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20/06/2024 | FRANCE | N°23/02887

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 2, 20 juin 2024, 23/02887


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 2



ARRÊT DU 20/06/2024





****





N° de MINUTE :

N° RG 23/02887 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U6Z6

& RG N° 23/02888



Ordonnance (N° 2017/943-1, ordonnance n°7) rendue le 02 juin 2023 par le juge-commissaire du tribunal de commerce de Lille Métropole







APPELANT aux deux procédures



Monsieur [F] [X]

né le [Date naissance 2] 196

1 à [Localité 8] (Etats-Unis)

demeurant [Adresse 3] (Etats-Unis)



représenté par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assisté de Me Henri d'Armagnac, avocat au barreau d...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 20/06/2024

****

N° de MINUTE :

N° RG 23/02887 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U6Z6

& RG N° 23/02888

Ordonnance (N° 2017/943-1, ordonnance n°7) rendue le 02 juin 2023 par le juge-commissaire du tribunal de commerce de Lille Métropole

APPELANT aux deux procédures

Monsieur [F] [X]

né le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 8] (Etats-Unis)

demeurant [Adresse 3] (Etats-Unis)

représenté par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assisté de Me Henri d'Armagnac, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

INTIMÉES aux deux procédures

Société Jean Caby, prise en la personne de son représentant légal agissant au titre de ses droits propres

ayant son siège social, [Adresse 4]

défaillante, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 21 juillet 2023 (art. 659 CPC)

SELAS MJS Partners prise en la personne de Maître [O] [N] en qualité de co-liquidateur judiciaire de la société SAS Jean Caby désignée à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole en date du 27 juin 2018.

ayant son siège social, [Adresse 7]

SCP BTSG² prise en la personne de Maître [I] [V] désigné aux lieu et place de la SELARL MJ Valem par ordonnance du 10 mai 2022, en qualité de co-liquidateur judiciaire de la société SAS Jean Caby désignée à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole en date du 27 juin 2018.

ayant son siège social, [Adresse 5]

représentées par Me Nicolas Nef Naf, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

Société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France

ayant son siège social, [Adresse 1]

défaillante, à qui la déclaration d'appel et les conclusions ont été signifiées le 21 septembre 2023 (à personne morale)

SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Hauts-de-france, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège.

ayant son siège social, [Adresse 6]

représentée par Me Etienne Charbonnel, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

DÉBATS à l'audience publique du 16 avril 2024 tenue par Stéphanie Barbot magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Stéphanie Barbot, présidente de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Anne Soreau, conseiller

ARRÊT RENDU PAR DEFAUT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024 (délibéré avancé, initialement prévu le 4 juillet 2024) et signé par Stéphanie Barbot, présidente et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 19 mars 2024

****

FAIT ET PROCEDURE :

Le 4 décembre 2017, la société Jean Caby a été mise en redressement judiciaire.

Le 29 mars 2018, M. [X], agissant en sa qualité de représentant de la masse des obligataires titulaires d'obligations de la société Jean Caby, a déclaré au passif une créance d'un montant de 1 575 616,44 euros, à titre privilégié, incluant :

- la somme de 1 500 000 euros en principal,

- celle de 75 616,44 euros au titre des intérêts échus à la date du redressement judiciaire,

- les intérêts à échoir au taux annuel de 8% payable trimestriellement à terme échu,

- et les intérêts capitalisés payables in fine au taux de 5%.

Le 27 juin 2018, la procédure collective a été convertie en liquidation judiciaire, la société MJ Valem, depuis lors remplacée par la société BTSG², et la société MJS Partners (la société MJS) étant nommées en qualité de coliquidateurs.

Les sociétés Caisse d'épargne et de prévoyance des Hauts-de-France et Crédit agricole Nord de France ont été désignées en qualité de contrôleurs.

Par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 22 septembre 2021, le liquidateur a informé M. [X] de la contestation de sa créance par la société débitrice.

Par une lettre en réponse du 1er décembre 2021, M. [X] a de nouveau communiqué sa déclaration de créance, accompagnée de pièces.

La société débitrice, ses coliquidateurs, le créancier déclarant et les contrôleurs ont été convoqués devant le juge-commissaire pour qu'il soit statué sur la contestation.

