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20/06/2024 | FRANCE | N°23/02185

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 20 juin 2024, 23/02185


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 20/06/2024





****





N° de MINUTE : 24/214

N° RG 23/02185 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U4RZ



Arrêt (N° P21-21.283) rendu le 08 Février 2023 par le Cour de Cassation

Arrêt rendu le 24 juin 2021 par la 3ème chambre de la cour d'appel de Douai

Jugement rendu le 28 février 2020 par le tribunal judiciaire de Lille rectifié par le jugement du 2 avril 2020






DEMANDEURS A LA DECLARATION DE SAISINE



Monsieur [K] [L]

né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 10]

[Adresse 8]

[Localité 7]



Société Medical Insurance Company Des...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 20/06/2024

****

N° de MINUTE : 24/214

N° RG 23/02185 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U4RZ

Arrêt (N° P21-21.283) rendu le 08 Février 2023 par le Cour de Cassation

Arrêt rendu le 24 juin 2021 par la 3ème chambre de la cour d'appel de Douai

Jugement rendu le 28 février 2020 par le tribunal judiciaire de Lille rectifié par le jugement du 2 avril 2020

DEMANDEURS A LA DECLARATION DE SAISINE

Monsieur [K] [L]

né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 10]

[Adresse 8]

[Localité 7]

Société Medical Insurance Company Designated Activity Compagny (MIC DAC) prise en la presonne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 11] Irlande

Représentés par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistés de Me Georges Lacoeuilhe, avocat au barreau de Paris avocat plaidant substitué par Me Lénah Darmon, avocat au barreau de Paris

DEFENDEURS A LA DECLARATION DE SAISINE

Monsieur [V] [E]

né le [Date naissance 2] 1987 à [Localité 14]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représenté par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assisté de Me Catherine Pouzol, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant substitué par Me Jamie Derycke, avocat au barreau de Lille

Etablissement Public ONIAM S Medicaux représenté par son Directeur en exercice

[Adresse 13]

[Localité 9]

Représenté par Me Nicolas Delegove, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, assisté de Me Sylvie Welsch, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 12] [Localité 14]

[Adresse 4]

[Localité 7]

Défaillante, à qui la déclaration de saisine a été signifiée le 15 septembre 2023 à personne habilitée

DÉBATS à l'audience publique du 28 mars 2024 tenue par Yasmina Belkaid magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Yasmina Belkaid, président de chambre

Frédéric Burnier, conseiller

Carole Van Goetsenhoven, conseiller

ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Yasmina Belkaid, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 18 mars 2024

****

Le 24 juin 2011, M. [E] a subi une arthroscopie et le 7 septembre suivant une ligamentoplastie réalisées par M. [L], chirurgien. Il a ensuite présenté une section du nerf sciatique poplité externe.

Par acte du 7 janvier 2016, M. [E] a fait assigner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infection nosocomiales (l'Oniam) et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 12] [Localité 14].

Par acte du 4 avril 2016, l'Oniam a appelé en garantie M. [L] et son assureur, la société Medical Insurance Company Designated Activity Company.

Par jugement du 23 mai 2017, le tribunal judiciaire de Lille a condamné l'Oniam à verser à M. [E] une provision de 50 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices et a ordonné une mesure d'expertise confiée à M. [T] remplacé par M. [N] par ordonnance du 21 juin 2017.

L'expert a déposé son rapport le 9 mai 2018.

Par jugement du 28 février 2020 rectifié le 2 avril 2020, le tribunal judiciaire de Lille a :

dit que M. [L] avait commis une faute technique au décours de l'intervention pratiquée le 7 septembre 2011 puis lors de la prise en charge de la complication présentée par M. [E]

condamné in solidum le docteur [L] et la société Medical Insurance Company à payer à M. [V] [E] les sommes suivantes en réparation du préjudice subi à la suite de cet accident médical fautif :

