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11/04/2024 | FRANCE | N°22/05272

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 11 avril 2024, 22/05272


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 11/04/2024





****



N° de MINUTE : 24/128

N° RG 22/05272 - N° Portalis DBVT-V-B7G-US3W



Jugement (N° ) rendu le 29 Septembre 2022 par le Tribunal de Commerce de Lille





APPELANTE



SARL l'Esthete Store agissant en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représe

ntée par Me Olivier Berne, avocat au barreau de Lille, avocat constitué



INTIMÉE



SA Axa France Iard agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 2]

[Loca...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 11/04/2024

****

N° de MINUTE : 24/128

N° RG 22/05272 - N° Portalis DBVT-V-B7G-US3W

Jugement (N° ) rendu le 29 Septembre 2022 par le Tribunal de Commerce de Lille

APPELANTE

SARL l'Esthete Store agissant en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Olivier Berne, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉE

SA Axa France Iard agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Alban Poissonnier, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, constitué aux lieu et place de Me Jean-Louis Poissonnier, avocat au barreau de Lille, assistée de Me Pascal Ormen, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant, substitué par Me Hugo Jarry, avocat au barreau de Paris

DÉBATS à l'audience publique du 24 janvier 2024 tenue par Claire Bertin magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 11 avril 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 4 décembre 2023

****

EXPOSE DU LITIGE

1. Les faits et la procédure antérieure :

Spécialisée dans les marques de luxe et les tendances influentes, la société l'Esthète store exploite un magasin multimarque de vente au détail d'habillement au [Adresse 1] à [Localité 3].

Le 7 mai 2014, la société l'Esthète store a souscrit auprès de la société d'assurance Axa France iard (Axa) un contrat d'assurance multirisque professionnelle n°5826749504 ayant pris effet au 1er mai 2014.

Au titre des garanties souscrites, et en particulier de la protection financière, sont prévues les pertes d'exploitation.

Par arrêté du 14 mars 2020, modifié par les arrêtés du 15 et 16 mars 2020, le gouvernement a enjoint aux commerces de catégorie M, dont les magasins de vente de vêtements au détail, de ne plus recevoir du public.

La période de confinement s'est achevée le 11 mai 2020.

Par l'effet de ces dispositions, la société l'Esthète store n'a donc pu accueillir du public, ce qui a entraîné un effondrement de son chiffre d'affaires.

Par courrier recommandé du 29 mai 2020 avec accusé de réception, la société l'Esthète store s'est rapprochée de son assureur Axa afin d'obtenir la mise en 'uvre de la garantie perte d'exploitation prévue au contrat.

Considérant que la garantie perte d'exploitation n'était pas mobilisable, Axa lui a proposé un geste commercial sous forme d'aide financière d'un montant de 10 000 euros.

La société l'Esthète store, qui évalue son préjudice global à la somme de 521 087 euros, pour les trois périodes de confinement subies, a refusé l'offre d'Axa.

Par acte d'huissier du 2 novembre 2020, la société l'Esthète store a fait délivrer assignation à son assureur Axa pour obtenir sa condamnation à lui payer diverses sommes au titre de la garantie souscrite pour perte d'exploitation, et ce pendant la période de chacun des trois confinements.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 29 septembre 2022, le tribunal de commerce de Lille métropole a :

dit que les pertes d'exploitation subies par la société l'Esthète store n'étaient pas couvertes par le contrat d'assurance souscrit auprès d'Axa ;

débouté la société l'Esthète store de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

débouté Axa de sa demande formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société l'Esthète store aux entiers frais et dépens, taxés et liquidés à la somme de 69,58 euros en ce qui concerne les frais de greffe.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 14 novembre 2022, la société l'Esthète store a formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de ce jugement en limitant sa contestation aux seuls chefs du dispositif numérotés 1, 2, et 4 ci-dessus.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1 Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 29 septembre

2023, la société l'Esthète store, appelante principale, demande à la cour, au visa de l'article L. 112-4 du code des assurances, de :

- infirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a jugé n'y avoir lieu à paiement de somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile au profit d'Axa ;

- condamner Axa à lui verser, au titre de la garantie de perte d'exploitation prévue par le contrat d'assurance n°5826749504, les sommes suivantes :

'165 034 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 20 mai 2020, pour la période du premier confinement ;

'128 604 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 21 mars 2021, date de notification des conclusions additionnelles pour la période du second confinement ;

'227 449 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 24 août 2021, date de la notification des conclusions additionnelles pour la période du troisième confinement ;

