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04/04/2024 | FRANCE | N°23/03828

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 1, 04 avril 2024, 23/03828


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 1



ARRÊT DU 04/04/2024



****





N° de MINUTE :

N° RG 23/03828 - N° Portalis DBVT-V-B7H-VB72



Jugement n° 2022007169 rendu le 20 juin 2023 par le tribunal de commerce de Lille Métropole



- PROCEDURE COLLECTIVE -





APPELANTE



Madame [P] [W] en qualité de gérante de la SARL June

née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 4]
r>demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Nicolas Vanden Bossche, avocat plaidant, substitué à l'audience par Me Salomé Minassi...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 04/04/2024

****

N° de MINUTE :

N° RG 23/03828 - N° Portalis DBVT-V-B7H-VB72

Jugement n° 2022007169 rendu le 20 juin 2023 par le tribunal de commerce de Lille Métropole

- PROCEDURE COLLECTIVE -

APPELANTE

Madame [P] [W] en qualité de gérante de la SARL June

née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Nicolas Vanden Bossche, avocat plaidant, substitué à l'audience par Me Salomé Minassian - Belgacem, avocats au barreau de Lille

INTIMÉS

SELARL Miquel [X] & Associés représentée par Me [E] [X] en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL June

ayant son siège social [Adresse 2]

représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

Le Ministère Public

représenté par Monsieur le procureur général près la cour d'appel de Douai, pris en la personne de M. Christophe Delattre, substitut général

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Dominique Gilles, président de chambre

Pauline Mimiague, conseiller

Aude Bubbe, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs

DÉBATS à l'audience publique du 18 janvier 2024 après rapport oral de l'affaire par Aude Bubbe, conseiller.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 4 avril 2024 après prorogation du délibéré initialement prévu le 28 mars 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président, et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 10 janvier 2024

****

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Capkim, gérée par M. [J] [M], a été créée le 27 octobre 2005 et immatriculée au RCS de Bobigny.

Le 25 septembre 2018, la société Capkim est devenue société June, gérée par Mme [P] [W], transférant son siège social à [Localité 4] et déclarant une activité de conseil, de développement et d'implantation de marques françaises ou de produits fabriqués en France ainsi que d'organisation d'événements de promotion de produits.

Par assignation du 13 avril 2021, la société BPI France a fait citer la SARL June devant le tribunal de commerce de Lille Métropole afin de voir prononcé son redressement judiciaire, ou subsidiairement sa liquidation judiciaire, en l'absence d'exécution du jugement du tribunal de commerce de Bobigny du 18 juin 2019, la condamnant à lui verser 50 761,13 euros.

Par jugement rendu le 10 août 2021, après enquête, le tribunal de commerce de Lille Métropole a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la SARL June, fixant la date de cessation des paiements au 10 février 2020 et nommant la SELARL Miquel, [X] & Associés, représentée par Me [X], en qualité de liquidateur judiciaire.

Au regard des éléments relevés par le liquidateur judiciaire, le parquet de Lille a fait citer Mme [W] afin d'obtenir sa condamnation pécuniaire au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif ainsi que sa condamnation personnelle à une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer.

Par jugement du 20 juin 2023, signifié le 8 août 2023, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :

- mis à la charge de Mme [W] une contribution pour insuffisance d'actif d'un montant de 30 000 euros,

- prononcé une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 7 ans,

- ordonné l'exécution provisoire de la mesure d'interdiction de gérer.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 17 août 2023, Mme [W] a relevé appel de cette décision en l'ensemble de ses chefs.

Le 4 octobre 2023, le président de la chambre a fixé l'audience à bref délai, ordonnant la clôture des débats au 10 janvier et la tenue de l'audience au 18 janvier 2024.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 2 janvier 2024, Mme [W] demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- dire n'y avoir lieu à :

- quelconque mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci,

- mettre à sa charge une quelconque contribution à l'insuffisance d'actif,

- débouter le ministère public et Me [X], en qualité de liquidateur judiciaire, de toutes leurs demandes fins et conclusions,

- statuer ce que de droit quant aux dépens de la présente procédure.

A l'occasion du rappel des faits de la procédure, Mme [W] conteste sa qualité de gérante de la SARL June pour la période postérieure à sa démission, intervenue le 14 février 2019, précisant que les signatures des procès-verbaux d'assemblée générale de 2019 et 2020 sont des faux. Elle rappelle avoir porté plainte à l'encontre de M. [M], précédent gérant, et saisi le tribunal de commerce d'une demande d'annulation de la cession intervenue en septembre 2018. Elle relève que M. [M] est repris en qualité de représentant légal de la SARL June dans le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bobigny le 18 juin 2019.

