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06/06/2024 | FRANCE | N°22/03606

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 06 juin 2024, 22/03606


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 06/06/2024





****





N° de MINUTE : 24/192

N° RG 22/03606 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UNFD



Jugement (N° 20/06716) rendu le 28 Juin 2022 par le Tribunal judiciaire de Lille







APPELANTS



Monsieur [F] [M]

né le 01 Mai 1939 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Madame [Z] [K] épouse [M]

née le 17 Décembre 1944 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentés par Me Arnaud Fasquelle, avocat au barreau de Bethune, avocat constitué, substitué par Me Alicia Gale...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 06/06/2024

****

N° de MINUTE : 24/192

N° RG 22/03606 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UNFD

Jugement (N° 20/06716) rendu le 28 Juin 2022 par le Tribunal judiciaire de Lille

APPELANTS

Monsieur [F] [M]

né le 01 Mai 1939 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Madame [Z] [K] épouse [M]

née le 17 Décembre 1944 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentés par Me Arnaud Fasquelle, avocat au barreau de Bethune, avocat constitué, substitué par Me Alicia Galet, avocat au barreau de Bethune

INTIMÉE

SAS Societe D'etudes et de Realisation de Gestion Immo Biliere de Construction En Abrégé Sergic agissant en la personne de son représentant légal domicilié

en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Bernard Franchi, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Kathia Beulque, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant, substitué par Me Marion Mabriez, avocat au barreau de Lille

DÉBATS à l'audience publique du 21 mars 2024 tenue par Claire Bertin magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 06 juin 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 4 mars 2024

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

M. [F] [M] et Mme [Z] [K] épouse [M] (les époux [M]) sont notamment propriétaires d'un appartement dont ils ont confié en 1993 la gestion locative à la SA Sergic et qui a été loué selon bail du 11 février 2010 à M. [N] [D].

Par jugement du 18 novembre 2013, le tribunal d'instance de Lille a constaté la résolution du bail pour défaut de paiement des loyers, dont les effets ont toutefois été suspendus à l'apurement de la dette locative. La dette a été payée par Mme [S], en sa qualité de caution solidaire. M. [D] s'est maintenu dans les lieux.

De nouveaux impayés locatifs sont intervenus.

Par assignation du 12 avril 2018, les époux [M] ont saisi le tribunal d'instance pour prononcer la résiliation du bail verbal et l'expulsion de M. [D]. Par jugement du 18 janvier 2019, le tribunal d'instance a accueilli leurs demandes et a refusé les délais de paiement sollicité par le locataire.

Par acte du 3 décembre 2018, les époux [M] ont fait assigner la société Sergic devant le tribunal de grande instance de Lille, aux fins d'engager sa responsabilité et d'être indemnisés des conséquences dommageables de ses fautes.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 28 juin 2022, le tribunal judiciaire de Lille a :

1. rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir ;

2. débouté les époux [M] de leur demande indemnitaire formée à l'encontre de la société Sergic ;

3. condamné les époux [M] aux entiers dépens

4. condamné les époux [M] à payer à la société Sergic 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

5. débouté les parties du surplus de leurs demandes.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 25 juillet 2022, les époux [M] ont fait appel de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 2 à 5.

4. Les prétentions et moyens des parties :

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 9 janvier 2024, les époux [M], appelants principaux, demandent à la cour de :

- rejeter l'irrecevabilité soulevée par la société Sergic au titre de l'intérêt à agir ;

- réformer le jugement en ses dispositions critiquées par la déclaration d'appel, et statuant de nouveau, de :

* rejeter l'irrecevabilité soulevée par la société Sergic au titre des demandes nouvelles ;

* juger que la société Sergic a commis de graves manquements et fautes à ses obligations engageant sa responsabilité ;

En conséquence,

- condamner la société Sergic à leur payer la somme de 16 995.75 euros à titre de dommages et intérêts au titre des loyers et charges non perçus, avec intérêts au taux légal courant à compter de la date d'assignation délivrée ;

- condamner la société Sergic à leur payer la somme de 1 995 euros à titre de dommages et intérêts correspondant aux frais engagés pour l'évacuation des déchets ;

- condamner la société Sergic à leur payer la somme de 9.496,20 euros au titre du préjudice consécutif aux perte de loyers du fait de l'impossibilité de relouer au regard des dégradations causées à l'immeuble et non couvertes par une quelconque garantie ;

- condamner la société Sergic à leur payer la somme de 40 000 euros au titre du préjudice consécutif aux dégradations causées à l'immeuble et non couvertes par une quelconque garantie ;

- condamner la société Sergic à leur restituer le montant des honoraires de gestion perçus par elle depuis le 17/04/2014 ;

- condamner la société Sergic à leur payer la somme de 310.77 euros correspondant au coût des commandement de payer établis à sa demande et qui ont été rendus nécessaires du fait de ses fautes et manquement ;

Subsidiairement,

- condamner la société Sergic à leur payer la somme de 16 528.79 euros au titre des loyers et charges impayés, correspondant à 99 % du montant du préjudice, au titre de la perte de chance ;

- condamner la société Sergic à leur payer la somme de 1 975.05 euros au titre de l'évacuation des déchets, correspondant à 99 % du montant du préjudice, au titre de la perte de chance ;

- condamner la société Sergic à leur payer la somme de 9 401.24 euros au titre des loyers postérieurs à l'occupation de M. [D] compte tenu de l'impossibilité de remettre l'immeuble en location, correspondant à 99 % du montant du préjudice, au titre de la perte de chance ;

- condamner la société Sergic à leur payer la somme de 39 600 euros au titre des dégradations causées correspondant à 99 % du montant du préjudice, au titre de la perte de chance ;

- condamner la société Sergic à leur restituer 99% du montant des honoraires de gestion perçus par elle depuis le 17/04/2014 ;

- condamner la société Sergic à leur payer la somme de 307.66 euros correspondant à 99% des frais engagés pour la délivrance des commandements de payer ;

