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06/06/2024 | FRANCE | N°23/03453

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 06 juin 2024, 23/03453


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 6/06/2024





****





N° de MINUTE : 24/193

N° RG 23/03453 - N° Portalis DBVT-V-B7H-VAZ2



Ordonnance (N° 23/00063) rendue le 21 Juin 2023 par le tribunal judiciaire de Douai







APPELANTE



SA Clinique [25] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 24]

[Localité

15]



Représentée par Me Thibaut Franceschini, avocat au barreau de Lille, avocat constitué





INTIMÉS



Madame [J] [E]

née le [Date naissance 5] 1960 à [Localité 14] ([Localité 14])

de nationalité Franç...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 6/06/2024

****

N° de MINUTE : 24/193

N° RG 23/03453 - N° Portalis DBVT-V-B7H-VAZ2

Ordonnance (N° 23/00063) rendue le 21 Juin 2023 par le tribunal judiciaire de Douai

APPELANTE

SA Clinique [25] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 24]

[Localité 15]

Représentée par Me Thibaut Franceschini, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉS

Madame [J] [E]

née le [Date naissance 5] 1960 à [Localité 14] ([Localité 14])

de nationalité Française

[Adresse 10]

[Localité 13]

Monsieur [I] [E]

né le [Date naissance 9] 1961 à [Localité 14] ([Localité 14])

de nationalité Française

[Adresse 12]

[Localité 18]

Monsieur [S] [E]

né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 14] ([Localité 14])

de nationalité Française

[Adresse 20]

[Localité 17]

Madame [Z] [E]

née le [Date naissance 6] 1965 à [Localité 14] ([Localité 14])

de nationalité Française

[Adresse 16]

[Localité 2]

Monsieur [O] [E]

né le [Date naissance 7] 1968 à [Localité 14] ([Localité 14])

de nationalité Française

[Adresse 11]

[Localité 19]

Représentés par Me Sarah Jonard, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué

Monsieur [W] [D]

né le [Date naissance 3] 1965 à [Localité 23]

de nationalité Française

Clinique [25] [Adresse 24]

[Localité 15]

Défaillant, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 19 septembre 2023 à personne habilitée

Monsieur [F] [L]

de nationalité Française

[Adresse 21]

[Localité 14]

Représenté par Me Vincent Troin, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer, avocat constitué

Organisme Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 22] [Localité 14]

[Adresse 4]

[Localité 14]

Défaillante à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 19 septembre 2023 à personne habilitée

DÉBATS à l'audience publique du 25 janvier 2024 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024 après prorogation du délibéré en date du 28 mars 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 8 janvier 2024

****

EXPOSE DU LITIGE :

Le 19 avril 2022, M. [F] [L], ophtalmologue exerçant à titre libéral, a opéré [Y] [T] veuve [E] d'une cataracte de l'oeil gauche au sein de la SA clinique [25]. L'anesthésie de la patiente a été réalisée par M. [W] [D].

Au cours de l'intervention, [Y] [E] a présenté un arrêt cardio-respiratoire avec asystolie.

Ayant été réanimée, elle sera ultérieurement transférée au centre hospitalier de [Localité 14].

[Y] [E] décédera toutefois le [Date décès 8] 2022.

Les ayants-droit de [Y] [E] ont saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Douai pour solliciter l'organisation d'une expertise médicale.

Par ordonnance rendue le 21 juin 2023, le juge des référés a ordonné une expertise médicale, selon la mission suivante :

1- prendre connaissance des dossiers et documents produits aux débats, se faire communiquer le dossier médical complet de Mme [Y] [T] veuve [E] (décédée) avec l'accord des ayants-droit ; en tant que de besoin, se faire communiquer par tout tiers détenteur les pièces, notamment médicales, utiles à l'expertise ;

2- convoquer et entendre de manière contradictoire les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils. et recueillir leurs observations à l'occasion de l'exécution des opérations ou de la tenue réunions d`expertise ; y répondre ;

3- entendre tous sachants à la seule condition de rapporter fidèlement leurs déclarations après avoir précisé leur identité et s°il y a lieu, leur lien de parenté ou d'alliance, leur lien de subordination ou leur communauté d`intérêt avec les parties ;

