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04/04/2024 | FRANCE | N°20/00707

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 04 avril 2024, 20/00707


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 04/04/2024



****





N° de MINUTE :24/121

N° RG 20/00707 - N° Portalis DBVT-V-B7E-S4IQ



Jugement (N° 18/07842) rendu le 20 Décembre 2019 par le Tribunal de grande instance de Lille







APPELANTS



Monsieur [H] [E]

né le [Date naissance 1] 1971

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 6]


r>Madame [J] [E] née [M]

née le [Date naissance 5] 1976 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 6]



Représentés par Me Julie Paternoster, avocat au barreau de Lille, avocat constitué,



INTIMÉES



M...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 04/04/2024

****

N° de MINUTE :24/121

N° RG 20/00707 - N° Portalis DBVT-V-B7E-S4IQ

Jugement (N° 18/07842) rendu le 20 Décembre 2019 par le Tribunal de grande instance de Lille

APPELANTS

Monsieur [H] [E]

né le [Date naissance 1] 1971

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 6]

Madame [J] [E] née [M]

née le [Date naissance 5] 1976 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentés par Me Julie Paternoster, avocat au barreau de Lille, avocat constitué,

INTIMÉES

Madame [I] [T]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Georges Lacoeuilhe, avocat au barreau de paris, avocat plaidant, substitué par Me Pierre-Henri Lebrun, avocat au barreau de paris,

SA Hôpital Prive de [Localité 7] prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 10]

[Localité 7]

Représentée par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Vincent Boizard, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant, substitué par Me Nathalie Nuza, avocat au barreau de Paris

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 6] [Localité 8]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Défaillante à laquelle la déclaration d'appel a été signifiée le 18/02/2020 à personne habilitée

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 11 janvier 2024 après rapport oral de l'affaire par Yasmina Belkaid

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023 après prorogation du délibéré en date du 28 mars 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 4 décembre 2023

****

Le 27 octobre 2015, à l'âge de 39 ans, Mme [J] [E] née [M] a débuté une grossesse spontanée après quatre ans de stimulation ovarienne.

Le docteur [T], exerçant au sein de l'hôpital privé de [Localité 7] ([9]), a assuré son suivi de grossesse à compter du 5 janvier 2016.

Le 27 juillet 2016, jour du terme de sa grossesse, Mme [E] s'est présentée à l'hôpital où elle a été prise en charge par une sage-femme. Après la réalisation d'un enregistrement du rythme cardiaque f'tal (RCF) par celle-ci et appel téléphonique du docteur [T], il a été décidé de pratiquer le déclenchement de l'accouchement le lendemain.

Le 28 juillet 2016, estimant que l'enfant bougeait peu depuis la veille au soir, Mme [E] s'est rendue à l'hôpital où le docteur [T] a demandé à la sage-femme de réaliser une échographie qui a révélé le décès in utero de l'enfant.

Le 29 juillet 2016, Mme [F] a accouché, par voie basse, d'une fille mort née, prénommée [A].

C'est dans ces conditions que Mme [E] déposait une demande auprès de la Commission de Conciliation et d'Indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (la CCI) à l'encontre, notamment, du Docteur [T], de la sage-femme et de l'établissement de soins, en raison du décès in utero de son enfant à naître.

Au terme de son avis rendu le 22 février 2017, la CCI, reprenant les conclusions du rapport du 24 décembre 2016 de l'expert [G], a conclu à la perte de chance de 90 % d'éviter le décès in utero de l'enfant imputable à 90 % à l'établissement de soins, du fait des manquements de la sage-femme et à hauteur de 10 % au docteur [T].

Par actes des 11, 15 et 21 octobre 2018, les époux [E] ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Lille Mme [T], l'Hôpital Privé de [Localité 7] et la Cpam de [Localité 6] [Localité 8], aux fins de voir dire et juger que la responsabilité du praticien est engagée à hauteur de 10 % et celle de l'établissement à hauteur de 90 %, en lien avec la perte de chance de 90 % d'éviter le décès in utero de l'enfant à naître.

Par un jugement rendu le 20 décembre 2019, le tribunal judiciaire de Lille a :

déclaré l'Hôpital Privé de [Localité 7] responsable du préjudice subi par Mme [J] [M] et M. [H] [E] à hauteur d'une perte de chance de 50%

condamné l'Hôpital Privé de [Localité 7] à payer à Madame [J] [M] les sommes suivantes en réparation de son préjudice :

-12 500 euros au titre du préjudice d'affection

-4 000 euros au titre des souffrances endurées

-800 euros au titre des frais d'obsèques

- 500 euros au titre du comportement adopté vis-à-vis de la sage-femme après le décès

3 condamné l'Hôpital Privé de [Localité 7] à payer à M. [H] [E] les sommes suivantes en réparation de son préjudice :

-12 500 euros au titre du préjudice d'affection

- 500 euros au titre du comportement adopté vis-à-vis de la sage-femme après le décès

4 débouté Mme [J] [M] et M. [H] [E] de leurs autres demandes indemnitaires dirigées contre l'Hôpital Privé de [Localité 7]

5 débouté Mme [J] [M] et M. [H] [E] de leur action en responsabilité dirigée contre Madame [I] [T]

6 condamné l'Hôpital Privé de [Localité 7] aux dépens

7 condamné l'Hôpital Privé de [Localité 7] à payer à Mme [J] [M] et M. [H] [E] une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Par déclaration du 5 février 2020, Mme [J] [E] et M. [H] [E] ont interjeté appel de ce jugement en limitant leurs contestations aux chefs du dispositif numérotés 1 à 5 ci-dessus.