888,64 euros au titre des frais divers actuels

1 247,40 euros au titre de l'assistance par tierce personne temporaire

380 euros au titre des frais divers futurs

50 522,47 euros au titre de l'assistance par tierce personne définitive

11 581,20 euros au titre des frais d'adaptation du véhicule définitifs

606 307,34 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs

40 000 euros au titre de l'incidence professionnelle

42 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent

1 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire

dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision et ordonné leur capitalisation par année entière à compter de la signification de la présente décision

dit que le paiement des sommes précitées interviendra sous déduction du montant de la provision judiciaire de 50 000 euros

condamné in solidum le docteur [L] et la société Medical Insurance Company à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 12] [Localité 14] les sommes suivantes :

96 989,63 euros au titre des prestations servies à la victime, avec intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2019 et ordonné leur capitalisation par année entière

1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion

condamné in solidum le docteur [L] et la société Medical Insurance Company à rembourser à l'Oniam la somme de 59 143,75 euros

condamné in solidum le docteur [L] et la société Medical Insurance Company aux dépens

condamné in solidum le docteur [L] et la société Medical Insurance Company à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

4 500 euros à M. [V] [E]

1 500 euros à la Cpam de [Localité 12] [Localité 14]

1 500 euros à l'Oniam

ordonné l'exécution provisoire du jugement, cette mesure étant limitée, s'agissant de M. [V] [E], à la somme de 650 000 euros

débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Par arrêt du 24 juin 2021, la cour d'appel de Douai a infirmé ce jugement en ce qu'il a :

condamné in solidum M. [L] et son assureur à payer à M. [E] les sommes suivantes en réparation du préjudice subi à la suite de cet accident médical fautif :

1 247,40 euros au titre de l'assistance par tierce personne temporaire

50 522,47 euros au titre de l'assistance par tierce personne définitive

11 581,20 euros au titre des frais d'adaptation du véhicule définitifs

606 307,34 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs

condamné in solidum le docteur [L] et la société Medical Insurance Company à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 12] [Localité 14] la somme de 96 989,63 euros au titre des prestations servies à la victime, avec intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2019 et ordonné leur capitalisation par année entière

l'a confirmé pour le surplus

et statuant à nouveau sur les seuls chefs infirmés et y ajoutant a :

condamné in solidum le docteur [L] et la MIC DAC à payer à M. [V] [E] les sommes suivantes en réparation du préjudice subi à la suite de cet accident médical fautif :

1 650 euros au titre de l'assistance par tierce personne temporaire

60 932,74 euros au titre de l'assistance par tierce personne définitive

14 611,50 euros au titre des frais d'adaptation du véhicule définitifs

679 547,90 au titre des pertes de gains professionnels futurs

condamné in solidum le docteur [L] et la MIC DAC à payer à la Capm de [Localité 12] [Localité 14] les sommes de :

31 551,46 euros au titre des prestations hors rente, avec intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2019

17 287,78 euros au titre des arrérages échus de la rente servie à M. [V] [E] avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2020

Les arrérages échus à compter du 1er avril 2020 et à échoir au fur et à mesure de leur échéance, d'une rente dont le capital constitutif est de 80 450,05 euros, avec intérêts au taux légal à compter de chaque échéance

11 euros au titre d'un supplément d'indemnité forfaitaire de gestion

condamné in solidum le docteur [L] et la MIC DAC aux entiers dépens d'appel

condamné in solidum le docteur [L] et la MIC DAC à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, à :

la Cpam de [Localité 12] [Localité 14], la somme de 1 000 euros

l'Oniam, la somme de 1 000 euros

M. [V] [E], la somme de 2 500 euros

Par requête en omission de statuer du 30 juin 2021, M. [E] a demandé à la cour d'appel de Douai de statuer sur sa demande relative à l'incidence professionnelle.

Par arrêt rectificatif du 9 décembre 2021, la cour d'appel de Douai a confirmé le jugement en ce qu'il a condamné M. [L] et son assureur à verser à M. [E] la somme de 40 000 euros au titre de l'incidence professionnelle.