Devant le juge-commissaire, l'un des coliquidateurs a demandé le rejet de la créance, au motif que le créancier n'avait pas répondu à sa lettre de contestation dans le délai de 30 jours fixé à l'article L. 622-27 du code de commerce.

Par une ordonnance du 2 juin 2023 (créance contestée n° 7), le juge-commissaire du tribunal de commerce de Lille métropole a rejeté en totalité la créance déclarée.

Le 16 juin 2023, l'ordonnance a été notifiée à M. [X].

Le 23 juin 2023, M. [X] a formé contre cette ordonnance un double appel :

- un appel de droit commun, enrôlé sous le numéro RG n° 23/2887 ;

- et un appel-nullité, enrôlé sous le numéro RG n° 23/2888.

Dans chacune de ses déclarations d'appel, il a intimé la société débitrice Jean Caby, ses coliquidateurs et les contrôleurs.

PRETENTIONS DES PARTIES

* Dans l'affaire RG n° 23/2887 (appel de droit commun) :

M. [X] a notifié ses dernières conclusions par voie électronique le 14 mars 2024, en demandant à la cour de :

Vu l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme,

Vu les articles L. 622-24, L. 622-27, L.624-3, L. 622-25-1, R. 622-23 et R. 622-24 du code de commerce ;

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel de l'ordonnance entreprise ;

- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit que la créance déclarée était rejetée en totalité et dit que le greffe en ferait mention sur l'état des créances ;

Et statuant à nouveau :

- déclarer recevable sa réponse au courrier de contestation du liquidateur judiciaire ;

- admettre, à titre privilégié, sa créance déclarée en qualité de représentant de la masse des obligataires titulaires d'obligations de la société Jean Caby à concurrence de :

* la somme de 1 425 616,44 euros en principal et intérêts échus au 4 décembre 2017 ;

* et des intérêts à échoir au taux annuel de 8% payables trimestriellement à terme échu et les intérêts capitalisés payables in fine au taux de 5% ;

En tout état de cause :

- rejeter toutes les demandes formées par les coliquidateurs de la société Jean Caby ;

- condamner ces co-liquidateurs à lui payer la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité procédurale, ainsi qu'aux dépens.

Les coliquidateurs de la société Jean Caby ont notifié leurs dernières conclusions par voie électronique le 17 mars 2024, en demandant à la cour de :

Vu les articles L. 622-24, L. 622-27, L. 624-1, L. 624-3 et suivants du code de commerce ;

Vu les articles R. 622-23, R. 624-1 et suivants du code de commerce ;

Vu les articles 9, 122, 125, 455 et suivants du code de procédure civile ;

Vu l'article 1353 du code civil ;

* à titre principal :

- déclarer irrecevable l'appel formé par M. [X] contre l'ordonnance entreprise ;

- condamner M. [X] au paiement d'une indemnité procédurale de 2 000 euros, à chacun d'eux, ainsi qu'aux dépens ;

* à titre subsidiaire : 

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté en totalité la créance et dit qu'il en serait fait mention sur l'état des créances ;

- rejeter les demandes de M. [X] ;

- le condamner au paiement de la somme de 2 000 euros, à chacun d'eux, à titre d'indemnité procédurale, ainsi qu'aux dépens.

La Caisse d'épargne et de prévoyance des Hauts-de-France, contrôleur, a notifié des conclusions par la voie électronique le 18 décembre 2023, en demandant à la cour de :

- lui donner acte de qu'elle s'en remet à justice quant à la recevabilité et au bien-fondé des demandes des différentes parties.

Dans cette instance RG n°23/2887, la déclaration d'appel a été signifiée à la société débitrice Jean Caby le 21 juillet 2023, selon les modalités prévues par l'article 659 du code de procédure civile, et à la société Crédit Agricole mutuel nord de France le 21 septembre 2023, à personne morale.

