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20/06/2024 | FRANCE | N°23/03298

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 2, 20 juin 2024, 23/03298


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 2



ARRÊT DU 20/06/2024





****





N° de MINUTE :

N° RG 23/03298 - N° Portalis DBVT-V-B7H-VADQ



Ordonnance (N° 21/00039) rendue le 09 mai 2023, notifiée le 04 juillet 2023, par le juge commissaire d'Avesnes-sur-Helpe





APPELANTE



Madame [C] [R] veuve [M]

née le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 5] (BELGIQUE), de nationalité belge
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représentée par Me Guy Foutry, avocat au barreau de Douai, avocat constitué,

assistée de Me Mounir Aidi, avocat au barreau d'Avesnes-sur-Helpe, avocat plaidant





INTIMÉS


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République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 20/06/2024

****

N° de MINUTE :

N° RG 23/03298 - N° Portalis DBVT-V-B7H-VADQ

Ordonnance (N° 21/00039) rendue le 09 mai 2023, notifiée le 04 juillet 2023, par le juge commissaire d'Avesnes-sur-Helpe

APPELANTE

Madame [C] [R] veuve [M]

née le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 5] (BELGIQUE), de nationalité belge

demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Guy Foutry, avocat au barreau de Douai, avocat constitué,

assistée de Me Mounir Aidi, avocat au barreau d'Avesnes-sur-Helpe, avocat plaidant

INTIMÉS

Comptable Public chargé du service des impôts des particuliers non résidents, pris en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

ayant son siège [Adresse 2]

représentée par Me François-Xavier Wibault, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué

SELARL [E] Aras & associés prise en la personne de Maître [N] [E], en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de Madame [R]

ayant son siège [Adresse 3]

représentée par Me Camille Desbouis, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

DÉBATS à l'audience publique du 16 avril 2024 tenue par Stéphanie Barbot magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Stéphanie Barbot, présidente de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Anne Soreau, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024 (date avancée, initialement prévue le 4 juillet 2024) et signé par Stéphanie Barbot, présidente et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 19 mars 2024

****

Faits et procédure

Mme [R], exerçant la profession de cardiologue, a fait l'objet d'un contrôle fiscal.

Alors que ce contrôle était en cours, un jugement du 8 février 2022, publié au Bodacc le 24 février 2022, l'a mise en redressement judiciaire, la société [E] Aras & associés étant nommée en qualité de mandataire judiciaire.

Le 15 mars 2022, le comptable public du service des impôts des particuliers non-résidents (le SIP) a déclaré au passif de cette procédure collective une créance de 330 000 euros, à titre provisionnel, correspondant à un rappel d'impôts sur le revenu afférents aux années 2018, 2019 et 2020.

Le 12 avril 2022, le comptable public chargé du pôle de recouvrement spécialisé du Nord (le pôle de recouvrement spécialisé) a déclaré au passif la même créance, à titre provisionnel.

Par une lettre du 10 juin 2022, le mandataire judiciaire a informé le SIP de ce que la débitrice contestait sa créance, aux motifs que celle-ci faisait double emploi avec la créance déclarée par le pôle de recouvrement spécialisé ; il a, en conséquence, proposé le rejet de cette créance.

           

Le SIP ayant donc demandé au pôle de recouvrement spécialisé d'abandonner sa déclaration de créance, ce pôle a, par une lettre du 23 juin 2022, écrit au mandataire judiciaire qu'il renonçait au bénéfice de sa déclaration de créance provisionnelle.

Le 31 décembre 2022, la direction générale des finances publiques a émis contre Mme [R] des avis de mise en recouvrement au titre de l'impôt sur le revenu des années 2018 à 2020 inclus, pour un montant total de 230 151 euros.

Le 19 janvier 2023, le SIP a déclaré sa créance à titre définitif à concurrence de la somme de 230 151 euros, au titre de l'impôt sur le revenu des années 2018, 2019 et 2020.