Par un arrêt du 15 avril 2021, la cour d'appel de Douai a ordonné une expertise médicale sur pièces et désigné pour y procéder le docteur [L] [O], remplacé par le docteur [U] suivant ordonnance du 22 juillet 2020, avec mission de :

se faire communiquer par les parties le relevé' de l'analyse du rythme cardiaque foetal réalisée par la sage-femme au sein de l'[9], Mme [D], le 27 juillet 2016, sur la personne de Mme [E], ainsi que tout autre document qu'il estimerait utile pour l'accomplissement de sa mission

de dire si cette analyse du rythme cardiaque foetal a été réalisée de manière diligente et si celle-ci a révélé' des anomalies détectables par toute sage-femme normalement compétente, et ce, notamment en application des Recommandations pour la pratique clinique du Collège national des gynécologues et obstétriciens français.

Par ordonnance rectificative du 22 juillet 2022, le magistrat chargé du contrôle des expertises a étendu la mission de l'expert à l'examen de la qualité des soins apportés par la sage-femme et par le docteur [T] à la patiente.

Aux termes de son rapport déposé le 12 décembre 2022, l'expert a conclu à une perte de chance de naître pour l'enfant de 100%.

C'est ainsi que, sur la base de ce rapport définitif, M. et Mme [E] sollicitent la condamnation in solidum du docteur [T] et de l'Hôpital Privé de [Localité 7] à les indemniser de leur entier préjudice, le cas échéant dans les proportions retenues par les deux experts (10% pour le docteur [T] et 90% pour l'hôpital).

Dans leurs conclusions notifiées le 16 mai 2023, M. et Mme [E] demandent à la cour de :

infirmer et au besoin réformer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lille le 20 décembre 2019,

entériner les conclusions du Dr [Y] [U]

déclarer qu'[9] et le docteur [T] ont commis une faute dans le suivi de la grossesse, et sont responsables de leur préjudice relatif au décès de leur futur bébé,

condamner in solidum [9] et le docteur [T] à les indemniser des préjudices en découlant, à hauteur de 90% pour [9] et de 10%

liquider le préjudice de Madame [J] [E] de la façon suivante :

Postes de préjudice

Montant

Part CPAM

Part requérant

Souffrances endurées

30.000 €

-

30.000 €

Préjudice moral lié à l'absence d'information

10.000 €

-

10.000 €

Préjudice moral

50.000 €

-

50.000 €

Préjudice d'agrément

5.000 €

-

5.000 €

frais d'obsèques

2.215, 97 €

-

2.215, 97 €

frais divers

2.722, 92 €

2.722, 92 €

dépenses de santé futures

1.352, 92 €.

1.352, 92 €

préjudice d'Etablissement

15.000 €

15.000 €

Total

116.291, 81 €

116.291, 81 €

liquider le préjudice de M. [H] [E] de la façon suivante :

Postes de préjudice

Montant

Part CPAM

Part requérant

préjudice d'accompagnement

20.000 €

-

20.000 €

préjudice moral lié à l'absence d'information

10.000 €

-

10.000 €

préjudice moral lié à la perte de son unique enfant

30.000 €

-

30.000 €

préjudice d'Etablissement

15.000 €

15.000 €

Total

75.000 €

75.000 €

En conséquence,

condamner in solidum [9] et le docteur [T] à payer à Mme [J] [E] une somme de 116.291, 81 euros et à payer à M. [H] [E] une somme de 75.000 euros

assortir les condamnations des intérêts au taux légal à compter de l'avis de la CCI, soit à compter du 22 février 2017,

ordonner la capitalisation des intérêts à compter de la première demande, soit à compter de l'assignation devant le tribunal de grande instance de Lille, et en tout état de cause pour l'avenir

réserver au besoin le poste relatif au frais divers liés aux dépenses de santé futures,

condamner in solidum [9] et le docteur [T] à leur payer une somme de 8.000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

condamner [9] et le docteur [T] aux dépens.

Au soutien de leurs prétentions, ils font valoir que :

sur la responsabilité de l'[9] et du docteur [T] sur le fondement de l'article L 1142-1, I du Code de la Santé Publique

sur la faute de l'hôpital

'les anomalies du rythme cardiaque étaient détectables par toute sage-femme qui peut en cas de doute appeler l'obstétricien

'devant le tracé anormal, la sage-femme devait informer le Dr [T], et prolonger l'enregistrement.

'Or, la sage-femme a indiqué au Dr [T] que l'examen à terme et le rythme cardiaque foetal, étaient normaux

'Elle a donc commis une faute en ce que les soins n'ont pas été diligents, attentifs et conformes aux recommandations

Sur la faute du docteur [T]

'Le docteur [T], alors médecin libéral choisi par la patiente responsable du suivi de la grossesse, a accepté de déclencher le travail le lendemain matin, sans examiner la patiente, sans discuter des risques d'un déclenchement par prostaglandine et n'a pas signalé à la sage-femme les antécédents d'infertilité de cette primipare âgée de 40 ans

'au lieu d'apporter les soins appropriés, notamment suite à un examen clinique, le docteur [T] s'est contentée de l'appel de la sage-femme le 27 juillet 2016, qui n'avait pas le dossier de Mme [E] et dont l'attention n'a jamais été attiré sur la particularité de la grossesse

'elle a ainsi commis une faute en lien avec le dommage puisque la persistance des anomalies d'échanges foeto placentaires justifiait de déclencher le travail ou de césariser, rapidement, permettant une naissance vivante, sans pouvoir exclure des séquelles neurologiques f'tales