* Dans l'affaire RG n° 23/2888 (appel-nullité) :

M. [X] a notifié ses dernières conclusions par voie électronique le 14 mars 2024, en demandant à la cour de :

Vu les articles L. 622-24, L. 622-27, L.624-3, L. 622-25-1, R. 622-23 et R. 622-24 du code de commerce ;

Vu l'article 9 du code de procédure civile,

Vu les articles 900 et suivants du code de procédure civile,

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel de l'ordonnance entreprise ;

- juger que le juge-commissaire a commis un excès de pouvoir en rejetant sa créance dans sa totalité ;

- en conséquence, annuler l'ordonnance entreprise ;

Et statuant à nouveau :

- déclarer recevable sa réponse au courrier de contestation du liquidateur judiciaire ;

- admettre, à titre privilégié, sa créance déclarée en qualité de représentant de la masse des obligataires titulaires d'obligations de la société Jean Caby à concurrence de :

* la somme de 1 425 616,44 euros en principal et intérêts échus au 4 décembre 2017 ;

* les intérêts à échoir au taux annuel de 8% payables trimestriellement à terme échu et les intérêts capitalisés payables in fine au taux de 5% ;

- rejeter toutes les demandes des coliquidateurs de la société Jean Caby ;

- condamner ces coliquidateurs à lui payer la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité procédurale, ainsi qu'aux dépens.

Par leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 décembre 2023 les coliquidateurs de la société Jean Caby demandent à la cour de :

Vu les articles L. 622-24, L. 622-27, L. 624-1, L. 624-3 et suivants du code de commerce ;

Vu les articles R. 622-23, R. 624-1 et suivants du code de commerce ;

Vu les articles 9, 122, 125, 455 et suivants du code de procédure civile ;

Vu l'article 1353 du code civil ;

* à titre principal :

-  déclarer irrecevable l'appel-nullité formé par M. [X] contre l'ordonnance entreprise ;

-  condamner M. [X] au paiement d'une indemnité procédurale de 2 000 euros chacun, ainsi qu'aux dépens ;

* à titre subsidiaire : 

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté en totalité la créance et dit qu'il en sera fait mention sur l'état des créances ;

- rejeter les demandes de M. [X] ;

- le condamner au paiement de la somme de 2 000 euros, chacun, à titre d'indemnité procédurale, ainsi qu'aux dépens.

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 décembre 2023 , la Caisse d'épargne et de prévoyance des Hauts-de-France (la banque) demande à la cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle s'en remet à justice quant à la recevabilité et au bien-fondé des demandes des différentes parties.

Dans cette instance RG n° 23/2888, la déclaration d'appel a été signifiée à la société débitrice Jean Caby le 21 juillet 2023, selon les modalités prévues par l'article 659 du code de procédure civile, et à la société Crédit Agricole mutuel nord de France le 21 septembre 2023, à personne morale.

MOTIFS

I- Sur la jonction

En application de l'article 367 du code de procédure civile, il y a lieu d'ordonner, d'office, la jonction des appels renrôlés sous les numéros respectifs RG n° 23-2887 et RG n° 23-2888, qui sont formés contre la même décision.

II- Sur l'appel-nullité enrôlé sous le numéro RG n° 23-2888

En droit, l'interdiction ou le différé d'une voie de recours cède dans l'hypothèse d'un excès de pouvoir. Ce dernier permet donc notamment d'ouvrir la voie de l'appel-nullité (v. par ex. : Com. 28 avr. 2009, n° 07-18932).

Cependant, le recours nullité, voie de recours d'exception, présente un caractère subsidiaire, en ce qu'il est subordonné à l'absence d'ouverture de tout recours au profit de la partie qui le forme.

Aux termes de l'article L. 624-3 du code de commerce :

Le recours contre les décisions du juge commissaire prises en application de la présente section est ouvert au créancier, au débiteur ou au mandataire judiciaire.

Toutefois, le créancier dont la créance est discutée en tout ou en partie et qui n'a pas répondu au mandataire judiciaire dans le délai mentionné à l'article L. 622-27 ne peut pas exercer de recours contre la décision du juge-commissaire lorsque celle-ci confirme la proposition du mandataire judiciaire.

Ce texte ouvre ainsi au créancier déclarant un recours contre l'ordonnance du juge-commissaire statuant sur sa demande d'admission de créance. La circonstance que le créancier ait pu, le cas échéant, s'exclure lui-même du débat sur la contestation en ne répondant pas dans le délai de 30 jours édicté par l'article L. 622-27, n'est pas de nature à lui ouvrir la voie d'un appel-nullité. Juger le contraire reviendrait à contourner la sanction prévue par l'alinéa 2 de l'article L. 624-3, précité et à la priver de toute portée effective.