à titre subsidiaire, si la cour s'estimait insuffisamment informée sur l'étendue des dommages,

- dire Axa tenue de garantir les pertes d'exploitation qu'elle a subies ;

- condamner Axa à lui verser, en exécution du contrat d'assurance n°5826749504, une somme équivalente au montant des pertes d'exploitation subies ;

- désigner un expert avec pour mission de :

'examiner l'ensemble de ses pièces et documents comptables et, si besoin, ses stocks de marchandises ;

'se faire communiquer tous documents et pièces qu'il jugera nécessaires à l'accomplissement de sa mission ;

'réunir les parties et les entendre en leurs observations ;

'donner son avis sur la marge brute qu'elle aurait dû réaliser entre le 15 mars et le 11 mai 2020, entre le 30 octobre et le 28 novembre 2020, et entre le 15 mars et le 10 mai 2021, si le magasin n'avait pas dû fermer ;

- fixer alors le montant de la provision à valoir sur les honoraires de l'expert ;

- dire que l'expert déposera son rapport dans les quatre mois de sa saisine ;

- surseoir à statuer sur la liquidation définitive du montant des pertes qu'elle a subies ;

- condamner, dès à présent, Axa à lui verser la somme provisionnelle de 250 000 euros à valoir sur les indemnités dues et ce, dans l'attente des conclusions d'expertise ;

en toute hypothèse,

- condamner Axa à lui payer la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

- condamner Axa à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Axa aux entiers frais et dépens de la présente instance.

A l'appui de ses prétentions, la société l'Esthète store fait valoir que :

- compte tenu de la saisonnalité de son activité et de l'obsolescence rapide des collections, elle a, en gestionnaire avisée, souscrit un contrat d'assurance multirisque professionnelle couvrant les pertes fortuites ou accidentelles d'exploitation avec effet au 1er mai 2014 ;

- aux termes de l'article 2.1 des conditions générales intitulé « perte d'exploitation, perte de revenus », Axa s'engage « en cas de survenance des évènements concernés par chaque garantie, à payer une indemnité pour les dommages assurés, dans les limites prévues par le contrat, sous réserve des exclusions et des montants de garantie. » ['] L'évènement concerné est l'interruption ou la réduction temporaire de l'activité professionnelle assurée résultant directement ['] « soit d'une impossibilité ou d'une difficulté d'accès à vos locaux professionnels, notamment en cas d'interdiction par les autorités compétentes, consécutive à un des événements suivants survenus dans le voisinage :

'incendie, explosion et risques divers ;

'Événement climatique de la nature de ceux décrits dans la garantie ;

'catastrophe naturelle ; »

- après un premier confinement du 15 mars au 10 mai 2020, un deuxième puis un troisième confinement sont survenus en cours d'instance, lesquels lui ont occasionné d'importantes pertes d'exploitation ;

- la pandémie liée à la covid -19 a bien entraîné pour la clientèle une difficulté d'accès à son magasin ;

- le choix de l'adverbe « notamment » enseigne que la garantie est due si surviennent d'autres causes d'impossibilité d'accès aux locaux qui ne sont pas exclues de la police d'assurance ; les hypothèses garanties ne sont pas limitativement énumérées au contrat ;

- la garantie perte d'exploitation doit jouer lorsque l'assuré est dans l'impossibilité d'exercer le commerce en raison d'un événement insurmontable dont il n'est pas la cause ; cette clause vise les interdictions prises par les autorités compétentes, quelle qu'en soit la raison ;

- les décisions administratives de fermeture des magasins caractérisent une impossibilité d'accès ; le contrat détermine le risque garanti par sa conséquence, à savoir l'interruption d'activité consécutive à une difficulté d'accès à la boutique assurée ;

- elle avait la volonté de souscrire une garantie totale contre les risques de perte d'exploitation ;

- l'adjectif « consécutive » à l'article 2.1 des conditions générales est rédigé au singulier, et se rapporte donc à l'interdiction qu'auraient prononcée les autorités administratives, et non à l'impossibilité ou la difficulté d'accès aux locaux ;

- la clause litigieuse, étant rendue ambiguë et obscure par l'emploi du singulier, nécessite à tout le moins une interprétation, qui doit être favorable à l'assuré en application des articles 1188 à 1191 du code civil ;

- la clause litigieuse est susceptible de deux interprétations différentes, selon qu'il soit pris en compte la place des virgules ou l'accord de l'adjectif ;

- s'agissant du calcul de l'indemnité d'assurance, les conditions particulières du contrat souscrit prévoient que parmi les dommages assurés figurent les pertes d'exploitation, y compris les frais supplémentaires sur une période d'indemnisation de douze mois ;

