République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 27/06/2024
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N° de MINUTE :
N° RG 23/04581 - N° Portalis DBVT-V-B7H-VEQ6
Jugement n° 23004035 rendu le 03 octobre 2023 par le tribunal de commerce de Lille Métropole
APPELANTE
- SAS Selima agissant par son représentant légal en exercice
ayant son siège social [Adresse 4]
représentée par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me François Kopf et Mathieu Della Vittoria, avocats au barreau de Paris, avocats plaidants
INTIMÉES
- SARL BTMR agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 2]
- SELARL Ajilink - [D] Cabooter - de Chanaud, prise en la personne de Me [Z] [D] en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SARL BTMR
ayant son siège social [Adresse 1]
- SELARL [S] - Borkowiak représentée par Me [H] [S] en sa qualité de mandataire judiciaire de la SARL BTMR
ayant son siège social [Adresse 3]
[Adresse 3]
représentées par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistées de Me François-Xavier Awatar, avocat au barreau de Lyon, avocat plaidant
INTERVENANTE VOLONTAIRE
- SELARL Ajilink - [D]-Cabooter - de Chanaud, prise en la personne de Me [Z] [D]en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la SARL BTMR, selon jugement du 14 février 2024 du tribunal de commerce de Lille Métropole
ayant son siège social, [Adresse 1]
représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Jean-François Cormont, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant
Le Ministère Public
représenté par M. le procureur général près la cour d'appel de Douai
dûment avisé - non comparant
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Aude Bubbe, conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs
DÉBATS à l'audience publique du 21 mars 2024 après rapport oral de l'affaire par Dominique Gilles, président.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 27 juin 2024 après prorogation du délibéré initialement prévu au 13 juin 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président, et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC :
Cf réquisitions du 07 février 2024, notifiées aux parties le même jour
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 13 mars 2024
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EXPOSE DU LITIGE
La société Carrefour proximité France (CPF), dépendant du groupe Carrefour, était liée en qualité de franchiseur, par un contrat de franchise participative, à la société BTMR, laquelle exerçait son activité commerciale sous l'enseigne Carrefour City et dont le capital était détenu en majorité par M. [E] [U] et, pour le surplus, à hauteur de 26 %, par la société Selima, également filiale du groupe Carrefour.
Par jugement du 27 février 2023, le tribunal de commerce de Lille-Métropole a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société BTMR, désignant notamment la SELARL Périn-Borkowiak mandataire judiciaire et la SELARL Ajilink-[D]-Cabooter en qualité d'administrateur judiciaire.
La société par actions simplifiée Selima a formé tierce opposition à ce jugement d'ouverture de lprocédure de sauvegarde en faveur de la société BTMR.
Par jugement réputé contradictoire du 3 octobre 2023, le tribunal de commerce a :
- dit qu'il n'y a pas lieu de joindre les deux affaires portant les numéros 2023004083 et 2023004035, la première portant sur une tierce opposition contre le même jugement formée par la société CPF,
- dit irrecevable la tierce-opposition formée par la société Selima à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille du 27 février 2023,
- débouté la société Selima de ses demandes,
- condamné la société Selima à verser la somme de 5 000 euros à la société BTMR au titre d'amende civile,
- débouté la société BTMR de sa demande de condamner la société Selima à lui verser des dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné la société Selima au paiement d'une indemnité de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société BTMR,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- dit que le présent jugement sera signifié par la partie la plus diligente ou celle ayant un intérêt,
- condamné la société CPF aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration du 13 octobre 2023, la société Selima a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 9 février 2024, le juge commissaire a autorisé la résiliation des contrats liant la société BTMR aux sociétés du groupe Carrefour, dont le contrat de franchise.
Par jugement du 19 février 2024, le tribunal de commerce de Lille Métropole a arrêté un plan de sauvegarde et désigné la SELARL Ajilink-[D]-Cabooter en qualité en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 4 mars 2024, la société Selima demande à la cour de :
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille du 3 octobre 2023 (RG n° 2023004035) en ce qu'il a dit irrecevable sa tierce-opposition et l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, et condamnée à verser la somme de 5 000 euros au titre d'amende civile, 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille du 3 octobre 2023 (RG n°2023004035) en ce qu'il a débouté la société BTMR de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,
Statuant à nouveau :
- déclarer recevable le tierce-opposition formée par Selima à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Lille du 27 février 2023 (RG n° 2023002692),
- rétracter en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Lille du 27 février 2023 (RG n° 2023002692),
- débouter la société BTMR de l'intégralité de ses demandes,
- condamner la société BTMR à lui payer 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société BTMR aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 5 mars 2023, la société BTMR et la SELARL Ajilink,-[D] Cabooter-de Chanaud, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la SARL BTMR arrêté par jugement du 14 février 2024, intervenant volontaire, demandent à la cour de :
A titre liminaire,
- mettre hors de cause la SELARL Ajilink - [D] Cabooter - De Chanaud, prise en la personne de Me [Z] [D], en sa qualité d'administrateur de la SARL BTMR,
- juger recevable et bien fondée l'intervention volontaire de la SELARL Ajilink - [D] Cabooter - De Chanaud prise en la personne de Me [Z] [D], en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la SARL BTMR,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille du 3 octobre 2023 (n°2023004035) en qu'il a dit irrecevable la tierce opposition formée par la société Selima à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille du 27 février 2023, débouté la société Selima de l'ensemble de ses demandes, condamné la société Selima à lui payer une amende civile de 5 000 euros pour procédure abusive, condamné la société Selima au paiement d'une indemnité de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, condamné la société Selima aux dépens,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille du 3 octobre 2023 (n°2023004035) en qu'il a dit qu'il n'y a pas lieu de joindre les deux affaires portant les numéros 202300483 et 2023004035, débouté la société BTMR de sa demande de condamner la société Selima à lui verser des dommages et intérêts pour procédure abusive, débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires,
Et statuant à nouveau de ces chefs :
- dire qu'il existe entre les litiges formés par les sociétés CPF et Selima un lien tel qu'il est d'une bonne administration de la justice de les faire instruire ensemble,
- condamner la société Selima à verser la somme de 50 000 euros à la société BTMR à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
En tout état de cause,
- dire qu'il existe entre les appels formés par les sociétés CPF un lien tel qu'il est d'une bonne administration de la justice de les faire instruire ensemble,
En conséquence,
- prononcer la jonction de la présente procédure RG n° 23/04581 à la procédure n° 23/04580,
- débouter la société Selima de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société Selima à payer la somme de 30 000 euros à la société BTMR au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Selima aux entiers dépens d'instance et d'appel.