De ces seuls motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les moyens tenant aux autres conditions subordonnant l'ouverture de l'appel-nullité, il découle qu'est irrecevable l'appel-nullité formé par M. [X] contre l'ordonnance du juge-commissaire entreprise, qui a rejeté sa créance.

III- Sur l'appel de droit commun enrôlé sous le numéro RG n° 23-2887

A- Sur la recevabilité de cet appel

Le juge-commissaire est seul compétent pour statuer sur la déclaration de créance.

Aux termes de l'article L. 624-3 du code de commerce :

Le recours contre les décisions du juge commissaire prises en application de la présente section est ouvert au créancier, au débiteur ou au mandataire judiciaire.

Toutefois, le créancier dont la créance est discutée en tout ou en partie et qui n'a pas répondu au mandataire judiciaire dans le délai mentionné à l'article L. 622-27 ne peut pas exercer de recours contre la décision du juge-commissaire lorsque celle-ci confirme la proposition du mandataire judiciaire.

Quant à l'article L. 622-27, visé par ce texte, il dispose que :

S'il y a discussion sur tout ou partie d'une créance autre que celles mentionnées à l'article L. 625-1, le mandataire judiciaire en avise le créancier intéressé en l'invitant à faire connaître ses explications. Le défaut de réponse dans le délai de trente jours interdit toute contestation ultérieure de la proposition du mandataire judiciaire, à moins que la discussion ne porte sur la régularité de la déclaration de créances.

L'article R. 624-1, alinéa 2, précise que :

Si une créance autre que celle mentionnée à l'article L. 625-1 est discutée, le mandataire judiciaire en avise le créancier ou son mandataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Le délai de trente jours prévu à l'article L. 622-27 court à partir de la réception de la lettre. Cette lettre précise l'objet de la discussion, indique le montant de la créance dont l'inscription est proposée et rappelle les dispositions de l'article L. 622-27.

En vertu du principe selon lequel une disposition privant une partie d'une voie de recours doit être interprétée strictement, la Cour de cassation a notamment déduit de la combinaison de ces textes, qui reprennent des dispositions antérieures de la loi de 1985, les principes suivants :

- il n'y a discussion de la créance, au sens du second de ces textes, que lorsque la créance déclarée est contestée dans son existence, son montant ou sa nature, appréciés au jour du jugement d'ouverture (Com. 29 mai 2019, n° 18-14911, publié) ;

- le délai de trente jours visé par le second texte court à compter de la réception de la lettre par le créancier (Com. 21 janv. 2003, n° 99-20557). En l'absence de réception de la lettre, ce délai ne court pas (Com. 5 nov. 2003, n° 01-00881, publié) ;

- la sanction prévue par l'article L. 624-3, alinéa 2, ne s'applique que lorsque la décision du juge-commissaire confirme la proposition du mandataire judiciaire, et non lorsque le juge-commissaire n'a pas entériné cette proposition ; dans cette dernière hypothèse, le créancier recouvre le droit d'exercer un recours contre la décision du juge-commissaire (Com. 16 juin 2015, n° 14-11190, publié) ;

- la lettre du mandataire judiciaire ou du liquidateur doit non seulement reproduire les termes de l'article L. 622-27, et donc préciser que la sanction ne s'applique pas si la discussion ne porte que sur la régularité de la déclaration de créance (Com. 20 janv. 2021, n° 19-19415), mais aussi mentionner la proposition du mandataire (Com. 27 nov. 2012, n° 11-23773). Surtout, cette lettre doit préciser l'objet de la contestation de la créance, afin que le créancier puisse faire connaître ses explications sur les points contestés (Com. 16 mai 1996, n° 94-15314, publié ; Com. 17 oct. 2000, n° 9721048 ; Com. 27 juin 2006, n°05-13696, publié ; Com. 4 mars 2008, n° 07-11189 ; Com. 13 mai 2014, n° 13-14357, publié ; Com. 16 sept. 2014, n° 13-16704 ; Com. 23 sept. 2014, n° 12-29404). C'est ainsi qu'il a récemment été jugé que :

La lettre du mandataire judiciaire au créancier se bornant à lui demander des pièces justificatives de sa créance en précisant qu'à défaut, il envisage de proposer au juge-commissaire le rejet de cette créance, n'est pas une lettre de contestation de l'existence, de la nature ou du montant de la créance au sens des articles L. 622-27, L. 624-3, alinéa 2, et R. 624-1, alinéas 2 et 3, du code de commerce, de sorte que le défaut de réponse du créancier dans un délai de trente jours ne le prive pas du droit de faire appel de l'ordonnance du juge-commissaire ayant rejeté la créance (Com. 13 sept. 2023, n° 22-15296, publié).

