné la SA Assurances Crédit Mutuel - IARD à verser à la SARL Charlet et associés la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- confirmé l'exécution provisoire,
- débouté les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,
- réservé les dépens.
Par déclaration au greffe du 18 novembre 2022, la société SA Assurances Crédit Mutuel Iard a interjeté appel du jugement, critiquant expressément chacune des dispositions de la décision entreprise.
Par jugement du 4 septembre 2023, le plan de continuation de la société Charlet et associés a été résolu et la liquidation judiciaire a été prononcée, la SELAS MJS Partners, mandataire judiciaire, étant désignée liquidateur.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 2 janvier 2024, la société Assurances du Crédit Mutuel IARD demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104, 1188, 1190 à 1192, 1240 et 1353 du code civil, L. 113-1 alinéa 1, L. 113-2, L. 113-8 et L. 113-9 du code des assurances, 9, 11, 135, 146 et 700 du code de procédure civile, de :
- réformer le jugement rendu le 6 octobre 2022 par le tribunal de commerce de Lille Métropole,
- statuant à nouveau,
- déclarer que la société Charlet et associés agissant par son liquidateur ne démontre pas que les conditions de la garantie perte d'exploitation au titre du contrat Acajou Signature sont réunies,
- déclarer que la clause d'exclusion est valable et applicable au sinistre allégué par la société Charlet et associés,
- déclarer que la société Charlet et associés ne rapporte pas la preuve de son dommage,
En conséquence,
- débouter la société Charlet et associés et la société MJS Partner ès qualités de l'ensemble de leurs demandes,
- condamner la société Charlet et associés et le liquidateur ès qualités à lui payer une indemnité de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure de première instance, ainsi qu'aux entiers frais et dépens,
- compte tenu de la liquidation judiciaire en cours, en tant que de besoin, fixer cette somme au passif de la liquidation ;
- condamner la société Charlet et associés et la société MJS Partners ès qualités au paiement d'une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.
Aux termes leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 19 octobre 2023, la société Charlet et associés et la SELAS de mandataires judiciaires MJS Partners, intervenant volontaire, demandent à la cour, au visa notamment des articles L. 113-1 et L. 112-14 du code des assurances, 1188, 1189 et 1190 du code civil, de l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la propagation du virus covid-19 et du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, de :
- dire bien jugé et mal appelé,
En conséquence,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- y ajoutant,
- condamner les Assurances du Crédit Mutuel à verser la somme de 11 000 euros à la SELAS MJS Partners en sa qualité de liquidateur judiciaire ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 janvier 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 31 janvier 2024.
MOTIVATION
L'intervention du liquidateur s'impose et sera accueillie.
Les parties s'opposent sur l'acquisition des conditions de la garantie « pertes d'exploitation », en particulier sur le sens de l'interdiction d'accès aux locaux où s'exerce l'activité, visée par la police, que l'assureur estime claire et non susceptible d'interprétation. Il estime que cette interdiction n'est pas caractérisée du fait des mesures gouvernementales prises à l'occasion de la crise sanitaire, au moyen que ces mesures n'ont selon lui jamais rendu l'établissement inaccessible.
L'article 17.1 du contrat d'assurance dispose ainsi :
« Nous [l'assureur] garantissons les pertes pécuniaires que vous pouvez subir du fait de l'interruption ou de la réduction de votre activité résultant soit :
' d'un dommage matériel garanti,
' d'une impossibilité ou d'une difficulté d'accès à vos locaux professionnels, et/ou d'une impossibilité pour les exploiter consécutive à un événement accidentel ayant entraîné des dommages matériels survenant à moins de 500 mètres de vos locaux, dès lors que ceux-ci auraient été garantis par le présent contrat s'ils avaient atteint les biens assurés,
' d'une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prises à la suite d'un événement extérieur à votre activité et aux locaux dans lesquels vous l'exercez [mis en gras par la cour],
' d'une carence d'approvisionnement de vos fournisseurs ayant leur établissement situé dans le territoire de /l'Union Européenne résultant de dommages matériels survenant dans leurs locaux, dès lors que ces dommages auraient été couverts au titre de votre contrat d'assurance si ces dommages étaient survenus dans les locaux assurés».
Les premiers juges ont tout d'abord retenu que l'arrêté du 14 mars 2020 puis le décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 et encore le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 émanent bien d'une autorité administrative et ont été pris à la suite de l'extension de la crise sanitaire, événement à l'évidence extérieur à l'activité et aux locaux de l'assuré, et qu'ils ont eu pour conséquence l'interruption totale de son activité. Ils en ont déduit que les conditions de la mise en jeu sont à l'évidence remplies.
Les premiers juges ont ensuite retenu que si le contrat devait être interprété, il devrait l'être contre le créancier et en faveur du débiteur, en application de l'article 1190 du code civil.
Ils ont retenu à ce titre que l'article 17.1 concerne bien une interdiction d'accès du public sans lequel il n'y a pas d'activité, cette même clause visant précisément l'interruption ou la réduction d'activité.