En tout état de cause,

- condamner la société Sergic à leur payer la somme de 3 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;

- condamner la société Sergic à leur payer la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

A l'appui de leurs prétentions, les époux [M] font valoir que :

- le défaut d'intérêt à agir ne s'apprécie pas par référence au fond ;

- leurs demandes ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles présentées devant les premiers juges, soit la mise en jeu de la responsabilité contractuelle de leur mandataire au visa de l'article 1992 du code civil ;

- cette responsabilité contractuelle résulte de nombreuses fautes de gestion commises par la société Sergic, en violation des missions visées par le contrat conclu en 1993: (i) absence d'application du jugement obtenu du tribunal d'instance de Lille : l'expulsion n'est pas intervenue en raison d'un accord par le mandataire sur le maintien dans le lieux malgré l'absence de paiement de la dette locative, sur la promesse par Mme [S] de payer la dette ; aucun accord des propriétaires n'a été sollicité pour prendre une telle décision ; (ii) absence d'accord des mandants au maintien dans les lieux et facturation des honoraires d'expulsion ; (iii) recherche d'un locataire avec une capacité financière insuffisante : alors qu'elle n'avait pas vérifié sérieusement la solvabilité du locataire, la société Sergic a commis un dol à leur encontre en leur prétendant que le candidat était solvable ; aucune pièce garantissant une telle solvabilité n'a été communiquée aux bailleurs;(iv) l'absence de recherche d'un nouveau locataire, à la suite de la perte de qualité de locataire par M. [D], devenu occupant sans droit ni titre à défaut de respect des délais de paiement fixés par le tribunal d'instance ; dès mai 2014, les impayés étaient à nouveau observés ; le mandataire a manqué à son obligation de les informer sur la situation du locataire, en leur fournissant à l'inverse des informations erronées ; (v) la location sans recourir à un bail écrit, après avoir laissé croire aux mandants que le contrat signé en 2010 s'était poursuivi après apurement de la dette ; alors que le locataire a perçu l'allocation logement à compter d'août 2014, seul le bail de 2010 a été fourni sans que le mandataire ne s'en inquiète ; l'attestation fiscale de 2016 continue à viser le bail de 2010, alors qu'une indexation prévue par ce même contrat a été appliquée ; (vi) l'absence de caution au titre du bail verbal ayant débuté le 17 avril 2014, que le mandataire ne leur a révélé qu'en juin 2015, alors que la société Sergic avait conscience de la défaillance de l'occupant (vii) l'absence de délivrance rapide d'un nouveau commandement de payer malgré de nouveaux impayés dès avril 2015 ; délai excessif entre le nouveau commandement de payer du 23 décembre 2016 et l'assignation du 12 avril 2018 ; (viii) l'absence de souscription d'une assurance couvrant les dégradations et impayés locatifs, pour le compte des mandants ; (ix) l'absence d'état des lieux de sortie en 2013 et absence d'établissement de devis pour remise en état des lieux : maintien dans les lieux de l'occupant sans se préoccuper de l'état du logement ; au jour de l'expulsion (16 octobre 2019), l'huissier de justice constate que le logement est détruit, avec de nombreux détritus et une odeur nauséabonde ;

- ses préjudices sont à la fois matériel et moral. La réparation de son préjudice ne repose pas sur une perte de chance, alors qu'elle résulte directement des fautes commises. Aucune limitation ou exonération de responsabilité n'est opposable par la société Sergic, de sorte que leur réparation doit être intégrale : loyers et indemnités d'occupation sans possibilité de retenir le dépôt de garantie, à défaut de bail écrit ; dégradations locatives ; pertes de loyers résultant de l'absence de relocation des lieux postérieurement au départ de M. [D] ; perte de valeur immobilière à la revente en raison des dégradations affectant les lieux, qui n'auraient pas été subies en l'absence de maintien dans les lieux ou auraient été prises en charge par la caution ou l'assureur ; remboursement des frais d'honoraires perçus par le mandataire, dont le montant n'est pas déterminé à défaut d'indication figurant sur les factures éditées par la société Sergic.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 16 février 2024, la société Sergic, intimée et appelante incidente, demande à la cour de

=$gt; la recevoir en son appel incident et en conséquence y faire droit ;

=$gt; infirmer le jugement critiqué en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir ; et statuant de nouveau de ce chef,

juger en conséquence irrecevables l'intégralité des demandes, fins et conclusions des époux [M] ;

rejeter l'appel principal des époux [M] et confirmer en toutes ses dispositions, autres que celle rejetant la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir des époux [M], le jugement du tribunal judiciaire de Lille en date du 28 juin 2022 ;

juger irrecevables les demandes nouvelles formulées en cause d'appel par les époux [M] en vertu des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, à savoir :

' condamner Sergic à payer aux époux [M] la somme de 1.995 euros à titre de dommages et intérêts correspondant aux frais engagés pour l'évacuation des déchets ;

' condamner Sergic à payer aux époux [M] la somme de 9.496,20 euros au titre du préjudice consécutif aux pertes de loyers du fait de l'impossibilité de relouer au regard des dégradations causées à l'immeuble et non couvertes par une quelconque garantie ;

' condamner Sergic à payer aux époux [M] la somme de 40.000 euros au titre du préjudice consécutif aux dégradations causées à l'immeuble et non couvertes par une quelconque garantie ;

' condamner Sergic à restituer aux époux [M] le montant des honoraires de gestion perçus par elle depuis le 17 avril 2014 ;

' condamner Sergic à payer aux époux [M] la somme de 310,77 euros correspondant au coût des commandements de payer établis à sa demande et qui ont été rendus nécessaires du fait de ses fautes et manquements ;

' condamner Sergic à payer aux époux [M] la somme de 1.975,05 euros au titre de l'évacuation des déchets correspondant à 99 % du montant du préjudice au titre de la perte de chance ;