'la perte de chance de l'enfant [A] de naître vivante est de 100% comme l'indique l'expert [U], plausiblement avec des séquelles neurologiques, la responsabilité de la sage-femme, est retenue à 90% et celle du Dr [T] à 10% ».

sur les préjudices

Mme [E] a subi les préjudices suivants :

'souffrances endurées liées à l'accouchement d'un bébé décédé in utero fixées à 5/7 par la CCI

'préjudice moral lié à la perte de son unique bébé lors d'une grossesse précieuse

'préjudice moral particulier lié à la rétention fautive d'information sur les raisons du décès in utero

'préjudice d'agrément dès lors qu'elle a cessé toute activité, sociale et physique après l'accouchement et alors qu'elle pratiquait la piscine et avait souscrit un abonnement dans une salle de sport et pratiquait le fitness ajoutant qu'elle devait se rendre au Maroc pour y enterrer [A], mais que son frère l'a remplacée pour ce voyage

'frais d'obsèques incluant le coût du voyage au Maroc de M. [E] pour l'enterrement de l'enfant ainsi que le coût de son voyage pour se rendre sur la tombe de l'enfant

'les frais divers

frais kilométriques pour l'expertise de M. [G] et la réunion de la Cci outre les allers-retours en Belgique et les déplacements au cabinet de l'avocat et aux opérations d'expertise

dépenses de santé du suivi thérapeutique

'dépenses de santé et frais futurs liées à la consultation en Belgique du Centrum voor Reproductieve Geneeskunde à la suite de laquelle elle a donné naissance à un petit garçon le 26 juin 2018.

'préjudice d'établissement lié à la perte durant 2 ans de tout espoir de fonder une famille

M. [E] a subi les préjudices suivants :

'préjudice moral d'accompagnement de son épouse au vue de la souffrance physique et morale de celle-ci

'préjudice particulier lié à la rétention d'information sur les cause du décès de son bébé

'préjudice moral propre lié à la perte de son unique bébé

'préjudice d'établissement étant précisé qu'il n'est plus total depuis deux ans puisqu'il a désormais un enfant

Dans ses conclusions notifiées le 7 juin 2023, la société hôpital privée de [Localité 7] demande à la cour de :

A titre principal :

constater qu'il n'est pas rapporté la preuve de l'existence d'un manquement de la sage-femme,

constater que sa gestion de l'événement indésirable grave ne recèle pas de faute

constater qu'il n'est pas rapporté la preuve de sa responsabilité

réformer la décision entreprise et statuant à nouveau :

débouter les requérants de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

Subsidiairement :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu que le dommage réparable n'était constitué que par une perte de chance évaluée à 50 %

réformer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas retenu de manquement du praticien et n'a pas fait droit à la demande de garantie formée par le concluant de condamner Mme [T] à relever et garantir le concluant dans la proportion de 50 % des condamnations mises à sa charge,

condamner Mme [T] à relever et garantir le concluant dans la proportion de 50 % des condamnations qui seraient mises à sa charge,

Quant aux demandes présentées :

confirmer le jugement en ce qu'il a indiqué que le dommage moral souffert par M. et Mme [E] sera réparé par le versement d'une somme qui ne saurait être supérieure à 12.500 € chacun,

confirmer le jugement quant à l'évaluation du pretium doloris de Mme [E]

confirmer le jugement quant aux condamnations prononcées au titre des frais d'obsèques et sur les frais kilométriques demandés

débouter les requérants de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions,

- les débouter de leur demande d'article 700 et subsidiairement ramener à de plus justes proportions tant pour la première instance que pour l'appel,

statuer ce que de droit sur les dépens.

A l'appui de ses prétentions, l'[9] fait valoir que :

sur sa responsabilité

les différentes lectures du même rythme cardiaque foetal opérées à l'époque des faits par la sage-femme puis par la suite par trois experts différents aboutissant à trois lectures du rythme différentes ne permettent pas à la cour de faire la démonstration d'une faute

selon l'Expert [U], seule la persistance d'anomalies du rythme cardiaque f'tal justifiait de déclencher le travail de sorte que l'établissement de santé n'étant pas à l'origine de la pathologie ayant causé le décès de l'enfant, le manquement de la sage-femme ne peut être qu'à l'origine d'une perte de chance

qui ne saurait être supérieure à 50%

sur la responsabilité du praticien

le praticien est tenu au terme de ses obligations, de devoirs envers les patients, quant à la qualité des soins et diagnostic, notamment (articles R.4127-32 et R.4127-33 du Code de la santé publique)

le protocole de l'hôpital, pour une première consultation à 41 semaines d'aménorrhée, demande l'appel au gynécologue de la patiente pour la conduite à tenir

le docteur [T] connaissait parfaitement Mme [E] pour l'avoir suivie en consultation depuis le début du mois de janvier, avait conscience qu'il s'agissait d'une patiente âgée de 39 ans qui débutait une première grossesse et qu'il s'agissait d'une grossesse « précieuse » et que le terme était dépassé puisque le jour du terme l'accouchement n'avait pas eu lieu.

Or, elle a posé un diagnostic et émis une prescription en invitant la sage-femme à demander à Mme [E] de regagner son domicile et en donnant son accord pour un accouchement avec une mensuration du col à distance.