Par un arrêt du 8 février 2023, la Cour de cassation, au visa de l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique et du principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, a cassé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Douai le 24 juin 2021 en ce qu'il a condamné M. [L] et son assureur à payer à M. [E] la somme de 679 547,90 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs, selon la motivation suivante :

« En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à établir que M. [E] se trouve, à l'avenir, privé de la possibilité d'exercer une activité professionnelle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».

Le 10 mai 2023, M. [L] et son assureur ont saisi la cour sur renvoi après la cassation intervenue afin d'obtenir la réformation du jugement du tribunal judiciaire de Lille du 28 février 2020 sur l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs sollicitée par M. [E].

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 1er mars 2024, la société Medical Insurance Company Designated Activity Compagny (ci-après la société Mic Dac) et M. [L] demandent à la cour de :

les recevoir, en leurs écritures, les disant bien fondées

déclarer irrecevable la demande de M. [E] concernant l'indemnisation d'une perte de chance de générer des revenus professionnels identiques

déclarer irrecevables les conclusions de l'Oniam

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il les condamnait in solidum à payer à M. [E] la somme de 606 307,34 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs ;

Et statuant à nouveau,

A titre principal :

- débouter M. [E] de sa demande formulée au titre de la perte de gains professionnels futurs

condamner M. [E] à leur verser la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

condamner M. [E] à supporter les entiers dépens de la présente instance

A titre subsidiaire :

- réduire la somme allouée au titre des pertes de gains professionnels futurs à de plus justes proportions sans capitalisation

- condamner M. [E] à leur verser la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner M. [E] à supporter les entiers dépens de la présente instance

A titre infiniment subsidiaire :

- juger que la somme allouée au titre des pertes de gains professionnels futurs ne saurait excéder 41 472,17 euros

- condamner M. [E] à leur verser la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner M. [E] à supporter les entiers dépens de la présente instance.

Au soutien de leurs prétentions, ils font valoir que :

les demandes de l'Oniam, qui a conclu le 16 novembre 2023, sont irrecevables dans la mesure où il a notifié ses conclusions plus de deux mois après la notification de leurs propres écritures intervenue le 28 juin 2023

sur le fond :

à titre principal, M. [E] ne justifie d'aucune perte de gains professionnels futurs :

cette perte de gains ne saurait être imputée à l'intervention du 7 septembre 2011 dès lors que l'arrêt de travail du 29 avril 2011 (date de la survenance de l'entorse du genou gauche ayant rendu nécessaire la ligamentoplastie critiquée) serait imputable à un précédent accident survenu en 2006 sur le même genou.

l'expert [N] a précisé que M. [E] était apte à reprendre une activité professionnelle sédentaire comme le confirme le bilan de compétence qu'il a réalisé en juillet 2013 dont les postes proposés tiennent compte des restrictions médicales qui lui sont imposées

d'ailleurs, M. [E] avait déjà préparé sa reconversion professionnelle et débuté une formation sans que cela ne pose de difficulté au regard de ses séquelles

le bilan de 2028 confirmait ses possibilités professionnelles

L'inactivité de M. [E] n'est donc pas imputable à l'accident médical fautif

il n'est pas démontré que la rémunération au titre d'une activité sédentaire serait moindre que celle d'agent de sécurité

à titre subsidiaire, la somme allouée en première instance au titre des pertes de gains professionnelles futurs doit être réduite et calculée comme suit :

en imputant les sommes versées par les organismes sociaux

au regard des trois derniers avis d'imposition précédant le dommage, sur la base d'un revenu net, et des revenus perçus à compter de la date de consolidation (2013 à 2016) qui font apparaître une perte annuelle de 1 311 euros

à cet égard, le salaire net de référence tel que retenu par le premier juge à hauteur de 1 176,08 euros ne prend pas en compte la rente accident du travail

en revanche, à compter du jugement, M. [E] était apte à reprendre une activité professionnelle de sorte que la capitalisation doit être écartée

plus subsidiairement si ce préjudice était indemnisé sous la forme d'un capital , il y a lieu d'appliquer l'euro de rente pour un homme de 32 ans pouvant bénéficier d'une retraite à 62 ans , soit 24,634 du point