Par avis du 7 février 2024 communiqué aux parties à la diligence du greffe de la cour le même jour, le ministère public sollicite la confirmation du jugement du 3 octobre 2023 en ce qu'il a jugé irrecevable la tierce opposition et l'infirmation de ce jugement en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à jonction et ordonner la jonction des deux procédures.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 mars 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 21 mars 2024.
MOTIVATION
Il n'apparaît pas de bonne administration de la justice de joindre le présent appel avec celui intenté par la société CPF contre un jugement distinct ayant déclaré recevable mais mal fondée la tierce opposition de cette dernière société contre le même jugement ayant ouvert la sauvegarde de la société BTMR.
La jonction étant une mesure d'administration judiciaire à la discrétion de la juridiction, il n'y a pas lieu à demande de réformation de ce chef.
Dans le cadre d'une procédure de sauvegarde, il découle des dispositions de l'article L. 626-25 du code de commerce qu'après le jugement arrêtant le plan de redressement, seul le commissaire à l'exécution du plan a qualité pour poursuivre les actions introduites auparavant.
La demande de mise hors de cause de l'administrateur et l'intervention volontaire du commissaire à l'exécution du plan seront accueillies, la première étant en outre déclarée bien fondée.
Si le corps des conclusions d'appelant mentionne demander " in limine litis " d'écarter des débats une pièce adverse n°100, cette prétention ne figure nullement au dispositif qui seul lie la cour en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, de sorte que la cour n'en est pas saisie.
Concernant la recevabilité de la tierce opposition de la société Selima, il sera rappelé que l'article 583 du code de procédure civile précise qu'est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie, ni représentée au jugement qu'elle attaque, et à la condition que ce jugement ait été rendu en fraude de ses droits ou si elle invoque un moyen qui lui est propre.
Et il résulte des dispositions de l'article L. 661-2 du code de commerce, que le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde de son débiteur est susceptible d'opposition.
Les créanciers et autres ayant cause d'une partie peuvent par conséquent, sous réserve de remplir les conditions de l'article 583 déjà mentionné, former tierce opposition au jugement ayant ouvert la procédure de sauvegarde au bénéfice de cette partie.
S'agissant d'une voie de recours extraordinaire, elle tend à faire rétracter ou reformer un jugement au profit du tiers qui l'attaque conformément aux termes de l'article 582 du code de procédure civile et permet de remettre en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit.
L'exigence d'un intérêt, prévue par l'article 583 du code de procédure civile ne se confond donc pas entièrement avec celle posée par l'article 31 du même code.
L'intérêt requis est l'intérêt à l'exercice du recours et non l'intérêt au succès de l'action.
L'intérêt du tiers doit être légitime, actuel, direct et personnel à peine d'irrecevabilité de la tierce opposition et ne peut résulter de sa propre négligence.
Il s'apprécie au regard du dispositif du jugement attaqué et non des motifs.
Il s'en déduit que pour apprécier la recevabilité d'une tierce-opposition le juge
doit seulement vérifier que le litige porte sur l'existence d'un droit susceptible d'être revendiqué par le tiers opposant, le débat sur le bien fondé de cette revendication ressortissant au fond.
Cependant, il découle des dispositions de l'article L. 620-1 du code de commerce que, hors le cas de fraude, l'ouverture de la procédure de sauvegarde ne peut être refusée au débiteur, au motif qu'il chercherait ainsi à échapper à ses obligations contractuelles, dès lors qu'il justifie par ailleurs de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter et qui sont de nature à le conduire à la cessation des paiements.
Pour déclarer irrecevable la tierce opposition de la société Selima, les premiers juges ont retenu que la société Selima ne justifie pas en quoi ses droits d'actionnaire minoritaire, non mis en cause, étaient menacés, son action étant uniquement au soutien de celle des autres sociétés du groupe Carrefour.