Elle a ainsi manqué à ses obligations résultant des textes du code de la santé publique précités

dès lors, la responsabilité de l'hôpital doit être partagée par moitié avec Mme [T]

sur le préjudice

l'évaluation du dommage ne peut se faire qu'en référence aux conclusions de l'expert désigné par la CCI dans la mesure où l'expert [U] n'avait pas reçu pour mission d'évaluer celui-ci

les demandes indemnitaires doivent être ramenées à de plus justes proportions

le préjudice d'agrément de Mme [E] de même que le préjudice d'établissement de M. et Mme [E] ne sont pas constitués et les dépenses de santé futures ne présentent aucun lien avec le décès in utero

le préjudice moral d'accompagnement de M. [E] n'est pas caractérisé

il n'y a eu aucune réticence fautive d'information comme cela ressort des expertises étant précisé que la cause du décès in utéro est inconnue

Dans ses conclusions notifiées le 23 juin 2023, Mme [I] [T] demande à la cour de :

Vu l'article L 1142-1 du Code de la santé publique

À titre principal :

confirmer le jugement rendu le 20 décembre 2019 par le tribunal judiciaire de Lille en toutes ses dispositions ;

En conséquence,

- débouter les consorts [E] de l'intégralité de leurs demandes dirigées à son encontre

- débouter l'Hôpital Privé de [Localité 7] de l'intégralité de ses demandes dirigées à son encontre

- condamner tout succombant es consorts [E] (sic) à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner tout succombant aux entiers dépens de la procédure ;

À titre subsidiaire :

- limiter l'indemnisation des appelants au titre d'une perte de chance, celle d'éviter le décès du foetus in utero

- fixer le taux de perte de chance à 50 %

- limiter sa part de responsabilité à 10 %

- par conséquent limiter les condamnations mises à sa charge à hauteur de 5 %

- débouter les consorts [E] de leurs demandes au titre du préjudice en lien avec une prétendue rétention d'information, du préjudice d'établissement, du préjudice d'agrément, du préjudice d'accompagnement, des dépenses de santé et des frais kilométriques

- réduire à de plus justes proportions les autres demandes des consorts [E]

- débouter l'hôpital privé de [Localité 7] de sa demande de garantie formée à son encontre.

Au soutien de ses prétentions, Mme [T] fait valoir que :

l'article L.1142-1 du code de la santé publique dispose que les professionnels de santé n'engagent leur responsabilité envers leurs patients qu'en cas de faute

à cet égard, elle n'a commis aucune faute à l'origine de l'absence de diagnostic d'anomalies du rythme cardiaque f'tal (RCF), ayant conduit à la perte de chance de pouvoir éviter le décès in utero de l'enfant à naître

en réalité, seule l'erreur de la sage-femme, Mme [D], est à l'origine du dommage, rappelant que la sage-femme dispose de toutes les compétences requises et nécessaires pour assurer le suivi d'une grossesse et procéder à l'établissement de diagnostic pré-natal conformément à l'article L. 4151-1 et R. 4127-318 du code de la santé publique et qu'il lui appartient de faire appel à un médecin si survient une complication ou une pathologie qui suppose une prise en charge dépassant le champ de ses compétences

d'ailleurs, l'expert [U] a confirmé la compétence de la sage-femme pour enregistrer et analyser le RCF et ainsi déceler toute anomalie

or, le RCF enregistré le 27 juillet 2016 a été mal interprété par la sage-femme qui a ainsi commis une faute de sorte que la responsabilité de l'hôpital est engagée

elle n'a été informée d'aucune anomalie de sorte qu'elle n'avait pas à décider d'une autre conduite à tenir, à savoir un déclenchement d'emblée ou une césarienne

il ne peut lui être reprochée de ne pas être venue examiner la patiente le jour du terme pour vérifier le travail de la sage-femme salariée alors que celle-ci n'est pas sous la subordination du gynécologue et qu'elle dispose de compétences propres et alors en outre que la responsabilité d'un établissement de santé privé est susceptible d'être engagée dès lors qu'une faute a été commise par ses salariés dans l'exercice de leur mission, qu'ils soient personnels administratifs, paramédicaux ou médicaux, et ce même si ces personnels ont une indépendance dans l'exercice de leur art

le terme de la grossesse n'était pas dépassé le 27 juillet 2016 et le protocole de la clinique ne prévoit pas de déplacement du médecin au chevet de la patiente sauf en cas d'anomalie signalée par la sage-femme

les antécédents d'infertilité de Mme [E] ne justifient aucune obligation pour le médecin de consulter la patiente alors en outre que la grossesse ne présentait aucun risque

à titre subsidiaire, si sa responsabilité est retenue, elle doit être limitée à10 % pour tenir compte des anomalies initiales du RCF et de leur potentielles conséquences sur le foetus en dépit de toute erreur de lecture du RCF

sur les préjudices invoqués par Mme [E] :

les demandes indemnitaires au titre des souffrances endurées doivent être réduites

le préjudice d'agrément de Mme [E] n'est pas justifié

l'indemnisation des frais de déplacement au Maroc où l'enfant a été enterré ne correspond pas à des frais d'obsèques

les frais kilométriques ne sont pas justifiés dès lors qu'ils correspondent à des déplacements au cabinet d'avocat et aux opérations d'expertise, relevant ainsi des frais irrépétibles, et le coût des allers-retours en Belgique est sans lien avec le dommage

les dépenses de santé ne présentent aucun lien avec le dommage et résultent des troubles d'infertilité de Mme [E]

Mme [E], qui n'est pas atteinte d'un handicap à l'origine de l'impossibilité de fonder une famille, ne justifie d'aucun préjudice d'établissement

Sur les préjudices invoqués par M. [E] :

le préjudice d'accompagnement n'est pas caractérisé et ne saurait résulter de la vue de la souffrance physique et moral de son épouse alors réparé au titre des souffrances endurées

il en est de même pour le préjudice lié à l'absence d'information sur la perte du bébé

la demande au titre du préjudice moral lié à la perte du bébé doit être réduite

le préjudice d'établissement n'est pas constitué

La Cpam de [Localité 6] [Localité 8], régulièrement intimée, n'a pas comparu.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur les responsabilités encourues

Sur la faute de l'établissement de soins

La responsabilité de l'[9] est recherchée du fait de sa qualité de commettant de Mme [D], sage-femme ayant pris en charge Mme [E] le 27 juillet 2016.

Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Selon l'article L. 4151-1 du même code, dans sa rédaction applicable aux faits, l'exercice de la profession de sage-femme comporte la pratique des actes nécessaires au diagnostic, à la surveillance de la grossesse et à la préparation psychoprophylactique à l'accouchement, ainsi qu'à la surveillance et à la pratique de l'accouchement et des soins postnataux en ce qui concerne la mère et l'enfant (...).

L'article R. 4127-318 du même code énonce que pour l'exercice des compétences qui lui sont dévolues par l'article L. 4151-1, la sage-femme est autorisée à pratiquer l'ensemble des actes cliniques et techniques nécessaires au suivi et à la surveillance des situations non pathologiques et au dépistage de pathologie, concernant notamment les femmes pendant la grossesse, l'accouchement et durant la période postnatale, et en particulier l'échographie gynéco-obstétricale.

Enfin, l'article R. 4127-326 du même code prévoit que la sage-femme doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes les plus appropriées et, s'il y a lieu, en s'entourant des concours les plus éclairés.

Sur ce,

Il résulte du rapport de l'expert [U] que Mme [E] était suivie depuis 2012 pour une infertilité primaire diagnostiquée en rapport avec une ménopause précoce et qu'elle a débuté, à l'âge de 40 ans, une grossesse sans traitement le 27 octobre 2015 qui s'est déroulée normalement.

A l'issue de la consultation par la sage-femme, Mme [D], du 27 juillet 2016, jour du terme de la grossesse, qui avait pour objet l'examen clinique, le contrôle échographique du liquide amniotique et l'enregistrement du rythme cardiaque f'tal, celle-ci a indiqué, par téléphone, au docteur [T] que tout était normal.

Il n'est pas contesté que la sage-femme est compétente pour enregistrer et analyser le rythme cardiaque f'tal.

Or, l'expert [U] a indiqué que le rythme cardiaque f'tal (ci-après RCF), le jour du terme, était pathologique comme présentant un risque important d'acidose f'tale, selon la classification du collège national de gynécologues obstétriciens français de 2007, puisque le tracé présente des ralentissements de type variable, répétés et atypiques ainsi que des accélérations absentes et une variabilité minime avec épisodes tachycardes (35 mn sur 57 mn de tracé) de sorte qu'une hospitalisation de la patiente et le prolongement de l'enregistrement du RCF s'imposaient.

L'expert judiciaire rappelle en effet que :

un rythme cardiaque f'tal normal bat entre 110 et 160 bpm avec une variabilité (oscillations) comprise entre 6 et 25 bpm, est réactif (présence d'accélérations) et sans ralentissements

la tachycardie f'tale est définie par un rythme supérieur à 160bpm pendant plus de 10 minutes

la variabilité est minime si elle est inférieure ou égale à 5 bpm

la réactivité est définie par la présence d'accélérations (élévation du tonus de base supérieure ou égale à 15pbm) durant 15 secondes

les ralentissements de type variable ont une pente rapide et abrupte, variables dans leur chronologie et aspect et sont atypiques en cas de perte de l'accélération initiale.

L'analyse du RCF enregistré de 10h30 à 11h27 le 27 juillet 2016 révèle que « le rythme de base est dans son ensemble de variabilité minime (peu oscillant) et aréactif, il bat à 150-160 bpm les dix premières minutes puis est tachycarde à 165bpm-170 bpm de 10h40 à 11h14, bat à 160 bpm de 11h15 à 11h27 avec des ralentissements itératifs de type variable, à 140bpm de 10h43 à 11h10, de 25-30 bpm atypiques, itératifs d'1 à 3 minutes, non concomitants de contractions, sur rythme de variabilité minime, sans accélération (aréactif) » alors que la variabilité est minime, inférieure à 5bpm, les 10 dernières minutes du tracé.

La lecture des données du tracé du RCF aurait dû alerter la sage-femme sur ces altérations inhabituelles, comme l'a relevé la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des sage-femmes dans sa décision du 27 juillet 2016, dès lors que ce tracé présentait des ralentissements de type variable et répété, une variabilité minime et un épisode tachycardique outre des ralentissements répétés. En outre, la constatation de ces anomalies aurait dû la conduire à poursuivre l'enregistrement du RCF ou à alerter le médecin. L'expert a en effet conclu qu'en présence d'une anomalie des échanges foeto placentaires, un déclenchement sans retard du travail ou une césarienne est justifié.

L'[9] se prévaut de l'avis technique du 5 septembre 2017 du docteur [N] [V], gynécologue obstétricien qui, rappelant les mêmes critères d'analyse du RCF listés par l'expert [U], conclut à l'absence d'anomalie de l'enregistrement du rythme cardiaque f'tal du 27 juillet 2016.

