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30/05/2024 | FRANCE | N°22/05517

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 30 mai 2024, 22/05517


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 30/05/2024



****





N° de MINUTE : 24/186

N° RG 22/05517 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UTXU



Jugement (N° 19/00374) rendu le 01 Juin 2022 par le tribunal judiciaire d'Arras





APPELANTE



Selarl [E] [B] et Associes représentée par Me [E] [B], es qualité de mandataire judiciaire de M [U]

Intervenante volontaire

[Adresse 1]

[L

ocalité 2]



Représentée par Me Catherine Camus Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Christian Delevacque, avocat au Barreau d'Arras, avocat plaidant



INTIMÉE



As...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 30/05/2024

****

N° de MINUTE : 24/186

N° RG 22/05517 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UTXU

Jugement (N° 19/00374) rendu le 01 Juin 2022 par le tribunal judiciaire d'Arras

APPELANTE

Selarl [E] [B] et Associes représentée par Me [E] [B], es qualité de mandataire judiciaire de M [U]

Intervenante volontaire

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Catherine Camus Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Christian Delevacque, avocat au Barreau d'Arras, avocat plaidant

INTIMÉE

Association de Gestion et de Fiscalite pour Professions Libérales (dénommée AGESFI), prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Isabelle Girard, avocat au barreau de Boulogne-sur-mer, avocat constitué, assistée de Me Benjamin Porcher, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant, substitué par Me Audrey Henanff, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 16 novembre 2023 après rapport oral de l'affaire par Guillaume Salomon

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 30 mai 2024 après prorogation le 08 février 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Harmony Poyteau , greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 16 octobre 2023

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

M. [I] [U] exploitait en nom personnel 6 auto-écoles.

Dans l'exploitation de son entreprise, M. [U] était assisté à la fois par la société KMPG, expert-comptable, et par l'association de gestion et de fiscalité pour professions libérales (l'A.GES.FI), à laquelle il avait adhéré depuis le 14 octobre 2010.

Après avoir bénéficié d'une sauvegarde en mars 2017, rapidement convertie en redressement judiciaire, M. [U] a été en définitive placé en liquidation judiciaire suivant jugement du tribunal de grande instance du 19 juillet 2017. Me [G] [X] a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire.

L'état des créances admises a été fixé à 548 996,10 euros.

Pour obtenir une indemnisation de l'expert-comptable, Me [G] [X] a mis en 'uvre la clause de conciliation obligatoire devant l'instance ordinale à l'encontre de KMPG, avant de l'assigner devant le tribunal de commerce de Lille. Par jugement du 10 février 2021, cette juridiction a débouté M. [U] de ses demandes indemnitaires à l'encontre de KMPG : si une faute a été retenue à l'encontre de l'expert-comptable au titre d'une mauvaise présentation des comptes et d'un manquement à l'obligation de conseil, aucun lien de causalité n'a été retenu entre ces fautes et le préjudice invoqué. Par arrêt infirmatif du 2 juin 2022, la cour d'appel de Douai a réformé ce jugement et a condamné KPMG à payer au liquidateur judiciaire la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Par acte du 8 février 2019, Me [X] a fait assigner l'A.GES.FI devant le tribunal de grande instance d'Arras en responsabilité, sans attendre l'issue de la procédure de conciliation devant l'ordre des experts-comptables diligentée à l'encontre de KPMG en invoquant un manquement à son obligation de conseil pour n'avoir pas détecté ses difficultés financières et l'avoir ainsi conduit à poursuivre et développer une exploitation déficitaire.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 1 juin 2022, le tribunal judiciaire d'Arras a :

- dit qu'aucune faute de la part de l'association A.GES.FI n'est établie,

- débouté Me [G] [X] ès qualité de mandataire liquidateur de M. [I] [U] de sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 500 996,10 euros,

- condamné Me [G] [X] ès qualité de mandataire de M. [I] [U] à payer à l'association A.GES.FI la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire du jugement,

- condamné Me [G] [X] ès qualité de mandataire liquidateur de M. [I] [U] aux dépens de l'instance.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 2 décembre 2022, Me [X], ès qualités, a formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement.