4- procéder à toutes investigations utiles auprès, notamment, de l'entourage de la victime, décrire les constatations ainsi faites, y compris taille et poids ; fournir le maximum de renseignements sur son mode de vie, ses conditions d'activités professionnelles, son statut exact ; s'il s'agit d'un demandeur d'emploi, préciser son statut et/ou sa formation ;

5- dans le respect du code de déontologie médicale, interroger la famille de la victime sur ses antécédents médicaux, anomalies, maladies, séquelles d'accidents antérieurs, et tout autre élément utile ; ne les rapporter et ne les discuter que s"ils constituent un état antérieur susceptible d`avoir une incidence sur les lésions, leur évolution et les séquelles présentées;

6- recueillir et retranscrire dans leur entier les doléances exprimées par l°entourage de la victime leur faisant préciser notamment les conditions, date d°apparition et importances des douleurs et de la gêne fonctionnelle, ainsi que leurs conséquences sur la vie quotidienne ;

7- à partir des déclarations de l'entourage de la victime et des documents médicaux fournis :

- relater les circonstances des soins prodigués en avril 2022 et du décès de Mme [Y] [T] veuve [E] ;

- décrire notamment en détail les difficultés de santé ayant conduit Mme [Y] [T] veuve [E] à consulter, les suites immédiates de ces difficultés comme leur évolution ;

8- Prendre connaissance des examens complémentaires produits et les interpréter. le cas échéant avec le concours d'un sapiteur ;

9- se prononcer au vu de l'ensemble de ces éléments sur la ou les causes ayant conduit au décès de [Y] [T] veuve [E] ; Indiquer le cas échéant, si un éventuel état antérieur doit être pris en compte ;

10- détailler pour chacun des professionnels de santé intervenus concernant Mme [Y] [T] veuve [E] les diligences, diagnostic et soins prodigués ; se prononcer dans le cadre d'un avis argumenté et détaillé sur la conformité à l'art médical

et aux données acquises de la science des diligences, diagnostic et soins réalisés par chacun d'eux ;

11- Le cas échéant, dans une discussion argumentée et précise, se prononcer pour chacun de ces professionnels sur l'existence d'une faute de nature à engager sa responsabilité en prenant soin de préciser sa nature et ses conséquences détaillées; à ce titre, se prononcer spécialement sur les éventuelles conséquences de la faute quant au décès de Mme [Y] [T] veuve [E] ; avec les précautions qu'appelle l'exercice, donner un avis circonstancié et argumenté sur l'éventuelle chance de survie dont l'intéressé a pu être privé à raison de la ou des fautes relevées ;

12- procéder à l'évaluation des postes de préjudices de Mme [Y] [T] veuve [E] ayant pu résulter de la ou des fautes relevés ;

13- établir un état récapitulatif de l'évaluation de l'ensemb1e des postes énumérés dans la mission :

14- Faire toutes remarques utiles à l'appréciation par la juridiction qui sera éventuellement saisie des enjeux médicaux et de responsabilité évoqués lors des opérations d'expertise.

Par déclaration du 21 juillet 2023, la clinique [25] a formé appel de cette ordonnance en critiquant exclusivement les 14 points de la mission d'expertise.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 5 septembre 2023, la clinique Saint Amé, appelante, demande à la cour de réformer l'ordonnance critiquée au titre des chefs de la mission d'expertise, et statuant de nouveau de :

=$gt; à titre principal, juger qu'au titre de l'examen médical, la mission du collège d'experts judiciaire sera ainsi libellée :

' lui confier la mission suivante :

1) convoquer toutes les parties ;

2) entendre tous sachants ;

3) se faire communiquer par les ayants-droits de Mme [Y] [E] tous éléments médicaux relatifs à l'acte critiqué, se faire communiquer par tous tiers détenteurs l'ensemble des documents médicaux nécessaires ainsi que ceux détenus par tous médecins et établissements de soins concernant la prise en charge de la patiente et s'assurer de la communication contradictoire de ces documents sans que puisse lui être opposé le secret médical ; se faire communiquer par les parties défenderesses les pièces, y compris médicales, nécessaires à leur défense dans le cadre des opérations d'expertise à intervenir, sans que les règles du secret médical ne puissent leur être opposées ;