Dans ses conclusions notifiées le 15 mars 2024, M. [V] [E] demande à la cour de :

le recevoir en ses écritures, les disant bien fondées

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné in solidum M. [L] et son assureur, la MIC DAC à lui payer la somme de 606.307,34 € au titre de la perte de gains professionnels futurs ;

et statuant à nouveau :

A titre principal:

Vu le principe de réparation intégrale,

- retenir une perte de gains professionnels future totale à titre viager

Condamner le Docteur [L] in solidum avec son assureur, la société MIC DAC, venant aux droits de MIC LTD à lui payer la somme de 787.168,58 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs ;

A titre subsidiaire :

- juger qu'il doit être admis à être indemnisé de sa perte de chance de 85 % de générer les revenus qu'il percevait avant l'intervention critiquée

- Condamner le Docteur [L] in solidum avec son assureur, la société MIC DAC, venant aux droits de MIC LTD à lui payer la somme de 689.414,80 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs ;

En toute hypothèse

- juger que l'imputabilité de sa perte de gains professionnels futurs à l'intervention critiquée est établie

- débouter le Docteur [L] et son assureur la société MIC DAC de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions

- les condamner in solidum au paiement d'une somme de 4 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

- les condamner à supporter les entiers dépens de la présente instance.

Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que :

les séquelles de la prise en charge par le docteur [L] n'ont aucun lien avec la première ligamentoplastie réalisée en 2006 alors que les séquelles provoquées par la faute technique du chirurgien l'ont empêché de reprendre son poste de travail

en toute hypothèse, l'imputabilité de la perte de gains professionnels futurs n'a pas été remise en cause par l'arrêt de cassation et la cour d'appel doit seulement statuer sur l'étendue de l'indemnisation de cette perte de gains professionnels futurs dont le principe est acquis.

A cet égard, la perte de gains professionnels futurs doit être indemnisée dès lors que la victime subit une perte de revenus professionnels à compter de la date de consolidation du dommage et que tant que la victime est toujours en arrêt de travail, l'indemnisation intégrale des pertes de revenus post-consolidation est due.

de même, la victime, définitivement déclarée médicalement inapte à son poste en raison des séquelles de l'accident, doit recevoir réparation intégrale de ses préjudices puisqu'elle n'a pas l'obligation de limiter son préjudice en suivant une formation de reconversion (arrêt du 24 mai 2018) ou en démontrant des recherches effectives d'emploi

son inaptitude médicale suivie d'un licenciement démontre son impossibilité d'exercer sa profession antérieure et, partant, de tirer les revenus qui étaient les siens avant le fait générateur de responsabilité

le motif de cassation n'est pas une violation de la loi mais une insuffisance de motif

il faut donc établir qu'il se trouve à l'avenir privé de la possibilité d'exercer une activité professionnelle.

en raison des séquelles liées à la faute du Docteur [L], il doit limiter le port de charges lourdes et n'est plus en capacité de conduire un véhicule classique de sorte que le métier projeté de contrôleur technique n'apparaît pas adapté

la réalisation d'un bilan de compétence fait apparaître que son avenir professionnel est obéré

sa réorientation dans un métier sédentaire est purement théorique, compte tenu de ses faiblesses cognitives

ainsi, compte tenu des restrictions importantes à l'exercice d'une autre activité professionnelle (limiter la marche et les piétinements, limiter le port de charges lourdes, exclure le travail sur échelle ou sur échafaudage, éviter les activités nécessitant des postures accroupies, écarter les activités nécessitant d'utiliser une commande par le pied gauche de façon soutenue), du marché du travail particulièrement sinistré en ce qui concerne les travailleurs handicapés, de son absence de diplôme, de ses difficultés personnelles à se former, de la durée de son exclusion du marché de l'emploi, son retour à l'emploi est, en réalité, totalement hypothétique

en conséquence, il conviendra de retenir une perte de gains professionnels futurs totale à titre viager (application du barème de capitalisation 2022 publié par la Gazette du Palais) depuis la date de consolidation sur la base du salaire qu'il percevait juste avant l'intervention chirurgicale, soit un revenu mensuel net moyen de 1.561,89 euros, et non sur la moyenne des revenus professionnels perçus au cours des années 2008 à 2010 comme le proposent les appelants, en distinguant deux périodes :