La liquidation judiciaire ayant été clôturée pour insuffisance d'actif, Me [E] [B] a été chargé par jugement rendu le 2 mars 2023 par le tribunal de commerce d'Arras de poursuivre l'instance en cours.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 29 septembre 2023, la Selarl [E] [B] & associés, intervenante volontaire au lieu et place de Me [X], appelant, demande à la cour de réformer le jugement, et statuant à nouveau, de

- mettre hors de cause Me [G] [X] es-qualités dont il a été mis fin à sa mission de mandataire liquidateur de M. [U] ;

- donner acte à la Selarl [E] [B] & associés représentée par Me [E] [B] de son intervention volontaire aux fins de régulariser la procédure suite à sa désignation par le jugement du 2 mars 2023 en qualité de mandataire judiciaire (ayant pour mission de poursuivre l'instance en cours devant la cour d'appel de Douai concernant le jugement rendu le 1er juin 2022 par le tribunal judiciaire d'Arras)

- juger recevable et bien fondée son intervention volontaire ;

En conséquence : infirmer le jugement critiqué en ce qu'il a :

* dit qu'aucune faute de la part de l'association A.GES.FI n'est établie,

* débouté Me [G] [X] ès qualité de mandataire liquidateur de M. [I] [U] de sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 500 996,10 euros,

* condamné Me [G] [X] ès qualité de mandataire de M. [I] [U] à payer à l'association A.GES.FI la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire du jugement,

* condamné Me [G] [X] ès qualité de mandataire liquidateur de M. [I] [U] aux dépens de l'instance.

Statuant à nouveau,

- juger que l'Association A.GES.FI a manqué à l'égard de M. [I] [U] à son obligation d'assistance, de conseil et de renseignement ;

par voie de conséquence,

- juger que l'Association A.GES.FI a engagé sa responsabilité à titre principal sur le fondement des anciens articles 1134, 1143 et 1147 du code civil (devenus articles 1103, 1222 et 1231-1 et suivants du code civil), et à titre subsidiaire sur le fondement de l'ancien article 1382 devenu article 1240 du code civil) ;

- condamner l'Association A.GES.FI à lui payer es-qualité la somme de

475 996,10 € à titre de dommages et intérêts, ladite somme assortie des intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'exploit introductif d'instance ;

- débouter l'Association A.GES.FI de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner l'Association A.GES.FI à lui payer es-qualités une somme de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner l'Association A.GES.FI en tous les frais et dépens, tant de première instance que d'appel.

A l'appui de ses prétentions, la Selarl [E] [B] & associés, ès qualités, fait valoir que :

- la faute commise par l'A.GES.FI résulte d'une violation de ses obligations, telles que prévues par la loi 2005-882 du 02 août 2005, notamment en ses articles 8 et 9, qui impose aux organismes de gestion agréés de fournir aux entrepreneurs une assistance en matière de gestion et de leur fournir une analyse des informations économiques, comptables et financières en matière de prévention des difficultés économiques et financières. Dans ce cadre, il appartient à l'organisme de gestion agréé d'apporter à son adhérent une analyse commentée de son dossier, sous l'angle des risques économiques, et ce à l'effet de détecter en amont toutes difficultés éventuelles. En l'espèce, le centre de gestion agréé n'a absolument pas alerté M. [U] sur le fait que son mode de gestion ne pouvait que l'entraîner à sa perte. Alors qu'il appartient au débiteur de l'obligation de conseil d'établir qu'il l'a valablement exécutée, l'A.GES.FI est défaillante à rapporter une telle preuve. Allant au-delà d'un contrôle formel de la déclaration 2035 et de ses annexes, le centre de gestion agréé doit fournir une véritable mission d'assistance à ses adhérents en matière de gestion et prévenir les difficultés économiques. Le centre de gestion agréé n'établit pas avoir été empêché d'exercer sa mission par un manque de pièces comptables, alors qu'il lui appartenait de solliciter M. [U] pour disposer des pièces permettant de détecter les difficultés liées à une gestion reposant sur une " pyramide de Ponzi ", d'autant qu'il s'agit d'un mode de gestion fréquemment observé dans les auto-écoles.