4) prendre connaissance de la situation personnelle et professionnel de [Y] [E] ; fournir le maximum de renseignements sur son mode de vie, ses conditions d'activité professionnelle, son statut exact avant son décès ;

5) retracer son état médical avant les actes critiqués ;

6) Procéder à un examen sur pièces du dossier médical de [Y] [E] ;

7) décrire les soins et interventions dont [Y] [E] a été l'objet, en les rapportant à leurs auteurs, et l'évolution de l'état de santé :

8) réunir tous les éléments permettant de déterminer si les soins ont été consciencieux, attentifs et dispensés selon les règles de l'art et les données acquises de la science médicale à l'époque des faits, et en cas de manquements en préciser la nature et le ou les auteurs ainsi que leurs conséquences au regard de l'état initial [Y] [E] comme de l'évolution prévisible de celui-ci ;

Préciser,

- si toutes les précautions ont été prises en ce qui concerne les mesures prescrites par la réglementation en matière, dans la négative dire quelle norme n'a pas été appliquée,

- si les moyens en personnel et matériel mis en 'uvre aux moments du(es) acte(s) mis en cause correspondaient aux obligations prescrites,

- la nature (orale ou écrite) et le contenu de l'information délivrée concernant en particulier l'existence d'alternatives thérapeutiques, l'évolution de son état de santé, les recommandations médicales en cas d'évolution défavorable de son état de santé et la correspondance adressée le cas échéant à son médecin traitant ;

- indiquer en particulier si la prise en charge de [Y] [E] a été conforme aux pratiques médicales admises et aux données de la science acquise à l'époque des faits ou révèle des manquements, erreurs ou négligences dans les actes médicaux effectués ou dans l'organisation du service ;

- analyser de façon détaillée et motivée la nature des erreurs, imprudences, maladresses, manques de précautions nécessaires, négligences ou autres défaillances éventuellement relevées ;

- indiquer le cas échéant les éléments qui seraient de nature à engager la responsabilité de la clinique [25] ;

- préciser si la responsabilité d'un autre intervenant est susceptible d'être engagée ;

9) déterminer les causes exactes du décès et dire si le décès est la conséquence initiale de l'évolution prévisible de la pathologie initiale, en prenant en considération les données relatives à l'état de santé antérieur aux actes de prévention, diagnostic ou soins pratiqués, ou si le décès est une conséquence anormale au regard de l'évolution de la pathologie initiale ;

10) dans ce dernier cas, dire s'il s'agit d'un évènement indésirable (accident médical, affection iatrogène, infection nosocomiale ou autre) en indiquant s'il est la conséquence d'un non-respect des règles de l'art, en précisant le caractère total ou partiel de l'imputabilité ;

11) décrire tous les soins médicaux et paramédicaux mis en 'uvre jusqu'au décès, en précisant leur imputabilité, leur nature, leur durée et en indiquant les dates

d'hospitalisation avec, les durées exactes d'hospitalisation et, pour chaque période d'hospitalisation, le nom des professionnels et/ou de l'établissement, les services concernés et la nature des soins ;

12) recueillir les doléances des ayants droits ; les interroger sur les conditions d'apparition des lésions, l'importance des douleurs, la gêne fonctionnelle subie et leurs conséquences sur la vie quotidienne ; décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales liées à l'accident s'étendant de la date de celui-ci à la date du décès ;

13) décrire au besoin un état antérieur en ne retenant que les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les suites constatées ;

14) abstraction faite de l'état antérieur, et de l'évolution naturelle de l'affection et du/des traitements qu'elle rendait nécessaire, en ne s'attachant qu'aux conséquences directes et certaines des manquements relevés, analyser, à l'issue de cet examen, dans un exposé précis et synthétique, la réalité des lésions initiales et l'imputabilité directe et certaine du décès aux lésions initiales en précisant au besoin l'incidence d'un état antérieur ;

15) consolidation : fixer la date de consolidation si celle-ci est intervenue avant le décès. Rappeler la date du décès ;

16) relater toutes les constatations ou observations n'entrant pas dans le cadre des rubriques mentionnées ci-dessus que le collège d'experts jugera nécessaires pour l'exacte appréciation des préjudices subis par la patiente et en tirer toutes les conclusions médico-légales.

