République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 30/05/2024
****
N° de MINUTE :
N° RG 22/04443 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UP2K
Jugement (N° 21/00774)
rendu le 11 août 2022 par le tribunal judiciaire de Cambrai
APPELANTS
Monsieur [J] [C]
né le 17 janvier 1966 à [Localité 13]
Madame [W] [C] née [U]
née le 14 novembre 1966 à [Localité 13]
[Adresse 14]
[Localité 9]
représentés par Me Dominique Henneuse, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué substitué par Me Claire Zafra Lara, avocat au barreau de Valenciennes
INTIMÉE
Madame [B] [P]
née le 31 Octobre 1946 à [Localité 12]
[Adresse 8]
[Localité 9]
représentée par Me Cathy Beauchart, avocat au barreau de Cambrai, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 14 mai 2024, après réouverture des débats par mention au dossier, tenue par Catherine Courteille magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Anaïs Millescamps
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Catherine Courteille, présidente de chambre
Véronique Galliot, conseiller
Carole Van Goetsenhoven, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 30 mai 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Catherine Courteille, présidente et Anaïs Millescamps, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 02 octobre 2023
****
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Mme [B] [P] est propriétaire d'un immeuble situé [Adresse 14] à [Localité 9] cadastré section A n° [Cadastre 2], acquis le 28 octobre 1991. Ce bien est issu du partage de biens et droits immobiliers entre M. [D] [M] et Mme [M] [S].
M. [J] [C] et Mme [W] [C] sont propriétaires d'un immeuble d'habitation situé [Adresse 14] à [Localité 9] cadastré section A n° [Cadastre 1], acquis le 11 juillet 2012, jouxtant l'immeuble de Mme [P].
Selon l'acte authentique de partage du 28 octobre 1991, il est indiqué que :
« les parcelles cadastrées section A numéro [Cadastre 10], [Cadastre 2] et [Cadastre 3], dénommées fonds dominant, profitent d'un droit de passage d'environ 4 m de largeur, s'exerçant au bord des parcelles A [Cadastre 3] et [Cadastre 4] notamment sur les parcelles A [Cadastre 11] et [Cadastre 1] dénommées fonds servant. »
Ce droit de passage est repris dans l'acte de vente de M. et Mme [C] en ces termes :
« droit de passage d'environ 4 mètres de largeur s'exerçant au bord des parcelles cadastrées section A numéros [Cadastre 3] et [Cadastre 7] (anciennement [Cadastre 4]) notamment :
fonds dominant section A numéros [Cadastre 10],[Cadastre 2] et [Cadastre 3]
fonds servant section A numéros [Cadastre 5] et [Cadastre 6] (anciennement numéros [Cadastre 11] et [Cadastre 1]) ».
En 2019, M. et Mme [C] ont procédé à la pose d'une clôture provisoire entre les parcelles A [Cadastre 1] et [Cadastre 2], contestée par Mme [P].
À la suite d'un conciliation intervenue le 15 juillet 2019, la clôture a été laissée en place, le portail devant être ouvert et fermé à chaque passage et Mme [P] s'engageait à ce qu'aucun véhicule ne stationne dans la cour de M. et Mme [C].
Exposant qu'à la suite de cet accord, la servitude n'était plus utilisée et que Mme [P] avait fait réaliser une nouvelle voie d'accès à la rue, M. et Mme [C] ont, par acte d'huissier du 03 mai 2021, fait assigner Mme [P] aux fins de voir prononcer l'extinction de la servitude de passage.
Par jugement du 11 août 2022, le tribunal judiciaire de Cambrai a :
- Débouté M. [J] [C] et Mme [W] [U]-[C] de toutes leurs demandes ;
- Condamné M. [J] [C] et Mme [W] [U]-[C] à retirer le cadenas qu'ils ont posé sur le portail d'accès de la propriété cadastrée section A n°[Cadastre 2], et ce dans le délai de 15 jours à compter de la signification du présent jugement ;
- Dit que passé ce délai et à défaut d'exécution, une astreinte de 100 euros par jour de retard commencera de courir contre M. [J] [C] et Mme [W] [U]-[C] et ce pendant une période de quatre mois à l'expiration de laquelle, en cas de carence persistante d'exécution, il sera de nouveau statué par le Juge de l'exécution compétent saisi par la partie la plus diligente.