- le préjudice résulte de la poursuite et du développement de son exploitation par l'ouverture de nouvelles auto-écoles, alors qu'informé valablement, il aurait pu cesser son activité et ne pas être exposés à un passif aussi important au préjudice des clients et des organismes sociaux. Ce préjudice s'évalue à hauteur du passif admis, dont il convient de déduire la somme de 48 000 euros versée par un assureur au titre de l'absence de représentation de fonds et celle de 25 000 euros versée au titre de l'arrêt prononcée à l'encontre de KPGM.

4.2. Aux termes de ses conclusions notifiées le 16 août 2023, l'A.GES.FI , intimée, demande à la cour de confirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions et de condamner Me [B] de la Selarl [E] [B] & associés à lui payer 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Isabelle Girard.

A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir que :

- elle n'a commis aucune faute : (i) un centre de gestion agréé doit uniquement contrôler la rigueur et la cohérence de la déclaration 2035 et établir un dossier de gestion et d'analyse économique dans lequel il compare les chiffres de l'exercice tels qu'ils résultent de la déclaration avec ceux des exercices précédents, met en exergue certains ratios économiques, en parallèle avec ceux de la profession. Un centre de gestion agréé émet également un commentaire sur la situation générale. (ii) Pour remplir une telle mission, l'adhérent lui fournit exclusivement la déclaration 2035 et ses annexes (lesquels ne comportent que des rubriques du compte de résultat, aucune indication relevant du bilan n'est donc transmis à l'association) et le tableau dit " tableau de passage " qui permet de reconstituer la déclaration 2035 établie par l'expert-comptable au vu de la trésorerie et de s'assurer ainsi de la cohérence entre la comptabilité et la déclaration ; (iii) étant tenu à une obligation de moyens, elle ne pouvait sur la base de ces seuls documents détecter des difficultés économiques, alors que ces pièces ne lui permettaient pas de relever une absence de comptabilisation de produits constatés d'avance et une comptabilisation non exhaustive des opérations comptables.

Les mêmes griefs sont adressés à l'expert-comptable et au centre de gestion agréé, alors que leurs missions ne se confondent pas.

- la preuve d'un lien de causalité, même partiel, entre la faute invoquée et le préjudice allégué n'est pas rapportée : il n'est pas démontré qu'un forfait de 20 leçons a conduit à la faillite, alors que cette dernière a été à l'inverse causée par d'autres circonstances : conjoncture économique défavorable et mauvaise gestion (arrêts maladie, démission, notamment). La reconnaissance d'un lien de causalité par la cour d'appel pour fonder la condamnation de KPMG est indifférente.

- le préjudice n'est pas démontré : seule une perte de chance pourrait être invoquée. En outre, cette perte de chance pourrait consister en une aggravation de l'insuffisance d'actif entre le dépôt de bilan et la date à laquelle il aurait dû procéder à ce dépôt. La faute alléguée n'a donc aucun lien avec la gestion de la société et la constitution du passif. Le tribunal de commerce a d'ailleurs exclu un tel lien de causalité.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'intervention volontaire de la Selarl [E] [B] & associés, en qualité de mandataire judiciaire de M. [I] [U],

La clôture de la liquidation judiciaire ayant été prononcée, le tribunal a désigné un mandataire judiciaire pour poursuivre l'instance devant la cour. Son intervention volontaire est recevable. Me [X], en sa qualité de liquidateur judiciaire, n'est plus partie à l'instance, de sorte qu'il convient de le mettre hors de cause.

Sur la responsabilité de l'A.GES.FI :

Sur la qualification de l'A.GES.FI :

Le mandataire judiciaire de M. [U] sollicite la consécration de la responsabilité contractuelle de l'A.GES.FI., en qualité de " centre de gestion agréé " (page 7/18 de ses conclusions) sur le fondement des articles 8 et 9 de la loi 2005-882 du 2 août 2005, au titre d'un manquement à une obligation d'assistance, de conseil et de renseignement. Il vise également les articles 1649 quater F et 1649 quater H du code général des impôts.