- à titre subsidiaire,

- ordonner la mission d'expertise habituelle retenue par la juridiction de céans ;

- juger que les parties défenderesses pourront produire les pièces, y compris médicales, nécessaires à leur défense dans le cadre des opérations d'expertise à intervenir, sans que les règles du secret médical ne puissent leur être opposées ;

- en tout état de cause, dire que chacune des parties conservera la charge de ses dépens.

A l'appui de ses prétentions, la clinique [25] fait valoir que :

- la mission d'expertise ordonnée est pour partie inexécutable, notamment en subordonnant son exécution à l'obligation d'obtenir l'accord préalable des demandeurs aux opérations d'expertise à la communication de pièces médicales. Une telle mission contrevient aux droits de la défense et au principe du contradictoire, alors qu'il appartient

à l'expert désigné par le juge d'examiner l'ensemble des faits et éléments ayant conduit à la procédure d'expertise judiciaire.

- la mission comporte également des questions qui excèdent la compétence de l'expert judiciaire, qui ne peut être interrogé que sur des questions techniques, et non juridiques : il appartient exclusivement à l'expert d'évaluer un dommage, et non de se prononcer sur l'existence d'un poste de préjudice.

- la mission ne détaille pas les postes de préjudice à examiner.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 31 octobre 2023, M. [L] demande à la cour de :

- prendre acte de ses protestations et réserves sur les faits exposés dans l'assignation, sur la mise en cause de sa responsabilité ; et qu'il s'en rapporte à justice en ce qui concerne la mesure d'instruction sollicitée ;

- compléter la mission d'expertise, notamment en précisant l'existence d'une perte de chance ou l'existence d'un accident médical non fautif ;

- dire que les consorts [E] devront faire l'avance des frais d'expertise en procédant à la consignation de la provision à valoir sur les frais de l'expert.

Par conclusions notifiées le 5 octobre 2023, les consorts [E] demandent à la cour de confirmer l'ordonnance critiquée, de leur donner acte qu'ils s'en rapportent à la sagesse de la cour concernant les chefs critiqués par l'appelante principale, et de condamner la Clinique [25] aux dépens d'appel.

Ils font valoir qu'ils ne sont d'une part pas opposés à la communication du dossier médicale de la défunte, dès lors qu'ils cherchent à comprendre la chronologie et à disposer d'explications techniques sur certains points. Le recours par la Clinique [25] au principe du contradictoire et aux droits de la défense relève d'une démarche procédurière, alors qu'il suffisait de procéder à une démarche amiable à leur égard. Les experts n'ignorent d'autre part la méthodologie en matière d'évaluation des postes de préjudices corporels.

La caisse primaire d'assurance-maladie de [Localité 22]-[Localité 14] et M. [D], bien que régulièrement intimés, n'ont pas constitué avocat devant la cour.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour observe que les conclusions de M. [L] ne visent aucune demande de réformation ou d'annulation de l'ordonnance critiquée, de sorte qu'elles ne comportent aucun appel incident. Pour autant, la cour est valablement saisie par l'effet dévolutif de l'appel principal portant sur la mission confiée à l'expert.

Sur la mission d'expertise :

Sur le secret médical :

Le secret médical constitue un principe qui survit au décès du patient.

D'une part, les proches du patient décédé disposent d'un accès réglementé au dossier médical du défunt. L'article L. 1110-4 du code de la santé publique dispose ainsi que « le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès ».

D'autre part, ce secret médical fait également obstacle à un libre accès des tiers aux pièces du dossier médical du défunt.

À cet égard, le rappel par le juge des référés de l'obligation d'obtenir l'accord des ayants-droit pour se faire communiquer le dossier médical de [Y] [E] constitue la simple application de ce secret médical.