de la date de consolidation jusqu'à son licenciement pour inaptitude du 20 mars 2014 en déduisant des indemnités journalières versées par la sécurité sociale la CSG et la RDS afin d'aboutir à des indemnités journalières nettes et en revalorisant son salaire sur la base de l'indice du SMIC

du 20 mars 2014 jusqu'à l'indemnisation définitive sans prendre en compte l'ARE ni l'allocation spécifique de solidarité, seule la rente invalidité servie par l'organisme social et l'assurance de prévoyance devant être déduite

subsidiairement, ce préjudice sera réparé comme suit :

indemnisation intégrale

de la perte de revenus au titre des arrérages échus

au titre de la perte de chance de gains qui ne pourra être inférieure à 85 % s'agissant des arrérages à échoir avec application de l'euro de rente viager afin de tenir compte de la perte de droit à la retaite

étant précisé que l'incidence professionnelle est un poste distinct et indépendant de la perte de gains professionnels futurs.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 16 octobre 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ci-après l'Oniam) demande à la cour de :

confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Lille rendu le 28 février 2020 et rectifié le 2 avril 2020

retenir que la responsabilité du docteur [L] est désormais irrévocablement admise

ordonner sa mise hors de cause

condamner in solidum le docteur [L] et son assureur la société Medical Insurance Company Designated Activity Compagny, anciennement Mic LTD à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner in solidum le docteur [L] et son assureur la société Medical Insurance Company Designated Activity Compagny, anciennement Mic LTD aux entiers dépens.

La Cpam de [Localité 12] [Localité 14], régulièrement intimée, n'a pas comparu.

Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

A titre liminaire, la cour relève qu'elle n'est pas saisie d'une demande de M. [E] tendant à voir prononcer la caducité de la déclaration de saisine de la cour de renvoi de sorte que les développements consacrés sur ce point par M. [L] et son assureur sont vains.

Sur la recevabilité des conclusions de l'Oniam

Selon l'article 1037-1 du code de procédure civile, en cas de renvoi après cassation devant une cour d'appel, les conclusions de l'auteur de la déclaration de saisine sont remises au greffe et notifiées dans un délai de deux mois suivant cette déclaration et les parties adverses remettent et notifient leurs conclusions dans un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'auteur de la déclaration.

Ainsi, les parties à l'instance ayant donné lieu à la cassation, qui ne respectent pas les délais qui leur sont impartis pour conclure, sont réputées s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elles avaient soumis à la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé. Il en résulte qu'en ce cas, les conclusions que ces parties prennent, hors délai, devant la cour d'appel de renvoi sont irrecevables (Cour de cassation, 2e chambre civile., 9 septembre 2021, pourvoi n° 19-14.020).

La cour relève que l'Oniam disposait d'un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de M. [L] et de son assureur sur renvoi après cassation intervenue le 28 juin 2023, pour remettre ses conclusions et que cette remise est intervenue le 16 octobre 2023, soit hors du délai requis.

Par suite, les conclusions notifiées par l'Oniam le 16 octobre 2023 seront déclarées irrecevables et la cour prendra en compte les seules conclusions soumises à la cour dont l'arrêt a été cassé soit celles notifiées le 27 août 2020 par lesquelles il sollicite la confirmation du jugement querellé et la condamnation in solidum de M. [L] et de son assureur à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles outre les dépens.

Sur la recevabilité de la demande de Monsieur [E] tendant à l'indemnisation de la perte de chance de gains professionnels

Si, dans son arrêt du 9 décembre 2021, la cour d'appel de Douai a indiqué que M. [E] n'apportait pas la preuve d'une perte de chance professionnelle dans l'exercice antérieur de son activité dans le domaine de la sécurité, force est de constater que c'est à l'occasion de l'examen de sa demande au titre de l'incidence professionnelle.

