République Française
Au nom du Peuple Français
C O U R D ' A P P E L D E D O U A I
RÉFÉRÉ DU PREMIER PRÉSIDENT
ORDONNANCE DU 5 JUILLET 2024
N° de Minute : 96/24
N° RG 24/00066 - N° Portalis DBVT-V-B7I-VP3A
DEMANDEUR :
Monsieur [D] [F]
né le 25 janvier 1968 à [Localité 4]
demeurant [Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Bruno WECXSTEEN, avocat au barreau de Lille
DÉFENDERESSE :
S.A.R.L. AP ENTREPRISE DE CONSTRUCTION
dont le siège social est situé [Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Emilie GUILLEMANT, avocate au barreau de Lille
PRÉSIDENTE : Hélène CHATEAU, première présidente de chambre désignée par ordonnance du 22 décembre 2023 du premier président de la cour d'appel de Douai
GREFFIER : Christian BERQUET
DÉBATS : à l'audience publique du 17 juin 2024
Les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'ordonnance serait prononcée par sa mise à disposition au greffe
ORDONNANCE : contradictoire, prononcée publiquement par mise à disposition au greffe le cinq juillet deux mille vingt-quatre, date indiquée à l'issue des débats, par Hélène CHATEAU, Présidente, ayant signé la minute avec Christian BERQUET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
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EXPOSE DU LITIGE
M. [D] [F] a confié à la SARL AP Entreprise de construction des travaux de restauration d'un immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 3], l'immeuble ayant été partiellement détruit à la suite d'un incendie.
La rénovation comprenait une démolition et une dépose pour un montant de 39 055, 57 euros TTC, une reconstruction gros 'uvre pour un montant de 203 299, 94 euros TTC et la création d'une cave pour un montant de 38 235, 98 euros TTC.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 avril 2017, la SARL AP Entreprise de construction a réclamé à M. [D] [F] le paiement du solde de l'état des comptes, arrêté au 2 avril 2017, soit la somme de 47 439, 58 euros TTC.
Par acte en date du 22 janvier 2018, la société AP Entreprise de construction a fait assigner M. [D] [F] devant le tribunal de grande instance de Lille aux fins d'obtenir la somme de
47 408, 43 euros TTC augmentée des intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2017.
Par jugement du 25 juillet 2023, le tribunal judiciaire de Lille a :
- condamné M. [D] [F] à payer à la SARL AP Entreprise de construction la somme de
47 408, 43 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter de la date de mise en demeure du 5 juillet 2017 au titre du solde des factures F1505-00082 en date du 30 mai 2015, F1511-00090 en date du 30 mai 2015, F1601-00091 en date du 22 janvier 2016, F1603-00095 bis en date du 1 er mars 2016, F1603-00096 en date du 1 er mars 2016, F1603-00097 en date du 17 mars 2016, F1603-00001 en date du 16 mars 2016, F1603-00097 en date du 17 mars 2016, F1604-00096 en date du 5 juin 2016, F1703-00107 en date du 24 mars 2017 et F1705-00109 en date du 2 mai 2017 ;
- débouté M. [D] [F] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamné M. [D] [F] à payer à la SARL AP Entreprise de construction la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens ;
- ordonné l'exécution provisoire.
M. [D] [F] a interjeté appel de la décision.
Par acte en date du 13 avril 2024, M. [D] [F] a fait assigner la SARL AP Entreprise de construction devant le premier président de la cour d'appel de Douai aux fins de solliciter l'arrêt de l'exécution provisoire ordonnée par le jugement du tribunal judiciaire de Lille du 25 juillet 2023.
L'affaire appelée à l'audience du 6 mai 2024 a été renvoyée à la demande des avocats des parties.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES A L'AUDIENCE DU 17 JUIN 2024 :
M. [D] [F], au visa de l'ancien article 524 du code de procédure civile, demande au premier président de :
- ordonner l'arrêt de l'exécution provisoire ordonnée par le jugement du tribunal judiciaire de
Lille du 25 juillet 2023 ;
- condamner la SARL AP Entreprise de construction aux dépens du référé.
Il expose que :
- le chantier n'a pas été terminé et donc aucun procès-verbal de réception n'a été établi ;
- seul le premier devis de démolition du 14 mai 2015 a été accepté par le maître d'ouvrage
tandis que les autres devis de l'entreprise n'ont pas été acceptés.
- l'architecte était chargé de la direction et de la comptabilité des travaux tandis que l'expert mandaté par la compagnie d'assurance Groupama a réglé les factures de l'entreprise au fur et à mesure de l'avancement du chantier, poste par poste, comme cela résulte de sa notification du 29 mai 2017.
- de son côté, l'entreprise a émis des factures qui n'ont pas été validées par l'architecte et elle a présenté en cours de procédure un tableau récapitulatif mis à jour au 4 juillet 2017 de sa propre initiative, sans contrôle de l'architecte, sur la base de devis présentés, en faisant comme si le chantier était terminé et réceptionné, alors que nul ne peut constituer de preuve à soi-même.