' condamner Sergic à payer aux époux [M] la somme de 9.401,24 euros au titre des loyers postérieurs à l'occupation de M. [D] compte tenu de l'impossibilité de remettre l'immeuble en location correspondant à 99 % du montant du préjudice au titre de la perte de chance ;

' condamner Sergic à payer aux époux [M] la somme de 39.600 euros au titre des dégradations causées correspondant à 99 % du montant du préjudice au titre de la perte de chance ;

' condamner Sergic à restituer aux époux [M] 99 % du montant des honoraires de gestion perçus par elle depuis le 17 avril 2014 ;

' condamner Sergic à payer aux époux [M] la somme de 307,66 euros correspondant à 99% des frais engagés pour la délivrance des commandements de payer ;

' condamner Sergic à payer aux époux [M] la somme de 3.000 euros en réparation de leur préjudice moral

à défaut, débouter les époux [M] desdites demandes nouvelles formulées en cause d'appel ;

rejeter toutes demandes de sommation de communiquer formulées par les époux [M] ;

condamner les époux [M], outre aux entiers dépens, à verser à Sergic la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.

A l'appui de ses prétentions, la société Sergic fait valoir que :

- les demandes indemnitaires sont irrecevables dès lors que les époux [M] n'ont pas d'intérêt à agir au motif qu'ils ne rapportent pas la preuve des fautes invoqués et d'une « insolvabilité immédiate » du locataire ; les époux [M] n'établissent pas avoir vainement tenté d'exécuter leur titre exécutoire à l'encontre de M. [D] ;

- elle n'a commis aucune faute : (i) elle s'est assurée de la capacité financière de M. [D], alors que le paiement effectué en 2014 a apuré la dette et que les époux [M] ont accepté le maintien de ce dernier dans les lieux et la conclusion d'un nouveau bail ; les bailleurs étaient parfaitement informés de la situation financière du locataire ; le bail verbal a été régularisé par les bailleurs eux-mêmes, moyennant le même loyer ; elle conteste avoir indiqué aux époux [M] que le bail antérieur s'était poursuivi, alors que ces derniers étaient assistés d'un avocat dans le cadre de la procédure de résiliation du bail ; les bailleurs savaient que le bail écrit était résilié de plein droit, à défaut de respect des délais de paiement ; ils ont eux-mêmes accepté ce maintien dans les lieux, ainsi que l'a relevé le tribunal d'instance en 2019 ; les décomptes et l'attestation fiscale sont conformes à la vérité d'une entrée de M. [D] dans les lieux en 2010 ; les bailleurs ne sont pas novices et disposent de trois appartements loués depuis 1993 ; le mandat n'impose aucun délai pour agir à l'encontre d'un locataire n'ayant pas payé le loyer, de sorte qu'aucune faute ne peut lui être reprochée à ce titre ; (ii) outre que le mandat ne lui impose pas de requérir un cautionnement pour garantir les impayés, les époux [M] ont eux-mêmes empêché une telle garantie, dès lors qu'un bail verbal ne permet pas de satisfaire l'obligation de remettre un exemplaire du bail écrit à la caution, à peine de nullité, en application de l'article 22-1 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 ; il n'est pas démontré que Mme [S] était solvable à la date des effets du commandement de payer et aurait pu payer au lieu et place du locataire ; les époux [M] n'ont pas souscrit l'assurance couvrant les impayés et les dégradations ; (iii) aucun état des lieux ne devait être réalisé en 2013, alors que M. [D] n'est jamais sorti des lieux ; il n'est pas démontré que l'état du logement en 2019 était déjà celui existant en 2013 ; le défaut d'entretien des lieux relève de la seule responsabilité du locataire ; (iv) la facturation des frais d'expulsion est justifiée, dès lors que les diligences ont été réalisées, même si l'expulsion n'est en définitive pas intervenue ;

- aucun préjudice n'est établi : alors que seule une perte de chance peut être indemnisée, elle n'est pas prouvée. Si une telle perte de chance était retenue, il conviendrait de la limiter à 50 %, et non 99 % ;

- les demandes nouvelles en appel sont irrecevables : alors que seule la condamnation du mandataire à indemniser les loyers et chargés impayés était demandée en première instance, les époux [M] peuvent exclusivement présenter de nouveaux moyens à l'appui d'une telle demande ; en revanche, les demandes formulées au titre de l'évacuation des déchets, des dégradations, des honoraires de gestion, du coût des commandement de payer et de l'indemnisation d'un préjudice moral sont nouvelles ; les exceptions prévues par l'article 564 du code de procédure civile ne sont pas applicables, notamment en l'absence de révélation d'un fait nouveau en cause d'appel ;

- ces demandes nouvelles sont infondées : (i) aucune faute n'est démontrée : l'état des lieux en 2013 n'est pas établi, de sorte qu'aucun élément ne démontre que l'état des lieux en 2019 est imputable à la présence du locataire postérieurement à 2013 ; les bailleurs n'ont pas souscrit l'assurance « détérioration » et ne prouvent pas qu'une caution aurait été solvable en 2019, alors que seul le locataire est responsable des dégradations ; elle ne peut ainsi être condamnée à indemniser les bailleurs au titre de l'enlèvement des déchets et du nettoyage comme au titre de la perte locative et de la minoration du prix de vente immobilière ; les honoraires sont dûs dès lors qu'elle a correctement rempli sa mission de gestion ; (ii) aucun préjudice n'est établi.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir tirée d'un défaut de qualité à agir des époux [M] :

L'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention.

La recevabilité d'une demande en justice est ainsi exclusivement subordonnée à la démonstration d'un intérêt personnel, né et actuel de son auteur, qu'il s'agisse d'un intérêt matériel ou moral.

En revanche, l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action, et l'existence d'une faute et d'un préjudice invoquée par les demandeurs dans le cadre d'une action en responsabilité n'est pas une condition de recevabilité de son action mais du succès de celle-ci.

L'intérêt au succès ou au rejet d'une prétention s'apprécie au jour de l'introduction de la demande en justice.

