République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 4
ARRÊT DU 06/06/2024
N° de MINUTE : 24/484
N° RG 23/01971 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U33N
Jugement (N° 21/02380) rendu le 12 Mars 2023 par le Tribunal paritaire des baux ruraux de Valenciennes
APPELANTE
SA SAFER Hauts de France agissant en la personne de son représentant légal domicilié audit siège
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Vincent Bué, avocat au barreau de Lille
INTIMÉE
Madame [I] [E] épouse [G]
née le 31 Juillet 1954 à [Localité 13]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 8]
Représentée par Me Jean-Philippe Vérague, avocat au barreau d'Arras
DÉBATS à l'audience publique du 21 Mars 2024, tenue par Véronique Dellelis et Emmanuelle Boutié magistrates chargées d'instruire le dossier qui ont entendu les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en ont rendu compte à la cour dans leur délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Ismérie Capiez
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Véronique Dellelis, président de chambre
Emmanuelle Boutié, conseiller
Catherine Ménegaire, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 6 juin 2024 après prorogation du délibéré du 30 mai 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Véronique Dellelis, président et Ismérie Capiez, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire
Mme [I] [E] épouse [G] est titulaire d'un bail rural initialement consenti par M. [W] [K] sur des parcelles sises à [Localité 8] (Nord) cadastrées ZA[Cadastre 5] pour 96 ares 64 centiares et à [Localité 7] (Nord) cadastrée ZA[Cadastre 1] pour 8 hectares 96ares et 76 centiares, appartenant désormais à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) des Hauts de France.
Par acte d'huissier en date du 29 mars 2021, un congé aux fins de non-renouvellement du bail en raison de l'âge de la preneuse a été délivrée à Mme [G] pour le 30 septembre 2023.
Par requête en date du 16 septembre 2019, Mme [G] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Valenciennes d'une requête aux fins d'entendre :
- dire nul et de nul effet le congé signifié le 29 mars 2021,
- autoriser Mme [G] à céder à sa fille [P] [G] épouse [U] le droit au bail qu'elle détient sur les parcelles sises à [Localité 8] ZA [Cadastre 5] pour 96 ares 64 centiares et à [Localité 7] pour 8 hectares 96 ares et 16 centiares.
- dire que la bénéficiaire de la cession bénéficiera du droit au renouvellement du bail en application de l'article L.411-46 du code rural et de la pêche maritime,
- condamner la SAFER au paiement de la somme de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux frais et dépens.
En l'absence de conciliation, l'affaire a été renvoyée à plusieurs reprises à la demande des parties avant d'être retenue à l'audience du 20 janvier 2023.
Par jugement en date du 17 mars 2023, auquel il est expressément renvoyé pour un exposé complet de la procédure antérieure au jugement et des demandes et moyens des parties le tribunal paritaire des baux ruraux de Valenciennes a :
- annulé le congé pour atteinte d'âge délivré le 29 mars 2021 par la SCP Barbet-Bue-Bortolloti-[V] à l'égard de [I] [G]-[E],
- autorisé [I] [G]-[E] à céder à sa fille [P] [U]-[G] le droit au bail qu'elle détient sur les parcelles dont la désignation suit:
*commune de [Localité 8]: ZA[Cadastre 5] pour 96 ares 64 centiares
* commune d'[Localité 7]: ZA[Cadastre 1] pour 08 hectares 96 ares et 16 centiares.
- dit que la cessionnaire bénéficiera du droit au nouvellement des baux,
- rappelé que le jugement est exécutoire de droit à titre provisoire,
- condamné la SAFER Hauts de France aux dépens,
- condamné la SAFER Hauts de France à payer à Mme [I] [G]-[E] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la SAFER Hauts de France de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- précisé que le présent jugement est susceptible d'appel dans le délai d'un mois à compter de sa notification.
La SAFER Hauts de France a interjeté appel de cette décision, la déclaration d'appel visant l'ensemble des dispositions du jugement entrepris.