Toutefois, si le docteur [X] reprend les critères de détection d'une anomalie du tracé, tels que définis par le collège national des gynécologues obstétriciens en 2007, à savoir sa fréquence de base, sa variabilité, la présence d'accélérations transitoires ou de ralentissements, son avis repose sur une analyse incomplète du RCF litigieux.

En effet, il ne fait nullement état de l'épisode tachycardique de 10h40 à 11h40, le rythme cardiaque f'tal étant supérieur à 160 bpm, ni des ralentissements répétés du rythme cardiaque f'tal de 10h43 à 11h10 de 25-30 bpm d'une à trois minutes en l'absence de toute contraction ni même du rythme de variabilité minime sans accélération.

Dès lors, l'avis du docteur [X] n'est pas de nature à remettre en cause les analyses et conclusions de l'expert [U] qui a procédé à une analyse détaillée du RCF dont elle a interprété, en les associant, plusieurs critères caractéristiques d'une anomalie.

Par ailleurs, si l'article de presse spécialisée de décembre 2015 invoqué par [9], tend à démontrer le caractère subjectif de la lecture du rythme cardiaque f'tal et la vision péjorative de l'analyse du RCF par les experts dont la lecture intervient a posteriori, il n'en demeure pas moins que l'expert [U] a donné son avis sur la base des critères objectifs dégagés par le conseil national des gynécologues et obstétriciens français.

D'ailleurs, la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des sage-femmes dans sa décision précitée, a convenu que l'interprétation du RCF litigieux était difficile mais elle a néanmoins considéré, tout comme l'expert [U], que Mme [D] avait commis une erreur d'interprétation du rythme cardiaque du f'tus au regard de ses altérations inhabituelles.

Ainsi, en concluant à un tracé « normo oscillant normo réactif » à la suite d'une interprétation erronée de ces données pourtant révélatrices d'anomalies qu'elle devait déceler et vérifier par la poursuite de l'examen de la patiente ou l'information du médecin, la sage-femme a commis une faute engageant la responsabilité civile de l'hôpital.

Le jugement critiqué sera confirmé de ce chef.

Sur la faute du praticien

Selon l'article L1142-1 du code de la santé publique dans la rédaction en vigueur à la date du litige 'I - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Ainsi, la responsabilité du praticien n'est, en principe, engagée qu'en cas de faute dont la preuve incombe au demandeur en réparation, dès lors que les professionnels de santé ne sont soumis qu'à une obligation de moyen et non de résultat à l'égard de leur patient.

Cette preuve peut être rapportée par tous moyens, y compris par des présomptions graves, précises et concordantes et il incombe au juge du fond d'apprécier la valeur et la portée des éléments de preuve soumis y compris des rapports d'expertise.

Aux termes de l'article R. 4127-32 du code de la santé publique, dès lors qu'il a accepté de répondre à une demande, le médecin s'engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s'il y a lieu, à l'aide de tiers compétents.

Selon l'article R. 4127-33 du même code, le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s'il y a lieu, de concours appropriés.

Enfin, l'article R 4127-325 prévoit que la sage-femme doit faire appel à un médecin lorsque les soins à donner débordent sa compétence professionnelle ou lorsque la famille l'exige.

Sur ce,

Il ressort de l'expertise judiciaire que Mme [E] a été admise à l'[9] le 27 juillet 2016 alors qu'elle était à terme (41 semaines aménorrhées) sans que celui-ci ne soit dépassé comme l'invoque l'[9], l'expert rappelant que le terme dépassé est 42 semaines d'aménorrhées. Elle a été examinée par Mme [D], sage-femme, qui a notamment enregistré et analysé le rythme cardiaque f'tal. Celle-ci a ensuite indiqué, par téléphone, au docteur [T] que l'examen à terme et le RCF étaient normaux de sorte que le médecin a accepté de déclencher le travail le lendemain.

Il ne saurait être reproché à Mme [T] un manquement à son obligation de soins alors que, d'une part, le médecin, informé du caractère exempt de toute anomalie du RCF par la sage-femme, dont il est rappelé que le diagnostic réalisé par celle-ci relève de sa compétence propre conformément aux dispositions de l'article R. 4127-318 du même code, n'était pas tenu de procéder à un examen complémentaire de la patiente.

En effet, la présence du médecin est requise dans l'hypothèse d'un rythme cardiaque pathologique diagnostiqué par la sage-femme ce qui n'a pas été le cas puisqu'il n'existait pas d'indication d'extraction rapide au décours de l'examen clinique de Mme [E] par la sage-femme.

Contrairement aux assertions de l'[9] et des époux [E], le protocole de l'hôpital ne préconise nullement la présence du médecin à 41 semaines d'aménorrhées mais prévoit, à l'issue d'une première consultation à cette date, l'appel au gynécologue pour la conduite à tenir, ce qui a été le cas en l'espèce.

D'autre part, si Mme [T] connaissait en effet les antécédents d'infertilité de Mme [E], tant le rapport de l'expert [U] que les pièces médicales du dossier ne font état de la nécessité d'un suivi particulier de la patiente.

Au contraire, l'expert [U] a relevé que la grossesse de Mme [E] s'est déroulée normalement après avoir précisé que les échographies des trois trimestres ne révélaient aucune anomalie morphologique ou biométrique.

Le caractère dit « précieux » de la grossesse, invoqué par les [9] et les époux [E], eu égard à l'âge de Mme [E], dont il s'agissait du premier enfant (39 ans) et du contexte d'infertilité, encore que cette dénomination ne ressortît pas du vocabulaire médical, ne saurait à lui seul justifier un suivi plus attentif et une information particulière à la sage-femme par le médecin en l'absence de toute pathologie révélée.

