République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 1
ARRÊT DU 04/07/2024
N° de MINUTE : 24/598
N° RG 22/03294 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UMBF
Jugement (N° 19/01793) rendu le 10 Mai 2022 par le Tribunal de Grande Instance de Lille
APPELANTE
Madame [Y] [G]
née le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 6] - de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Eric Delfly, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
INTIMÉE
SA CIC Nord Ouest
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Martine Vandenbussche, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 17 avril 2024 tenue par Samuel Vitse magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Gaëlle Przedlacki
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Yves Benhamou, président de chambre
Samuel Vitse, président de chambre
Catherine Ménegaire, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 04 juillet 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Yves Benhamou, président et Ismérie Capiez, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 3 avril 2024
FAITS ET PROCEDURE
Le 18 mai 2015, la société Abris alu, représentée par M. [U] [X], a ouvert un compte courant dans les livres de la société CIC Nord Ouest (la banque).
Suivant offre acceptée le 4 juin 2015, la banque a consenti à la société Abris alu un prêt professionnel d'un montant de 50 000 euros, dont M. [U] [X] s'est porté caution solidaire dans la limite de 17 500 euros et pour une durée de sept ans.
Le 23 août 2016, la banque a conclu avec la société Abris alu une convention de crédits documentaires et lettres de crédit stand-by.
Par acte du 25 août 2016, M. [U] [X] et son épouse, Mme [Y] [G], mariés sous le régime de la séparation de biens, se sont portés cautions solidaires de tous engagements de la société Abris alu, dans la limite de 40 000 euros et pour une durée de cinq ans.
Par acte du 18 mai 2017, M. [X] s'est de nouveau porté caution solidaire de tous engagements de la société Abris alu, dans la limite de 15 000 euros et pour une durée de cinq ans.
Par jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 7 août 2017, la société Abris alu a été placée en redressement judiciaire, converti en liquidation judiciaire par jugement du 23 octobre 2018.
La banque a déclaré sa créance entre les mains de Maître [V] [S], mandataire judiciaire, avant de réitérer une telle déclaration après la liquidation judiciaire, sa créance ayant été admise au titre du solde du prêt consenti le 4 juin 2015, du solde de la convention de crédits documentaires et lettres de crédit stand-by conclu le 23 août 2016 et du solde débiteur du compte courant professionnel ouvert dans ses livres 18 mai 2015.
Elle a vainement mis en demeure les cautions d'exécuter leurs obligations par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 26 octobre 2018.
Par acte délivré le 4 mars 2019, la banque a assigné Mme [G] devant le tribunal de grande instance de Lille aux fins de voir condamner celle-ci à lui payer la somme de 40 000 euros au titre de son engagement de caution du 25 août 2016, outre les intérêts au taux légal à compter du 26 octobre 2018, de voir condamner la même à lui payer la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, outre la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
Par jugement du 10 mai 2022, le tribunal judiciaire de Lille a :
- condamné Mme [G] à payer à la banque la somme de 40 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 26 octobre 2018 au titre de son engagement de caution ;
- débouté la banque de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
- débouté Mme [G] de ses demandes ;
- condamné celle-ci aux dépens et à payer à la banque la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [G] a interjeté appel du jugement, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive.
Dans ses conclusions remises le 7 octobre 2022, Mme [G] demande à la cour de réformer le jugement entrepris, statuant à nouveau, de dire disproportionné le cautionnement souscrit au profit de la banque et de débouter en conséquence celle-ci de sa demande en paiement, subsidiairement, de lui accorder un moratoire de douze mois avant apurement de sa dette en douze mois, en tout état de cause, de débouter la banque de l'ensemble de ses demandes et de la condamner aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions remises le 23 décembre 2022, la banque demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, y ajoutant, de condamner Mme [G] au paiement d'une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre celle de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour le détail de leurs prétentions et moyens.
L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 3 avril 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la disproportion de l'engagement de caution litigieux
Aux termes de l'article L. 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au litige, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Il résulte de ce texte que la disproportion de l'engagement de caution s'apprécie au jour de la souscription du contrat et, à supposer l'existence d'une disproportion à cette date, au jour où la caution est appelée, celle-ci pouvant être revenue à meilleure fortune entre-temps.
La charge de la preuve de la disproportion initiale incombe à la caution, tandis qu'il revient au créancier de prouver l'absence de disproportion lors de la mise en oeuvre de la garantie.