Il convient de distinguer :

en premier lieu, l'injonction faite par le juge des référés à l'expert lui-même d'obtenir les pièces du dossier médical de [Y] [E] avec l'accord de ses ayants-droit : en l'espèce, ces derniers n'avaient pas renoncé sans équivoque à ce droit au secret médical au moment où le premier juge a statué. La seule circonstance qu'ils aient sollicité une expertise judiciaire ne suffit en outre pas à caractériser une renonciation implicite au secret médical. En revanche, l'absence de consentement par l'ayant droit du patient défunt à la communication du dossier médical entraîne d'une part la faculté pour l'expert de déposer son rapport en l'état, dès lors que les parties ont l'obligation d'apporter leur concours à l'exécution de la mesure d'instruction. D'autre part, la juridiction peut tirer toutes conséquences du refus de collaboration à l'expertise, en application de l'article 11 du code de procédure civile.

en second lieu, même si la rédaction du point 1 n'est pas explicite sur cette question, la même injonction adressée par le juge des référés aux tiers détenteurs de pièces médicales d'obtenir l'accord préalable de ce dernier avant de procéder à leur communication à l'expert n'est pas davantage prohibée en soi : dans ce cas, à défaut d'établir une renonciation par les ayants droit du patient à invoquer le secret médical, le conflit entre ce secret et le droit des professionnels ou établissements de santé de se défendre dans le cadre d'une action en responsabilité médicale engagée à leur encontre, est arbitré par la légitimité des motifs opposés par le patient à une telle communication. Le simple rappel du principe d'une acceptation par le patient préalable à une transmission de pièces médicales l'intéressant n'est ainsi pas en soi illicite. Un tel refus n'a vocation à être sanctionné qu'a posteriori, dans l'hypothèse où le patient s'oppose à une telle communication et que le professionnel de santé justifie qu'une telle opposition ne repose pas sur un motif légitime, alors qu'elle porte une atteinte disproportionnée aux droits de la défense.

Dans ces conditions, les termes critiqués de l'expertise ne s'analysent pas en eux-mêmes comme une violation des droits de la défense et de l'égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Ils ne constituent pas davantage une violation du principe du contradictoire, alors que le refus de lever un tel secret repose sur un principe, dont la mise en 'uvre peut être discutée s'il est illégitime. En définitive, le premier juge a exclusivement rappelé le principe du secret médical et son corollaire d'une autorisation préalable par le patient à la révélation d'éléments qu'il couvre, sans avoir pour autant :

interdit par anticipation et de façon absolue la communication de pièces utiles aux intérêts des défendeurs ;

exclu que le conflit entre ce secret et les droits de la défense puisse être tranché.

Au surplus, alors que le patient ou ses ayants-droits disposent de la faculté de renoncer au secret médical prescrit dans son seul intérêt, il résulte des propres conclusions des consorts [E] devant la cour qu'ils renoncent expressément à invoquer ce secret, de sorte que tant la clinique que le chirurgien disposent de la liberté de communiquer à l'expert toutes les pièces médicales sur lesquelles pourrait reposer leur défense et que le collège d'experts pourra ainsi librement accéder au dossier médical.

La mission d'expertise ayant vocation à être modifiée par ailleurs, il convient en tout état de cause de réformer intégralement l'ordonnance critiquée de ce chef, sans procéder à une appréciation de chacun des points de la mission.

Sur le caractère incomplet de la mission :

La mission critiquée est en revanche incomplète, dès lors qu'elle ne vise pas :

* l'hypothèse d'un accident médical non fautif : seule l'hypothèse d'une faute imputable aux professionnels ou établissements de santé est envisagée par le juge des référés. À

cet égard, il convient effectivement de rechercher les fautes ayant causé à [Y] [E] des préjudices, telles qu'elles ont pu survenir tant au cours de l'intervention chirurgicale, que dans les suites de cette intervention. Sur ce point, la cour relève que le centre hospitalier de [Localité 14] n'est pas partie à l'instance, étant observé que cette instance devant le juge des référés judiciaire comporte exclusivement une demande d'expertise, de sorte qu'une telle personne publique pouvait y être valablement attraite.

Toutefois, il convient également d'envisager les autres causes éventuelles des préjudices subis par [Y] [E]. En effet, la juridiction statuant au fond sur une demande d'indemnisation des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins dans un établissement de santé doit disposer des éléments tirés de l'expertise lui permettant d'appliquer, le cas échéant, les dispositions de l'article L. 1142-21, I du code de la santé publique et d'ordonner en conséquence l'appel en la cause de l'Oniam.