Lors de l'audience devant la cour, la SAFER Hauts de France soutient ses conclusions déposées lors de l'audience et dûment visées par le greffe par lesquelles elle demande à cette cour de :
- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a:
* annulé le congé pour atteinte d'âge délivré le 29 mars 2021 par la SCP Barbet-Bue-Bortolloti-[V] à l'égard de [I] [G]-[E],
* autorisé [I] [G]-[E] à céder à sa fille [P] [U]-[G] le droit au bail qu'elle détient sur les parcelles dont la désignation suit :
+commune de [Localité 8]: ZA[Cadastre 5] pour 96 ares 64 centiares
+ commune d'[Localité 7]: ZA[Cadastre 1] pour 08 hectares 96 ares et 16 centiares.
* dit que la cessionnaire bénéficiera du droit au nouvellement des baux,
* rappelé que le jugement est exécutoire de droit à titre provisoire,
* condamné la SAFER Hauts de France aux dépens,
*condamné la SAFER Hauts de France à payer à Mme [I] [G]-[E] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
* débouté la SAFER Hauts de France de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile,
* précisé que le présent jugement est susceptible d'appel dans le délai d'un mois à compter de sa notification.
- Statuant à nouveau,
* déclarer Mme [I] [G] mal fondée en toutes ses demandes et l'en débouter,
* refuser la demande de cession de bail à une descendante en application de l'article L.411-35 du code rural et de la pêche maritime,
* valider le congé rural en date du 29 mars 2021 délivré par la SELARL Barbet Bue Bortolotti [V], Me [J] [V] huissier de justice à [Localité 12] à Mme [I] [G] [E] née le 31 juillet 1954 portant sur les deux parcelles cadastrées :
[Localité 8] Section A n°[Cadastre 5] [Localité 10] 96a 54ca
[Localité 7] Section ZA n°[Cadastre 1] [Localité 11] 8ha 95a 16ca
En cause d'appel, vue la connexité se rattachant à la demande principale,
Vu les articles L.411-31, L.411-37; L.411-35 et L.415-12 du code rural et de la pêche maritime,
Vu l'avis d'avertissement de la mise à disposition du bail à la SCEA notifié le 15 mai 2021,
Vu la loi 79-1115 du 22 décembre 1979, l'article 1842 du code civile,
* prononcer la nullité des baux pour cession irrégulière,
En conséquence,
* résilier les baux portant sur les parcelles dont la désignaiton suit :
[Localité 8] Section A n°[Cadastre 5] [Localité 10] 96a 54ca
[Localité 7] Section ZA n°[Cadastre 1] [Localité 11] 8ha 95a 16ca
Dans tous les cas,
* condamner Mme [G] à payer à la SAFER Hauts de France la somme de 1500 euros par application de l'article 700 du code de proécdure civile et aux entiers dépens.
La SAFER Hauts de France soutient essentiellement que l'appréciation des manquements aux obligations nées du bail du preneur actuel sont de nature à priver sa fille de toute cession. Elle précise que le preneur n'est pas de bonne foi s'agissant de retards dans le paiement des fermages échus et sur le fait que Mme [G] [E] a notifié tardivement au bailleur l'avis de mise à disposition des baux souscrits à la SCEA des Deux Vallées de sorte que cette irrégularité prive le preneur de la faveur de céder le bail à un proche au sens de l'article L.411-35 du code rural et de la pêche maritime.
En outre, elle invoque en cause d'appel l'existence d'une cession irrégulière du bail justifiant de prononcer sa résiliation en soutenant que la création rétroactive de la SCEA Les deux vallées a fait naître une société créée de fait entre la date de mise à disposition des baux soit le 1er mars 2021 et la date de l'immatriculation de la société au RCS intervenue le 29 mars 2021 en violation des dispositions de l'article L.411-37 du code rural et de la pêche maritime.
La SAFER des Hauts de France soutient que cette demande est recevable dans la mesure où elle constitue l'accessoire, la conséquence et le complément de l'opposition du bailleur à la demande de cession de bail.
Enfin, l'appelante fait valoir que Mme [P] [G] épouse [U] ne justifie pas être réellement domiciliée à [Localité 8] ni disposer de l'aptitude agricole pour poursuivre le bail et qu'il n'est pas non plus justifié de la solvabilité de la société ni de sa capacité de financement et de l'autorisation administrative d'exploiter de sorte que l'opération de cession sollicitée par Mme [G] nuit aux intérêts légitimes du bailleur.