Les premiers juges ont cité l'article 33 des statuts de la société Selima pour retenir que celle-ci disposait de moyens juridiques autres que la tierce opposition pour faire valoir son désaccord.
Les premiers juges ont encore dit que la société Selima était irrecevable car elle était partie, en sa qualité d'actionnaire, au jugement querellé par la tierce opposition.
Sur ce dernier point, il sera rappelé qu'ainsi que si l'associé est en principe représenté par le représentant légal de la société qui agit en justice, il est néanmoins recevable à former tierce opposition contre un jugement auquel celle-ci a été partie, s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre.
Les premiers juges ne peuvent donc être approuvés d'avoir déclaré l'opposition irrecevable sans s'interroger sur la fraude expressément invoquée par la société Selilma à l'appui de sa tierce opposition.
Sur la fraude
Or, la société Selima expose que la mesure de sauvegarde a été ouverte par le jugement du 27 février 2023 qui constitue, selon elle, une fraude à la loi, et une fraude à ses droits.
Les éléments d'appréciation de la fraude sont caractérisés, selon la société Selima, par les éléments suivants.
Il est soutenu que le gérant de la société BTMR a trompé le tribunal sur la situation réelle de la société et a simulé les prétendues difficultés invoquées, ce qui constitue l'élément matériel de la fraude et, en l'absence de toute difficulté insurmontable, la sauvegarde n'a été mise en 'uvre par le dirigeant que dans le seul objectif de porter atteinte aux droits de Selima et de ses cocontractants ; tel serait l'élément moral de cette fraude. Il aurait ainsi trompé la religion du tribunal en simulant de prétendues difficultés et en lui dissimulant la situation réelle de la société.
C'est ainsi que la demande d'ouverture de sauvegarde soumise au tribunal le 17 février 2023 fait mention d'un certain nombre de difficultés opérationnelles pour prétendre in fine que la santé financière n'a cessé de se dégrader, cette situation faisant craindre un effondrement des comptes de la société dans les mois à venir.
Or, pour la société Selima, cette situation a été artificiellement créée par le dirigeant de la société BTMR à travers le prélèvement d'une rémunération hors de proportion avec les capacités financières de la société.
Selon la société Selima le technicien amiable chargé d'établir un rapport non contradictoire invoqué par la société Selima démontre que :
- la rémunération du dirigeant représente environ la moitié de la masse salariale, charges sociales incluses outre qu'elle représente une rémunération bien supérieure à la rémunération moyenne d'un dirigeant de PME de 20 à 49 salariés en France ainsi qu'au salaire moyen d'un directeur de magasin Super U ;
- le résultat de la société BTMR a été piloté exclusivement au travers de la rémunération de la gérance et des abondements [F] y afférents, ce qui a permis à M. [E] [U] de capter la quasi-intégralité de la rentabilité de la société BTMR ;
- M. [E] [U] a faussement présenté au tribunal un résultat net faible, sans préciser que ce ne pouvait qu'être le cas puisque l'intégralité du résultat était absorbée par sa rémunération, par un jeu de " vases communicants " ;
- l'application d'une rémunération normale permettrait ainsi à la société de dégager un résultat net très bénéficiaire, ce que M. [E] [U] a délibérément dissimulé au tribunal ;
- il s'est par ailleurs versé une somme de 120 000 euros quelques jours avant l'ouverture de la procédure de sauvegarde de la société BTMR (au titre du remboursement de son compte courant d'associé) ;
- sa rémunération et ce versement, dont le tribunal n'a pas été informé, ont impacté les résultats présentés par BTMR au moment de l'ouverture de la sauvegarde ainsi que sa trésorerie, étant précisé que M. [E] [U] a par ailleurs présenté au tribunal un prévisionnel de trésorerie erroné, faisant apparaître à tort une trésorerie négative ;
- le taux de marge nette de la société BTMR ne cesse de croître d'exercice en exercice, ce qui souligne l'absence de difficulté liée à la politique de prix de Carrefour, à l'inverse de ce que M. [U] a prétendu dans le cadre de l'ouverture de la procédure de sauvegarde ;
- non seulement la profitabilité de la société BTMR ne se dégrade pas mais mieux elle s'améliore de façon très significative en passant de 620 K euros en 2022 à 815 K euros (extrapolé sur 12 mois), ce qui se traduit par un accroissement attendu de 31,45 % de la marge nette (équivalent marge sur coût variable), certes à corriger de montants non provisionnés dans l'arrêté des comptes au 31 janvier 2023 ;
- mais il n'en demeure pas moins que la santé financière de la société BTMR est excellente.
La société Selima affirme encore que les prétendues difficultés de la société BTMR dans les relations avec le groupe Carrefour ont été alimentées par M. [E] [U] à travers l'envoi, à compter de 2022 (alors que les relations avec le groupe Carrefour avaient débuté en 2004), de courriers nombreux et répétitifs à son franchiseur, fournisseur et associé faisant état de critiques générales ou mineures sur l'organisation et la politique tarifaire du groupe.