En l'espèce, il est manifeste que les époux [M] justifient d'un intérêt à la fois matériel et moral à obtenir l'indemnisation des préjudices qu'ils allèguent et qu'ils imputent aux fautes reprochées à la société Sergic.

Les époux [M] sont par conséquent recevables à agir.

Sur l'irrecevabilité des demandes nouvelles formulées en cause d'appel :

En application des dispositions des articles 564 à 566 du code de procédure civile, les demandes ne sont pas nouvelles en cause d'appel dès lors que :

- elles consistent à opposer une compensation, à faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait

- elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

Les parties peuvent enfin ajouter aux prétentions soumises au premier juge les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

La cour doit, même d'office, vérifier si les conditions prévues par les dispositions précitées sont applicables.

La demande d'indemnisation au titre d'un chef de préjudice complémentaire formulée pour la première fois en cause d'appel, est recevable, comme ne constituant pas une prétention nouvelle, mais comme participant du même fondement et de la même fin d'indemnisation intégrale du préjudice résultant du fait générateur de responsabilité.

En l'espèce, il est constant que les demandes formulées en première instance visaient exclusivement l'indemnisation des loyers et charges impayés, de sorte que le caractère nouveau des demandes supplémentaires formulées devant la cour par les époux [M] est admis.

Pour autant, l'indemnisation des préjudices sollicités pour la première fois devant la cour s'inscrit dans la mise en 'uvre de la responsabilité contractuelle de la société Sergic en qualité de mandataire chargé de la gestion de l'appartement loué à M. [D], de sorte que ces demandes indemnitaires répondent à la même fin que celle présentée devant les premiers juges.

Les demandes formulées au titre des frais engagés pour l'évacuation des déchets, du préjudice consécutif aux pertes de loyers du fait de l'impossibilité de relouer au regard des dégradations causées à l'immeuble et non couvertes par une quelconque garantie, du préjudice consécutif aux dégradations causées à l'immeuble et non couvertes par une quelconque garantie, au titre de la perception des honoraires de gestion depuis le 17 avril 2014, du coût des commandements de payer, sont recevables, qu'il s'agisse des demandes à taux plein ou selon un taux de perte de chance.

Sur la responsabilité du mandataire dans sa gestion immobilière :

La responsabilité de l'agent immobilier chargé d'un mandat de gestion locative obéit aux règles de droit commun de la responsabilité contractuelle et aux règles spéciales du droit du mandat définies par les articles 1984 et suivants du code civil.

Selon les dispositions de l'article 1353 de ce code, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Au terme de l'article 1991 du code civil, le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages et intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.

Enfin, selon l'article 1992, alinéa 1er du code civil, le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion. Néanmoins, la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu'à celui qui reçoit un salaire.

Il est constant que l'agent immobilier, intermédiaire professionnel qui prête son concours à la rédaction d'un acte après avoir été mandaté par l'une des parties, est tenu de s'assurer que se trouvent réunies toutes les conditions juridiques nécessaires à l'efficacité de la convention. Pour ce faire, il est ainsi astreint à des obligations de vérification, notamment de la réalité de la situation financière du preneur à bail, mais aussi de renseignement et de conseil à l'égard de son client, et peut être déclaré responsable de toutes fautes ou négligences dans l'exercice de sa mission susceptibles d'avoir causé tout ou partie des dommages subis par celui-ci.

Le débiteur d'une telle obligation d'information et de conseil doit rapporter la preuve de son exécution. La circonstance que le créancier d'une telle information soit lui-même assisté d'un conseil ou qu'il dispose de plusieurs biens immobiliers n'est pas de nature à exonérer le mandataire professionnel de sa responsabilité envers ses mandants.

Lorsqu'au titre d'une obligation de conseil, seule une perte de chance a vocation à être invoquée par la victime, l'obligation d'indemnisation est en revanche dépourvue d'un taux de perte de chance lorsque les préjudices résultent directement d'une autre faute contractuelle.

En l'espèce, les époux [M] ont confié en 1993 à la société Sergic un mandat de gestion immobilière, notamment avec mission de rechercher un locataire et d'exercer toutes poursuites à l'encontre du locataire à défaut de paiement par ce dernier.

D'une façon générale, la société Sergic fait valoir que les bailleurs ont eux-mêmes conclu les contrats en connaissance de cause ou consenti à la gestion de l'immeuble, alors qu'en sa qualité de mandataire, elle était précisément chargée de les dispenser de telles démarches et qu'il lui appartenait de les représenter dans l'ensemble de la gestion de leur appartement, en agissant pour le compte et à charge de leur rendre compte de sa gestion. L'objectif des époux [M] était ainsi d'être déchargés personnellement de la gestion de leur immeuble, en confiant à un professionnel le soin d'y procéder, à charge de répondre des fautes commises dans une telle gestion.

Sur le fondement du mandat de gestion, les époux [M] reprochent à la société Sergic une série de fautes :

Sur les diligences permettant l'expulsion du locataire :

En cas d'impayés locatifs, le mandat comporte l'obligation pour la société Sergic d'engager des poursuites, de requérir un jugement de condamnation, et également de faire exécuter ce jugement.

Il n'est pas contesté que les actes d'exécution ont été exclusivement réalisés par le mandataire.

Plusieurs séries d'impayés sont survenues :

=$gt; en 2011 : alors que le bail datait du 11 février 2010, un commandement de payer visant la clause résolutoire a été délivré le 21 octobre 2011 à M. [D] pour un montant de 1 429,21 euros, les loyers ayant été irrégulièrement versés à compter de mars 2011.

=$gt; en 2013  : un commandement de payer visant la clause résolutoire a été délivré le 26 février 2013 à M. [D] par la société Sergic, en exécution de ses obligations de mandataire en charge de la gestion locative pour un montant principal de 2 617,43 euros.