Mme [I] [E] épouse [G] soutient ses conclusions déposées lors de l'audience et dûment visées par le greffe par lesquelles elle demande à cette cour de :
- dire et juger irrecevable la SAFER en sa demande nouvelle de résiliation de bail,
- confirmer le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux en date du 17 mars 2023 en l'ensemble de ses dispositions,
- débouter la SAFER Hauts de France de son appel principal et de toutes ses demandes,
En conséquence,
- dire et juger nul et de nul effet le congé signifié le 29 mars 2021 par la SELARL Barbe Bue Bortolotti [V],
- autoriser Mme [I] [G] à céder à sa fille Mme [P] [G] épouse [U] le droit au bail qu'elle détient sur les parcelles commune de [Localité 8]: ZA[Cadastre 5] pour 96a 64ca et Commune de [Localité 7] ZA[Cadastre 1] pour 8he 96a 16ca;
- dire et juger que la bénéficiaire de la cession bénéficiera du droit au renouvellement du bail en application des dispositions de l'article L.411-46 du code rural,
- condamner la SAFER Hauts de France au paiement de la somme de 4000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers frais et dépens.
Mme [E] épouse [G] soutient essentiellement que la demande de résiliation de bail formulée par la SAFER Hauts de France en cause d'appel est irrecevable s'agissant d'une demande nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile et alors qu'elle n'a pas été soumise au préalable de conciliation obligatoire devant le tribunal paritaire des baux ruraux (article 887 du code de procédure civile).
Elle précise que le congé a été délivré par la SAFER uniquement à Mme [G] de sorte que le bailleur la considère comme la seule titulaire du bail et que s'agissant du manquement invoqué fondé sur le retard dans le réglement des fermages, la SAFER n'envoie pas son appel de fermage en temps et en heure.
En outre, elle expose qu'alors que l'avis de mise à disposition au profit de la SCEA Les Deux Vallées devait être effectué au plus tard le 29 mai 2021, la société ayant été immatriculée au RCS de Valenciennes le 29 mars 2021, la lettre d'information a été adressée au bailleur le 15 mai 2021 et reçue le 21 mai 2021. Elle fait valoir que l'avis de mise à disposition ne pouvait être antérieur à l'existence même de la société et qu'aucun grief ne peut lui être reproché à ce titre.
De plus, elle avance que la SCEA Les deux vallées n'ayant existé juridiquement qu'à compter du 29 mars 2021, ce n'est qu'à partir de cette date que la mise à disposition s'est réellement opérée, elle-même ayant exploité individuellement les terres pour la période du 1er mars au 29 mars 2021, date d'immatriculation de la société et qu'ainsi, la fictivité donnée à la rétroactivité pour des raisons comptables n'a aucun effet sur la réalité de la mise à disposition.
Enfin, sur le fond la demande en résiliation de bail, Mme [G] avance que l'ensemble des informations prévues par l'article L.411-37 ont été transmises au bailleur dès l'immatriculation de la société de sorte qu'aucun motif de résiliation du bail n'est caractérisé et que la SAFER n'apporte pas la preuve d'une transmission du bail au profit de tiers de sorte qu'aucune cession de bail n'a été réalisée par Mme [G].
Il est pour le surplus renvoyé aux écritures des parties pour un exposé complet de leurs moyens et arguments.
MOTIFS
Sur la recevabilité de la demande en résiliation du bail
Aux termes des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
L'article 887 du même code dispose qu'au jour indiqué, il est procédé, devant le tribunal, à une tentative de conciliation dont il est dressé procès-verbal.
En cause d'appel, la SAFER Hauts de France formule pour la première fois, à titre reconventionnel, une demande en résiliation du bail rural dont Mme [G] soulève l'irrecevabilité.