Or, ce préjudice, qui a pour objectif d'indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle et non la perte de revenu liée à l'invalidité professionnelle, ne se confond pas avec la perte de gains professionnels futurs qui fait l'objet d'une indemnisation distincte.

Par ailleurs, dès lors que M. [E] formule une demande subsidiaire au titre de ce poste et que celle-ci constitue le complément de la demande initiale, elle est recevable même formulée pour la première fois devant la cour alors en outre que toutes les parties demandent à la cour de liquider ce poste.

Sur la perte de gains professionnels futurs

A titre liminaire, la cour fait observer qu'il a été définitivement jugé que M. [L] était responsable du préjudice subi par M. [E] à l'occasion de l'intervention médicale pratiquée le 7 septembre 2011 puis lors de la prise en charge de ce dernier de sorte qu'il est vain pour le médecin et son assureur de discuter la question de l'imputabilité de la faute technique aux conséquences dommageables de la section du nerf sciatique poplité externe alors au surplus que l'expert a clairement précisé que les séquelles présentées par la victime ne résultent pas de l'évolution prévisible d'une pathologie initiale.

Les pertes de gains professionnels futurs résultent de la perte de l'emploi ou du changement d'emploi directement imputable au dommage ; ce poste de préjudice correspond à la perte ou à la diminution des revenus consécutive à l'incapacité permanente, et est évalué à partir des revenus antérieurs afin de déterminer la perte annuelle à compter de la date de consolidation.

Il résulte du principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime que la victime d'un dommage corporel ne peut être indemnisée de la perte totale de gains professionnels futurs que si, à la suite de sa survenue, elle se trouve privée de la possibilité d'exercer une activité professionnelle.

La cour précise que les considérations liées à la perte de perspectives professionnelles relèvent le cas échéant de l'incidence professionnelle et non des pertes de gains professionnels futures.

Sur ce,

Il est rappelé que ce poste de préjudice a pour vocation d'indemniser la perte effective de revenus du fait de l'accident.

Sur ce,

Compte tenu de son absence de formation diplomante, de la conjoncture économique et de ce que le marché du travail serait fermé aux handicapés et au motif qu'un reclassement sur un poste sédentaire serait théorique, M. [E] sollicite au titre de la perte de gains professionnels futurs une indemnité calculée sur la base d'un salaire mensuel de 1 561,89 euros et capitalisée à titre viager.

Il est établi qu'à l'époque de l'accident médical fautif, M. [E] était employé depuis le 20 juin 2009, par la société APEN en qualité d'agent de sécurité et qu'il a été licencié le 20 mars 2014 pour inaptitude médicale au poste, le médecin du travail, après sa visite de reprise à l'issue de l'arrêt maladie consécutif à l'accident, ayant confirmé l'aptitude de M. [E] à exercer une activité professionnelle circonscrite toutefois à un emploi administratif n'exigeant aucun déplacement à pied.

Les séquelles présentées par M. [E] résultent de ses difficultés à la marche compte tenu de l'instabilité de sa cheville.

L'expert judiciaire a conclu à un déficit fonctionnel permanent imputable aux séquelles de l'accident médical fautif au taux de 12 % et à une inaptitude pour toutes les professions nécessitant la station debout et la marche prolongées ainsi que le port de charges lourdes, il a toutefois retenu l'aptitude de M. [E] à un emploi sédentaire.

Contrairement à ce qu'avancent M. [L] et son assureur, la circonstance que M. [E] est, comme l'a retenu l'expert judiciaire, apte à exercer une profession sédentaire, n'exclut pas l'existence d'une perte de gains professionnels futurs étant observé que la cour de cassation, dans son arrêt du 10 février 2023 a seulement posé comme principe que « la victime d'un dommage corporel ne peut être indemnisée de la perte totale de gains professionnels que si, à la suite de sa survenue, elle se trouve privée de la possibilité d'exercer une activité professionnelle».

Il est établi que M. [E] a été en arrêt de travail reconduit successivement jusqu'à la décision du médecin conseil de l'organisme social qui a fixé la date de sa consolidation au 10 mars 2014.