Après avoir initialement opposé au SIP la forclusion, par une lettre du 26 janvier 2023, le mandataire judiciaire, ayant reçu les explications de ce service le 1er février 2023, lui a indiqué, le 3 février 2023, qu'il inscrivait la créance pour 230 151 euros, à titre définitif.

Le 9 février 2023, Mme [R] a indiqué maintenir sa contestation.

Le 24 février 2023, l'état des créances a été déposé au greffe et publié au Bodacc le 14 avril 2023.

Statuant sur la contestation soulevée par la débitrice, le juge-commissaire du tribunal judiciaire d'Avesnes-sur-Helpe a, par une ordonnance du 9 mai 2023, notifée le 4 juillet 2023 :

-  admis la créance du SIP à concurrence de la somme de 230 151 euros, au titre des impôts sur le revenu des années 2018, 2019 et 2020, à titre définitif, privilégié et hypothécaire.

Un jugement du 11 juillet 2023, publié au Bodacc les 5 et 6 août 2023, a arrêté le plan de redressement de Mme [R].

Le 13 juillet 2023, Mme [R] a relevé appel de l'ordonnance du 9 mai 2023.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 septembre 2023, Mme [R] demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions, l'ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau :

- rejeter la créance du SIP d'un montant de 230 151 euros, admise à titre définitif, privilégié et hypothécaire au passif ;

- condamner le SIP aux dépens.

Mme [R] articule son argumentation en trois points et fait ainsi valoir que :

* d'abord, la proposition de rejet total de la créance du SIP n'a pas été contestée. Ainsi :

- c'est à tort que le juge-commissaire a admis la créance du SIP au motif que la déclaration de créance avait été adressée le 19 janvier 2023, soit avant le dépôt au greffe du compte rendu de fin de mission du mandataire judiciaire ;

- en effet, cette déclaration de créance a été adressée « au-delà du 24 avril 2022 et était donc forclose puisque la proposition de rejet total de la créance provisionnelle du 15 mars 2022 n'avait pas été contestée ». C'est pourquoi le mandataire judiciaire avait invoqué la forclusion ;

* ensuite, la forclusion « de la créance du SIP » est encourue sur le fondement de l'article L. 622-24, alinéa 4, du code de commerce. Ainsi :

- le juge-commissaire ne pouvait « admettre cette créance forclose bien qu'elle fût déclarée à titre provisionnel le 15 mars 2022 » ;

- en effet, le juge-commissaire devait uniquement statuer sur la proposition de rejet total de la créance par le mandataire judiciaire, « et non sur les réclamations du créancier qui n'était plus recevable à contester ce rejet total » ;

- le premier juge ne pouvait admettre la créance sans vérifier si elle avait été régulièrement déclarée à titre provisionnel, ce qu'il n'a pas fait, car l'article L. 622-24, alinéa 4, du code de commerce dispose que l'établissement définitif de la créance suppose préalablement une créance régulièrement déclarée à titre provisionnel. Or, tel n'a pas été le cas en l'espèce : la créance du SIP n'a jamais été admise à titre provisionnel, ayant fait l'objet d'un rejet total par une lettre du mandataire judiciaire du 10 juin 2022, de sorte que l'émission ultérieure d'un titre exécutoire, « le 6 mars 2023 », est sans effet sur l'admission de sa créance ;

* enfin, à titre subsidiaire, « la créance » du SIP est forclose en raison de la tardiveté de l'émission du titre exécutoire. En effet :

- la procédure de vérification de la comptabilité, qui n'a pas été contestée, était déjà terminée puisque le SIP « avait déjà déclaré sa créance définitive dès le 19 janvier 2023, en fixant la date de mise en recouvrement au 31 décembre 2022 et en éditant les avis d'impôt en cause le 6 février 2023 » ;

- le délai à prendre en compte était donc celui fixé par l'article L 624-24, alinéa 4, pour la détermination de l'assiette et du calcul de l'impôt, et non le délai en cas de contrôle et de rectification de l'impôt ;

- un commandement de payer lui ayant été notifié le 6 mars 2023, soit après l'expiration du délai de douze mois courant à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bodacc, le 24 février 2022, la forclusion était inévitable.