Alors qu'il ne saurait être valablement contesté que la demande reconventionnelle tendant à la résiliation du bail se rattache à la demande originaire aux fins de cession du bail par un lien suffisant au sens des dispositions de l'article 70 du code de procédure civile, s'agissant du même bail rural, force est de constater que le préliminaire obligatoire de conciliation instauré devant le tribunal paritaire des baux ruraux ne s'applique qu'aux demandes initiales et ne prive pas les parties en cours d'instance du droit de former postérieurement et directement des demandes incidentes à titre additionnel ou reconventionnel qui tendent aux mêmes fins que la demande initiale à savoir en l'espèce que le bail prenne fin, sans que le préalable de tentative de conciliation obligatoire ne s'impose à nouveau.
En conséquence, il y a lieu de déclarer recevable la demande reconventionnelle tendant au prononcé de la résiliation du bail.
Sur la demande en résiliation judiciaire du bail rural :
L'article L. 411-31 du code rural et de la pêche dispose que :
I.-Sauf dispositions législatives particulières, nonobstant toute clause contraire et sous réserve des dispositions des articles L. 411-32 et L. 411-34, le bailleur ne peut demander la résiliation du bail que s'il justifie de l'un des motifs suivants :
1° Deux défauts de paiement de fermage ou de la part de produits revenant au bailleur ayant persisté à l'expiration d'un délai de trois mois après mise en demeure postérieure à l'échéance. Cette mise en demeure devra, à peine de nullité, rappeler les termes de la présente disposition ;
2° Des agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, notamment le fait qu'il ne dispose pas de la main-d'oeuvre nécessaire aux besoins de l'exploitation
3° Le non-respect par le preneur des clauses mentionnées au troisième alinéa de l'article L. 411-27.
Les motifs mentionnés ci-dessus ne peuvent être invoqués en cas de force majeure ou de raisons sérieuses et légitimes.
II.-Le bailleur peut également demander la résiliation du bail s'il justifie d'un des motifs suivants :
1° Toute contravention aux dispositions de l'article L. 411-35 ;
2° Toute contravention aux dispositions du premier alinéa de l'article L. 411-38 ;
3° Toute contravention aux obligations dont le preneur est tenu en application des articles L. 411-37, L. 411-39, L. 411-39-1 si elle est de nature à porter préjudice au bailleur ;
4° Le non-respect par l'exploitant des définies par l'autorité compétente pour l'attribution des biens de section en application de l'article L. 2411-10 du code général des collectivités territoriales.
En cause d'appel, la SAFER invoque l'existence d'une cession irrégulière du bail entre le 1er mars 2021 et le 29 mars 2021 justifiant de prononcer la résiliation du bail. Elle fait valoir que la création rétroactive d'une société faisant naître dans l'intervalle une société créée de fait, Mme [G] a ainsi mis les parcelles louées à la disposition d'une société créée de fait entre le 1er mars 2021, date de création rétroactive et le 29 mars 2021, date d'immatriculation de la SCEA Les deux vallées, ce qui caractérise l'existence d'une cession prohibée.
Toutefois, alors que l'avis de mise à disposition notifié par Mme [G] au bailleur fait expressément mention de sa volonté de mettre les parcelles à disposition de'la société civile d'exploitation agricole Les deux vallées dont le siège social est à [Localité 8]; [Adresse 3], inscrite au RCS de VALENCIENNES n°897 654 059", et que cette dernière n'a eu une existence effective qu'à compter du 29 mars 2021, date de son immatriculation au RCS de Valenciennes, la SAFER ne peut soutenir que Mme [G] aurait mis les terres à la disposition d'une société créée de fait pendant le cours du mois de mars 2021
Il ne résulte pas en effet des éléments du dossier une volonté de Mme [G] de collaborer à une entreprise commune sans pour autant constituer une personnalité morale, la situation résultant simplement du fait que le calendrier de création d'une société jusqu'à son immatriculation peut imposer un différé depuis l'établissement des statuts jusqu'à l'immatriculation, Mme [G] ayant en réalité continué à exploiter les terres elle-même jusqu'à l'immatriculation, sans cession illicite au profit d'un tiers.
Dès lors, la SAFER Hauts de France ne justifie pas de l'existence d'une cession de bail interdite comme contrevenant aux dispositions de l'article L.411-35 du code rural et de la pêche maritime et la résiliation du bail n'est pas encourrue.
Il y a donc lieu de la débouter de sa demande de ce chef.