Le fondement textuel invoqué n'est ainsi pas clairement déterminé : si le mandataire judiciaire de M. [U] évoque génériquement dans ses conclusions les obligations des " organismes de gestion agréé ", il vise en revanche de façon incohérente à la fois les dispositions de l'article 8 de la loi 2005-882 précité concernant les seuls centres de gestion agréés (CGA) et l'article 1649 quater F du code général des impôts applicables aux seules associations agréées des professions libérales. Sa pièce 13 vise exclusivement le régime des CGA.

Sur ce point, les premiers juges ont retenu la qualification d'association agréée (AA) à l'égard de l'A.GES.FI, excluant celle de CGA.

À cet égard, tant la dénomination elle-même de l'association que la soumission de M. [U] au régime fiscal des bénéfices non commerciaux (sa pièce 1 : rapport de Me [O], page 7, sa pièce 11 : arrêt de la cour d'appel de Douai du 2 juin 2022) valident une telle qualification d'association agréée.

Sur la faute contractuelle de l'A.GES.FI :

Le mandataire judiciaire de M. [U] estime essentiellement que l'A.GES.FI " n'a pas rempli son rôle " au titre de son obligation de conseil et qu'il appartient exclusivement à cette dernière de prouver qu'elle a valablement exécuté une telle obligation.

A l'appui de sa demande, il invoque exclusivement le rapport de l'administrateur judiciaire [O], qui relève qu'au titre des conditions économiques et financières de transfert vers un cessionnaire, la difficulté majeure de l'entreprise est que " les fonds versés par les élèves en cours de formation ont été consommés au bénéfice de leurs prédécesseurs ", dès lors que les forfaits des nouveaux élèves de l'auto-école étaient affectés au financement des leçons de conduite des clients inscrits antérieurement. Il estime que le mode de gestion de l'entreprise ne pouvait conduire qu'à sa perte dès lors qu'il faisait reposer le paiement des dépenses sur une augmentation des recettes dans un contexte d'expansion de l'activité. Ses pièces visent la question de l'absence d'inscription comptable des forfaits payés par les nouveaux clients en " produits constatés d'avance ".

Pour contester sa responsabilité contractuelle, l'A.GES.FI argumente par référence aux moyens développés par le conseil de M. [U] dans un courrier du 21 mars 2018 (pièce 1 de l'A.GES.FI) et à ceux invoqués à l'encontre de KPMG devant le tribunal de commerce.

Sur ce,

Si celui qui est légalement ou contractuellement tenu d'une obligation d'information ou de conseil doit prouver l'exécution de cette obligation, il appartient toutefois à celui qui se prétend créancier d'une telle obligation de rapporter préalablement la preuve de son existence.

En considération du déséquilibre des connaissances respectives des parties, un organisme de gestion agréé est tenu à un devoir d'information et de conseil au profit de son client (Civ. 1ère, 3 juillet 2001, pourvoi n° 99-16.217), dont l'objet est d'éclairer ce dernier sur la portée des prestations fournies. Pour autant, si cette obligation s'applique à l'ensemble des missions d'une AA, elle reste toutefois limitée à ce qui relève du champ d'intervention de ce professionnel.

Il convient par conséquent de déterminer le périmètre des obligations principales de l'A.GES.FI, pour apprécier s'il existe dans leur mise en 'uvre un manquement à son obligation complémentaire d'information et de conseil.

Alors qu'aucune lettre de mission n'est produite aux débats, le mandataire judiciaire de M. [U] cherche notamment à étendre les obligations de l'AA au-delà de ses missions, telles qu'elles sont déterminées par les dispositions des articles 1649 quater F, 1649 quater G et 1649 quater H du code général des impôts.

A cet égard, les missions des associations agréées sont notamment précisées par le commentaire publié au Bulletin officiel des finances publiques BOI-DJC-OA-20-10-20, applicable sur la période du 12 septembre 2012 au 5 juillet 2017.

Il résulte de ces dispositions qu'en sa qualité d'AA, l'A.GES.FI. exerçait trois types de mission au profit de M. [U] :

1. une mission de développement de l'usage de la comptabilité et d'assistance fiscale :

1.1. sur le développement de l'usage de la comptabilité :

Les associations agréées doivent développer chez leurs membres l'usage d'une comptabilité tenue selon les normes d'un plan comptable professionnel ou de la nomenclature comptable pour les professions libérales et les titulaires de charges et offices et de faciliter l'accomplissement par leurs adhérents de leurs obligations administratives et fiscales.