Il ne suffit donc pas que la lettre par laquelle le mandataire judiciaire sollicite des justificatifs formule une proposition d'admission ou de rejet de la créance contestée pour valoir lettre de contestation ; encore convient-il que cette lettre explicite précisément l'objet de la contestation.

En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats que :

- par une lettre du 29 mars 2018, les avocats mandatés par M. [X] ont déclaré, pour le compte de celui-ci, une créance correspondant à la souscription d'obligations émises par la société Jean Caby ;

- le 22 septembre 2021, la société MJS, liquidateur de la société Jean Caby, a envoyé aux mandataires de M. [X] une lettre recommandée avec demande d'avis de réception reçue le 23 septembre suivant, reproduisant les termes de l'article L. 622-27, proposant le rejet de la créance déclarée et rédigée comme suit :

« [...] [J]'ai l'honneur de vous informer que votre demande est discutée pour les motifs suivants :

MOTIFS DE CONTESTATION DE VOTRE CREANCE :

Absence de pièces justificatives permettant de vérifier la réalité de la créance.

Je vous informe donc que je me propose de suggérer à M. le juge-commissaire la décision suivante : 'rejet en l'état de la créance.' » ;

- par une lettre du 1er décembre 2021, les mandataires de M. [X] ont répondu à la lettre du liquidateur.

La cour estime que, étant rédigée en des termes vagues et imprécis quant à l'objet de la contestation, cette lettre dite « de contestation » n'a pas mis M. [X] en mesure de faire connaître ses explications sur les points contestés, de sorte que cette lettre n'a pu faire courir le délai de 30 jours édicté à l'article L. 622-27 précité.

L'imprécision de l'objet de la contestation est, au demeurant, corroborée par la circonstance que, dans cette même procédure collective, le liquidateur a envoyé à un autre créancier déclarant une lettre de contestation rédigée en termes rigoureusement identiques (v. pièces n° 12 et 13 de l'appelant), révélant ainsi que la lettre de contestation a été rédigée à l'identique à l'adresse de créanciers déclarants distincts, sans avoir égard aux spécificités de leurs créances respectives, de nature différente.

De ces seuls motifs, et abstraction faite des autres moyens soulevés par M. [X] à l'appui de la recevabilité de son appel (en particulier celui tiré du défaut de motivation de l'ordonnance entreprise, V. p. 7 de ses conclusions), il résulte que les liquidateurs de la société Jean Caby ne sont pas fondés à opposer à M. [X] l'irrecevabilité de son appel par application de l'article L. 624-3, alinéa 2, motifs pris de son absence de réponse à la lettre du 22 septembre 2021 dans le délai fixé à l'article L. 622-27.

L'appel formé par M. [X] sera donc déclaré recevable.

B- Sur le bien-fondé de l'appel

A l'appui de sa demande d'infirmation de l'ordonnance entreprise, M. [X] fait notamment valoir ces éléments :

- selon l'emprunt obligataire litigieux, les obligations souscrites sont garanties par un nantissement de titres et une hypothèque. Cependant, l'hypothèque « n'aurait pas été inscrite ». Quant au nantissement, le registre y afférent faisant partie des archives de la société, « une admission privilégiée ne peut qu'être prononcée, sauf à ce que les liquidateurs [...] versent aux débats ledit registre dès lors qu'il ne viserait pas d'inscription » (p. 13, points 44 et 45) ;

- s'agissant du quantum de la créance, il est établi, notamment par un rapport du cabinet Deloitte, que lui, M. [X], a versé à la société débitrice la somme d'un million d'euros. Les 500 000 euros restants ont été payés par la SCI de placement Lamda, étant précisé que 150 000 euros ont été remboursés, ce qui réduit d'autant la demande d'admission ;

- les éléments produits établissent le principe comme le montant de la créance ;

- au surplus, si le liquidateur estime la créance insuffisamment justifiée, il lui appartient d'expliquer et de démontrer le défaut de complétude de ces éléments, en application de l'article 9 du code de procédure civile ;

- il convient donc d'admettre la créance à titre privilégiée à concurrence de la somme de 1 425 616,44 euros en principal et intérêts échus au 4 décembre 2017, ainsi que les intérêts à échoir au taux annuel de 8 %, payables trimestriellement à terme échu, et les intérêts capitalisés payables in fine au taux de 5 %.