- la perte faisant l'objet de la garantie est la perte de marge brute subie pendant la période d'indemnisation à la suite de la diminution du chiffre d'affaires causée par les événements précédents ; la marge brute est la différence entre le chiffre d'affaires annuel hors TVA corrigé de la variation des stocks et le total des achats et charges variables ;

- dès lors qu'Axa a refusé de désigner un expert pour déterminer les pertes d'exploitation couvertes par la police d'assurance, elle a été contrainte d'évaluer elle-même son préjudice ; elle produit à cette fin son compte de résultat au titre de l'exercice 2021, sur lequel figure également son exercice 2020, et les copies de son logiciel de comptabilité.

4.2 Aux termes de ses conclusions notifiées le 1er septembre 2023, Axa,

intimée, demande à la cour, au visa des articles 1103, 1192, 1231-1 du code civil, de :

à titre principal,

- juger que la garantie visée à l'article 2.1 des conditions générales du contrat d'assurance souscrit par la société l'Esthète store est une garantie à périls dénommés ;

- juger que les conditions de mobilisation de la garantie visée à l'article 2.1 ne sont pas remplies dès lors qu'elle ne vise pas l'événement « épidémie », et que la liste des événements visés est limitative, tandis que la notion de « risques divers », définie au contrat, ne recouvre pas l'événement « épidémie » ;

- juger que la garantie des pertes de revenus figurant dans les conditions générales n'a pas vocation à s'appliquer aux pertes d'exploitations subies par la société l'Esthète store ;

- confirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions ;

- en conséquence, débouter la société l'Esthète store de l'ensemble de ses demandes de condamnation dirigées contre elle ;

à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour estimait que sa garantie était mobilisable,

- juger que la preuve du montant des pertes d'exploitation correspondant aux indemnités sollicitées n'est pas rapportée ;

- débouter la société l'Esthète store de l'ensemble de ses demandes de condamnation à son encontre ;

- désigner tel expert qu'il plaira à la cour, aux frais avancés par la société l'Esthète store, avec pour mission de :

'se faire communiquer tous documents et pièces qu'elle estimera utile à l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par l'appelante et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation sur les trois dernières années ;

'entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties, le calendrier possible de la suite de ses opérations ;

'examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, sur la période durant laquelle l'assurée aurait fait l'objet d'une impossibilité d'accès à ses locaux ;

'donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, de la marge brute (chiffre d'affaires - charges variables) incluant les charges salariales et les économies réalisées ;

'donner son avis sur le montant des aides/subventions d'Etat perçues par l'assurée ;

'donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture en se fondant notamment sur les recettes encaissées dans les semaines ayant précédé les périodes de fermeture retenues par la cour ;

en tout état de cause

- juger qu'elle ne s'est rendue coupable d'aucune résistance abusive ;

- condamner la société l'Esthète store à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

A l'appui de ses prétentions, Axa fait valoir que :

- s'agissant d'un contrat d'assurance dommage, les conditions générales auxquelles il est fait référence dans les conditions particulières prévoient en leur article 2.1 une garantie des pertes d'exploitation et frais supplémentaires, qui a exclusivement vocation à être mobilisée en présence d'événements générant des dommages matériels, tels un incendie ou un dégât des eaux, dans les locaux ou le voisinage ;

- l'impossibilité ou la difficulté d'accès aux locaux assurés doit être consécutive à la survenue d'événements dénommés et visés expressément, au rang desquels ne figure pas l'épidémie de la covid -19 ;

- la fermeture des locaux ne constitue un risque garanti que si elle est consécutive à certains événements déterminés, prévus au contrat, et intervenus dans le voisinage ;

- la garantie souscrite par la société l'Esthète store est une garantie à périls dénommés, et non une police « tous risques sauf' », et n'est pas mobilisable dès lors qu'elle ne couvre pas le risque « épidémie » ;

- l'assurée n'a pas fait l'objet d'une impossibilité ou d'une difficulté d'accès à ses locaux, laquelle s'entend d'une entrave ou d'un obstacle matériels en empêchant l'accès physique ;

- le fait que les événements « impossibilité ou difficultés d'accès » et « fermeture administrative » fassent l'objet de garanties distinctes confirme qu'ils ne sont pas interchangeables ;