- Condamné M. [J] [C] et Mme [W] [U]-[C] rétablir un passage de 4 mètres minimum de large entre les propriétés cadastrée section A n°[Cadastre 1] (fonds servant) et section A n°[Cadastre 2] (fonds dominant), et ce par un portail de cette largeur minimale, et ce dans le délai de 15 jours à compter de la signification du présent jugement ;
- Dit que passé ce délai et à défaut d'exécution, une astreinte de 100 euros par jour de retard commencera de courir contre M. [J] [C] et Mme [W] [U]-[C] et ce pendant une période de quatre mois à l'expiration de laquelle, en cas de carence persistante d'exécution, il sera de nouveau statué par le Juge de l'exécution compétent saisi par la partie la plus diligente.
- Condamné M. [J] [C] et Mme [W] [U]-[C] au paiement à Mme [B] [M]-[P] de la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
- Condamné M. [J] [C] et Mme [W] [U]-[C] aux dépens ;
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- Dit que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.
Par déclaration déposée au greffe de la cour le 21 septembre 2022, M. et Mme [C] ont interjeté appel de cette décision.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 25 mars 2023, M. et Mme [C] demandent à la cour de :
infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
juger éteinte la servitude de passage existant entre les propriétés cadastrées section A n° [Cadastre 1] (fonds servant) et A n° [Cadastre 2] (fonds dominant) situées à [Localité 9] constatée au sein de l'acte de cession du 28 octobre 1991,
condamner Mme [P] au paiement d'une somme de 6613,03 euros à M et Mme [C],
débouter Mme [P] de toutes ses demandes,
condamner Mme [B] [P] à payer à M. et Mme [C] la somme de 2500 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive,
condamner Mme [P] à payer à M. et Mme [C] une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de leurs prétentions, M. et Mme [C] font valoir, que la servitude résulte de l'enclavement du fonds de Mme [P], la circonstance que les titres de propriétés fassent état de cette servitude n'a pas d'incidence sur la nature de la servitude qui est une servitude légale, la convention des parties n'ayant eu pour objet que de délimiter l'assiette de cette servitude, dès lors la création d'un accès à la parcelle a eu pour effet de désenclaver celle-ci et de faire disparaître la servitude.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 janvier 2023, Mme [P] demande à la cour de :
confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
y ajoutant
condamner M. et Mme [C] au paiement d'une indemnité de procédure de 5 000 euros ainsi qu'aux dépens d'appel.
L'intimée réplique que la servitude est conventionnelle puisqu'établie lors du partage et rappelée dans les actes de cessions des fonds, notamment lors de la cession à M. et Mme [C], la circonstance que ceux-ci en ait rendu l'usage impossible n'est une cause d'extinction que dans le cas d'un non-usage pendant plus de trente ans, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 02 octobre 2023.
MOTIVATION
Sur la nature de la servitude
Les articles 682 à 685-1 du code civil régissent les servitudes légales résultant d'enclave.
Selon l'article 682 du code civil l'enclave est la situation dans laquelle se trouve un fonds qui ne dispose soit d'aucune issue, soit seulement d'un accès réduit et insuffisant à la voie publique.
L'article 685-1 du code civil dispose qu'en cas de cessation d'enclave et quelle que soit la manière dont l'assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l'extinction de la servitude, si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l'article 682.
L'article 686 du code civil dispose qu'il est permis aux propriétaires d'établir sur leurs propriétés ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble.
L'article 691 du code civil précise que les servitudes continues non apparentes et les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes, ne peuvent s'établir que par titres.
La possession même immémoriale ne suffit pas pour les établir, sans cependant qu'on puisse attaquer aujourd'hui les servitudes de cette nature déjà acquises par la possession, dans les pays où elles pouvaient s'acquérir de cette manière.