La disproportion de l'engagement est appréciée au regard de l'ensemble des biens et revenus existants de la caution, déduction faite de ses engagements et charges, étant précisé que la disproportion de l'engagement d'une caution mariée sous le régime de la séparation de biens s'apprécie au regard de ses revenus et biens personnels, comprenant sa quote-part dans les biens indivis (1re Civ., 19 janvier 2022, pourvoi n° 20-20.467, publié).
La disproportion doit être manifeste, c'est-à-dire flagrante pour un professionnel raisonnablement diligent.
Pour apprécier la situation financière de la caution, le créancier est en droit de se fier aux informations fournies par celle-ci, sauf anomalies apparentes. La communication de ces informations repose sur un principe de bonne foi, à charge pour la caution de supporter les conséquences d'un comportement déloyal.
En l'espèce, les parties s'opposent sur la disproportion manifeste de l'engagement de caution souscrit par Mme [G] le 25 août 2016.
Il résulte du document intitulé Fiche patrimoniale emprunteur, versé aux débats par la banque et signé par Mme [G] le 25 août 2016, que celle-ci était alors propriétaire indivis d'un immeuble d'une valeur estimée à 230 000 euros et grevé d'une charge d'emprunt résiduelle de 192 000 euros en capital. Elle était par ailleurs personnellement propriétaire d'un immeuble d'une valeur estimée à
130 000 euros et grevé d'une charge d'emprunt résiduelle de 52 000 euros sans précision quant à sa nature. Si une telle fiche patrimoniale ne mentionne pas les revenus de Mme [G], celle-ci soutient, sans être contredite, qu'elle disposait alors d'un revenu annuel de 37 975 euros, soit 3 164 euros par mois. Elle et son conjoint avaient alors deux enfants à charge.
A supposer que la charge des intérêts restant à courir au titre du prêt grevant l'immeuble indivis ait réduit voire annulé la valeur nette de cet immeuble au jour de la souscription du cautionnement litigieux, il n'en va manifestement pas de même de l'immeuble détenu personnellement par l'appelante, dont la valeur nette, y compris en tenant compte des intérêts restant à courir au jour de la souscription du cautionnement litigieux, était nettement supérieure au montant de celui-ci, étant observé, d'une part, que la banque était en droit de se fier aux déclarations de Mme [G] en l'absence d'anomalies apparentes, d'autre part, que les revenus de l'intéressée ne pouvaient que conforter sa capacité financière.
Il apparaît donc que le cautionnement litigieux n'était pas, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné au sens du texte précité, ce dont il résulte que la banque est fondée à l'opposer à Mme [G].
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé de ce chef.
Sur la demande en paiement au titre de l'engagement de caution litigieux
Aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Selon l'article 2288 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, le cautionnement est le contrat par lequel une caution s'oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.
En l'espèce, la banque justifie de sa créance envers la société Abris alu, de sorte qu'il y a lieu d'accueillir sa demande en paiement formée contre Mme [G] au titre de son engagement de caution, la décision entreprise étant confirmée de ce chef.
Sur les délais de paiement
Il résulte de l'article 1345-1 du code civil que, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues.
En l'espèce, Mme [G] sollicite des délais paiement au visa du texte précité, sans toutefois justifier de sa situation financière actuelle, étant au surplus observé qu'elle a, de fait, d'ores et déjà disposé de très larges délais de paiement, la mise en demeure de la banque remontant au 26 octobre 2018.
La demande de délai de paiement sera donc rejetée et le jugement entrepris confirmé de ce chef.
Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive
Il résulte de l'article 1240 du code civil qu'une partie ne peut engager sa responsabilité pour avoir exercé une action en justice que si l'exercice de son droit a dégénéré en abus.
En l'espèce, la banque sollicite des dommages et intérêts pour procédure abusive, sans toutefois caractériser l'abus commis par l'appelante, de sorte que sa demande indemnitaire sera rejetée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
L'issue du litige justifie que soient confirmés les chefs du jugement relatifs aux dépens et frais irrépétibles et que Mme [G] soit condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la banque la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande formée au même titre étant rejetée.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de dommages et intérêts de la société CIC Nord Ouest pour procédure abusive ;
Condamne Mme [G] à payer à la société CIC Nord Ouest la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;
Déboute Mme [G] de sa demande formée au même titre ;
La condamne aux dépens d'appel.
Le greffier, Le président,
Ismérie CAPIEZ Yves BENHAMOU
Le greffier
Ismérie CAPIEZ
Le président
Yves BENHAMOU