En l'espèce, aucun manquement n'est invoqué au titre de la conformité des comptes au plan comptable.

1.2. sur l'assistance et la prévention en matière fiscale :

En application de l'article 1649 quater H du code général des impôts, les AA sont notamment chargées de s'assurer de la régularité des déclarations de résultats, de taxes sur le chiffre d'affaires, de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et, le cas échéant, de revenus encaissés à l'étranger que leur soumettent leurs adhérents. A cet effet, elles leur demandent tous renseignements utiles de nature à établir, chaque année, la concordance, la cohérence et la vraisemblance entre :

- les résultats fiscaux et la comptabilité établie conformément aux plans comptables visés à l'article 1649 quater G du code général des impôts ;

- les déclarations de résultats, les déclarations de taxes sur le chiffre d'affaires, les déclarations de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et, le cas échéant, les déclarations de revenus encaissés à l'étranger.

Elles leur demandent également tous renseignements et documents utiles afin de réaliser un examen périodique de sincérité.

Les associations sont notamment tenues d'adresser à leur adhérent un compte rendu de mission dans les deux mois qui suivent la fin des opérations de contrôle.

A nouveau, aucun manquement n'est allégué ou démontré à l'encontre de l'A.GES.FI au titre d'une telle mission. Si le résultat de l'exercice diffère selon que l'entreprise recourt à une comptabilité de trésorerie ou d'engagement, aucune absence de concordance entre pièces comptables et fiscales n'est en revanche établie en l'espèce.

2. une mission d'examen par les AA des déclarations et documents communiqués par les adhérents

2.1. L'AA procède d'une part à un contrôle formel :

- des documents comptables : après examen des documents que l'adhérent s'engage à lui adresser en application de l'article 371 Q de l'annexe II au du code général des impôts, l'AA doit s'assurer que ses adhérents professionnels libéraux ou titulaires de charges et offices se conforment à la nomenclature comptable des membres des professions libérales pour tenir leurs documents comptables ou à l'un des plans comptables admis.

En l'espèce, dès lors qu'il résulte de l'arrêt rendu le 2 juin 2022 par la cour d'appel de Douai que KPMG tenait, présentait ou surveillait la comptabilité de l'adhérent et élaborait sa déclaration de résultats, l'A.GES.FI. était dispensée d'effectuer le contrôle formel des documents comptables de l'adhérent concerné.

- des déclarations : l'AA procède annuellement à un contrôle en la forme des déclarations de résultats et de leurs annexes, de taxes sur le chiffre d'affaires, de CVAE et, le cas échéant, de revenus encaissés à l'étranger.

A nouveau, alors qu'il n'entre pas dans la mission d'une AA de porter une appréciation sur l'opportunité d'adopter une comptabilité de trésorerie et que sa mission se limite à contrôler formellement les pièces établies par l'expert-comptable KPMG puis transmises par son client, aucun manquement n'est établi à l'encontre de l'A.GES.FI au titre de cette mission : en effet, alors que seul le rapport de Me [O] est produit, il n'est pas établi que les pièces comptables fournies révélaient l'existence d'un montant anormalement élevé de produits constatés d'avance, alors qu'en l'absence d'une comptabilité d'engagement établie par l'expert-comptable, aucune autre pièce comptable n'avait par ailleurs vocation à être sollicitée par l'AA au titre d'un tel contrôle purement formel. En particulier, les annexes ne sont pas communiquées.

2.2. l'AA procède d'autre part et ensuite à un examen de concordance, de cohérence et de vraisemblance (ECCV) :

A cet effet, l'AA demande à ses adhérents tous renseignements et documents utiles de nature à établir la concordance, la cohérence et la vraisemblance entre :

- d'une part, les résultats fiscaux et la comptabilité établie conformément aux plans comptables ;

- et, d'autre part, les déclarations de résultats, de taxes sur le chiffre d'affaires, de CVAE et, le cas échéant, de revenus encaissés à l'étranger.