Sur les griefs retenus pour la sanction personnelle, elle souligne que :

- elle ne pouvait solliciter l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de la SARL June alors que les bilans dont elle disposait présentaient une société totalement in bonis, qu'elle avait réalisé l'ensemble des vérifications nécessaires avant l'acquisition de la société et qu'elle n'avait pas été citée à l'audience du tribunal de commerce de Bobigny du 18 juin 2019,

- elle a bien réalisé les bilans 2018 et 2019, même si ce dernier n'a pas été déposé alors qu'elle ne disposait pas des pièces bancaires de la SARL June. Elle précise n'avoir pas pu établir les bilans 2020 et 2021 en raison des informations cachées par M. [M] et avoir sollicité plusieurs comptables qui n'ont pas pu l'aider,

- elle ne s'est pas délibérément abstenue de collaborer avec les organes de la procédure, qu'elle a subi de nombreuses et lourdes opérations chirurgicales qui l'ont diminuée, qu'elle s'est rendue au rendez-vous chez le liquidateur judiciaire, qu'elle a transmis l'ensemble des documents qu'elle avait en sa possession au liquidateur et que son véhicule et son immeuble d'habitation ont été saisis.

Sur les griefs retenus pour la sanction pécuniaire, elle relève :

- qu'elle n'a commis aucune faute de gestion

- qu'aucun élément ne permet de retenir que le retard dans la déclaration de cessation de paiement a contribué à aggraver le passif

- que le défaut de présentation des comptes ne constitue pas une faute de gestion

- qu'aucun lien de causalité n'est démontré entre les fautes relevées et l'insuffisance d'actifs

- que les fautes retenues s'analysent davantage comme de simples négligences

- que le montant retenu est disproportionné compte tenu de la situation personnelle de [P] [W] et qu'il n'est pas justifié de l'écarter du circuit des affaires.

Par réquisitions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 1er décembre 2023, le ministère public de la cour d'appel demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [W] au paiement d'une contribution financière et à une interdiction de gérer sauf à aggraver le quantum et la durée et de condamner l'intéressée au paiement d'une sanction pécuniaire de 50 000 euros et à une interdiction de gérer de 12 ans.

Il fait valoir que l'appel est recevable, interjeté dans le délai de 10 jours fixé à l'article R.661-3 du code de commerce.

Sur l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, fondée sur l'article L.651-2 du code de commerce, il rappelle que le liquidateur a fait état d'une insuffisance d'actif d'un montant de 120 000 euros. Il souligne l'existence de fautes de gestion tenant en l'absence :

- de déclaration de cessation des paiements dans les 45 jours, alors que les impositions fiscales étaient impayées depuis 2015 et que la facture de la SARL Cris France n'a pas été réglée en avril 2020, ces éléments étant constitutifs de fautes et non de simples négligences

- de tenue de comptabilité et/ou d'une tenue de comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière alors qu'aucun compte n'a été déposé depuis l'immatriculation de la SARL June, cette absence étant également constitutive d'une faute et non d'une simple négligence. Il retient que, compte tenu du nombre de fautes de gestion et de leur persistance dans le temps, la sanction pécuniaire doit s'élever à 50 000 euros.

Sur l'action en sanction personnelle, il rappelle que le liquidateur retient les fautes de gestion tenant en :

- une déclaration de cessation des paiements tardive, en l'absence de règlement des impositions fiscales depuis 2015 et de la facture de la SARL Cris France, soulignant que Mme [W] est gérante depuis un procès-verbal d'AGE du 29 mars 2019, que la faute est caractérisée et que la date, définitive, de cessation des paiements est fixée au 10 février 2020

- de tenue de comptabilité et/ou d'une tenue de comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière alors qu'aucun compte n'a été déposé depuis l'immatriculation de la SARL June au RCS de Lille, conformément aux articles L.123-12 à L.123-28 et R.123-72 à R.123-209 du code de commerce, caractérisant également une faute caractérisée

