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20/06/2024 | FRANCE | N°23/02479

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 20 juin 2024, 23/02479


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 20/06/2024





****





N° de MINUTE : 24/208

N° RG 23/02479 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U5RF



Jugement (N° 22/01447) rendu le 12 Mai 2023 par le tribunal judiciaire de Saint Omer







APPELANTE



Caisse Regionale de Credit Agricole Mutuel Nord de France, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette q

ualité audit siège.

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me François-Xavier Wibault, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué





INTIMÉS



Madame [X] [D]

née le [Date n...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 20/06/2024

****

N° de MINUTE : 24/208

N° RG 23/02479 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U5RF

Jugement (N° 22/01447) rendu le 12 Mai 2023 par le tribunal judiciaire de Saint Omer

APPELANTE

Caisse Regionale de Credit Agricole Mutuel Nord de France, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me François-Xavier Wibault, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué

INTIMÉS

Madame [X] [D]

née le [Date naissance 2] 1967 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Monsieur [N] [D]

né le [Date naissance 4] 1965 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentés par Me Nicolas Queval, avocat au barreau de Saint-Omer, avocat constitué

DÉBATS à l'audience publique du 28 mars 2024 tenue par Yasmina Belkaid magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 4 mars 2024

****

EXPOSE DU LITIGE

Le 5 août 2020, M. et Mme [D] ont signé un compromis de vente portant sur l'acquisition d'un terrain destiné à la construction d'une maison d'habitation situé à [Localité 7] moyennant un prix de 61 400 euros dont 8 700 euros de frais de négociation.

La réitération de la vente par acte authentique devait intervenir le 16 mars 2021 devant Maître [O], notaire, qui adressait un RIB aux fins de virement du prix de vente.

Le 16 mars 2021, les époux [D] ont régularisé un ordre de virement auprès de leur banque, la caisse régionale de crédit agricole mutuel nord de France, de la somme de 61 400 euros au bénéfice de la Selarl [X] [O], conformément au RIB communiqué par le notaire.

Le notaire n'a jamais reçu les fonds si bien que les époux [D] ont effectué un nouveau virement de ladite somme sur le compte de Maître [O] et que l'acte authentique a été régularisé le 14 juin 2021.

La banque a tenté un rappel des fonds correspondant au premier virement, en vain et a refusé d'indemniser les époux [D].

C'est dans ces conditions que, par acte du 24 novembre 2022, M. [N] [D] et Mme [X] [D] ont fait assigner la caisse régionale de crédit agricole mutuel nord de France devant le tribunal judiciaire de Saint-Omer en responsabilité et réparation en invoquant un manquement de la banque à son obligation de vigilance.

Par jugement du 12 mai 2023, le tribunal judiciaire de Saint Omer a :

condamné la caisse régionale de crédit agricole mutuel nord de France à payer à M. [N] [D] et Mme [X] [D] la somme de 61 400 euros

condamné la caisse régionale de crédit agricole mutuel nord de France à payer à M. [N] [D] et Mme [X] [D] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

condamné la caisse régionale de crédit agricole mutuel nord de France aux dépens

rappelé que la décision est de droit exécutoire par provision

débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 31 mai 2023, la caisse régionale de crédit agricole mutuel nord de France (ci-après la CRCAM) a formé appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

Dans ses conclusions notifiées le 4 janvier 2024, la CRCAM demande à la cour, au visa de l'article 1937 du code civil et des articles L. 133-6 et L. 133-21 du code monétaire et financier, de :

infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saint-Omer le 12 mai 2023 en tous ses chefs de dispositif

et statuant à nouveau :

débouter M. et Mme [D] de l'ensemble de leurs demandes

condamner solidairement M. et Mme [D] au paiement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

condamner solidairement M. et Mme [D] au paiement des entiers frais et dépens engagés dans le cadre de la présente instance

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que :

les dispositions de l'article 1937 du code civil sont inapplicables au présent litige dès lors qu'elles constituent le droit général applicable au contrat de dépôt

seuls les articles L. 133-1 et suivants du code monétaire et financier, constituant le droit spécial ont vocation à s'appliquer aux relations entre un établissement bancaire et son client

le jugement critiqué qui a appliqué l'article 1937 du code civil sera donc réformé de ce chef

elle doit être exonérée de sa responsabilité dès lors qu'elle a exécuté un virement conforme à l'identifiant unique communiqué par le donneur d'ordre (RIB)

en effet, la banque, tenue à une obligation de non-immixtion et de non- ingérence, n'avait pas à rechercher le motif de l'opération