Par jugement du 18 novembre 2013, le tribunal d'instance a constaté l'acquisition de la clause résolutoire, condamné M. [D] et Mme [S] à payer la somme de 5 550,93 euros fixée au 16 septembre 2013, et a suspendu les effets de la clause résolutoire en subordonnant cette suspension au respect de délais de paiement pendant 24 mois.

Les délais de paiement n'ayant pas été respectés, la société Sergic n'a toutefois pas sollicité l'expulsion du locataire, alors que la suspension des effets de la clause résolutoire était non avenue.

Pour autant, il ressort du jugement rendu le 18 janvier 2019 par le tribunal d'instance que les époux [M] « indiquent qu'ils ont accordé à M. [D] la possibilité de se maintenir dans les lieux au regard de la régularisation de l'arrière locatif à la veille de l'expulsion, en exécution d'un bail verbal dont les modalités et notamment le montant du loyer étaient identiques au précédent ».

À cet égard, il n'est pas contesté que le cautionnement solidaire de Mme [S] a été sollicité, et que cette dernière a régularisé l'impayé locatif, alors que la résiliation de plein droit du bail avait déjà produit ses effets.

Si les époux [M] ont ainsi admis avoir accepté le maintien dans les lieux de leur locataire et avoir eu connaissance d'un bail verbal ayant succédé au bail écrit de 2010, la société Sergic n'établit toutefois pas les avoir éclairée sur la portée d'une telle acceptation, alors qu'il lui appartient pourtant de prouver qu'elle s'est acquitté de son obligation d'information et de conseil à l'égard de ses mandants.

A ce titre, les époux [M] établissent ainsi avoir subi une perte de chance de solliciter l'expulsion de leur locataire dès 2013, à défaut d'avoir bénéficié d'une information et d'un conseil éclairé par la société Sergic, qui est notamment défaillante à prouver qu'elle avait alerté ses cocontractants sur les conséquences d'une telle renonciation à l'expulsion.

=$gt; en 2015 : un commandement de payer visant tant un « bail verbal ayant pris effet le 14/05/2014 » que les dispositions de l'article 1728 du code civil, a été délivré le 19 janvier 2015 au locataire, à l'initiative du mandataire, pour un montant de 3 633,93 euros.

Le décompte annexé à ce commandement de payer fait ressortir que cette dette locative a débuté dès le début de ce bail, en mai 2014.

Par courriel du 7 juin 2015, le fils des époux [M] a indiqué à la société Sergic découvrir, ainsi que ses parents, qu'un bail verbal avait été conclu, alors que le locataire est à nouveau défaillant. Il indique au mandataire qu'il est envisagé de rechercher sa responsabilité au titre d'un manquement à son devoir de conseil.

La société Sergic ne répondra à ce courriel que le 25 juin 2015 pour présenter l'alternative suivante : procéder à la résiliation du bail avec respect d'un préavis de six mois avant le terme du bail verbal, ou engager une nouvelle procédure aux fins de résiliation. Ce courriel précise qu'il faudrait attendre « début juillet, son compte sera alors débiteur de plus de deux mois », étant observé que la loi du 6 juillet 1989 n'est pas applicable à un bail verbal.

En tout état de cause, le délai pour réagir face à une troisième série d'impayés locatifs est manifestement excessif, alors que le paiement des loyers n'est assorti d'aucune garantie dans le cadre du bail verbal.

=$gt; en 2016 : il résulte du jugement prononcé le 18 janvier 2019 par le tribunal d'instance que :

- le 23 décembre 2016, un commandement de payer a été adressé à M. [D] pour un montant de 1 940,72 euros, qui a été signifié à l'étude de l'huissier de justice.

- pour autant, l'assignation aux fins de résiliation n'a été signifiée que le 12 avril 2018, alors que le montant de la dette locative s'élevait à 8 035,45 euros.

- le 21 novembre 2018, la dette locative atteint 12 273,83 euros.

Il ressort toutefois de l'extrait de compte établi le 8 juin 2020 par la société Sergic qu'alors qu'une dette locative de 1 940,72 euros est enregistrée à la date du commandement de payer, le loyer et les charges ne sont pas intégralement payées entre décembre 2016 et juillet 2017, dès lors que seule l'allocation logement était créditée. À compter d'août 2017, le défaut de paiement est intégral jusqu'en mai 2019, l'allocation logement n'étant plus perçue, de sorte que la dette locative augmente sur cette période d'environ 500 euros par mois pour atteindre plus de

16 000 euros.

La circonstance que l'assignation n'a été délivrée qu'en avril 2018 établit l'important retard apporté par le mandataire à s'acquitter de son obligation d'engager des poursuites et d'obtenir un jugement à l'encontre du locataire défaillant.

Une telle défaillance a causé l'augmentation de la dette locative et a retardé l'expulsion de M. [D].

Sur l'absence de bail écrit :

D'une part, il incombait à la société Sergic d'informer et de conseiller ses mandants sur l'absence de rédaction d'un bail écrit. À cet égard, il est manifeste que le mandataire ne produit aucune pièce établissant qu'il a rempli cette obligation envers les époux [M], alors qu'une telle absence a notamment un impact sur l'existence des garanties accordées et sur la faculté d'invoquer une clause de résiliation de plein droit. A l'inverse, l'attestation fiscale établie par la société Sergic au titre de l'année 2015 reprend une entrée dans les lieux de M. [D] le 11 février 2010, dans des conditions qui laissent croire aux bailleurs que l'ancien bail demeure le titre contractuel applicable. De même, étant professionnelle de la gestion locative, la société Sergic a elle-même indirectement admis la validité du bail pourtant résilié et a entretenu les bailleurs dans une confusion sur la situation juridique, en n'alertant pas ces derniers sur la circonstance qu'elle percevait l'allocation logement alors qu'aucun nouveau bail écrit n'avait été rédigé.

D'autre part, le mandat conclu en 1993 stipule surtout qu'il appartient à la société Sergic de « signer tous engagements de location, baux ou accords ».