Ce contrôle ne peut être dissocié de la régularité de la comptabilité, avec laquelle la déclaration fiscale doit être cohérente.

Afin de permettre à l'AA d'assurer ce contrôle, l'adhérent peut lui fournir à l'appui de sa déclaration fiscale un état faisant apparaître certaines données tirées de la comptabilité. Un exemple de " tableau de passage " ainsi qu'une méthode d'exploitation du tableau de passage (contrôle de régularité), de nature à faciliter le contrôle de concordance, de cohérence et de vraisemblance est notamment fournie par l'administration fiscale.

En revanche, les règles en vigueur n'imposent pas à l'AA d'exiger des rapprochements entre le train de vie apparent et le résultat déclaré.

En l'espèce, le rapport de l'administrateur relève l'importance des " produits constatés d'avance ", dont l'absence de comptabilisation est de nature à impacter le compte de résultat, dès lors que sa mise en 'uvre aurait conduit à réduire le chiffre d'affaires de l'entreprise en diminuant les prestations constatées. Du fait de cette diminution, le bénéfice aurait été baissé ou la perte aurait été augmentée. Lors de l'établissement du bilan comptable, cette régularisation aurait fait apparaître un chiffre d'affaires réel sur l'année dans les comptes annuels de l'entreprise.

Pour autant, il convient de rappeler qu'en matière fiscale, les recettes imposables au titre des BNC sont en principe constituées par les sommes effectivement encaissées par le contribuable ou dont il a eu la disposition au cours de l'année d'imposition, en application de l'article 12 du code général des impôts. Conformément aux dispositions de l'article 93 du même code, le bénéfice non commercial à retenir dans les bases de l'impôt sur le revenu est ainsi normalement constitué par l'excédent des recettes totales encaissées au cours de l'année d'imposition sur les dépenses nécessitées par l'exercice de la profession et effectivement acquittées au cours de cette même année.

Il en résulte que si le recours à une comptabilité permettant de déterminer le résultat de M. [U] en fonction des recettes encaissées et des dépenses décaissées ne permet pas d'éclairer sur les produits constatés d'avance, il est en revanche parfaitement adapté à une telle règle fiscale.

Aucune anomalie comptable n'était ainsi détectable par l'AA, alors que la concordance entre documents fiscaux et comptables n'est pas critiquée et que la sincérité des déclarations fiscales n'est pas remise en cause.

3. une mission de prévention des difficultés économiques et financières et d'assistance à la gestion :

L'article 9 de la loi n°2005-882 du 2 août 2005 a élargi les missions des associations agréées en leur confiant une mission en matière de prévention des difficultés économiques et financières des petites et moyennes entreprises.

Cette mission figurant à l'article 1649 quater F du code général des impôts est commune aux AA et CGA.

En vertu des dispositions du 1° de l'article 371 Q de l'annexe II au du code général des impôts, les associations agréées ont l'obligation de produire un document de synthèse présentant l'analyse des informations économiques, comptables et financières de la situation du professionnel.

Ce document de synthèse doit permettre de comparer, sur trois années, les indicateurs de l'adhérent avec ceux de la profession ou de son secteur d'activité.

Le dossier doit mettre en évidence les tendances et les écarts de tendance entre les résultats individuels et les statistiques professionnelles.

Il doit permettre de tirer les conclusions relatives au positionnement de l'adhérent par rapport à son secteur d'activité.

Ce document doit donc contenir une analyse tendancielle suivie d'un commentaire synthétique et pédagogique faisant ressortir les agrégats les plus significatifs mettant l'accent, le cas échéant, sur les points faibles du professionnel éventuellement détectés.

Si une faiblesse est détectée, l'association doit proposer à l'adhérent de s'orienter vers un interlocuteur adapté ou, le cas échéant, une formation ciblée.

Les ratios et éléments caractérisant la situation financière et économique des professionnels libéraux qui doivent figurer dans les documents de synthèse présentant le diagnostic de l'entreprise en matière de prévention des difficultés économiques et financières, mentionnés à l'article 371 Q de l'annexe II au CGI, sont établis notamment à partir des indicateurs d'ordre professionnel, des éléments d'exploitation de l'entreprise, de sa situation financière et de sa situation patrimoniale.