- l'article 1353 du code civil exige que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver, tel n'est pas le cas en l'espèce puisque la société AP Entreprise de construction n'apporte pas la preuve de la bonne exécution des travaux, qui ne peuvent même plus être vérifiés en raison de ses propres carences et négligences, puisqu'après avoir abandonné le chantier au printemps 2017 sans le terminer, elle a considérablement retardé la procédure judiciaire ;
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- en droit, un contrat d'entreprise est en principe un marché au forfait soumis aux dispositions de l'article 1793 du code civil, selon lesquelles l'entreprise ne peut demander aucune augmentation de prix, ou à défaut un marché sur dépenses contrôlées, ce qui impose à l'entreprise de justifier de ses dépenses réelles en matériaux et main d''uvre, soumises au contrôle de l'architecte. Ainsi, le jugement encourt la réformation ;
- son épouse et lui, ont des revenus très modestes qui ne leur permettent pas de régler la somme fixée par le tribunal et l'exécution forcée les conduirait au dépôt d'un dossier de surendettement et à l'abandon de la procédure d'appel.
- il est au chômage sans indemnité tandis que son épouse perçoit une allocation d'aide au retour à l'emploi de 1 422, 45 euros par mois, qu'ils remboursent un crédit de 282 euros par mois tout en continuant de rembourser des créanciers suite à un premier dossier de surendettement datant de 2017 de sorte qu'ils ne sont absolument pas en mesure de payer le montant de la facture contestée ni même de la consigner.
Ainsi, le maintien de l'exécution provisoire entraînerait nécessairement la radiation de l'appel, ce qui les priverait du double degré de juridiction, alors que leur argumentation en appel doit leur permettre d'obtenir la réformation du jugement.
La société AP Entreprise de construction, au visa des articles 517-2 et 799 du code de procédure civile, demande au premier président de :
- juger que le premier président de la cour d'appel de Douai n'a pas compétence à trancher le litige
- se déclarer incompétent,seul le conseiller de la mise en état étant compétent pour connaître de cette demande ;
- en conséquence, juger M. [D] [F] irrecevable en sa demande ;
À titre subsidiaire, au visa des articles 514-3 et 524 du code de procédure civile:
- débouter purement et simplement M. [D] [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner M. [F] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [F] aux frais et dépens.
A titre subsidiaire, elle demande de constater que si M. [F] indique que ses revenus modestes ne lui permettent pas de régler la somme à laquelle il est condamné, il ne démontre pas les conséquences manifestement excessives qu'entraînerait l'exécution de la décision.
Les factures de la société, objet de la présente procédure, sont datées de neuf ans, M. [F] qui se sait redevable aurait pu provisionner cette somme mais ne l'a pas fait.
Il a en outre d'ores et déjà perçu les sommes pour lesquelles il est condamné puisqu'il a directement perçu cette somme de son assureur, à charge pour lui de payer ses prestataires, ce qu'il n'a pas fait.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la compétence du premier président
L'article 524 du code de procédure civile dans sa version en vigueur antérieurement au 1er janvier 2020 applicable à l'espèce dans la mesure où l'assignation qui a saisi le tribunal de Lille est du 22 janvier 2018, prévoyait que :
'Lorsque l'exécution provisoire a été ordonnée, elle ne peut être arrêtée, en cas d'appel, que par le premier président et dans les cas suivants :
1° Si elle est interdite par la loi ;
2° Si elle risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives ; dans ce dernier cas, le premier président peut aussi prendre les mesures prévues aux articles 517 à 522.
Le même pouvoir appartient, en cas d'opposition, au juge qui a rendu la décision.
Lorsque l'exécution provisoire est de droit, le premier président peut prendre les mesures prévues au deuxième alinéa de l'article 521 à l'article 522.
Le premier président peut arrêter l'exécution provisoire de droit en cas de violation manifeste du principe du contradictoire ou de l'article 12 et lorsque l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.'
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L'article 517-2 du code de procédure civile, cité par la SARL AP Entreprise de construction, n'est pas applicable, puisque l'assignation est antérieure au 1er janvier 2020.
La présente juridiction du premier président est donc compétente pour connaître de la demande d'arrêt d'exécution provisoire de la décision du tribunal judiciaire de Lille du 25 juillet 2023 et ce en application de l'article 524 ancien seul applicable.
Sur la demande d'arrêt de l'exécution provisoire
M. [F] justifie qu'actuellement sans emploi, il ne perçoit aucune ressource et que son état de santé ne lui permet pas de travailler. Ses seules ressources proviennent de son épouse qui est actuellement sans emploi et perçoit 1500 euros d'allocation de retour à l'emploi. Au vu de ces éléments, le maintien de l'exécution provisoire qui permettrait la mise en place de mesures d'exécution forcée, entraînerait des conséquences manifestement excessives.
PAR CES MOTIFS
Se déclare compétent pour connaître de la demande d'arrêt d'exécution provisoire formée par M. [D] [F],
Arrête l'exécution provisoire du jugement du tribunal judiciaire de Lille en date 25 juillet 2023 rendu dans le litige opposant M. [D] [F] à la SARL AP Entreprise Construction,
Dit que chaque partie conservera à sa charge les frais et dépens qu'elle a engagés dans la cadre de la présente instance,
Déboute les parties de leurs demandes respectives d'indemnité d'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier La présidente
C. BERQUET H. CHÂTEAU