Sur la demande d'autorisation de cession du droit au bail:
L'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime dispose notamment en son alinéa premier que :
Sous réserve des dispositions particulières aux baux cessibles hors du cadre familial prévues au chapitre VIII du présent titre et nonobstant les dispositions de l'article 1717 du code civil, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipés. A défaut d'agrément du bailleur, la cession peut être autorisée par le tribunal paritaire.
La faculté donnée au preneur de céder son bail à l'un de ses descendants notamment soit avec l'autorisation du bailleur soit avec l'autorisation du tribunal paritaire des baux ruraux étant une exception au principe d'incessibilité , la cession ne doit pas nuire aux intérêts du bailleur et ne peut donc être autorisée qu'au profit d'un locataire de bonne foi, à savoir un locataire ayant satisfait à toutes les obligations nées du bail. Par ailleurs, le candidat à la cession doit satisfaire à l'ensemble des conditions posées par l'article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime.
Sur la bonne foi des preneurs
Aux termes des dispositions de l'article L.411-37 du code rural et de la pêche maritime :
I- Sous réserve des dispositions de l'article L.411-39-1, à la condition d'en aviser le bailleur au plus tard dans les deux mois qui suivent la mise à disposition, par lettre recommandée, le preneur associé d'une société à objet principalement agricole peut mettre à la disposition de celle-ci, pour une durée qui ne peut excéder celle pendant laquelle il reste titulaire du bail, tout ou partie des biens dont il est locataire, sans que cette opération puisse donner lieu à l'attribution de parts. Cette société doit être dotée de la personnalité morale ou, s'il s'agit d'une société en participation, être régie par des statuts établis par un acte ayant acquis date certaine. Son capital doit être majoritairement détenu par des personnes physiques.
L'avis adressé au bailleur mentionne le nom de la société, le tribunal de commerce auprès duquel la société est immatriculée et les parcelles que le preneur met à disposition. Le preneur avise le bailleur dans les mêmes formes du fait qu'il cesse de mettre le bien loué à la disposition de la société ainsi que de tout changement intervenu dans les éléments énumérés ci-dessus. Cet avis doit être adressé dans les deux mois du changement de situation.
Le bail ne peut être résilié que si le preneur n'a pas communiqué les informations prévues à l'alinéa précédent dans un délai d'un an après mise en demeure par le bailleur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La résiliation n'est toutefois pas encourue si les omissions ou irrégularités constatées n'ont pas été de nature à induire le preneur en erreur.
(...)
Il résulte des dispositions susvisées que le défaut d'information du bailleur quant à la mise à disposition des biens loués à la disposition d'une société d'exploitation constitue un manquement du preneur à ses obligations le privant du droit de céder le bail.
En l'espèce, la SAFER invoque l'existence de deux manquements du preneur faisant obstacle à la cession du bail au profit de Mme [P] [G] épouse [U] s'agissant d'une part, du retard dans le réglement des fermages échus et, d'autre part, de la notification tardive de l'avis de mise à disposition des baux souscrits au profit de la SCEA Des deux vallées créée avec un effet rétroactif au 1er mars 2021.
Concernant le réglement des fermages échus, c'est par des motifs pertinents, que la cour adopte, que le tribunal a retenu qu'il n'est pas démontré que Mme [G] ait manqué à ses obligations au titre du réglement des fermages alors qu'elle produit aux débats les courriers d'envoi des fermages pour 2022 et 2019 ainsi que les factures de la SAFER ce qui démontre l'absence d'appels de fermage adressés par la SAFER à Mme [G], le bailleur n'adressant qu'une facture une fois le fermage réglé par le preneur sur la base d'une estimation sans que la SAFER ne démontre la réalité d'une autre pratique.
S'agissant de l'avis de mise à disposition au profit de la SCEA Les deux vallées, Mme [G] a notifié au bailleur la mise à disposition des baux souscrits par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 15 mai 2021 et reçue le 21 mai 2021:
' En application des mentions de l'article L.411-37 du code rural, j'ai l'honneur de vous aviser qu'à compter du 1er mars 2021, je mets les parcelles incluses dans le bail susvisé à la disposition de: la société civile d'exploitation Les deux vallées dont le siège est à [Adresse 9] inscrite au RCS de Valenciennes n°897 654 059".