L'article 1649 quater F a été complétée par la loi n°2015-1786 du 29 décembre 2015 pour y inclure la mission de fournir à l'adhérent une assistance dans la gestion. Cette mission d'assistance technique en matière de gestion conduit l'AA à aider ses adhérents à faire le point sur la situation de leur entreprise, notamment par l'analyse des documents comptables, pour leur permettre d'engager les actions tendant à l'amélioration de la gestion et des résultats de leur exploitation.

En l'espèce, le mandataire judiciaire de M. [U] invoque essentiellement un manquement par l'A.GES.FI de l'obligation de conseil au titre de ces dernières missions. Il estime que cet organisme de gestion agréé aurait dû l'alerter sur l'importance des produits constatés d'avance et sur les conséquences d'une telle circonstance sur la pérennité de son activité, dès lors que M. [U] poursuivait la création de nouveaux établissements sans avoir une réelle connaissance des résultats de son exploitation, dès lors qu'ils étaient en réalité surévalués et lui fournissait une image erronée de sa situation économique.

Les parties ne produisent toutefois pas les éléments permettant d'apprécier la réalité d'un tel reproche, alors que seul le bilan économique et social établi par Me [O] est communiqué. Le document de synthèse prévu par l'article 371 Q précité n'est pas davantage produit.

Pour autant, le seul grief invoqué concerne un défaut d'alerte par l'A.GES.FI concernant l'absence de comptabilisation de produits constatés d'avance, et ne concerne ainsi pas d'autres éléments économiques, financiers ou comptables qui auraient pu contribuer à l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de M. [U].

À cet égard, la mission de l'A.GES.FI de formuler un avis au titre de la prévention des difficultés économiques et financières de son client ne s'exerce qu'en considération des éléments comptables établis par l'expert-comptable KPMG qui est exclusivement compétent pour déterminer le type de comptabilité et établir les pièces correspondantes, en application de son monopole prévu par l'article 3 de l'ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945. Il n'entre pas davantage dans cette mission la recherche d'autres éléments alternatifs, dont son client ne dispose d'ailleurs pas.

Aucune obligation d'information ou de conseil n'existe par conséquent à l'égard de l'AA, qui impliquerait une remise en cause des pièces comptables remises par le client ou une substitution à l'appréciation par l'expert-comptable des méthodes.

Au surplus, il a déjà été exposé qu'au titre d'un examen formel des pièces comptables, dont la conception et la réalisation incombaient exclusivement à l'expert-comptable, la détection d'une telle absence de comptabilisation n'était pas possible, alors qu'il n'est pas démontré que le choix d'une comptabilité de trésorerie par KPMG constituait une anomalie, même s'agissant de l'exploitation d'une auto-école.

Les obligations principales de l'A.GES.FI ayant été exécutées dans la limite des attributions d'une AA, il convient de confirmer le jugement ayant dit qu'aucune faute n'a été commise par cette dernière et ayant débouté le liquidateur judiciaire de M. [U] de ses demandes indemnitaires.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

- et d'autre part, à condamner la Selarl [E] [B], ès qualité, outre aux entiers dépens d'appel, à payer à l'A.GES.FI. la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Constate l'intervention volontaire de la Selarl [E] [B] en sa qualité de mandataire judiciaire de M. [I] [U] désigné avec mission de poursuivre l'instance en cours sur l'appel du jugement rendu le 1er juin 2022 par le tribunal judiciaire d'Arras dans la présente instance ;

Met hors de cause devant la cour d'appel Me [G] [X], en sa qualité de liquidation judiciaire de M. [I] [U] ;

Confirme le jugement rendu le 1 juin 2022 par le tribunal judiciaire d'Arras en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant :

Condamne la Selarl [E] [B] & associés, en qualité de mandataire judiciaire de M. [I] [U], aux dépens d'appel ;

Condamne la Selarl [E] [B] & associés, en qualité de mandataire judiciaire de M. [I] [U], à payer à l'association de gestion et de fiscalité pour professions libérales la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en appel ;

Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.

Le greffier

Harmony Poyteau

Le président

Guillaume SALOMON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 22/05517
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;22.05517 ?
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