* les postes de préjudice à examiner : la circonstance que [Y] [E] a survécu jusqu'au [Date décès 8] 2022 implique qu'au titre d'une éventuelle action successorale et indépendamment du seul décès de la patiente, le collège d'experts procède à une évaluation détaillée des préjudices subis par cette dernière pour permettre aux parties d'en discuter contradictoirement : si la mission établie par le groupe de travail présidé par M. [U] est communément utilisée par les experts judiciaires, il est toutefois préférable d'en détailler les termes, pour prévenir une omission préjudiciable à l'éventuelle liquidation ultérieure des préjudices subis. Au regard de la durée limitée entre l'acte chirurgical et le décès de la patiente et de son âge, certains postes n'ont toutefois guère vocation à être documentés par le collège d'experts.

La perte de chance est en revanche envisagée par la mission critiquée sous l'angle de la perte de chance de survie.

En considération de l'ensemble de ces éléments, il convient de réformer l'ordonnance critiquée et de substituer à la mission ordonnée par le juge des référés celle figurant au dispositif du présent arrêt.

Pour le surplus, l'ordonnance du juge des référés ayant ordonné l'expertise ne fait l'objet d'aucune réformation.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit à laisser à la charge de chaque partie les dépens qu'elles ont pu exposer en appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Réforme l'ordonnance rendue le 21 juin 2023 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Douai en son seul chef critiqué par la déclaration d'appel ;

Et statuant à nouveau sur le chef réformé :

Confie au collège d'experts constitué par M. [A] [P] et M. [V] [C] la mission d'expertise suivante :

aux fins de procéder comme suit :

SUR LA MISSION D'EXPERTISE :

après concertation au sein du collège, indiquer au juge en charge du contrôle des expertises l'expert désigné pour assurer la coordination ou la présidence de l'expertise, qui sera chargé des tâches administratives et de la répartition des

travaux techniques au sein de l'expertise ;

entendre contradictoirement les parties, leurs conseils convoqués et entendus, ceci dans le strict respect des règles de déontologie médicale ou relative au secret professionnel ;

recueillir toutes informations orales ou écrites des parties ; se faire communiquer puis examiner tous documents utiles (dont le dossier médical et plus généralement tous documents médicaux relatifs à la demande et le relevé des débours de l'organisme tiers payeur);

se faire communiquer le relevé des débours de l'organisme de sécurité sociale de la victime et indiquer si les frais qui y sont inclus sont bien en relation directe, certaine et exclusive avec l'accident en cause ;

recueillir au besoin, les déclarations de toutes les personnes informées, en précisant alors leurs nom, prénom, domicile et leurs liens de parenté, d'alliance, de subordination ou de communauté de vie avec l'une des parties ;

procéder à l'examen du dossier médical de [Y] [E] ;

SUR LE FAIT GENERATEUR :

rechercher l'état médical de [Y] [E] avant l'acte ou les actes critiqués ;

décrire les lésions et séquelles directement imputables aux soins et traitements critiqués ;

rechercher si les actes médicaux réalisés étaient indiqués, si le diagnostic pouvait être établi avec certitude et si les soins ou actes médicaux ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science médicale;

rechercher si le patient a reçu une information préalable et suf'sante sur les risques que lui faisait courir l'intervention et si c'est en toute connaissance de cause qu'il s'est prêté à cette intervention ;

analyser, le cas échéant, de façon détaillée et motivée la nature des erreurs, imprudences, manques de précaution nécessaires, négligences, pré, per ou postopératoires, maladresses ou autres défaillances de nature à caractériser une faute en relation de cause à effet direct et certaine avec le préjudice allégué,

rechercher si une faute dans l'organisation des établissements où a séjourné la patiente, notamment dans l'obligation de surveillance ou d'exécution des soins hospitaliers, a été commise, en lien de causalité avec les préjudices invoqués ;

fournir les éléments permettant de caractériser si [Y] [E] a subi un accident médical non fautif, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ; dans ce dernier cas, préciser quelle est l'infection et dire si elle est classée parmi les infections nosocomiales (staphylocoque doré, etc ...),