- de collaboration avec les organes de la procédure, alors que les demandes d'information du liquidateur ont été envoyées aux adresses du siège social de l'entreprise et de l'adresse personnelle de l'appelante et ont été retournée avec les mentions 'Destinataire inconnu à l'adresse' ou 'défaut d'accès ou adressage', caractérisant là encore une faute caractérisée, alors que le dirigeant d'une personne morale doit préciser le siège social ainsi que son adresse personnelle en application des articles R.123-53, R. 123-54 et R.123-66 du code de commerce.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 8 janvier 2024, la SELARL Miquel, [X] & Associés, prise en la personne de Me [E] [X], ès qualité de liquidateur de la SARL June, demande à la cour de :

- réparer l'omission de statuer tenant en l'absence de condamnation de Mme [W] à verser la somme de 30 000 euros à la SELARL Miquel, [X] & Associés

Sur le fond,

- écarter des débats les pièces qui n'ont pas été communiquées en temps utile

En toute hypothèse,

- confirmer le jugement rendu le 20 juin 2023 par le tribunal de commerce de Lille Métropole sauf à «condamner Mme [W] à verser la somme de 30 000 euros à la SELARL Miquel, [X] & Associés ès qualité de liquidateur de la SARL June au titre de la contribution à l'insuffisance d'actif »

- débouter Mme [W] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

- condamner Mme [W] à régler la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle souligne que Mme [W] a communiqué tardivement les 31 pièces accompagnant ses 10 pages de conclusions du 2 janvier 2024 alors que ses premières écritures étaient contenues sur 4 pages et n'étaient accompagnées que d'une pièce.

Sur la sanction pécuniaire, sur le fondement des articles L.653-5 et L.653-8 du code de commerce, elle fait valoir que l'absence de déclaration de créances était délibérée alors que divers impôts et taxes sont impayés depuis 2016 et que Mme [W] utilisait encore la société en avril 2020, une facture impayée de cette date ayant fait l'objet d'une déclaration de créances. Elle souligne que la procédure a été ouverte sur assignation d'un créancier.

Elle affirme également que constitue une faute l'absence de coopération avec les organes de la procédure. Si le liquidateur a finalement pu s'entretenir avec Mme [W] le 9 mars 2022, cette dernière n'a communiqué aucune pièce, réclamée par le liquidateur ou annoncée par elle.

Enfin, elle expose qu'aucun document comptable ne lui a été transmis durant la procédure, que les plaintes croisées de Mme [W] et M. [M] ne concernent pas le présent litige et que les liasses fiscales partielles, transmises le 2 janvier 2024, ne constituent pas les bilans de la SARL June et ne peuvent régulariser le défaut de comptabilité antérieure.

Elle rappelle que les fautes de gestion de Mme [W] ont contribué à l'insuffisance d'actif alors que les créances fiscales ou sociales représentent plus de 40% du passif et qu'en ne réglant pas ses charges, la gérante permettait à la SARL June de fausser la concurrence.

La clôture de l'instruction est intervenue le 10 janvier 2024, l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 18 janvier 2024 et mise en délibéré au 28 mars 2024.

MOTIFS

Sur les pièces communiquées tardivement

En application des articles 132 et 135 du code de procédure civile, les parties doivent communiquer spontanément leurs pièces et le juge peut écarter du débat les pièces qui n'ont pas été communiquées en temps utile.

En l'espèce, si Mme [W] a transmis ses nouvelles conclusions et pièces le 2 janvier 2024, il convient de relever que la SELARL Miquel, [X] & Associés, en sa qualité de liquidateur de la SARL June, a été en mesure de répondre de manière complète à l'ensemble de ces nouveaux éléments, le 8 janvier 2024, soit avant l'ordonnance de clôture rendue le 10 janvier 2024.

Dès lors, il n'y aura pas lieu d'écarter les nouvelles pièces.

Observations liminaires sur la responsabilité

Si, dans le cadre du rappel des faits, Mme [W] conteste sa qualité de gérante de la société June après le 14 février 2019, il convient de retenir qu'elle n'en tire aucun moyen ou argument au soutien de ses demandes, étant observé que, si les signatures ne sont pas strictement identiques sur les procès-verbaux d'assemblée générale de septembre 2018 et mars 2019, nommant Mme [W] dans un premier temps co-gérante puis gérante de la SARL June :

- Mme [W] n'a jamais auparavant contesté sa qualité de gérante, ni devant le liquidateur judiciaire ni à l'occasion de ses auditions devant les services de police, produisant ses nombreux échanges de mails avec M. [M], dans lesquelles elle évoque la situation financière précise de la SARL June,