si la banque n'est tenue à un devoir de vigilance que dans l'hypothèse où l'opération présente une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, par exception, en matière de virement réalisé conformément à l'identifiant unique, défini à l'article L. 133-4, b) du code monétaire et financier communiqué par le donneur d'ordre, la banque n'est pas responsable de la mauvaise exécution ou de la non-exécution de l'opération de paiement en application de l'article L. 133-21 du code monétaire et financier et ce indépendamment de l'existence d'une anomalie apparente

au demeurant, les conditions générales de la convention d'ouverture du compte des époux [D] prévoit qu'elle n'est pas responsable de la mauvaise exécution du virement conformément aux dispositions du code monétaire et financier

il n'est pas démontré qu'elle a mal exécuté le virement litigieux en saisissant notamment un identifiant unique erroné alors qu'elle établit qu'elle a exécuté son obligation de rappel de fonds

à titre subsidiaire, si le manquement à son devoir de vigilance était retenu :

les informations comprises dans l'ordre de virement papier signé par les époux [D] ne présentent aucune anomalie apparente

l'IBAN communiqué correspondait à un compte situé en France

le RIB transmis comportait l'identité du bénéficiaire correspondant à la SELARL [X] [O], notaire

elle n'était pas tenue d'analyser le RIB du compte à créditer.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 28 novembre 2023, M. et Mme [D] demandent à la cour, au visa des articles L. 133-3 et L. 133-6 du code monétaire et financier, de :

confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saint -Omer le 12 mai 2023 en tous ses chefs de dispositif

condamner la CRCAM à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

condamner la CRCAM aux entiers dépens de l'instance.

Au soutien de leurs demandes, ils font valoir que :

ils ont sollicité leur banque aux fins de réalisation d'un virement au profit de l'étude de Maître [O], notaire

le RIB communiqué émanait de Bforbank

or, en application de l'article 15 du décret n°45-0117 du 19 décembre 1945, les sommes détenues par les notaires pour le compte de tiers sont déposées sur des comptes de disponibilités courantes ouverts à la caisse des dépôts et consignation

en effectuant le virement sur un compte qui ne pouvait être celui de Maître [O], la banque a manqué à son obligation de restitution

en outre, l'ordre de virement était consenti à Maître [O] et non à un tiers ayant ouvert un compte auprès de Bforank de sorte qu'en application des articles L. 133-3 et L. 133-6 du code monétaire et financier, le paiement ne peut être réputé autorisé.

Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un plus ample des faits, moyens et prétentions des parties en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la responsabilité de la banque

L'article L.133-21 du code monétaire et financier prévoit qu' « un ordre de paiement exécuté conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l'identifiant unique.

Si l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire de services de paiement n'est pas responsable de la mauvaise exécution ou de la non-exécution de l'opération de paiement.

Toutefois, le prestataire de services de paiement du payeur s'efforce de récupérer les fonds engagés dans l'opération de paiement. Le prestataire de services de paiement du bénéficiaire communique au prestataire de services de paiement du payeur toutes les informations utiles pour récupérer les fonds. Si le prestataire de services de paiement du payeur ne parvient pas à récupérer les fonds engagés dans l'opération de paiement, il met à disposition du payeur, à sa demande, les informations qu'il détient pouvant documenter le recours en justice du payeur en vue de récupérer les fonds. 

Si la convention de compte de dépôt ou le contrat-cadre de services de paiement le prévoit, le prestataire de services de paiement peut imputer des frais de recouvrement à l'utilisateur de services de paiement.

Si l'utilisateur de services de paiement fournit des informations en sus de l'identifiant unique ou des informations définies dans la convention de compte de dépôt ou dans le contrat-cadre de services de paiement comme nécessaires aux fins de l'exécution correcte de l'ordre de paiement, le prestataire de services de paiement n'est responsable que de l'exécution de l'opération de paiement conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur de services de paiement ».

L'article L. 133-3 du même code définit l'opération de paiement comme :« une action consistant à verser, transférer ou retirer des fonds, indépendamment de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire, initiée par le payeur, pour son compte, ou par le bénéficiaire. »

L'article L 133-6 du même code dispose qu'une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution.

A défaut d'anomalies apparentes, intellectuelles ou matérielles, faisant naître à sa charge un devoir de vigilance l'obligeant à se rapprocher de son client aux fins de vérification de son consentement, le banquier teneur de compte n'a pas à s'immiscer dans les affaires de son client. Il ne saurait ainsi effectuer des recherches ou réclamer des justifications pour s'assurer que les opérations de son client, dont il n'a pas à rechercher la cause sont opportunes et exemptes de danger.

Il engage d'ailleurs sa responsabilité s'il n'exécute pas les virements ordonnés par son client.