Les coliquidateurs de la société débitrice s'opposent à la demande d'admission, aux motifs que M. [X] échoue à démontrer l'existence et la réalité de sa créance. A l'appui, ils font valoir que :

* s'agissant du quantum de la créance :

- en droit, il appartient au créancier déclarant de produire les justificatifs démontrant tant le principe que le montant de sa créance. Plus précisément, le prêteur professionnel doit prouver la remise des fonds à l'emprunteur lorsque celle-ci est contestée ;

- en l'espèce, la preuve du virement bancaire d'un million d'euros allégué par l'appelant n'est pas rapportée, notamment faute de communication du registre de tenue des obligations ou d'attestation de la part de l'émetteur de l'inscription des obligations dans ses livres ;

- en pratique, les obligations ne sont souscrites, dans une émission obligataire, qu'à la réception certaine des fonds par l'émetteur. Il est donc surprenant que M. [X] ne produise aucun justificatif en ce sens ;

- M. [X] ne justifie pas non plus de la date certaine des documents qu'il communique ;

- l'appelant ne prouve pas, via l'extrait du rapport du cabinet Deloitte qu'il produit, que l'une de ses SCI aurait versé la somme de 500 000 euros par virement bancaire ;

* s'agissant du caractère privilégié de la créance :

- M. [X] renonce à l'hypothèque dont il se prévalait initialement et, s'agissant du nantissement de titres, tente d'inverser la charge de la preuve. Or, ces nantissements devant être inscrits dans l'état d'endettement de la société, il aurait été aisé de prouver l'existence de la créance et le privilège la garantissant, si la créance existait.

Réponse de la cour :

Au préalable, il convient de relever qu'au vu du dispositif des dernières conclusions de M. [X], qui seul saisit la cour en application de l'article 954 du code de procédure civile, l'appelant ne forme aucune demande d'annulation de l'ordonnance déférée, notamment pour défaut de motivation. Dès lors, les développements que les intimés consacrent à un tel moyen (pp. 9 à 13 de leurs conclusions) sont inopérants.

En droit, l'article L. 622-24 du code de commerce impose, en principe, à tous les créanciers de déclarer leur créance au passif entre les mains du mandataire judiciaire ou du liquidateur, afin qu'ils puissent participer aux éventuelles répartitions à intervenir dans le cadre de la procédure collective de leur débiteur.

L'article R. 622-23 de ce code précise que :

Outre les indications prévues à l'article L. 622-25, la déclaration de créance contient :

1° Les éléments de nature à prouver l'existence et le montant de la créance si elle ne résulte pas d'un titre ; à défaut, une évaluation de la créance si son montant n'a pas encore été fixé ;

2° Les modalités de calcul des intérêts dont le cours n'est pas arrêté, cette indication valant déclaration pour le montant ultérieurement arrêté ;

3° L'indication de la juridiction saisie si la créance fait l'objet d'un litige ;

4° La date de la sûreté et les éléments de nature à prouver son existence, sa nature et son assiette, si cette sûreté n'a pas fait l'objet d'une publicité.

A cette déclaration sont joints sous bordereau les documents justificatifs ; ceux-ci peuvent être produits en copie. A tout moment, le mandataire judiciaire peut demander la production de documents qui n'auraient pas été joints.

Il en résulte que, conformément aux principes régissant la charge de la preuve, issus de l'article 1353 du code civil, il appartient au créancier déclarant de rapporter la preuve de l'existence, du montant et, le cas échéant, du caractère privilégié de sa créance.

En l'espèce, sont contestés l'existence comme le caractère privilégié de la créance déclarée par M. [X], en qualité de représentant de la masse des obligataires titulaires d'obligations de la société Jean Caby.