La société BTMR aurait notamment écrit de manière inexacte dans sa demande d'ouverture de sauvegarde : " à aucun moment avant notre relation contractuelle, le Groupe Carrefour, Carrefour Proximité France, CSF ou Selima/Profidis (filiale à 100% du franchiseur), ne m'ont transmis les informations qui m'auraient permis de m'engager en toute confiance et en connaissance de cause.'
Selon la société Selima, contrairement à ce que soutient M. [E] [U], le schéma de franchise participative n'a pas été imposé à la société BTMR et reflète le projet commun noué avec Selima dès la constitution de la société en 2004, soit il y a désormais 19 ans ; M. [U] a expressément accepté les conditions particulières de la franchise participative et a choisi de s'engager aux côtés de Selima ; il a eu l'occasion jusqu'à l'acquisition du fonds de commerce en 2008 de mettre à l'essai l'exploitation sous enseigne Carrefour et de mesurer les performances de ce fonds de commerce sous cette enseigne ; en tout état de cause, ces difficultés sont factices.
La société Selima en veut pour preuve que la société BTMR n'a pas résilié les contrats de franchise et d'approvisionnement à leur échéance contractuelle, permettant ainsi leur renouvellement, présenté, de manière trompeuse, par la société BTMR comme constitutif d'une situation de blocage.
Pour la société Selima, M. [E] [U] tente donc de se délier des contraintes liées au schéma de franchise participative, dans lequel il s'est volontairement engagé, en les faisant passer, de manière trompeuse, pour des difficultés insurmontables, et ce contrairement à ce qu'indique BTMR, qui précise que " l'objectif unique poursuivi par le dirigeant de la société BTMR en se plaçant sous le bénéfice de la procédure de sauvegarde est d''uvrer dans l'intérêt social de la société BTMR, en recherchant une solution aux difficultés insurmontables existantes ", alors qu'en réalité M. [E] [U] n''uvre pas dans l'intérêt de la société BTMR mais dans son intérêt propre.
Ainsi, selon la société Selima, à compter de 2019, il a systématiquement prélevé l'intégralité de la rentabilité de la société à son profit, celle-ci ayant représenté un montant total de plus de 1,2 million d'euros depuis l'exercice 2019, et ce au détriment de la société.
Selon la société Selima, la fraude serait ainsi caractérisée dans son élément matériel, de même que l'élément moral de celle-ci.
En effet, l'unique objectif de la sauvegarde pour M. [E] [U] serait ainsi de revenir unilatéralement sur les accords librement conclus avec le groupe Carrefour, en s'affranchissant des procédures contractuelles prévues à cet effet.
Il serait ainsi établi que depuis l'assemblée générale du 18 novembre 2020, organisée uniquement pour provoquer délibérément un refus de Selima eu égard la précipitation de cette demande d'ouverture de la sauvegarde, non précédée d'une quelconque tentative amiable alors même que la société disposait d'une trésorerie confortable (même ponctionnée de 120 000 euros en remboursement du compte courant de M. [U]), il s'est agi de la mise en 'uvre d'une stratégie préméditée et décidée par le dirigeant pour imposer des modifications à son associé.
Il reste que la fraude résulte, selon la société Selima, du fait que :
- contrairement à l'objectif assigné par le législateur à la procédure sauvegarde, la société BTMR n'a quasiment aucun passif à apurer ;
- le passif échu, d'un montant total de 8 385,64 euros, est composé de dettes envers les organismes sociaux, qui concernent, pour l'essentiel, la rémunération de la gérance, ou de dettes à l'égard de la société Carrefour Proximité France ;
- le compte courant d'associé détenu par M. [E] [U] à l'égard de la société BTMR, représentant 74% du passif échu soit un montant total de 63 179,62 euros,
- retraité de ce compte courant d'associé, le passif échu réel de la société BTMR se limite à un montant de à 22 205,92 euros ;
- la société BTMR dispose d'une capacité d'autofinancement de 125 730 euros pour l'exercice 2024 et dispose, selon ses propres prévisions, d'une trésorerie non expliquée de plus de 1,5 millions d'euros en février 2024 (ce qui représente plus d'un million d'euros de plus qu'à l'ouverture de sa procédure de sauvegarde), ;
- ce plan se fonde ainsi sur un passif total échu et à échoir de 665 645,48 euros dont près de 90% correspond à un "PGE" dont l'échéance contractuelle est à 4 ans ;
- il est manifeste que ce projet de plan ne vise pas à permettre à BTMR de faire face à de quelconques difficultés mais seulement à solliciter l'application des dispositions de l'article L626-3 du code de commerce, selon la volonté unilatérale du gérant et à son seul bénéfice ;
- ce plan est d'autant plus simulé qu'il n'intègre pas les créances de Carrefour Proximité France et CSF liées à la résiliation de leurs contrats, par ordonnance du juge-commissaire du 9 février 2024 ;
- ce plan artificiel a pour seul objet de demander l'application de l'article L626-3 du code de commerce et d'imposer à Selima les modifications statutaires rejetées par cette dernière.
Il est soutenu que le gérant de la société BTMR a obtenu l'ouverture de la procédure de sauvegarde dans des circonstances frauduleuses, sans en informer son associée minoritaire ni ses principaux partenaires alors même que la demande d'ouverture de la procédure les met en cause et en omettant volontairement de dévoiler certains éléments au tribunal, dans le cadre d'une stratégie délibérée visant uniquement à remettre en cause les droits de Selima au titre du contrat de société.