- elle a passé des commandes au nom de la société, notamment le 27 avril 2020, laissant son adresse email personnelle ([Courriel 5]) sur laquelle le mandataire liquidateur parviendra à la joindre en fin de procédure

- elle a réalisé les bilans de la société June pour les années 2018 et 2019, indiquant dans ses dernières conclusions avoir sollicité un comptable pour l'établissement des bilans 2020 et 2021,

- elle se présente comme gérante intérimaire de la société pour la période du 23 mars 2019 au 31 août 2019 dans le contrat de travail qu'elle a conclu avec la SARL June, représentée par M. [M], le 2 septembre 2019, pour un salaire brut mensuel de 6800 euros en qualité de directeur commercial,

- actionnaire majoritaire à 98% à travers sa société MGS Conseils, elle n'apporte aucun élément concernant la tenue d'une assemblée générale désignant un autre gérant, notamment M. [M], à compter du 1er septembre 2019,

- elle se présente comme gérante de la SARL June dans sa plainte au procureur de la République du 20 octobre 2021, précisant :'A ce jour, la société est en liquidation, M. [M] ayant répondu à une convocation du tribunal à ma place se faisant toujours passer pour le gérant il y a 2 mois, la société s'est retrouvée en liquidation sans que j'en sois avertie en amont alors que je me bats avec les organismes pour sauver mon achat.' (Pièce 17)

Dès lors, il convient de retenir que Mme [W] est bien gérante de la SARL June.

Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif

Aux termes de l'article L.651-2 al.1 du code de commerce, 'Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.[...]'

En application de l'article L.631-4 du code de commerce, le gérant doit déclarer l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours.

Pour l'application de ces textes, il est rappelé que l'omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal, susceptible de constituer une faute de gestion, s'apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans un jugement de report.

Pour retenir la responsabilité financière de Mme [W], le tribunal a retenu l'absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal et le défaut de tenue de comptabilité régulière.

En l'espèce, il ressort des éléments produits par le liquidateur judiciaire que l'actif réalisé de la SARL June s'élève à 8,40 euros alors que le passif déclaré atteint 122 302,78 euros.

En outre, le jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 10 août 2021, devenu définitif, a fixé la date de cessation des paiements au 10 février 2020 et il est constant que Mme [W] n'a pas procédé à la déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours suivant le 10 février 2020, soit avant le 26 mars 2020.

Or, il ressort de ses emails adressés les 21 mars et 5 avril 2019 à M. [M], que Mme [W] a connaissance de l'existence des dettes de la société Capkim, qu'elle a reprise en septembre 2018, évoquant les impôts (IS et TP), la dette BPI (résultant de la condamnation par le tribunal de commerce de Bobigny) ainsi que la TVA et le fait qu'elle a du refaire les déclarations de TVA pour les années 2017 et 2018, outre celles de la fin 2016. (pièce 8 de Mme [W]).

De plus, Mme [W] évoque expressément le risque d'une liquidation judiciaire compte tenu de la situation financière de l'entreprise dans son mail à M. [M] du 21 mars 2019 : 'je te redis encore que si tu me fais liquider, je serai entièrement responsable de l'ensemble des dettes sans pouvoir les négocier ni utiliser pour nos projets la force de cette société de par son ancienneté et son capital.' (Pièce 8)

En outre, alors qu'elle a signé un bail commercial le 13 janvier 2020, la société June s'est vue signifier un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire dès le 15 juillet 2020, avant d'être assignée en résiliation de bail par acte du 23 septembre 2021, la dette locative étant fixée à 10 644,62 euros au 15 août 2021 et le bailleur déclarant 11 239,47 euros pour les indemnités d'occupation courues du 10 août 2021 au 1er février 2022, le local n'ayant pas été restitué spontanément.

Enfin, l'URSSAF a déclaré une créance en taxation d'office pour des cotisations impayées de février 2020 à avril 2021, pour un montant de 27 286,46 euros.

Enfin, il apparaît que le versement du salaire de Mme [W] pour un montant mensuel brut de 6 800 euros a nécessairement contribué à augmenter le passif de la société, fixé à 122 302,78 euros, hors loyers.

Dès lors, en ne déclarant pas la cessation des paiements avant le 26 mars 2020, alors qu'elle avait connaissance du fait que la société ne parvenait pas à faire face à son passif exigible depuis plusieurs années, Mme [W] a commis une faute de gestion et non une simple négligence.