***
En l'espèce, les deux parties reconnaissent que leurs titres font état de la servitude de passage. Ainsi, l'acte de cession à Mme [P] du 28 octobre 199, portant sur la parcelle [Cadastre 2], indique en page 11 :
« il est rappelé pour plus de compréhension et compte tenue de la nouvelle situation cadastrale des parcelles concernées :
(')
que les parcelles cadastrées section A n° [Cadastre 10],[Cadastre 2], et [Cadastre 3], dénommées fonds dominant, profitent d'un droit de passage d'environ 4 m de largeur, s'exerçant au bord des parcelles A [Cadastre 3] et [Cadastre 4] et notamment sur les parcelles A [Cadastre 11] et [Cadastre 1] dénommées fonds servant »
Le titre de propriété de M. et Mme [C] contient même rappel au titre des charges et conditions de la vente en page 26 qu'un droit de passage de 4 m de largeur s'exerce au bord des parcelles A [Cadastre 3] et [Cadastre 7] :
- fonds dominant section A numéros [Cadastre 10], [Cadastre 2] et [Cadastre 3]
- fonds servant section A numéros [Cadastre 5], [Cadastre 6] et [Cadastre 1].
Il résulte des pièces produites, photographies et constats mais surtout des extraits cadastraux que la parcelle [Cadastre 2] appartenant à Mme [P] ne s'est jamais trouvée pas en situation d'enclave étant implantée, tout comme la parcelle [Cadastre 1], en bordure d'une voie d'accès publique qui dessert sa propriété et qui est constituée par le chemin de halage. Il se déduit de cette situation et de la lecture des titres que la servitude litigieuse est bien une servitude conventionnelle au sens des dispositions de l'article 691 du code civil.
La circonstance que Mme [P] ait, dans un souci de conciliation, organisé un nouvel accès à certaines de ses parcelles en 2019, ne correspond pas à un désenclavement, les parcelles n'ayant jamais été enclavées. Dès lors, la servitude de passage conventionnelle telle qu'instituée par les titres subsiste, quand bien même elle n'est plus utilisée régulièrement, aucun accord n'étant intervenu pour en modifier l'assiette et aucune prescription extinctive ne pouvant être invoquée, le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. et Mme [C] de leur demande de constat d'extinction de la servitude.
Sur la demande au titre des frais d'aménagement engagés par M. et Mme [C] et la demande de rétablissement du passage
Il résulte du procès-verbal de constat établi le 11 juillet 2019 par Me [H], huissier, et des photographies produites par les parties que M. et Mme [C] ont empêché l'exercice de la servitude en posant une clôture fermée par un portail. Dès lors que ces travaux ont été exécutés par M. et Mme [C] de leur propre initiative et dans leur unique intérêt, au mépris de la servitude, ceux-ci ne peuvent qu'être déboutés de cette demande, le jugement étant confirmé sur ce point.
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a ordonné le rétablissement de la servitude de passage en conformité avec les titres, sous astreinte de 100 euros par jour de retard qui commencera à courir 1 mois à compter de la signification de l'arrêt et pendant quatre mois.
Succombants, M. et Mme [C] seront déboutés de leurs demandes au titre de la résistance abusive.
Sur les frais du procès
Le jugement étant confirmé en ce qu'il a débouté M. et Mme [C] de leurs demandes, sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens.
M. et Mme [C], qui seront déboutés de leur demande d'indemnité de procédure, seront condamnés aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement d'une indemnité de procédure de 2 500 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour
Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf à préciser que l'astreinte de 100 euros par jour de retard courra un mois après la signification du présent arrêt et pendant une période de quatre mois,
Y ajoutant
Déboute M [J] [C] et Mme [W] [C] de leurs demandes de dommages et intérêts pour résistance abusive et d'indemnité de procédure,
Condamne M. [J] et Mme [W] [C] aux dépens d'appel,
Condamne M. [J] et Mme [W] [C] à payer à Mme [B] [P] une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Anaïs Millescamps
Le président
Catherine Courteille