 

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 décembre 2023, le comptable public chargé du SIP demande à la cour de :

Vu les articles L. 252 et suivants du livre des procédures fiscales,

Vu les articles L. 622-24, L. 624-2 et suivants du code de commerce,

Vu l'article R. 624-2 du code de commerce,

Vu les articles L. 631-18 et suivants du code de commerce,

- juger ses demandes recevables et bien fondées ;

- rejeter l'ensemble des demandes de Mme [R] ;

En conséquence,

*à titre liminaire : confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ; 

* à titre subsidiaire : l'autoriser à faire procéder à la « ratification de la déclaration de l'état des créances effectuée par Mme [R] à l'ouverture du redressement judiciaire ouvert à son bénéfice auprès du mandataire judiciaire », conformément aux dispositions de l'article L. 622- 24, 2°et 3°, du code de commerce, afin d'y faire inscrire sa créance pour un montant de 230 151 euros au titre des impositions sur le revenu 2018, 2019 et 2020 à titre définitif, privilégié et hypothécaire ;

* en tout état de cause :

- fixer au passif la somme de 3 500 euros à titre d'indemnité procédurale ;

- fixer au passif de Mme [R] les dépens.

Le SIP soutient que sa demande d'admission à titre définitif est bien fondée, aux motifs, notamment, que :

- il a déclaré sa créance à titre provisionnel dans le délai de deux mois imparti par l'article L. 624-1 du code de commerce. Cette déclaration était donc régulière ;

- si le mandataire judiciaire avait initialement contesté sa déclaration, c'est en raison de l'existence d'une déclaration concurrente, effectuée par le pôle de recouvrement spécialisé, donc en raison du « doublon » de la créance déclarée. Cependant, à la suite de cette contestation, ce pôle a abandonné sa déclaration de créance provisionnelle, cette renonciation ayant rendu sans objet la contestation du mandataire judiciaire. Mme [R] ne peut donc se prévaloir de cette contestation ;

- en tout état de cause, le mandataire judiciaire a finalement inscrit la créance à titre définitif, conformément à son courriel du 3 février 2023, après que le pôle de recouvrement spécialisé a renoncé à sa déclaration de créance ;

- au surplus, « aucune substitution de créancier ne saurait intervenir dès lors que [lui, le SIP] a régulièrement déclaré à titre provisoire ses créances dans le délai qui lui était imparti, sa déclaration définitive venant simplement substituer sa déclaration provisoire » (p. 12, §1) ;

- par ailleurs, lors du jugement d'ouverture, Mme [R] faisait l'objet d'un contrôle fiscal. Partant, conformément à l'article L. 622-24, alinéa 4, lui, le SIP, devait régulariser une déclaration à titre définitif des créances faisant l'objet de ce contrôle avant le dépôt du compte rendu de fin de mission du mandataire judiciaire, ce qu'il a fait ;

- la déclaration de créance définitive, régularisée dans le délai imparti, ne peut donc être considérée comme forclose.

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 décembre 2023, le mandataire judiciaire de Mme [R] demande à la cour de :

Vu les articles L. 622-24 et suivant du code de commerce,

- juger ses demandes recevables et bien fondées ;

- confirmer l'ordonnance entreprise ;

Et « statuant à nouveau » (sic) :

- condamner Mme [R] à lui payer la somme de 1 500 euros à titre d'indemnité procédurale ;

-  la condamner aux dépens.