Du 1er juin 2012, date à laquelle son état de santé était consolidé sur le plan médico-légal, au 20 mars 2014, date de son licenciement, M. [E] aurait dû percevoir les salaires suivants après leur revalorisation, comme il le demande, selon l'indice brut du revenu de référence de 1 176,08 euros au moment du fait générateur, étant précisé que le revenu de référence ne peut être différent de celui retenu pour le calcul des pertes de gains professionnels actuels alors en outre que la liquidation de ce poste de préjudice est définitive.

* Du 1er juin au 31 décembre 2012 (214 jours) : 8 463,53 euros

* Du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2013 : 14 481,53 euros

* du 1er janvier 2014 au 20 mars 2014 (79 jours) : 3 167,60 euros

Soit un total de 26 112,66 euros

Sur cette même période, il a perçu de la Cpam , selon son relevé des débours, les indemnités journalières suivantes :

du 1er juin 2012 au 7 septembre 2013 (464 jours sur la base d'une valeur IJ quotidienne de 36,33) : 16 857,12 euros

du 21 février 2004 au 19 mars 2014 (27 jours sur la base d'une valeur IJ quotidienne de 37,26) 1 006,02 euros

soit un total net de 16 666,31 euros après déduction de la CRDS au taux réduit de 6,20% et de la CSG au taux de 0,50%.

En exécution de son contrat de prévoyance, M. [E] a par ailleurs perçu du 1er juin 2012 au 20 mars 2014 (658 jours x 3,12 euros), la somme de 2 052,96 euros

La perte de gains professionnels futurs pour la période du 1er juin 2012 au 20 mars 2014 s'établit donc à la somme de 7 393,39 euros (26 112,66-16 666,31 ' 2 052,96).

Pour la période postérieure au 20 mars 2014, la cour relève qu'en juillet 2013, M. [E] a réalisé un bilan de compétence aux fins d'élaborer un projet professionnel tenant compte des restrictions liées à ses séquelles à savoir la limitation de la marche et des piétinements, la limitation du port de charges lourdes, l'exclusion du travail sur une échelle ou un échafaudage, l'exclusion des activités nécessitant des postures accroupies et l'exclusion des activités nécessitant l'utilisation d'une commande par le pied gauche de façon soutenue.

Il a lui-même porté son choix sur deux activités compatibles avec son état de santé à savoir celle de contrôleur technique et celle de technicien poseur de vitrage automobile qui toutes deux impliquent une remise à niveau et nécessiteront la mobilisation d'un ergonome aux fins d'étudier les possibilités d'aménagement de son poste de travail.

Il a par ailleurs, le 13 janvier 2018, bénéficié d'un projet d'accompagnement vers les métiers de relation d'aide et de la restauration qu'il a choisis pour lesquels une formation préalable est également indispensable.

S'il résulte de ces bilans professionnels que la reconversion professionnelle de M. [E] implique une remise à niveau notamment en français et en mathématiques ainsi que des formations, ils ne permettent nullement de caractériser une impossibilité définitive pour M. [E], alors âgé de 25 ans au moment de la consolidation de son état de santé et atteint d'un déficit fonctionnel permanent limité à 12 %, de reprendre une activité professionnelle alors qu'il pouvait accéder à des formations aux fins de reclassement professionnel.

Il ne peut donc prétendre à une perte totale de gains professionnels futurs, l'impossibilité pour celui-ci de retrouver un emploi n'étant pas avérée.

Par ailleurs, il ressort du bilan de compétence précité que le salaire brut mensuel d'un poseur de vitrage est de 1 500 euros soit 1 228,35 net.

M. [E], qui bénéficiait d'une rémunération au niveau du Smic, ne justifie donc pas qu'il ne pourra pas percevoir des revenus équivalents à ceux dont il bénéficiait avant l'accident après une reconversion professionnelle.

Par suite, la perte de chance de percevoir le même niveau de revenu qu'en 2011 n'est pas établie.