De leur côté, la société BTMR et le commissaire à l'exécution du plan dénient toute fraude et reprennent les motivations du jugement du tribunal de commerce de Lille rendu sur la tierce opposition de la société CPF, qui a écarté la fraude alléguée.
Il est souligné que la société Selima, rapports de gérance à l'appui, ne s'était jamais plainte de la rémunération du gérant.
Contestant l'analyse du technicien amiable adverse, toute notion de rémunération normative du gérant est rejetée par principe par la société BTMR.
Il est souligné que le loyer payé pour l'extension à une société civile détenue en famille par le gérant n'est pas un complément de rémunération du gérant, mais la contrepartie de la mise à disposition des locaux, faite pour un montant cohérent pas même critiqué par le technicien amiable.
Il est répondu sur les développements relatifs au remboursement du compte courant sont sans rapport avec la santé financière de la société, dont il ne s'agit que d'un moyen de son financement, sans convention de blocage.
La société BTMR conteste les analyses de marge opérée par le technicien amiable adverse, qui extrapolent selon lui de manière téméraire sur seulement trois mois de 2023.
Il est souligné que même avec une rémunération normative pour le gérant de 150 000 euros annuelle, le technicien amiable met en évidence une baisse de résultat au 31 octobre 2022, confirmant la baisse constante des résultats.
Sur ce, il sera rappelé avant tout que les difficultés entre le franchiseur et le franchisé se sont cristallisées à l'occasion du projet d'agrandissement du supermarché, entrepris en 2018 et réalisé en 2022.
En février 2019, la société Selima a voté contre les résolutions d'assemblée générale de la société BTMR prises pour autoriser l'extension.
Lors d'une assemblée générale de mars 2019, la société Selima a finalement voté l'extension, autorisant tout ensemble : la prise à bail des locaux contigus, l'obtention du financement (500 000 euros sur la durée de 7 ans) et les garanties afférentes, mais aussi la résiliation par anticipation des contrats de franchise et d'approvisionnement et la conclusion de nouveaux contrats de franchise et d'approvisionnement, chacun pour une durée de sept années, ainsi qu'un nantissement du fonds de commerce en faveur de la société CSF.
Le franchiseur a ensuite obtenu de porter de 7 ans à 10 ans la durée de renouvellement des contrats de franchise et d'approvisionnement.
Sur ce, la cour rappelle que la procédure de sauvegarde a été ouverte, selon le dossier produit, en invoquant notamment les moyens suivants contenues dans la lettre de saisine :
- les prix d'achats et de revente sont beaucoup trop élevés - bien plus que chez la concurrence - ce qui est problématique sur plusieurs points.
Même le Carrefour Market qui est dans ma zone de chalandise pratique des prix de vente clients qui sont moins chers que mes prix de cessions sur des produits essentiels pourtant nous achetons à la même centrale d'achat.
D'abord les prix d'achat ne permettent pas à la société d'avoir une marge suffisante pourtant promise par le groupe CARREFOUR. La rentabilité de la société est donc lourdement impactée et est donc trop faible.
Ensuite, le magasin n'est pas compétitif au niveau tarifaire ce qui impacte de manière négative les résultats de la société. La fidélisation de la clientèle est trop difficile, celle-ci préférant naturellement les enseignes moins chères, d'autant plus dans le contexte inflationniste actuel.
En pratique, en raison du système informatique imposé par CARREFOUR, la modification des prix est quasiment impossible car trop fastidieuse et longue.
Egalement, une telle modification des prix - déjà élevés pour les consommateurs - entrainerait la perte des ristournes annuelles tarifaires de la société, indispensable pour sa survie.
En somme, la société n'a aucun moyen de contrôle sur les prix pratiqués dans son point de vente, malgré une politique tarifaire imposée non compétitive et une faible rentabilité.
- les outils informatiques pour lesquels la société a conclu un 'pack informatique' ont un coût extrêmement élevé et ne sont pas performants ce qui engendrent des difficultés de gestions quotidiennes pour la société.
- Diverses opérations promotionnelles sont imposées à la société BTMR par les sociétés du groupe CARREFOUR (dont il faut noter une confusion manifeste des intérêts par moment) sans recueillir son accord préalable ni même l'informer de l'opération !
- ll y a environ 5 ans, j'ai exprimé ma volonté de m'agrandir suite à un local voisin se libérant. Sans me concerter, CARREFOUR a pris à bail ce local contigu au mien. Il a également contacté mon cabinet comptable afin de faire rédiger une AGE à mon insu, pour m'imposer un troisième associé, filiale de CARREFOUR, au sein de ma structure. Parallèlement a voulu m'imposer un protocole d'accord totalement déséquilibré et à son seul avantage.
- Il y a quelques mois, suite aux travaux d'agrandissement de mon point de vue, le groupe CARREFOUR a refusé de verser à la société les aides prévues à cet effet, alors que ces produits font partie du montage financier et du prévisionnel construit et validé par CARREFOUR. Le non versement de ces produits impacte fortement la trésorerie de ma société.