Il résulte de cette déclaration de créance du 29 mars 2018, que M. [X] a effectuée en qualité de représentant de la masse des obligataires titulaires d'obligations de la société Jean Caby, et des conclusions de M. [X] que :

- ont été déclarées les sommes de 75 616,44 euros à titre échu et 1 500 000 euros à échoir, ces sommes correspondant à la souscription d'obligations à bons de souscription d'actions émises par la société Jean Caby à hauteur de 1 500 000 euros.

- et la somme de 1 500 000 euros correspond au principal du prêt obligataire ainsi souscrit par M. [X], cette somme ayant été versée, selon ses affirmations, à concurrence de la somme de 1 000 000 euros par lui-même et de celle de 500 000 euros par la SCI Lamda, dont M. [X] est le dirigeant.

Dès lors qu'est en cause un emprunt obligataire, il incombe à M. [X], en sa qualité de créancier déclarant, d'apporter la preuve des remises de fonds qui conditionnent l'obligation de remboursement de la société débitrice Jean Caby.

A l'appui de ses assertions relatives à la réalité du versement de ces fonds, M. [X] produit uniquement les pièces suivantes :

- un document intitulé « l'émission d'un emprunt obligataire assorti de bons de souscription d'actions ordinaires nouvelles» (pièce annexée à la déclaration de créance). Ce document est rédigé à l'entête de la société Jean Caby et l'emprunt porte sur un montant total de 1 500 000 euros, via l'émission de 1 500 000 obligations d'une valeur nominale de 1 euro. La page 2 de ce document comporte un bon d'émission établi au nom de M. [X], pour la somme de 1 500 000 euros, et signé de l'intéressé le 13 avril 2017 ;

- la « décision de l'associé unique en date du 19 avril 2017 » (pièce n° 5 de l'appelant), évoquée dans le document ci-dessus visé, qui décide (1ère décision) de l'émission de l'emprunt obligataire et de ses conditions et (2e décision) de réserver la souscription de cet emprunt à M. [X] ;

- un échange de courriels entre M. [Z], directeur administratif et financier de la société Jean Caby, et la banque Caisse d'épargne Nord France Europe, du 20 avril 2017 (pièce n° 7 de l'appelant), dans lequel le premier interroge la seconde pour savoir si elle a reçu « le virement de 1 MEUR d'[F] [X] », ce à quoi il lui est répondu : « Je vous confirme, nous avons bien reçu le virement en date de valeur du 20/04 » ;

- la copie de deux pages d'un document dont M. [X] indique qu'il serait issu d'un rapport établi par le cabinet Deloitte (sa pièce n° 6), qui mentionne que :

Dans le cadre des financements mis en place avec les partenaires financiers, la société [Jean Caby] s'engage à émettre un emprunt obligataire par émission de 1 500 000 obligations à bons de souscription d'actions Jean Caby le 13 avril 2017. Cet apport est réalisé de la manière suivante :

Un emprunt de la SCI de placement Lamda (0,5m euros), obtenue le 10 avril 2017, dont 0,15m euros ont été remboursés le 30 mai 2017. A noter que la société Jean Caby a signé une reconnaissance de dette à l'égard de la SCI en date du 7 avril 2017 (Cf annexe 4).

Un apport de 1m euros d'[F] [X] le 20 avril 2017 comptabilisé en compte courant.

La deuxième page copiée, qui serait issue de ce rapport, comporte la copie d'un document intitulé « reconnaissance de dette », daté de ce qui semble être le 7 (') avril 2017 - le jour étant difficilement lisible - signé de M. [Z], déjà mentionné ci-dessus, et rédigé comme suit :

Nous, soussignés [F] [X], représentant de Jean Caby Holding SAS présidente de la Jean Caby SAS, et [C] [Z], directeur administratif et financier de Jean Caby SAS, reconnaissons par la présente avoir reçu ce jour un prêt de 500 000 euros (...) portant intérêt au taux d'intérêt annuel de 5 %.

Ce prêt est destiné à financer le nouvel outil industriel que la société construit à Comines qui permettre (sic) à la société Jean Caby de libérer le terrain sis (...) à Saint-André-Lez-Lille d'une surface de 52 000 [ou 32 000 '] m² environ, où la SCI de placement Lamda et la société Jean-Caby travaillent sur l'élaboration d'un projet immobilier.