Alors que M. [E] était en mesure de se réorienter, qu'il n'a entrepris aucune formation 13 ans après l'accident ni tenté de trouver un emploi adapté à son handicap alors que son état ne lui interdit pas de retrouver un emploi puisque l'expert retient qu'il peut se reconvertir sur un métier sédentaire, il convient de limiter son indemnisation à 5 ans après le 20 mars 2014 tenant compte de la nécessité d'une remise à niveau et d'une formation préalables qui ne pouvaient être mises en 'uvre pendant son arrêt de travail.

La perte de gains professionnels futurs sera donc évaluée comme suit :

M. [E] aurait dû percevoir les salaires après revalorisation selon les mêmes modalités ci-dessus précisées du même revenu de référence :

du 21 mars 2014 au 31 décembre 2014 : 11 467,50 euros (1 176,08 x 9,53/9,19) x 286/30,416

du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015 : 14 757,95 euros (1 176,08 x 9,61/9,19) x 12 mois

du 1er janvier 2016 au 31 mars 2016 : 14 850,09 euros (1 176,08 x 9,67/9,19) x 12 mois

du 1er janvier 2017 au 31 mars 2017 : 14 988,30 euros (1 176,08 x 9,76/9,19) x 12 mois

du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2018 : 15 172,58 euros (1 176,08 x 9,88/9,19) x 12 mois

du 1er janvier 2019 au 21 mars 2019 : 3 249,45 euros (1 176,08 x 10,03/9,19) x 77/30,416

Soit la somme totale de 59 497,57 euros

Il perçoit une rente annuelle de 3 104,86 euros servie par la Cpam selon le relevé de ses débours, de sorte que, pour la période considérée, la somme totale de 15 441,15 euros (1 827 jours/30,416 (mois normalisé) x 258,73 euros (rente mensuelle) lui a été versée à ce titre.

En outre, il perçoit une indemnité journalière complémentaire au titre du contrat de prévoyance d'un montant de 3,12 euros soit, pour la période considérée, la somme totale de 5 700, 24 euros.

Dès lors, la perte de gains professionnels futurs s'établit, pour la période du 21 mars 2014 au 21 mars 2019 à la somme de 38 356,18 euros (59 497,57 ' 15 441,15 ' 5 700,24).

En conséquence, M. [L] et son assureur seront condamnés in solidum à payer à M. [E] la somme totale de 45 749,57 euros (38 356,18 + 7 393,39) au titre des pertes de gains professionnels futurs échus.

Le jugement critiqué est ainsi réformé du chef du quantum de ce poste de préjudice.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

M.[L] et son assureur, succombant principalement, seront condamnés in solidum aux dépens de la présente instance.

Ils seront également condamnés in solidum à payer à M. [E] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de cette instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Vu le jugement du tribunal judiciaire de Lille rendu le 28 février 2020,

Vu l'arrêt de la 3ème chambre civile de la cour d'appel de Douai rendu le 24 juin 2021,

Vu l'arrêt de cassation partielle rendu le 8 février 2023 par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, qui casse et annule l'arrêt précité seulement en ce qu'il a condamné in solidum M. [L] et la société Medical Insurance Company Designated Activity Compagny à payer à M. [E] la somme de 679 547,90 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs,

Déclare irrecevables les conclusions notifiées par l'Office l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infection nosocomiales (l'Oniam) le 16 octobre 2023 ;

Infirme le jugement rendu le 28 février 2020 par le tribunal judiciaire de Lille en ce qu'il a condamné in solidum le docteur [L] et la société Medical Insurance Company Designated Activity Compagny à payer à M. [V] [E] la somme de 606 307,34 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs,

Statuant à nouveau de ce seul chef critiqué et y ajoutant,

Condamne in solidum M. [L] et la société Medical Insurance Company Designated Activity Compagny à payer à M. [V] [E] la somme de 45 749,57 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs,

Condamne in solidum M. [L] et la société Medical Insurance Company Designated Activity Compagny à payer les dépens de l'instance d'appel,

Condamne in solidum M. [L] et la société Medical Insurance Company Designated Activity Compagny à payer à M [E]la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier

Fabienne DUFOSSÉ

Le président

[C] [P]


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 23/02185
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;23.02185 ?
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