- De plus, tous les engagements de CARREFOUR sur l'ouverture à une gamme plus large permettant d'offrir plus de choix à mes clients me sont aujourd'hui refusés. Supprimant tout intérêt commercial à cet agrandissement et limite par la même ma marge et mon chiffre d'affaires. Il en résulte que les investissements pour cet agrandissement vont 'plomber' le compte de résultat.
- Il y a environ 2 ans, le groupe CARREFOUR a racheté un fonds de commerce CARREFOUR EXPRESS à proximité de mon point de vente. Il a effectué un transfert sur le trottoir d'en face afin de pouvoir tripler sa surface, faisant peser une concurrence nouvelle pour mon magasin que je qualifierais de concurrence contraire à la loyauté contractuelle, à la bonne foi qui devrait régir nos relations - venant du groupe de mon propre franchiseur ! - les résultats de la société ont souffert de cette nouvelle concurrence.
[']
Il est encore mentionné dans le projet de plan de sauvegarde que le franchiseur ou son groupe a racheté et transféré un fonds de commerce Carrefour Express à proximité du magasin Carrefour City de la société BTMR, occasionnant ainsi une concurrence nouvelle par un établissement neuf à l'enseigne Carrefour, affirmant que cela avait annulé la progression du chiffre d'affaires constatée les années passées et même érodé le chiffre d'affaires depuis près d'une année.
S'il est soutenu dans le projet de plan que ce concurrent a contribué à la baisse du chiffre d'affaires observée entre 2019 et 2020, il résulte toutefois des propres énonciations des conclusions de la société BTMR que si le chiffre d'affaires a été de 4 736 573 euros pour l'exercice clos le 3 octobre 2019, ce résultat concerne 15 mois, l'exercice ayant couvert la période allant du 1er août 2018 au 31 octobre 2019.
Par conséquent, si pour l'exercice clôturé le 31 octobre 2020, le chiffre d'affaires a été de 3 728 384 euros, il est exact que cela n'établit pas de diminution sensible.
Il s'en déduit qu'il est établi que la diminution alléguée du chiffre d'affaires annuel n'est pas valablement soutenue pour les exercices clôturés en 2018, 2019 et 2020.
Le ralentissement d'activité en juillet et août 2023, soutenu dans le projet de plan de sauvegarde, à le supposer lié à l'arrivée d'un concurrent Carrefour à environ 300 mètres plutôt qu'à la saisonnalité, apparaît rattrapé, en toutes hypothèses, dès septembre et octobre suivants.
En réalité, le chiffre d'affaires est stable et même en augmentation progressive..
Cette situation quant au chiffre d'affaires ne caractérise cependant pas de fraude à l'occasion de l'ouverture de la procédure de sauvegarde.
En effet, ce même projet de plan de sauvegarde, établi par l'administrateur de la société BTMR, relate que la rémunération du gérant et ses accessoires (charges sociales, cotisations retraite et prévoyance) représente 40 % de la masse salariale représentant elle-même entre 15 et 16 % du chiffre d'affaires. " Le résultat net comptable des trois derniers [clôturés les 31 octobre 2020, 31 octobre 2021 et 31 octobre 2022] est juste à l'équilibre, à ceci près que la variable d'ajustement du résultat net est le montant du salaire perçu par M. [E] [U], afin d'éviter la distribution de dividendes à l'actionnaire minoritaire. "
Le principe de cette observation corrobore sur ce point l'analyse du technicien amiable invoquée par la société Selima, sauf à déterminer si, comme l'affirme l'appelante, la rémunération prélevée par le gérant est excessive et caractérise la fraude dans l'ouverture de la procédure de sauvegarde.
Or, à cet égard, non seulement rien ne permet de juger que les choix opérés par le dirigeant en matière de rémunération caractérisent une fraude dans la demande d'ouverture de la procédure de sauvegarde mais encore, alors qu'il résulte de la saisine du tribunal de la procédure collective que la rentabilité insuffisante induite par les contraintes du modèle de franchise offert par le groupe Carrefour a été le moyen essentiel soutenu ( le niveau de prix d'achat trop élevé mentionné dans la lettre de saisine déjà citée) pour justifier de craintes concernant la pérennité de l'entreprise dans son environnement concurrentiel, le propre technicien invoqué par la société Selima, sur la base d'une analyse de rentabilité reconstituée avec une rémunération du dirigeant conforme aux prétendues normes en usage, soit 150 000 euros par an, révèle qu'entre 2019 et 2022 le résultat n'a fait que décroître : 128 081 euros en 2019, 99 260 euros en 2020, et 74 499 euros en 2022.
Pourtant, le chiffre d'affaires, ainsi qu'il a été dit, est resté stable voire en légère augmentation.
Dans ces conditions, il n'est pas valablement reproché au chef d'entreprise d'avoir frauduleusement obtenu l'ouverture de la procédure de sauvegarde au moyen que les difficultés financières seraient fictives.
La cour ne peut tirer non plus aucune conséquence, pour l'appréciation de la fraude, du loyer versé pour l'extension à la société familiale du gérant.
Le propre rapport de technicien qu'invoque la société Selima n'établit pas d'exagération de ce chef.