C'est donc à tort que l'expert [U], qui a procédé à une analyse rétrospective et dont les analyses ont été reprises par [9] et les époux [E], a considéré que le docteur [T] avait été négligente et imprudente dans le contexte de grossesse tardive et d'infertilité alors qu'avant l'examen clinique du 27 juillet 2016 Mme [E] ne présentait aucun signe évocateur d'une grossesse pathologique.

Dès lors qu'il n'est caractérisé aucune faute imputable au docteur [T], sa responsabilité sera écartée.

Par suite, la demande de garantie formée par [9] à l'encontre du docteur [T], est devenue sans objet.

Le jugement querellé sera confirmé de ces chefs.

Sur le lien de causalité entre la faute et le préjudice

Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé, n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

Dès lors, les époux [E] ne sont pas fondés à revendiquer une perte de chance d'avoir un bébé vivant et viable de 100 %.

La notion de perte de chance conduit donc à déterminer le taux de probabilité de survenance de l'évolution finalement constatée, en appréciant le degré de certitude du lien de causalité entre la faute et le préjudice final et en permettant de fixer la fraction indemnisable de chaque préjudice résultant de la faute elle-même.

L'expert [U] a indiqué que « les anomalies du rythme cardiaque f'tal le jour du terme imposaient d'hospitaliser la patiente, de prolonger sans délai l'enregistrement du rythme. Elle a ajouté que la persistance de ces anomalies d'échanges foeto placentaires justifiaient de déclencher sans retard le travail ou de césariser rapidement selon les anomalies, permettant une naissance vivante, sans pouvoir exclure des séquelles neurologiques f'tales ».

Elle a conclu à « la perte de chance de [A] de naitre vivante de 100% « étant précisé que la mort feotale in utero est survenue dans les heures qui ont suivi l'enregistrement de ce rythme.

L'expert [U] a précisé que la cause de mort f'tale in utero reste fréquemment inconnue et dans le cas d'espèce, les causes du décès de [A] ne sont pas exactement déterminées, l'examen anatomopathologique du placenta, cordon et membranes n'ayant révélé aucune lésion placentaire.

Alors que Mme [E] avait connu une grossesse normale jusqu'à 41 semaines d'aménorrhées, si la sage-femme avait correctement interprété le rythme cardiaque f'tal et avisé le médecin de son caractère pathologique, ce dernier aurait pu prendre la décision d'un déclenchement du travail ou d'une extraction par césarienne, ce qui aurait pu permettre la survie de l'enfant.

Ainsi, la faute commise par le centre hospitalier a fait perdre au foetus 90 % de chance d'échapper à son décès.

Le jugement critiqué sera réformé en ce qu'il a retenu une perte de chance de 50%.

Sur les préjudices

La cour relève que les parties se fondent sur le rapport de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (la Cci) du 22 février 2017 qui a donné un avis sur les préjudices subis tandis l'expert [U] n'avait pas été missionnée sur ce point.

Sur les préjudices de Mme [E]

sur les souffrances endurées

Ce poste de préjudice a pour objet d'indemniser toutes les souffrances tant physiques que morales subies par la victime entre la naissance du dommage et la date de la consolidation, du fait des blessures subies et des traitements institués.

La Cci a évalué le préjudice de Mme [E] au titre des souffrances endurées à 5/7 sans toutefois le caractériser.

Ainsi que l'a indiqué le premier juge, les souffrances physiques sont inhérentes à un accouchement déclenché.

L'[9] ne conteste pas les souffrances morales éprouvées par Mme [E] qui a accouché par voix basse d'un enfant qu'elle savait mort.

La cour approuve le premier juge qui a alloué la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts qui assure la réparation intégrale du préjudice de la victime sans pertes ni profit.

Après application du taux de perte de chance, il sera alloué à Mme [E] la somme de 7 200 euros.

Le jugement querellé sera réformé de ce chef.

sur le préjudice moral lié à la perte de son bébé lors d'une « grossesse précieuse » (sic)

La Cci n'évoque pas ce poste de préjudice.

Le préjudice moral résultant du décès in utero le jour du terme de la grossesse n'est pas contesté en son principe par l'[9] qui propose une indemnité de 25 000 euros avant application du coefficient de perte de chance.

Ce préjudice sera réparé par l'allocation de la somme de 25 200 euros, soit 90 % de 28 000 euros, ce qui assure la réparation intégrale du préjudice de la victime sans pertes ni profit.

Le jugement critiqué sera réformé en ce qu'il a alloué la somme de 12 500 euros au titre du préjudice d'affection de Mme [E].

sur le préjudice moral particulier lié à la rétention fautive d'information sur les raisons du décès in utero

Mme [E] considère qu'elle a subi un préjudice moral résultant de l'absence d'explications claires et honnêtes malgré ses demandes répétées et légitimes auprès du docteur [T] et de l'[9].

La Cci n'évoque pas ce préjudice.

Aux termes de son rapport du 24 décembre 2016 (page 12), l'expert [G] a repris les dires de Mme [E] selon lesquelles, « le jour de l'accouchement, Mme [T] est venue [la] voir et [lui a dit] qu'il n'y avait pas d'explications à ce décès, que personne ne comprenait ce qui s'était passé ».

Dès lors que le décès in utero ne retrouve aucune étiologie malgré un examen du placenta, tant le docteur [T] que l'[9] n'étaient en mesure de fournir à Mme [E] une information sur les causes du décès.