Outre qu'il est absurde d'indiquer que les époux [M] ont « régularisé » eux-mêmes un bail verbal, une telle situation résulte en réalité de la seule circonstance factuelle que M. [D] s'est maintenu dans les locaux après que le bail écrit était résilié de plein droit et qu'une relation contractuelle s'est poursuivie à compter du 14 mai 2014.

Pour autant, selon le contrat de mandat, il incombait à la société Sergic elle-même d'établir avec le locataire un écrit pour constater tant l'accord consistant à renoncer à l'expulsion à la suite de la régularisation des impayés par la caution, que l'existence d'un nouveau bail ayant succédé à celui de 2010.

Sur la vérification de la solvabilité du locataire et sur les garanties financières :

$gt; s'agissant du défaut de vérification de la solvabilité :

Contrairement aux allégations du mandataire, l'obligation du gestionnaire locatif de veiller à la solvabilité du locataire ne se limite pas à la seule hypothèse d'une « insolvabilité immédiate » de ce dernier, mais perdure tout au long de la relation contractuelle, notamment pour apprécier l'opportunité de procéder rapidement à des poursuites, puis de s'opposer au renouvellement du bail lors de son terme, voire de ne pas y substituer un bail verbal.

A ce titre, la société Sergic ne produit aucune pièce établissant qu'elle avait vérifié sérieusement la solvabilité du locataire, tant lors de la conclusion initiale du bail qu'ultérieurement. Elle ne produit aucune fiche établissant la situation financière et personnelle de M. [D], dans des conditions permettant aux bailleurs de conclure un bail avec un cocontractant ayant des revenus à la fois suffisants et pérennes.

A l'inverse, le rappel de l'historique des impayés révèle que dès le début du bail, des incidents de paiement sont intervenus.

Alors que le respect des obligations du débiteur principal n'était garanti par aucun cautionnement et que le mandataire avait failli à souscrire une assurance pour le compte des bailleurs, la société Sergic n'a pas davantage étudié la solvabilité de M. [D] lorsque le bail de 2010 a été résilié de plein droit par le défaut de respect des délais de paiement accordés par le tribunal d'instance et qu'un bail verbal a ainsi succédé au contrat initial, lui-même mieux garanti.

$gt; s'agissant du défaut de cautionnement :

Le mandat de gestion immobilière ne prévoit pas expressément l'obligation pour la société Sergic de solliciter un cautionnement, pour garantir les impayés locatifs ou les réparations locatives.

Pour autant, lors de la conclusion du bail écrit, Mme [Y] [S] s'était notamment portée caution solidaire des loyers, charges, et réparations locatives.

Il en résulte qu'en 2010, la société Sergic avait estimé que la situation financière de M. [D] nécessitait l'intervention d'une telle caution, à titre de garantie. Alors que plusieurs séries d'impayés étaient pourtant intervenus depuis 2010 pour des montants importants et que la dette locative n'a été en définitive apurée hors délais de paiement accordés par le tribunal que par la seule mise en 'uvre du cautionnement fourni par Mme [S], il est manifeste qu'il appartenait à la société Sergic, au titre de la solvabilité du locataire, de requérir une telle garantie en 2014.

Alors que la société Sergic a elle-même sollicité illégalement un cautionnement en 2010 en violation de l'article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989 qu'elle invoque, dès lors qu'une assurance avait été à l'époque souscrite, elle a à l'inverse failli en ne sollicitant pas la garantie d'une caution en 2014, que sa propre carence à rédiger un bail écrit aurait en outre exposé à une nullité du cautionnement qu'elle souligne elle-même, conformément à la disposition précitée.

En violation de ses obligations, la société Sergic a ainsi privé les époux [M] d'une telle garantie à compter de 2014.

$gt; s'agissant du défaut d'assurance :

Le mandat de gestion immobilière est rédigé comme suit :

« o Le mandant souscrit à ses frais une assurance « impayé de loyer / détériorations immobilières » au taux de 1,85 % en sus du montant des honoraires d'administration de biens prévus au présent mandat. Les conditions du contrat d'assurance sont remises au mandant. Et donne son accord a mandataire pour régler pour son compte auprès de la compagnie le montant de la prime 

o le mandant ne souscrit pas ».

L'obligation d'assurance incombant à la société Sergic en qualité de mandataire, il lui appartenait d'y procéder pour l'ensemble des baux successivement conclus pour le logement visé par le mandat de gestion.

Contrairement aux allégations de la société Sergic, le mandat signé en 1993 ne comporte aucune renonciation par les époux [M] à une telle assurance : d'une part, la case « le mandat ne donne pas son accord » n'est pas cochée ; d'autre part, des mentions spécifiques (soulignées par la cour ci-dessus) ont été au contraire spécifiquement ajoutées à la trame du mandat de gestion par l'utilisation d'une machine à écrire, avec une police d'une taille différente, ce texte supplémentaire ayant d'ailleurs partiellement couvert la mention de renonciation à une telle assurance par les bailleurs.

En revanche, une telle allégation établit l'aveu par la société Sergic qu'elle n'a en réalité souscrit aucune assurance pour le compte des bailleurs, en violation du mandat confié. L'existence d'un tel contrat d'assurance n'est d'ailleurs pas alléguée ou établie.

Sur l'état des lieux :

Le mandat conclu en 1993 donne mission à la société Sergic de « faire dresser l'état des lieux », mais également de « procéder à l'établissement de tout devis de remise en état des lieux, quand des réparations s'avèrent nécessaires ».

La circonstance factuelle que M. [D] soit resté dans les locaux est à cet égard indifférente. L'obligation d'établir un état des lieux de « sortie », tel qu'elle est prévue par l'article 3-2 de la loi du 6 juillet 1989, ne renvoie pas à la situation physique d'un locataire ayant quitté les lieux, mais à une situation de fin du bail, à l'issue duquel il convient de s'assurer de l'état d'entretien des locaux loués.