Dans l'affirmative :

préciser si l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale est directement imputable aux actes de prévention, de diagnostic ou de soins subis par [Y] [E] dans l'un des établissements lui ayant apporté des soins (étant observé que le centre hospitalier de [Localité 14] n'est pas partie à l'instance) ;

indiquer à quelle date ont été constatés les premiers signes, à quelle date a été porté le diagnostic et à quelle date la thérapeutique a été mise en 'uvre ;

se prononcer en outre sur l'anormalité des conséquences de l'accident, au regard de l'état de santé du patient et de son évolution prévisible ; s'agissant d'une

infection nosocomiale, préciser si [Y] [E] présentait des facteurs favorisant l'apparition et le développement d'une infection ;

dans l'hypothèse où l'infection nosocomiale s'est réalisée au sein d'un ou plusieurs établissements de santé, préciser si ce(s) dernier(s) est (sont) susceptible(s) d'être exonéré(s) de sa (leur) présomption de responsabilité, en fournissant des éléments techniques sur l'existence d'une cause étrangère, définie comme un fait extérieur, irrésistible et imprévisible pour cet établissement ;

- se prononcer à la fois sur le lien de causalité direct et certain entre :

* d'une part, le ou les faits générateurs,

* d'autre part, (i) les préjudices éventuellement subis entre l'intervention chirurgicale et le décès de [Y] [E] ; (ii) le décès de [Y] [E] ;

- En cas de concours de faits ayant concouru à la réalisation des préjudices subis par [Y] [E], se prononcer sur la part causale de chacune de ces causes dans chaque poste de préjudice ;

SUR LES PREJUDICES SUBIS :

le cas échéant, se prononcer sur la gravité du préjudice résultant d'un éventuel accident médical non fautif, par référence à l'article L 1142-1 II alinéa 1 et 2 du code de la santé publique ;

fournir les éléments techniques permettant d'apprécier, de façon distincte s'il existe un tel concours de fautes, la perte de chance résultant :

* d'une part, d'un éventuel défaut d'information du patient sur un risque s'étant réalisé : proposer un pourcentage permettant de déterminer le degré de probabilité selon lequel le patient aurait refusé de procéder à l'acte médical litigieux, s'il n'avait pas été privé préalablement à cet acte d'une information loyale, claire et complète par le professionnel de santé sur les risques encourus, notamment en prenant en considération l'état de santé du patient ainsi que son évolution prévisible, sa personnalité, les raisons pour lesquelles des investigations ou des soins à risques lui sont proposés, ainsi que les caractéristiques de ces investigations, de ces soins et de ces risques, pour évaluer les effets qu'aurait pu avoir une telle information quant à son consentement ou à son refus ;

* d'autre part, d'une faute technique ou diagnostique commise par le professionnel de santé en relation causale avec les préjudices invoqués : proposer un pourcentage permettant de déterminer le degré de probabilité selon lequel le patient aurait pu éviter les conséquences dommageables qui ont résultées de cette faute ;

déterminer les préjudices subis par [Y] [E], antérieurement à son décès, en relation de causalité direct et certain avec le ou les fais générateurs précédemment identifiés, en excluant les conséquences normalement prévisibles de la pathologie initiale, ainsi que celles résultant de tout état antérieur ou de

toute cause étrangère, selon la nomenclature suivante :

1) Préjudices avant consolidation

1-1) Préjudices patrimoniaux

1-1-1) Pertes de gains professionnels actuels (P.G.P.A.) : Déterminer la durée de l'incapacité provisoire de travail, correspondant au délai normal d'arrêt ou de ralentissement d'activités ; dans le cas d'un déficit partiel, en préciser le taux,

1-1-2) Frais divers : Dire si du fait de son incapacité provisoire, la victime directe a été amenée à exposer des frais destinés à compenser des activités non professionnelles particulières durant sa maladie traumatique (notamment garde d'enfants, soins ménagers, frais d'adaptation temporaire d'un véhicule ou d'un logement, assistance temporaire d'une tierce personne pour les besoins de la vie courante - dans ce dernier cas, la décrire, et émettre un avis motivé sur sa nécessité et ses modalités, ainsi que sur les conditions de la reprise d'autonomie)

1-2) Préjudices extra-patrimoniaux temporaires

1-2-1) Déficit fonctionnel temporaire : Décrire et évaluer l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant sa maladie traumatique (troubles dans les actes de la vie courante)

1-2-2) Souffrances endurées avant consolidation : Décrire les souffrances endurées avant consolidation, tant physiques que morales, en indiquant les conditions de leur apparition et leur importance ; les évaluer sur une échelle de sept degrés,