En outre, le remboursement du compte courant d'associé quelques jours avant la demande de procédure de sauvegarde ne caractérise pas davantage la fraude, nul manquement contractuel n'étant démontré à l'agard du gérant de ce chef.
Les déclarations du chef d'entreprise dans la saisine du tribunal de la procédure ne démontrent aucune intention de tromper la juridiction commerciale.
Il résulte de ce qui précède que s'il n'y avait, à l'ouverture de la procédure de sauvegarde, aucun aspect de la situation financière et comptable de la société BTMR de nature à faire retenir que la société était condamnée à brève échéance à la cessation des paiements - pas même de passif échu-, pour autant, il ne peut être retenu, à l'examen en particulier du dossier d'ouverture de la procédure collective déposé par le gérant devant le tribunal de commerce, même comparé au rapport du technicien amiable invoqué par la société Selima, que le chef d'entreprise ait agi par fraude, s'agissant en particulier de l'insuffisance de rentabilité de son magasin imposée par le modèle de franchise.
Au demeurant, si l'ouverture de la procédure collective remet en question le principe même du modèle économique de franchise offert en l'espèce par le groupe Carrefour en faisant droit à l'argumentation du débiteur sur une rentabilité insuffisante pour des raisons structurelles inhérentes à ce modèle, nulle fraude du débiteur n'est caractérisée pour autant.
Le caractère fictif des difficultés économiques rencontrées par la société BTMR et ayant été de nature à la conduire à la cessation des paiements à une échéance future plus ou moins proche n'est nullement établi par l'actionnaire minoritaire.
Peu importe qu'à la date de la demande de sauvegarde il n'y ait eu encore aucun passif échu, en présence de l'affaissement de la rentabilité résultant du niveau trop élevé des prix depuis plusieurs années, cet affaissement représentant la difficulté insurmontable essentielle résultant de la déclaration du débiteur à l'occasion de la demande d'ouverture de la procédure.
La saisine en ouverture de la sauvegarde du tribunal de la procédure collective par le débiteur examinée à la lumière des éléments de preuve apportés par la société Selima et du projet de plan de sauvegarde, ne révèle aucune fraude commise à l'occasion de l'ouverture de la procédure collective.
Dans ces conditions, le recours à la procédure de sauvegarde, même dans le but d'obtenir la résiliation du contrat de franchise ou de tout autre contrat rattachant la société BTMR au groupe Carrefour ne peut caractériser une fraude à la loi, ni même une fraude aux droits du tiers opposant.
La société BTMR n'encourt pas davantage de sanction pour fraude pour avoir privilégié la procédure collective pour traiter les difficultés rencontrées avec le groupe dont dépend le tiers-opposant, plutôt que de recourir à quelque démarche amiable que ce soit à l'égard de l'actionnaire minoritaire.
Il n'est pas établi que la société BTMR ait enfreint une obligation d'informer préalablement l'associé minoritaire de sa décision de demander l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, ou qu'elle ait enfreint avec intention frauduleuse un autre préalable amiable obligatoire.
Ni la politique de rémunération du gérant -prévisions en matière de retraite comprises-, ni l'absence de nécessité d'établir un plan d'apurement du passif, ni les perspectives relativement favorables contenues au projet de plan de sauvegarde, ni l'objectif de la société BTMR et de son associé majoritaire de rompre les liens avec le groupe Carrefour -notamment par la modification de l'objet social -, ni l'inscription de ce litige dans le cadre d'un mouvement de contestation des franchisés présentant un certain caractère collectif -nulle concertation frauduleuse n'étant établie en l'espèce pour autant -, ne caractérise davantage la fraude alléguée.
Se trouve sans emport, pour caractériser en l'espèce la fraude, dont la charge de la preuve incombe à la société Selima, la discussion conduite quant à la force probante attachée au rapport du 2 octobre 2023 établi par la société Finexsi pour la société BTMR, qui fait état d'une étude comparative avec un taux de marge inférieur de 11,68 points pour un approvisionnement par le réseau Carrefour plutôt que par celui d'une enseigne concurrente.
Par conséquent, il résulte de ce qui précède que la fraude n'est nullement démontrée.
Sur les droits propres
S'agissant des droits propres invoqués par la société Selima à l'appui de la recevabilité de sa tierce opposition, cette société soutient que sa qualité d'associée et les droits spécifiques qu'elle détient sur la société commune d'exploitation dans le cadre de la franchise participative justifient qu'elle puisse seule faire valoir ses droits et défendre le contrat de société, face à la stratégie de passage en force de l'actionnaire majoritaire.
Elle indique disposer, en tant qu'associée, de moyens propres dont la société BTMR ne fait pas état concernant l'absence de difficulté insurmontable de la société, M. [U] ayant sollicité l'ouverture d'une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société BTMR et prétendant que cette société rencontrerait des difficultés insurmontables, notamment au regard de son faible résultat et son prétendu manque de rentabilité, alors que cette présentation de la situation est selon elle mensongère, puisqu'il ressortirait de l'examen des comptes que le résultat de la société BTMR a été construit artificiellement à travers la rémunération du gérant et des abondements [F] y afférents, jusqu'à prélever la quasi-intégralité de la rentabilité de la société, tout en soutenant en parallèle que cette société rencontrerait des difficultés insurmontables.