A défaut d'un état des lieux qu'il appartenait ainsi à la société Sergic d'établir en 2014, l'appartement est présumé être en bon état d'entretien dans les relations entre le locataire et le bailleur. Cette absence d'état des lieux implique en outre un manquement par le mandataire à son obligation d'informer le bailleur sur l'état de l'appartement dont il assure la gestion, notamment s'agissant du respect par le locataire de son obligation d'entretien. Ainsi, la société Sergic intervertit en réalité la charge de la preuve en prétendant que les époux [M] ne démontrent pas que l'état de l'appartement en 2019 diffère de celui existant en 2013, alors qu'il lui appartenait précisément d'informer ses mandants sur l'état d'entretien du logement à cette dernière date en procédant à un tel constat, pour procéder le cas échéant aux travaux de remise en état.

Si le mandataire n'est pas un garant et n'est ainsi pas tenu des dégradations causées par le locataire, l'absence de réalisation d'un tel état des lieux constitue une violation des obligations de la société Sergic, qui a ainsi privé les époux [M] de la connaissance de l'état des lieux dès 2013 et de la possibilité de bénéficier des travaux de remise en état qu'il incombait à la société Sergic de diligenter.

Plus directement, alors que la société Sergic avait mandat de veiller à l'entretien des locaux, la circonstance que les odeurs provenant de l'appartement loué par M. [D] était perceptible depuis les parties communes, telle qu'elle est établie par l'attestation de Me [E], caractérise au surplus un manquement direct par ce mandataire à ses obligations.

Sur les préjudices et le lien de causalité :

Sur les loyers et charges impayés :

L'absence de souscription par la société Sergic d'une assurance couvrant les impayés locatifs cause directement la perte intégrale des loyers et charges que M. [D] n'a pas versés. La société Sergic n'établit pas l'existence d'un aléa affectant l'indemnisation qu'un assureur aurait versé aux époux [M].

De même, l'absence de vérification sérieuse de la solvabilité du locataire et le retard à engager des diligences pour solliciter la résiliation du bail alors que les impayés s'accumulaient, ont également causé la constitution, puis le développement d'une telle dette locative.

L'absence d'information des époux [M] est enfin dolosive, en ce qu'elle a trompé les bailleurs sur la solvabilité de leur locataire.

Alors que la société Sergic a elle-même déterminé le solde débiteur au 7 juin 2020, il convient de la condamner à payer aux époux [M] la somme de 16 240,75 euros. Ce montant intègre la circonstance que le dépôt de garantie, versé au titre du bail de 2010 et directement perçu par les bailleurs selon le mandat de gestion, a été déduit par la société Sergic de la dette locative à hauteur de 455 euros. À cet égard, il convient de relever que : d'une part, l'allégation d'une restitution de ce dépôt de garantie au locataire n'est pas établie ; d'autre part, l'imputation de ce dépôt de garantie sur les impayés locatifs est conforme à l'article 22 alinéa 1 de la loi du 6 juillet 1989, sans que l'existence de réparations locatives n'implique que son montant soit exclusivement affecté à l'indemnisation de ces dernières.

Sur les frais d'enlèvement des déchets et du nettoyage :

L'absence d'état des lieux en 2014 et le maintien de M. [D] dans les lieux dans le cadre d'un bail verbal sont à l'origine de l'état de l'appartement, tel qu'il a été rapporté par Me [E], huissier de justice ayant procédé le 16 octobre 2019 à l'expulsion de M. [D] : présence d'excréments humains et animaux, pignons de murs noirs de crasse et de moisissures ; radiateurs et appuis fenêtre arrachés, faïencerie hors d'usage avec des fuites dans la cuisine et la salle de bains. Les clichés photographiques produits par les époux [M], dont il n'est pas contesté qu'ils concernent l'état des lieux lors de l'expulsion du locataire, confirment une absence d'entretien par le locataire et la nécessité corrélative d'un nettoyage.

Si la facture établie par la société Eurogaz service au titre de frais d'évacuation de déchets n'entre pas dans l'objet social de cette entreprise, qui est par ailleurs dirigée par M. [P] [M], une telle circonstance est toutefois indifférente, dès lors que la prestation visée par cette pièce correspond au poste de préjudice, et qu'il n'est pas allégué que son montant n'a pas été payé par les époux [M].

L'existence du préjudice étant établie dans son principe et son évaluation étant déterminée librement, il convient de condamner la société Sergic à payer aux époux [M] la somme de 1 940,72 euros, dont le montant est parfaitement compatible avec les travaux de déblaiement et de nettoyage de l'appartement.

Sur la perte locative ;

Les époux [M] établissent l'existence de dégradations affectant l'appartement, postérieurement à l'expulsion de leur locataire, notamment s'agissant des sanitaires.

Les dégradations affectant l'appartement étant directement imputables à l'absence de vérification par la société Sergic du respect par M. [D] de son obligation d'entretien, l'absence d'assurance couvrant de telles dégradations est en outre compatible avec la renonciation par les époux [M] à procéder à des travaux de remise en état, préalablement à la mise en vente de l'appartement.

Ils ont ainsi été privés de la faculté de relouer l'appartement, à compter de novembre 2019 et jusqu'à la revente de l'immeuble, intervenue en juin 2021. Cette impossibilité de relouer n'est affectée d'aucun aléa, alors que l'état du logement était « déplorable » selon un professionnel immobilier et était ainsi incompatible avec la location d'un appartement décent.

La société Sergic est par conséquent condamnée à leur payer la somme de : 499,80 euros (montant du dernier loyer mensuel actualisé, figurant sur le décompte établi par le gestionnaire) x 19 mois, soit 9 496,20 euros.

Sur la perte au titre de la revente immobilière :

L'agence Abrimmo atteste avoir procédé à la vente de l'immeuble en juin 2021. Elle précise qu'en raison de l'absence d'entretien des locaux, elle n'a pu négocier la vente que moyennant une diminution de 40 000 euros par rapport au prix du marché applicable à un tel appartement correctement entretenu.