Alors qu'il n'est pas contesté que la SCEA Les deux vallées a été immatriculée au RCS de Valenciennes le 29 mars 2021, la SAFER soutient qu'en application de l'article L.411-37 susvisé lors de la création de la SCEA, le titulaire du bail n'a pas effectué la formalité dans le temps requis en avertissant le bailleur dans les deux mois qui suivent la mise à disposition du bail au profit de la SCEA Les deux vallées, celle-ci ayant du intervenir avant le 1er mai 2021.
Toutefois, alors que l'avis de mise à disposition ne pouvait être antérieur à l'existence même de la société, le tribunal a justement retenu que le délai pour aviser le bailleur de la mise à disposition des parcelles n'a pu commencer à courir avant l'immatriculation effective de la SCEA Les deux vallées laquelle a eu pour effet de reconnaître l'existence juridique de la société en lui attribuer la jouissance de la personnalité morale.
Ainsi, la SAFER ne rapporte pas la preuve d'un manquement de Mme [G] à ses obligations la privant de son droit de céder le bail.
Il convient d'en conclure que l'absence de bonne foi de la locataire n'est pas caractérisée en l'espèce et que le jugement doit être confirmé de ce chef.
Sur les qualités du cessionnaire :
Il sera précisé à titre liminaire qu'il n'est ni discuté ni discutable que Mme [P] [G] épouse [U] est bien la fille de Mme [I] [E] épouse [G] et qu'à cet égard elle présente le lien de parenté avec la titulaire du bail qui lui permet d'être candidate à la cession de cette dernière.
En outre, Mme [G] épouse [U] justifie remplir des conditions de capacité professionnelle pour disposer d'une compétence agricole de plus de cinq ans, une attestation d'affiliation à la MSA pour la période du 1er janvier 2017 au 28 février 2021 étant produite aux débats, ainsi que disposer d'un domicile situé [Adresse 4] à [Localité 8] à proximité des parcelles louées ainsi qu'il résulte de l'attestation Engie produite aux débats.
De plus, il résulte des éléments du dossier que Mme [G] épouse [U] dispose du matériel nécessaire à la mise en exploitation des parcelles, étant devenue associée exploitante au sein de la SCEA Les Deux vallées qui bénéficie de la mise à disposition des terres ainsi qu'il résulte du registre des immobilisations de la société et des statuts.
Par ailleurs, dans un courrier en date du 10 mai 2022, la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt indique que la demande d'autorisation d'exploiter déposée par Mme [P] [G] épouse [U] n'est pas soumise à autorisation préalable au titre de la réglementation relative au contrôle des structures en application des dispositions de l'article L.331-2 du code rural et de la pêche maritime.
Ainsi, c'est à juste titre que le tribunal a retenu que la cession sollicitée n'apparaît pas contraire aux intérêts légitimes du bailleur et a fait droit à la demande d'autorisation de cession des droits détenus par Mme [E] épouse [G] issus du bail litigieux à sa fille Mme [P] [G] épouse [C].
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions sauf à préciser que le congé pour l'âge délivré n'est pas annulé mais simplement privé d'effet dans la limite de l'autorisation de cession de son bail rural accordée à Mme [G].
Sur les autres demandes
La décision entreprise sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAFER des Hauts de France, partie perdante, sera condamnée à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
Il n'apparaît pas inéquitable de la condamner à verser à Mme [I] [E] épouse [G] la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Déclare recevable la demande de la SAFER des Hauts de France tendant à la résiliation du bail,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf à préciser que le congé pour l'âge délivré le 29 mars 2021 n'est pas annulé mais simplement privé d'effet dans la limite de l'autorisation de cession de son bail rural accordée à Mme [G] ;
Y ajoutant,
Déboute la SAFER des Hauts de France de sa demande au titre de la résiliation du bail,
Condamne la SAFER des Hauts de France à payer à Mme [I] [E] épouse [G] la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAFER des Hauts de France aux entiers dépens.,
Le greffier
Ismérie CAPIEZ
Le président
Véronique DELLELIS