La société Jean Caby et la SCI de placement Lamda formaliseront leurs engagements respectifs dans un contrat à écrire avant le 30 juin 2017.

La cour estime que de tels documents sont, à l'évidence, insuffisants à établir la preuve de la réalité des deux versements invoqués par M. [X]. En effet :

- concernant l'échange de courriels, il n'est précisé ni la qualité en laquelle la banque Caisse d'épargne a répondu ni l'opération en cause dans cet échange ;

- l'origine de la pièce n° 6 n'est pas vérifiable, faute de production de l'intégralité du rapport prétendument établi par le cabinet Deloitte. Ainsi, les deux pages copiées communiquées par l'appelant, sont extraites d'un rapport dont les références de bas de page indiquent expressément qu'il ne s'agit que d'un « projet ». De plus, ces extraits ne comportent ni le nom du rédacteur ni sa signature. L'on ignore également le cadre dans lequel un tel projet de rapport, par hypothèse non contradictoire, a été dressé, comme l'on ignore sa finalité. La reconnaissance de dette, dont une simple copie est intégrée à ce projet de rapport, n'est donc elle-même pas probante, et ce d'autant moins qu'elle n'est signée que par le directeur administratif et financier de la société débitrice, et non par son représentant légal, alors que les termes de cette reconnaissance signifient la présentent comme co-écrite par ces deux personnes ;

- surtout et en tout état de cause, ces pièces ne sont corroborées par aucun document financier objectif et incontestable, tel que les ordres de virements litigieux (de 1 000 000 et 500 000 euros), les relevés des comptes bancaires mentionnant ces virements au profit de la société Jean Caby, ou encore l'extrait du compte courant sur lequel M. [X] aurait effectué son apport d'un million d'euros, cependant que celui-ci est censé avoir en sa possession ou être en mesure de se procurer de telles pièces, en ses qualités d'auteur du virement d'un millions d'euros, de dirigeant de la SCI prétendument auteur du virement de 500 000 euros et, de surcroît, de dirigeant de la société Holding Jean Caby, elle-même dirigeante de la société débitrice Jean Caby.

Ces seuls motifs justifient le rejet de la totalité de la créance déclarée par M. [X].

Ce n'est, dès lors, qu'à titre surabondant, qu'il sera ajouté que M. [X], sur lequel reposait également la charge de la preuve du caractère privilégié de la créance déclarée qu'il allègue, ne produit aucune pièce concernant le nantissement de titres qui aurait garanti cette créance. Incontestablement, l'existence de cette garantie n'est donc pas davantage établie.

L'ordonnance entreprise sera donc confirmée, mais par motifs substitués, dès lors que le premier juge a considéré, à tort, que le défaut de réponse du créancier, dans le délai de 30 jours ci-dessus évoqué, suffisait, à lui seul, à fonder le rejet de la créance déclarée.

IV- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Succombant au titre de ses deux appels, M. [X] sera condamné aux entiers dépens et au paiement d'une indemnité de procédure globale au titre de ces deux instances.

PAR CES MOTIFS

La cour,

- ORDONNE la jonction des affaires RG n° 23-2887 et n° 23-2888 ;

- DECLARE irrecevable l'appel-nullité (numéro de RG 23/2888) formé par M. [X] contre l'ordonnance entreprise ;

- DECLARE recevable l'appel (numéro de RG 23/2887) formé par M. [X] contre l'ordonnance entreprise ;

- CONFIRME l'ordonnance entreprise ;

Y ajoutant,

- CONDAMNE M. [X] aux dépens d'appel afférents aux deux appels enrôlés sous les numéros de RG 23-2887 et 23-2888 ;

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, REJETTE les demandes formées par M. [X] au titre de ces deux instances RG n° 23-2887 et 23-2888, et LE CONDAMNE à payer aux sociétés MJS Partners et BTSG², en leur qualité de coliquidateurs de la société Jean Caby, la somme globale de 3 000 euros chacune, au titre de ces deux instances ;

Le greffier

Marlène Tocco

La présidente

Stéphanie Barbot


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 2
Numéro d'arrêt : 23/02887
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;23.02887 ?
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