- l'utilisation de l'adverbe « notamment » entre deux virgules n'impacte pas le caractère limitatif des événements visés par la garantie, mais ne concerne que l'« interdiction par les autorités compétentes » citée à titre d'exemple ; le terme « consécutive », bien que rédigé au singulier, se rapporte à l'impossibilité ou à la difficulté d'accès aux locaux ;

- la notion de « risques divers » n'englobe pas l'événement « épidémie » ;

- à titre subsidiaire, les pertes d'exploitation indemnisables résultent de l'application du taux de marge brute à la perte du chiffre d'affaires de référence ; or l'appelante ne calcule pas ce chiffre d'affaires de référence conformément à la méthode ni aux exigences prévues au contrat ; elle ne tient compte ni des facteurs externes, ni des écritures comptables et résultats des exercices antérieurs, ni de l'intégralité des charges variables non supportées durant la fermeture, ni des aides ou subventions de l'Etat qu'elle a pu percevoir ; elle ne justifie ni du principe ni du quantum de l'indemnisation qu'elle réclame ;

- la société l'Esthète store ne motive pas sa demande de condamnation de l'assureur au titre d'une prétendue résistance abusive.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Aux termes de l'article 1134 du code civil dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

La société l'Esthète store, représentée par son dirigeant M. [Y] [M], a souscrit le 7 mai 2014 auprès d'Axa, avec effet au 1er mai 2014, un contrat d'assurance multirisque professionnelle comportant des conditions particulières référencées n°5826749504 et des conditions générales référencées 690200L à l'effet de garantir son activité de « commerce de détail de vêtements adultes ».

Ce contrat d'assurance, reconduit tacitement chaque année, est en cours d'exécution, au moment où le gouvernement français, par arrêté du 14 mars 2020, a interdit à l'ensemble des commerces « non indispensables à la vie de la Nation », dont les magasins d'habillement, d'accueillir du public afin de lutter contre la propagation du virus de la covid-19, et ce jusqu'au 11 mai 2020.

Les garanties souscrites comprennent une protection financière pour perte d'exploitation telle que définie à l'article 2.1 des conditions générales.

Les parties produisent les conditions générales Axa référencées 690200Q de janvier 2019, et ne contestent pas qu'elles s'appliquent au présent litige.

Le chapitre intitulé « Les assurances des conséquences financières de l'arrêt d'activité » en page 20 des conditions générales est rédigé de la façon suivante :

« Ces assurances s'exercent pour votre seule activité professionnelle déclarée.

Nous nous engageons, en cas de survenance des événements concernés par chaque garantie, à payer une indemnité pour les dommages assurés, dans les limites prévues par le contrat, sous réserve des exclusions et des montants de garantie. [']

2.1. Perte d'exploitation, perte de revenus

L'événement concerné

L'interruption ou la réduction temporaire de votre activité professionnelle assurée, résultant directement :

' Soit d'un dommage matériel garanti au titre de l'une des garanties suivantes :

- Incendie, explosion et risques divers,

- Événements climatiques,

- Catastrophes naturelles,

- Attentats et actes de terrorisme,

- Effondrement,

- Dommages électriques,

- Dégâts des eaux,

- Vol et vandalisme.

' Soit d'une impossibilité ou d'une difficulté d'accès à vos locaux professionnels, notamment en cas d'interdiction par les autorités compétentes, consécutive à un des événements suivants survenus dans le voisinage :

- Incendie, explosion et risques divers,

- Événement climatique de la nature de ceux décrits dans la garantie,

- Catastrophe naturelle. » ['] 

L'article 1.4 en page 6 des conditions générales énumère les évènements entrant dans la catégorie « incendie, explosion, risques divers » en ces termes :

« L'incendie.

Les explosions et implosions, c'est-à-dire l'action subite et violente de la pression ou de la dépression de gaz ou de vapeur.

La chute directe de la foudre sur les biens assurés.

L'action de l'électricité sur les canalisations électriques et téléphoniques fixes.

L'émission accidentelle et soudaine de fumée.

Le choc d'un véhicule terrestre, provoqué par une personne dont vous n'êtes pas civilement responsable.

Le choc de tout ou partie d'appareils de navigation aérienne, d'engins spatiaux ou d'objets qui en tombent.

Les détériorations causées par les secours publics suite à une situation de force majeure.

Les manifestations, émeutes, mouvements populaires et actes de sabotage. » 

La lecture de ces clauses contractuelles enseigne qu'il s'agit d'un contrat à risques dénommés, les risques couverts étant précisément et limitativement énumérés, et non une police appelée « tous risques sauf' », dans laquelle le périmètre des garanties serait limité par une liste exhaustive d'exclusions.