Après avoir indiqué que les deux déclarations de créance ont, en l'espèce, été effectuées dans le délai de deux mois imparti par l'article L. 622-24, puis rappelé les règles relatives à la contestation de créance (pp. 3-4), le mandataire judiciaire fait d'abord valoir que :

- sa contestation du 10 juin 2022 portait sur le fait que la créance du SIP faisait double emploi avec celle déclarée par le pôle recouvrement. Et le 23 juin 2022, soit dans le délai de 30 jours, la direction générale des finances publiques, par le pôle de recouvrement spécialisé, a informé le mandataire judiciaire de ce qu'elle abandonnait sa créance à titre provisionnel ;

- autrement dit, dès le 23 juin 2022, le motif de contestation avait disparu, de sorte que la contestation elle-même était devenue sans objet. Il n'y avait plus de contestation à l'égard de la créance du SIP ;

- au besoin, il peut être relevé qu'il y a bien eu une réponse du créancier déclarant dans le délai de 30 jours. En effet, le créancier déclarant est en réalité la direction générale des finances publiques, qui comporte plusieurs services. Ainsi, la réponse apportée par le pôle de recouvrement spécialisé le 23 juin 2022 a été faite pour le compte de ce créancier.

Ensuite, s'agissant de l'admission de la créance, il soutient que :

- en droit, l'article L. 622-24 prévoit des modalités de déclaration particulières en faveur du Trésor public ;

- en l'espèce, la créance du Trésor public correspond à une créance consécutive à une procédure de contrôle et à la date de la déclaration de créance, aucun titre exécutoire n'avait été émis. Cette créance a bien été déclarée à titre provisionnel dans le délai légal de deux mois, puis à titre définitif avant le dépôt au greffe du compte rendu de fin de mission du mandataire judiciaire ;

- certes, il a, en tant que mandataire judiciaire, adressé une lettre de refus de prise en compte de cette créance au motif qu'elle serait tardive, ce qui était en réalité inexact et donc sans effet. Il a donc conseillé au Trésor public de déposer une requête en relevé de forclusion, alors que cela n'était pas nécessaire, conformément à la lettre de l'article L. 622-24. D'ailleurs, dès le 3 février 2023,il a indiqué inscrire la créance du Trésor à titre définitif à hauteur de 230 151 euros ;

- puisqu'au 19 janvier 2023 (date de la déclaration de créance à titre définitif), il n'avait pas déposé au greffe son compte rendu de fin de mission, sont réunies les conditions d'admission de la créance du Trésor fixées par l'article L. 622-24.

MOTIFS

Aux termes de l'article L. 622-27 du code de commerce :

S'il y a discussion sur tout ou partie d'une créance autre que celles mentionnées à l'article L. 625-1, le mandataire judiciaire en avise le créancier intéressé en l'invitant à faire connaître ses explications. Le défaut de réponse dans le délai de trente jours interdit toute contestation ultérieure de la proposition du mandataire judiciaire, à moins que la discussion ne porte sur la régularité de la déclaration de créances.

L'article R. 624-1, alinéa 2, précise que :

Si une créance autre que celle mentionnée à l'article L. 625-1 est discutée, le mandataire judiciaire en avise le créancier ou son mandataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Le délai de trente jours prévu à l'article L. 622-27 court à partir de la réception de la lettre. Cette lettre précise l'objet de la discussion, indique le montant de la créance dont l'inscription est proposée et rappelle les dispositions de l'article L. 622-27.

Quant à l'article L. 622-24, alinéa 4, du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 22 mai 2019, il dispose que :