1-2-3) Préjudice esthétique temporaire : Donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance, sur une échelle de sept degrés, d'un éventuel préjudice esthétique temporaire,

2) Consolidation

proposer une date de consolidation des blessures, qui est le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent tel qu'un traitement n'est plus nécessaire,

3) Préjudices après consolidation

3-1) Préjudices patrimoniaux permanents

3-1-1) Dépenses de santé futures : décrire les frais hospitaliers, médicaux, para-médicaux, pharmaceutiques et assimilés, même occasionnels, mais médicalement prévisibles, rendus nécessaires par l'état pathologique de la victime après la consolidation

3-1-2) Frais de logement et de véhicule adapté : décrire et chiffrer les aménagements rendus nécessaires pour adapter le logement et/ou le véhicule de la victime à son handicap,

3-1-3) assistance par une tierce personne : Se prononcer sur la nécessité d'une assistance par tierce personne ; dans l'affirmative, préciser le nombre nécessaire d'heures par jour ou par semaine, et la nature de l'aide (spécialisée ou non) ; décrire les attributions précises de la tierce personne : aide dans les gestes de la vie quotidienne, accompagnement dans les déplacements, aide à l'extérieur dans la vie civile, administrative et relationnelle etc... ; donner toutes précisions utiles,

3-1-4) Perte de gains professionnels futurs : décrire les éléments permettant de dire si la victime subit une perte ou une diminution consécutive à l'incapacité permanente à

laquelle elle est confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du dommage (notamment perte d'emploi, temps partiel, changement de poste ou poste adapté)

3-1-5) incidence professionnelle : Décrire l'incidence périphérique du dommage touchant à la sphère professionnelle (notamment dévalorisation sur le marché du travail, augmentation de la pénibilité de l'emploi, frais de reclassement, perte ou diminution de droits à la retraite)

3-1-6) préjudice scolaire, universitaire ou de formation : dire si du fait de l'événement, la victime a subi un retard dans son parcours scolaire, universitaire ou de formation, et/ou a dû modifier son orientation, ou renoncer à une formation,

3-2) Préjudices extra-patrimoniaux

3-2-1) Déficit fonctionnel permanent : Donner un avis sur le taux de déficit fonctionnel permanent imputable à l'événement, résultant de l'atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation, ce taux prenant en compte non seulement les atteintes physiologiques, mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes ressenties ;

Préciser le barème d'invalidité utilisé,

Dans l'hypothèse d'un état antérieur de la victime, préciser :

si cet état était révélé et traité avant le ou les faits dommageables (dans ce cas, préciser les périodes, la nature et l'importance des traitements antérieurs) et s'il entraînait un déficit fonctionnel avant l'accident,

s'il a été aggravé ou révélé ou décompensé par l'accident,

si en l'absence d'accident, cet état antérieur aurait entraîné un déficit fonctionnel. Dans l'affirmative en déterminer le taux ;.

En toute hypothèse, donner un avis sur le taux du déficit fonctionnel actuel, tous éléments confondus (état antérieur inclus) ;

3-2-2) Préjudice d'agrément : Si la victime allègue l'impossibilité définitive de se livrer à des activités spécifiques de sport ou de loisirs, correspondant à un préjudice d'agrément, donner un avis médical sur cette impossibilité ou cette limitation,

3-2-3) Préjudice esthétique permanent : Donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique permanent, l'évaluer sur une échelle de sept degrés,

3-2-4) Préjudice sexuel : dire s'il existe un préjudice sexuel, le décrire en précisant s'il recouvre l'un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : la libido, l'acte sexuel proprement dit (impuissance ou frigidité), et la fertilité (fonction de reproduction),

3-2-5) Préjudice d'établissement : Dire si la victime présente un préjudice d'établissement (perte de chance de réaliser un projet de vie familiale normale en raison de la gravité du handicap permanent) et le quantifier en indiquant des données circonstanciées,

Procéder de manière générale à toutes constatations ou conclusions utiles à la solution du litige,

Laisse à chaque partie la charge des dépens qu'elles ont respectivement exposés en appel.

Le Greffier Le Président

F. Dufossé G. Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 23/03453
Date de la décision : 06/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-06;23.03453 ?
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