La clause litigieuse réserve la garantie à l'impossibilité ou à la difficulté d'accès aux locaux professionnels, notamment en cas d'interdiction par les autorités compétentes, « consécutive » à un des événements survenus dans le voisinage qu'elle prend soin d'énumérer.

Cette clause signifie que l'inaccessibilité des locaux ne constitue un risque garanti que si elle est consécutive à certains événements déterminés, prévus au contrat, et intervenus dans le voisinage ; elle s'entend d'une entrave ou d'un obstacle matériels en empêchant l'accès physique, mais ne fait nulle référence à un événement lié à la survenue d'une épidémie ou pandémie.

L'appelante considère que l'adverbe « notamment » s'applique à la fois à l'interdiction et aux événements dont la liste figure dans le membre de phrase suivant, lesquels revêtent donc un caractère purement indicatif.

Cette interprétation erronée n'apparaît pas conforme aux termes clairs et dénués d'ambiguïté, contenus dans la police. L'adverbe « notamment », dont l'usage est encadré par deux virgules, se rapporte exclusivement à l'interdiction par les autorités compétentes laquelle, citée à titre de simple exemple, ne constitue pas une condition de mise en 'uvre de la garantie ; il ne concerne pas les événements survenus dans le voisinage, qui justifient cette impossibilité ou restriction d'accès, et subordonnent la garantie.

L'assurée verse au débat les règles grammaticales d'accord de l'adjectif, dont il résulte que lorsque plusieurs noms sont coordonnés par « ou », l'adjectif s'accorde uniquement avec le ou les noms auxquels il se rapporte. Si le coordonnant « ou » a une valeur de choix et non d'addition, l'adjectif s'accorde alors en genre et en nombre avec le dernier nom coordonné.

En l'espèce, le coordonnant « ou » a bien une valeur de choix entre l'impossibilité ou la difficulté d'accéder aux locaux, puisque l'accès est soit devenu totalement impossible soit rendu difficile, de sorte que l'adjectif « consécutive » s'accorde en genre et en nombre avec le dernier nom commun, qui est féminin et singulier.

En conséquence, l'absence de marque du pluriel à l'adjectif « consécutive » ne signifie pas qu'il renvoie à « l'interdiction par les autorités compétentes », mais bien au groupe nominal « impossibilité ou difficulté d'accès aux locaux », dès lors qu'il se situe après la virgule.

Contrairement aux allégations de l'appelante selon lesquelles il serait nécessaire d'interpréter la clause ambiguë du contrat d'adhésion contre celui qui l'a proposée, et ce en application des articles 1188 et suivants du code civil, l'ensemble des clauses du contrat liant les parties sont claires, dénuées de toute ambiguïté et ne nécessitent aucune interprétation.

L'événement « épidémie » ou « pandémie » n'est jamais cité dans la police d'assurance au rang des événements permettant la mise en 'uvre de la garantie perte d'exploitation, de sorte que la garantie offerte en cas d'« impossibilité ou difficulté d'accès aux locaux professionnels » n'est pas mobilisable en l'espèce.

Enfin, l'impossibilité ou la difficulté d'accès de la société l'Esthète store à ses locaux professionnels n'est pas consécutive à un événement de proximité « survenu dans le voisinage » au sens de la clause 2.1, mais à une crise sanitaire mondiale qui s'est répercutée sur l'ensemble du territoire national.

En conséquence, c'est par une exacte appréciation des faits et de la cause que le premier juge a considéré que les pertes d'exploitation subies par la société l'Esthète store durant les périodes de confinement liées à l'épidémie de la covid -19 n'entraient pas dans le champ contractuel des garanties souscrites auprès d'Axa, et a débouté celle-ci de toutes ses demandes.

Le refus de garantie opposé par l'assureur étant justifié, l'appelante, qui succombe en son appel, ne justifie d'aucun préjudice en lien de causalité avec la prétendue résistance abusive de celui-ci.

Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions, en ce compris les dépens et les frais irrépétibles de première instance.

L'équité et le sens de l'arrêt conduisent à condamner la société l'Esthète store aux entiers dépens d'appel, et à payer à Axa une somme de 2 500 euros à titre d'indemnité de procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 septembre 2022 par le tribunal de commerce de Lille métropole ;

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs plus amples prétentions ;

Condamne la société l'Esthète store aux dépens d'appel ;

La condamne en outre à payer à la société Axa France iard la somme de 2 500 euros à titre d'indemnité de procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier

Harmony Poyteau

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 22/05272
Date de la décision : 11/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-11;22.05272 ?
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