La déclaration des créances doit être faite alors même qu'elles ne sont pas établies par un titre. Celles dont le montant n'est pas encore définitivement fixé sont déclarées sur la base d'une évaluation. Les créances du Trésor public et des organismes de prévoyance et de sécurité sociale ainsi que les créances recouvrées par les organismes visés à l'article L. 5427-1 à L. 5427-6 du code du travail qui n'ont pas fait l'objet d'un titre exécutoire au moment de leur déclaration sont admises à titre provisionnel pour leur montant déclaré. En tout état de cause, les déclarations du Trésor et de la sécurité sociale sont toujours faites sous réserve des impôts et autres créances non établis à la date de la déclaration. Sous réserve des procédures judiciaires ou administratives en cours, leur établissement définitif doit, à peine de forclusion, être effectué dans le délai prévu à l'article L. 624-1. Si la détermination de l'assiette et du calcul de l'impôt est en cours, l'établissement définitif des créances admises à titre provisionnel doit être effectué par l'émission du titre exécutoire dans un délai de douze mois à compter de la publication du jugement d'ouverture. Toutefois, si une procédure de contrôle ou de rectification de l'impôt a été engagée, l'établissement définitif des créances qui en font l'objet doit être réalisé avant le dépôt au greffe du compte rendu de fin de mission par le mandataire judiciaire. Le délai de cet établissement définitif est suspendu par la saisine de l'une des commissions mentionnées à l'article L. 59 du livre des procédures fiscales jusqu'à la date de réception par le contribuable ou son représentant de l'avis de cette commission ou celle d'un désistement.

Il résulte de ces dernières dispositions que la déclaration d'une créance fiscale doit être faite dans le délai légal de 2 mois à compter de la publication du jugement d'ouverture, et si elle a été faite à titre provisionnel faute de titre exécutoire, elle deviendra définitive par l'émission d'un titre exécutoire dans l'un des délais précisés par ce texte. Ce délai dépend de la situation :

- en principe, le délai d'émission du titre exécutoire est celui prévu à l'article L. 624-1 du code de commerce, c'est-à-dire le délai fixé par le tribunal pour l'établissement définitif de la liste des créances (v. par ex. Com. 5 oct. 2010, n° 09-16558, publié) ;

- toutefois, l'ordonnance du 12 mars 2014 a introduit un nouveau délai dans l'hypothèse où « une procédure administrative d'établissement de l'impôt a été mise en oeuvre » et, selon la jurisprudence, ce nouveau délai « a pour finalité de prolonger le délai de déclaration définitive de la créance fiscale dans le seul cas d'engagement d'une procédure de contrôle ou de rectification de l'impôt » (Com. 25 oct. 2017, n° 16-18938, publié). La loi du 22 mai 2019 a modifié l'article L. 622-24 afin de consacrer cette interprétation jurisprudentielle de ces nouvelles dispositions, en prévoyant que ce délai dérogatoire s'applique « si une procédure de contrôle ou de rectification de l'impôt a été engagée. »

A défaut d'émission du titre dans le délai, le créancier est forclos (Com. 3 avr. 2002, n° 99-12413, publié). C'est l'émission du titre qui doit intervenir dans le délai, et non sa production, laquelle peut être faite jusqu'à ce que le juge statue (Com. 31 janv. 2017, n° 15-17296, publié).

En l'espèce, il convient de rappeler, à titre liminaire, que :

- le créancier déclarant est la Direction générale des finances publiques (la DGFIP), autrement dit le Trésor public ;

- et la créance déclarée litigieuse correspond à un rappel d'impôts sur le revenu relatifs aux années 2018 à 2020 dus par Mme [R].

En premier lieu, cette créance, n'ayant alors pas donné lieu à l'émission d'un titre exécutoire, a été déclarée, dans un premier temps, à titre provisionnel par deux services distincts de la DGFIP : le 15 mars 2022 par le SIP et le 12 avril 2022 par le pôle de recouvrement spécialisé. Dans les deux cas, ces déclarations ont donc été effectuées dans le délai de deux mois suivant la publication du jugement d'ouverture au Bodacc, réalisée le 24 février 2022.

Le 10 juin 2022, le mandataire judiciaire a contesté la déclaration effectuée par le SIP aux motifs qu'elle faisait double emploi avec celle déclarée par le pôle de recouvrement spécialisé ; il a donc proposé le rejet de cette créance.