Dans ces conditions, il convient de condamner la société Sergic à indemniser les époux [M] à hauteur de la perte ainsi subie lors de la revente de cet immeuble.

Sur la restitution des honoraires de gestion perçus depuis le 17 avril 2014 :

Les honoraires étant la contrepartie des obligations incombant au mandataire, il s'observe que la société Sergic a manqué dès le 17 avril 2014 à l'intégralité de ses obligations, qu'il s'agisse de la conclusion d'un nouveau bail, au surplus non écrit, de l'absence de souscription d'une assurance, de l'absence d'état des lieux d'entrée, et de retard dans les diligences face à des impayés locatifs.

Dans ces conditions, il convient de condamner la société Sergic à rembourser à ses mandants le montant de l'intégralité des honoraires qu'elle a perçue depuis cette date.

Les époux [M] indiquent ne pouvoir chiffrer leur montant, dès lors que les factures ne précisaient pas le montant des honoraires ou leur taux.

Pour autant, le mandat de 1993 stipule qu'au titre de la gestion, « le mandataire percevra une rémunération définie conformément à la législation en vigueur. Elle est fixée à 6 % HT sur toutes les sommes encaissées du locataire, la TVA est en sus au taux actuel de 18,60 % ».

L'examen des quelques relevés locatifs mensuels confirme l'application de cette rémunération aux recettes encaissées, lesquelles varient en fonction des impayés de M. [D].

Alors que les époux [M] ne démontrent que leur mandant a failli à leur adresser mensuellement les compte rendus de gestion, ils sont ainsi défaillants à établir l'existence même de leur préjudice, au-delà des seules pièces produites à l'appui d'une telle démonstration.

La cour retient par conséquent que :

d'une part, les relevés mensuels qu'ils communiquent établissent qu'entre avril 2014 et novembre 2014, la société Sergic a perçu la somme totale de : 664,32 euros.

d'autre part, au titre de l'année 2015, l'attestation fiscale établit qu'ont été encaissés par la société Sergic une somme totale de 8 270 euros, de sorte qu'elle a perçu à ce titre une rémunération de 8 270 x 6 % + 18,60 % = 588,50 euros en exécution du mandat.

enfin, sur la période du 9 décembre 2016 au 8 juin 2020, l'extrait de compte établi par la société Sergic révèle qu'elle a perçu un montant total de 3 893 euros, correspondant à l'ensemble des sommes créditées (virements par le locataire ou versement de l'allocation logement). Il en résulte qu'au titre des sommes ainsi encaissées, elle a perçu des honoraires pour un montant de : 3 893 x 6 % + 18,60 % = 272,02 euros.

Soit un total de 1 529,85 euros.

Sur le remboursement du coût des commandements de payer :

Le mandat conclu en 1993 stipule que les frais engagés à l'occasion de toute poursuite sont à la charge des mandants.

Pour autant, si des commandements de payer ont été délivrés à la requête de la société Sergic pour le compte des époux [M], les 19 janvier 2015 et 23 décembre 2016, ces actes de poursuite n'ont été suivis d'aucune assignation devant le tribunal d'instance dans un délai susceptible de permettre d'obtenir tant une condamnation au titre de la dette locative qu'une résiliation du bail verbal permettant l'expulsion du locataire.

Dans ces conditions, il convient de condamner la société Sergic à rembourser aux époux [M] leur coût global, à hauteur de 310,77 euros.

Sur le préjudice moral :

Les époux [M], respectivement nés en 1939 et en 1944, ont confiés la gestion intégrale de l'appartement litigieux à un mandataire professionnel, pour être déchargés des tracas liés à une telle gestion pour des particuliers. En considération de la multiplicité des fautes imputables à la société Sergic, qui se sont renouvelés sur une longue période, et au regard de l'absence d'informations apportées à leur mandant, il convient de condamner la société Sergic à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de leur préjudice moral.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

d'une part à réformer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

et d'autre part, à condamner la société Sergic, outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, à payer aux époux [M] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures devant les premiers juges et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Déclare recevable l'action engagée par M. [F] [M] et Mme [Z] [K] épouse [M] à l'encontre de la société Sergic ;

Déclare recevables les demandes formulées par M. [F] [M] et Mme [Z] [K] épouse [M] au titre des frais engagés pour l'évacuation des déchets, du préjudice consécutif aux pertes de loyers du fait de l'impossibilité de relouer au regard des dégradations causées à l'immeuble et non couvertes par une quelconque garantie, du préjudice consécutif aux dégradations causées à l'immeuble et non couvertes par une quelconque garantie, de la perception des honoraires de gestion depuis le 17 avril 2014, et du coût des commandements de payer ;

Réforme le jugement rendu le 28 juin 2022 par le tribunal judiciaire de Lille en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir ;

Et statuant à nouveau sur les chefs réformés :

Dit que la société Sergic a engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de M. [F] [M] et Mme [Z] [K] épouse [M], au titre de l'exécution du mandat de gestion immobilière concernant l'appartement loué par M. [N] [D] ;

Condamne par conséquent la société Sergic à payer à M. [F] [M] et Mme [Z] [K] épouse [M] les sommes de :

- 16 240,75 euros, au titre des loyers et charges impayés

- 1 940,72 euros, au titre des frais d'enlèvement des déchets et du nettoyage ;

- 9 496,20 euros, au titre de la perte locative ;

- 40 000 euros, au titre de la perte au titre de la revente immobilière ;

- 1 529,85 euros, au titre de la restitution des honoraires de gestion perçus ;

- 310,77 euros au titre du remboursement du coût des commandements de payer ;

- 3 000 euros, au titre d'un préjudice moral ;

lesdites sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Condamne la société Sergic aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Condamne la société Sergic à payer à M. [F] [M] et Mme [Z] [K] épouse [M] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés tant en première instance qu'en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.

Le greffier

Fabienne DUFOSSÉ

Le président

Guillaume SALOMON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 22/03606
Date de la décision : 06/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-06;22.03606 ?
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