Elle fait valoir que la société BTMR invoque des difficultés liées à sa participation (confondant ainsi difficultés et contraintes) l'accusant d'exercer une mainmise sur la société qui aurait pour conséquence de priver la société BTMR de toute marge de man'uvre, la plaçant ainsi d'autant plus dans une situation de dépendance à l'égard du franchiseur.
Elle souligne que la société BTMR vise également les clauses contractuelles de ses statuts et du pacte d'associés, l'accusant ainsi d'être à l'origine de ses prétendues difficultés.
Elle explique que seule elle peut se défendre contre les prétendues difficultés juridiques de la société BTMR liées à sa présence au capital et aux clauses statutaires existantes, ce constat conduisant à caractériser l'existence de moyens propres devant lui bénéficier.
Elle conclut que dans ce contexte d'opposition entre la société BTMR et elle-même, il est indispensable que chacune des parties puisse faire valoir ses moyens, de sorte que la tierce-opposition doit être déclarée recevable.
Toutefois, en dénonçant le non-respect du contrat de société ou du pacte d'associés, la société Selima se positionne en tant que filiales du groupe Carrefour dont elle défend les intérêts -par le refus de changement d'enseigne -, et non en tant qu'associée de la société franchisée, étant rappelé qu'elle a pour activité de gérer les valeurs mobilières de ces sociétés en prenant des participations dans leur capital, et qu'à ce titre, elle ne subit pas un préjudice personnel en lien avec l'ouverture d'une procédure de sauvegarde qui, selon l'article L.620-1 du code de commerce, est " destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif ", donc globalement, à rétablir la situation de la société et consécutivement conforter ses intérêts d'associée.
Les premiers juges doivent être approuvés d'avoir retenu qu'en tout état de cause, le jugement frappé de tierce opposition n'affecte pas de manière spécifique ses droits, le dispositif de ce jugement ne prononçant pas le changement d'enseigne Carrefour.
La société Selima est également mal fondée à soutenir l'existence d'un moyen propre au motif qu'elles ont été mises en cause par le débiteur et les organes de cette procédure à l'occasion de la procédure de sauvegarde.
En effet, il est rappelé que si le jugement frappé de tierce opposition doit affecter les droits du tiers opposant de manière spécifique, le préjudice dont est autorisé à se prévaloir le tiers opposant à l'appui de ses moyens propres doit résulter du dispositif de la décision attaquée et non pas de ses motifs ; or, les jugements ouvrant la procédure de sauvegarde ne fait en l'espèce aucunement référence dans son dispositif aux mises en cause personnelles dénoncées par l'appelante.
En tout état de cause, la société Selima n'a pas perdu sa qualité d'associée de la société débitrice comme suite à l'ouverture de la procédure de sauvegarde.
En l'espèce, il sera retenu que la société Selima tierce opposante ne se prévaut pas d'une atteinte à des droits attachés à sa qualité d'associée et qu'elle ne conteste pas davantage l'un des effets des jugements de sauvegarde mais seulement l'argumentation de leurs adversaires, sans pour cela invoquer de moyen qui lui soit propre.
En l'absence de fraude, ainsi qu'il a déjà été dit, la société Selima ne justifie d'aucun droit propre de nature à rendre recevable la tierce opposition.
La présente tierce opposition est par conséquent irrecevable.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur le surplus des demandes
Le jugement entrepris sera également confirmé sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile.
Toutefois, c'est à tort que les premiers juges ont débouté la société Selima de ses demandes comprenant celles qui découlaient de la tierce opposition jugée irrecevable.
Dès lors que la juridiction ne peut, à peine d'excès de pouvoir, débouter une partie d'une demande après avoir déclaré cette demande irrecevable, le jugement sera réformé de ce chef.
Dès lors encore que nul abus de droit n'est caractérisé en l'espèce, c'est encore à tort que les premiers juges ont condamné la société Selima au titre d'une amende civile.
Le jugement entrepris sera donc réformé de ce chef, les intimées voyant rejeter leur demande à ce titre.
En l'absence d'abus de droit, le jugement entrepris sera cependant confirmé en ce qu'il a débouté la société BTMR de sa demande en dommages-intérêts formée à ce titre.
La société Selima, en équité, versera à la société BTMR une somme complémentaire au titre de l'article 700 du code de procédure civile dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt.
La société Selima sera condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Met hors de cause la SELARL Ajilink-[D] Cabooter-De Channaud prise en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société BTMR ;
Reçoit l'intervention volontaire de cette même SELARL prise en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement ;
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit irrecevable la tierce opposition ;
Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Selima de ses demandes et en ce qu'il a condamné la société Selima à payer 5000 euros à titre d'amende civile ;
Confirme le jugement entrepris pour le surplus ;
Statuant de nouveau sur les chefs réformés et y ajoutant,
Déboute de la demande de la société BTMR au titre de l'amende civile ;
Condamne la société Selima à payer 10 000 euros à la société BTMR au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;
Condamne la société Selima aux dépens du présent appel.
Le greffier
Valérie Roelofs
Le président
Dominique Gilles