En réaction à cette contestation, le SIP justifie avoir demandé à ce pôle, le 20 juin suivant, d'abandonner sa déclaration de créance, ce qu'il a fait dès le 23 juin 2022, en informant le mandataire judiciaire qu'il renonçait au bénéfice de sa déclaration provisionnelle (v. ses pièces n° 6 et 7).

Il en découle, d'une part, que le Trésor a répondu à la lettre de contestation du mandataire judiciaire dans le délai de 30 jours fixé par l'article L. 622-27 du code de commerce ; d'autre part, que du fait de cette réponse, consistant à renoncer à l'une déclaration de créance « redondante », le « double emploi » originairement dénoncé par le mandataire judiciaire dans sa lettre de contestation avait pris fin, rendant ainsi sans objet cette contestation, ainsi que le soutiennent à juste titre les intimés. Par voie de conséquence, le rejet de cette créance, initialement proposé par ce mandataire, était lui-même devenu sans objet.

Dès lors, c'est à tort que Mme [R] affirme (p. 5, §1, de ses conclusions) que le SIP a adressé sa déclaration de créance après le 24 avril 2022, c'est-à-dire postérieurement au délai de deux mois suivant le jugement d'ouverture, et que la proposition de rejet total de la créance provisionnelle du 15 mars 2022 n'a pas été contestée.

En second lieu, dès lors que :

- d'un côté, la créance d'impôts litigieuse, déclarée le 15 mars 2022, n'avait pas donné lieu à l'émission d'un titre exécutoire à cette date,

- de l'autre, le contrôle fiscal concernant l'activité professionnelle de Mme [R], qui a abouti à la détermination du montant de la créance d'impôts ainsi déclarée, était en cours à la date du jugement mettant l'intéressée en redressement judiciaire, sont applicables les dispositions de l'article L. 622-24, alinéa 4, qui, en pareille hypothèse, prévoient la possibilité pour le Trésor public, dans un premier temps, de déclarer ses créances à titre provisionnel dans les deux mois du jugement d'ouverture, et, dans un second, de réaliser l'établissement définitif des créances objet du contrôle fiscal « avant le dépôt au greffe du compte rendu de fin de mission par le mandataire judiciaire. »

En l'occurrence, le Trésor public a :

- comme relevé ci-dessus, déclaré sa créance à titre provisionnel au titre des impôts sur le revenu de 2018, 2019 et 2020 le 15 mars 2022, soit dans les deux mois de la publication du jugement d'ouverture ;

- le 31 décembre 2022, émis les avis de mise en recouvrement correspondant précisément à ces impôts-là, pour la somme totale de 230 151 euros (cf. pièce n° 15 du SIP) ;

- le 19 janvier 2023, déclaré sa créance à titre définitif pour le montant de 230 151 euros au titre de ces mêmes impôts (cf. pièce n° 8 du SIP), et cela avant que le mandataire judiciaire ne dépose au greffe son compte rendu de fin de mission.

Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient Mme [R], aucune forclusion n'est encourue par le SIP sur le fondement de l'article L. 622-24, alinéa 4, et l'émission des titres exécutoires correspondant aux impôts en cause n'est pas intervenue tardivement, peu important le moyen, inopérant, de l'appelante tenant à ce qu'un commandement de payer lui a été notifié le 6 mars 2023, dès lors que cet acte d'exécution forcé ne correspond pas au titre exécutoire visé par le texte précité.

En définitive, il convient donc de confirmer l'ordonnance entreprise, qui a admis la créance déclarée par le SIP à concurrence de la somme de 230 151 euros, à titre définitif.

Et en l'absence de contestation du caractère privilégié de cette créance, la décision déférée sera également confirmée de ce chef.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Succombant, Mme [R] doit être condamnée aux dépens.

Les demandes d'indemnité procédurale respectivement formées par les parties seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

- Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;

Y ajoutant,

- Condamne Mme [R] aux dépens d'appel ;

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.

Le greffier

Marlène Tocco

La présidente

Stéphanie Barbot


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 2
Numéro d'arrêt : 23/03298
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;23.03298 ?
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