Cette faute a contribué à l'aggravation du passif alors que les loyers, les cotisations sociales et le salaire de Mme [W] ont continué à courir.

Par ailleurs, Mme [W] ne pouvait ignorer que la société June n'a procédé à aucun dépôt de ses comptes au greffe du tribunal de commerce, indiquant elle-même avoir rédigé le bilan pour l'année 2019 mais ne pas l'avoir déposé et ne pas avoir pu faire réaliser les bilans pour les années 2020 et 2021, ce défaut de tenue de comptabilité ne pouvant que contribuer à l'aggravation du passif alors qu'il interdisait de connaître la situation financière réelle de la SARL June.

En conséquence, il convient de retenir que les fautes de gestion de Mme [W] ont contribué à l'aggravation du passif.

Cependant, les premiers juges qui ont fixé à 30 000 euros cette contribution ne peuvent être approuvés de l'avoir ainsi limitée alors que les fautes de gestion retenues commises sur plusieurs années, sont manifestement susceptibles d'avoir causé l'aggravation du passif dans une mesure qui ne peut être inférieure à 50 000 euros. Ainsi le jugement sera confirmé sur le principe de la condamnation et partiellement infirmé quant au quantum de la sanction, à laquelle Mme [W] sera condamnée.

Sur la responsabilité personnelle

Aux termes de l'article L.653-8 du code de commerce, ' Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

L'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L. 622-22.

Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.'

Pour condamner Mme [W] à une sanction personnelle, le tribunal a retenu l'absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal, le défaut de tenue de comptabilité et l'absence de collaboration avec les organes de la procédure.

En l'espèce, il convient de relever que Mme [W] n'a pas déclaré l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours suivant le 10 février 2020, alors qu'il est établi qu'elle avait connaissance de la situation financière réelle de la société June, qu'elle détaille dans ses emails de mars et avril 2019.

Par ailleurs, il est constant que si Mme [W] dit avoir procédé à l'établissement des bilans pour les années 2018 et 2019, aucun n'a été publié, alors qu'il appartient au gérant d'établir le bilan annuel en application des articles L.123-12 à L.123-28 et R.123-72 à R.123-209 du code de commerce.

De plus, il ressort des courriels échangés entre Mme [W] et la SELARL Miquel, [X] et associés, en mars 2022, que Mme [W], qui, tout comme la société June, avait changé d'adresse sans en informer le greffe du tribunal de commerce, n'a fait parvenir aucun document relatifs à la société, notamment son contrat de travail et les éléments financiers et comptables prévus à l'article L.622-6 du code de commerce (inventaire, liste des créanciers, montant des dettes, contrat en cours), malgré les demandes du mandataire liquidateur. Au surplus, informée de la procédure de liquidation judiciaire de la SARL June, dont elle reconnaissait être gérante, dans sa plainte du 20 octobre 2021, Mme [W] n'a pris aucun contact avec le liquidateur judiciaire.

Enfin, il ressort des éléments produits par les parties que Mme [W] dirige au moins quatre autres sociétés commerciales ou civiles et est associée dans deux autres. Il s'en déduit qu'elle a une parfaite connaissance de ses obligations en qualité de gérante.

Dès lors, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [W] à une sanction personnelle, la durée de 7 ans étant adaptée à la gravité de la situation de la société June et des fautes commises par la gérante.

Sur les demandes accessoires

En application de l'article 700 du code de procédure civile, Mme [W] sera condamnée à verser la somme de 2 500 euros.

En application de l'article 699 du code de procédure civile, Mme [W] sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Dit n'y avoir lieu à écarter des débats les pièces versées le 2 janvier 2024 par Mme [W] ;

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a mis à la charge de Madame [W] la somme de 30 000 euros au titre de la contribution au passif ;

Statuant à nouveau,

Condamne Mme [W] à verser à la SELARL Miquel, [X] et associés, ès qualités de mandataires liquidateurs de la société June, la somme de 50 000 euros au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif ;

Condamne Mme [W] à verser à la SELARL Miquel, [X] et associés, ès qualités de mandataires liquidateurs de la société June, la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les demandes plus amples ou contraires ;

Condamne Mme [W] aux dépens.

Le greffier

Valérie Roelofs

Le président

Dominique Gilles


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 1
Numéro d'arrêt : 23/03828
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;23.03828 ?
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