Sur ce,

Il résulte des dispositions de l'article L. 133-21 du code monétaire et financier que la responsabilité de la banque est exclue lorsque le titulaire du compte à fourni un identifiant unique en vue de l'exécution d'un ordre de virement (Cour de cassation, chambre commerciale, 24 janvier 2018, n°16-22.336).

D'une part, ce texte déroge aux dispositions de l'article 1937 du Code civil de sorte que le titulaire du compte ne peut se fonder sur le droit commun du dépôt pour mettre en cause la responsabilité contractuelle de la banque.

D'autre part, les dispositions spéciales de ce texte excluent de rechercher, dans les circonstances de l'espèce, la responsabilité du prestataire de service de paiement sur le fondement de l'obligation de vigilance de droit commun.

Il ressort du procès-verbal de dépôt de plainte du 7 avril 2021 de Mme [D] pour des faits d'escroquerie et du procès-verbal de constat dressé par Maître [J], huissier de justice, que le 4 mars 2021 Maître [O] a adressé un courriel aux époux [D] en les invitant à procéder au déblocage des fonds avant la signature de l'acte de vente du terrain prévue pour le 16 mars 2021, à ce courriel était joint notamment le RIB de l'étude, qu'en l'absence de réception de ce message, Mme [D] a pris attache téléphoniquement avec le notaire et elle a été rendue destinataire d'un courriel le 15 mars 2021 avec communication d'un RIB puis a effectué un virement de la somme de 61 400 euros le lendemain. Le notaire n'a jamais reçu ces fonds, la boite mail de Mme [D], qui a reçu le courriel du notaire avec un autre RIB, ayant vraisemblablement été piratée.

Le relevé d'identité bancaire que les époux [D] ont reçu de l'adresse du courriel du 15 mars 2021 indique que le destinataire du virement est effectivement l'étude notariale considérée et que son numéro IBAN est [XXXXXXXXXX06] avec la mention que la banque du bénéficiaire est située en France.

Les mentions de ce relevé d'identité bancaire ont d'ailleurs été portées par les époux [D] sur un ordre de virement qu'ils ont signé.

La circonstance que ce RIB comporte une domiciliation et un code banque qui ne correspondent pas à la caisse des dépôts et consignations est indifférente dès lors que l'obligation de l'établissement bancaire consistait en l'occurrence à assurer la bonne exécution de l'ordre de virement reçu selon l'IBAN fourni par les époux [D] en application de l'article L.133-21 du code monétaire et financier, ce indépendamment des autres mentions figurant sur l'ordre de paiement.

Par suite, la CRCAM, qui a exécuté le virement conformément à l'article 3.2.2.2.1 des conditions générales de la convention d'ouverture de compte, n'était pas tenue de vérifier si l'identifiant unique indiqué par les époux [D] sur l'ordre de virement correspondait bien à un compte ouvert par le notaire à la caisse des dépôts et consignations.

La mauvaise exécution de l'opération de paiement ne provient pas d'une erreur dans la retranscription par la banque de l'IBAN, mais de la transmission par les époux [D] d'un relevé d'identité bancaire qui ne correspondait pas à un compte ouvert au profit de l'étude notariale.

Contrairement à ce que soutiennent les époux [D], l'opération de paiement constitue bien une opération autorisée au sens des dispositions des articles L. 133-3 et L. 133-6 du code monétaire et financier dans la mesure où elle a été consentie par le donneur d'ordre sur la base du numéro IBAN du compte destinataire communiqué par celui-ci.

La cour relève enfin que la CRCAM justifie qu'elle a procédé le 24 mars 2021 à un rappel de fonds conformément aux dispositions de l'article L.133-21 alinéa 3 du code monétaire et financier, laquelle s'est avérée infructueuse en l'absence d'accord du bénéficiaire du virement.

Dès lors, la CRCAM ne peut être déclarée responsable des conséquences dommageables pour les époux [E] de l'exécution de l'opération de paiement dans ces circonstances.

Le jugement querellé sera donc réformé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à infirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

- et d'autre part, à condamner M. et Mme [D] aux entiers dépens de première instance et d'appel, et à payer à la CRCAM la somme totale de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure au titre des procédures de première l'instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement rendu le 12 mai 2023 par le tribunal judiciaire de Saint-Omer en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

Déboute M. [N] [D] et Mme [X] [D] de l'ensemble de leurs demandes ;

Condamne M. [N] [D] et Mme [X] [D] à payer les dépens de première instance et d'appel ;

Condamne M. [N] [D] et Mme [X] [D] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France la somme totale de 2 000 euros au titre des frais exposés en première instance et en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier

Fabienne DUFOSSÉ

Le président

Guillaume SALOMON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 23/02479
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;23.02479 ?
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