Ils ont également considéré manifeste que les notions d'interdiction d'accès émanant d'une autorité administrative et de fermeture administrative recouvrent la même situation, selon laquelle un établissement tel celui de l'assuré est inaccessible au public, en raison d'une décision émanant d'une autorité administrative comme les mesures gouvernementales prises à la suite de l'épidémie de covid-19.
L'intimé reprend à son compte les moyens des premiers juges et soutient qu'exiger que l'interdiction d'accès soit élargie à l'ensemble du personnel serait ajouter une condition non prévue au contrat.Il insiste sur la nécessité d'interpréter le contrat selon la commune interprétation des parties et contre celui qui l'a proposé. Il fait valoir qu'il n'a pas à prouver l'impossibilité d'exploiter le restaurant, que la réduction d'activité suffit pour bénéficier de la garantie, et que la possibilité d'avoir pu le cas échéant développer une activité de vente à emporter est sans conséquence. Il considère que l'arrêté du 14 mars 2020 a entendu fermer les lieux accueillant du public non indispensables à la vie de la Nation et d'interdire d'y accueillir du public et que le décret du 29 octobre 2020 a été rédigé dans les mêmes termes, de sorte qu'il a découlé de ces textes, conformément aux prévisions de la police pour l'application de la garantie, une interdiction d'accès à l'établissement émanant d'une autorité administrative et extérieure à l'activité exercée ou aux locaux dans lesquels elle est exercée.
Toutefois, alors que les événements autres qu'une mesure d'interdiction d'accès prise par l'autorité administrative et visés par cette clause supposent tous un dommage matériel préalable, et qu'ils ne sont en conséquence pas applicables en l'espèce, en l'absence d'un tel dommage (défini limitativement par la police comme une atteinte à une chose, à une substance, ou à l'intégrité physique d'un animal), il doit être rappelé que la mesure d'interdiction d'accès stipulée par les parties ne peut s'entendre - ce conformément au sens usuel en l'absence de définition contractuelle-, que d'un ordre général et absolu d'une autorité administrative ou judiciaire qui prohibe l'accès aux locaux où est exploitée l'activité de l'assuré.
Tel n'est pas le cas de simples restrictions d'accès qui n'ont concerné que certaines catégories de personnes, fût-ce les clients potentiels de l'établissement, autorisés néanmoins sous certaines conditions à accéder aux locaux pour de la vente à emporter, tandis que pour les fournisseurs, le gérant et le personnel, les locaux sont demeurés accessibles, voire exploitables sous certaines conditions pour l'activité de vente à emporter.
La clause litigieuse ne prévoit aucun aménagement ni aucune dérogation à l'interdiction d'accès stipulée, alors que le présent sinistre induit seulement une réduction d'activité.
Contrairement à ce qui est soutenu par l'appelant, il n'y a pas matière à interprétation dès lors que la clause est dénuée d'obscurité ou d'ambiguïté.
La notion d'interdiction d'accès, bien que non définie par la police d'assurance, ne nécessitait pas de l'être, s'agissant d'une expression du vocabulaire courant, étant observé que les définitions précisées par les conditions générales (pages 37 à 39) ne définissent que des termes propres au droit des assurances ou ayant un sens technique.
Il résulte de ce qui a déjà été dit qu'il est indifférent en l'espèce que la garantie de base stipulée comprenne la réduction d'activité, aux côtés de l'interruption d'activité. En effet, il résulte de la simple lecture de l'article 17.1 que la réduction d'activité est garantie, logiquement, pour les seuls sinistres causés par la survenance d'un dommage matériel. De plus fort, cela ne peut conduire à dénaturer la clause claire relative à l'interdiction des locaux qui ne peut être étendue à de simples restrictions d'accès, et qui est le seul cas de garantie à ne pas supposer de dommage matériel préalable.
L'interdiction d'accueil du public qui a résulté, pour les restaurants et débits de boissons, de l'arrêté du 14 mars 2020 puis du décret du 29 octobre 2020, ne constitue pas un événement garanti au sens de la police litigieuse et ne peut s'analyser, en particulier, comme une mesure d'interdiction d'accès ni à une mesure de fermeture administrative équivalente à une interdiction d'accès..
Par conséquent, contrairement à ce que soutient la société Charlet et associés, il ne peut être soutenu que l'interdiction d'accès au sens de la police serait caractérisée du fait de l'interdiction de recevoir du public.
Les conditions de la garantie n'étant pas remplies, la discussion de la clause d'exclusion est sans objet.
Le jugement entrepris sera réformé, et la société Charlet et associés ainsi que le liquidateur ès qualités seront déboutés de l'ensemble de leurs demandes.
En équité, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure à la société Assurances du Crédit Mutuel-IARD.
Les dépens seront mis à la charge de la SELAS MJS Partners ès qualités.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Accueille l'intervention volontaire de la SELAS MJS Partners en sa qualité de liquidateur de la société Charlet et associés ;
Réforme le jugement entrepris ;
Déboute la société Charlet et associés et la société MJS Partners en sa qualité de liquidateur de celle-ci de leurs demandes ;
Dit que les dépens seront supportés par la SELAS MJS Partners en sa qualité de liquidateur de la société Charlet et associés ;
Dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Valérie Roelofs
Le président
Dominique Gilles