Par suite, la demande de réparation du préjudice moral formée à ce titre sera rejetée.

Le jugement querellé sera réformé de ce chef.

sur le préjudice d'agrément

Le préjudice d'agrément vise exclusivement à réparer le préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs, étant rappelé que la réduction des capacités de la victime avec toutes les répercussions qu'elle a nécessairement sur sa vie quotidienne est par ailleurs réparée au titre du déficit fonctionnel.

La Cci indique que Mme [E] n'a toujours pas repris ses activités d'agrément.

Si Mme [E] fait état de la cessation, après l'accouchement, de toute activité sociale et physique, précisant qu'elle pratiquait auparavant la natation et le fitness et avait souscrit un abonnement dans une salle de sport, elle ne démontre nullement une réduction de ses capacités en lien avec l'évènement du 27 juillet 2016.

D'ailleurs, il ressort du rapport d'expertise qu'elle a repris son activité professionnelle au mois de novembre 2016 sans que l'expert [U] ne fasse état d'un quelconque aménagement.

Par ailleurs, la circonstance qu'elle n'a pu se rendre aux obsèques de [A] organisées au Maroc n'est pas de nature à caractériser un préjudice d'agrément.

La cour confirme donc le jugement critiqué en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à ce titre.

sur les frais d'obsèques

L'[9] ne formule aucune observation sur la demande de Mme [E] au titre des frais d'obsèques de [A].

Mme [E] justifie de ces frais pour un montant de 1 600 euros de sorte qu'il sera fait droit à sa demande à hauteur de la somme de 1 440 euros après application du taux de perte de chance de 90 %.

En revanche, s'agissant des frais de transport aérien exposés au mois d'août 2016 pour se rendre sur la tombe de [A] au Maroc, la cour observe que la facture de la société JetairFly.com d'un montant réclamé de 615,97 euros du 31 juillet 2016 ne comporte pas son nom parmi les voyageurs désignés de sorte que cette demande sera rejetée.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

sur les frais divers

Ainsi que l'a dit le premier juge, les frais de déplacements aux réunions d'expertise judiciaire et de la Cci relèvent de l'article 700 du code de procédure civile et seront indemnisés à ce titre.

Par ailleurs, les frais kilométriques consécutifs aux déplacements en Belgique à partir du 16 février 2017 aux fins de traitement de procréation médicalement assistée ne présentent aucun lien avec l'événement du 27 juillet 2016.

Le jugement critiqué sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [E] de cette demande indemnitaire.

sur les dépenses de santé futures

Alors que Mme [E] sollicite le remboursement des frais exposés dans le cadre d'un suivi de PMA (frais kilométriques, frais d'hébergement, dépenses de santé liées aux Fiv, aux consultations et aux examens annexes), elle n'établit pas que ces dépenses sont en lien direct et certain avec le décès in utero, Mme [E], présentant des antécédents de stérilité, ayant eu recours à plusieurs inséminations intra utérines avant sa grossesse spontanée débutée en octobre 2015.

La cour confirme donc le jugement querellé en ce qu'il l'a déboutée de cette demande.

sur le préjudice d'établissement

Ce poste de préjudice cherche à indemniser la perte d'espoir, de chance ou de toute possibilité de réaliser un projet de vie familiale « normale » en raison de la gravité du handicap permanent, dont reste atteint la victime après sa consolidation : il s'agit de la perte d'une chance de se marier, de fonder une famille, d'élever des enfants et plus généralement des bouleversements dans les projets de vie de la victime qui l'obligent à effectuer certaines renonciations sur le plan familial. Ce type de préjudice doit être apprécié in concreto pour chaque individu en tenant compte notamment de son âge.

La Cci a écarté ce poste de préjudice.

Il est constant que Mme [E] est mariée et qu'elle a une famille puisqu'elle a mis au monde un garçon en 2018. Si elle indique qu'elle a perdu pendant deux ans tout espoir de fonder une famille, une incertitude pesait dès avant le décès de l'enfant [A] sur la faisabilité de ce projet compte tenu de ses antécédents d'infertilité.

Dès lors, le préjudice d'établissement n'est pas établi.

Le jugement querellé sera confirmé de ce chef.

Sur les préjudices de M. [E]

sur le préjudice moral d'accompagnement de son épouse

Le préjudice d'accompagnement désigne un dommage moral et matériel subi par une personne proche d'une victime directe d'un accident ou d'un fait dommageable grave et vise à indemniser les conséquences néfastes que la situation a sur la vie quotidienne et les relations de la personne accompagnante avec la victime.

La réparation de ce préjudice n'est pas subordonnée au décès de la victime directe comme l'a dit le premier juge.

L'accompagnement de M. [E] jusqu'à l'accouchement le 29 juillet 2016 de son épouse n'est toutefois pas de nature à caractériser un préjudice moral d'accompagnement puisque cet accompagnement s'inscrivait dans le cadre d'une grossesse normale de son épouse jusqu'au 28 août 2016, date à laquelle cette dernière a été hospitalisée

En outre, il n'est aucunement justifié de troubles dans les conditions d'existence de M. [E] à la suite de cet accouchement.

Le jugement critiqué sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [E] de sa demande indemnitaire à ce titre.

sur le préjudice lié à la rétention d'information sur les cause du décès in utero

Ainsi qu'il a été dit, dès lors que le décès in utero ne retrouve aucune étiologie malgré un examen du placenta, tant le docteur [T] que l'[9] n'étaient en mesure de fournir à M. [E] une information sur les causes du décès.

Par suite, la demande de réparation du préjudice moral formée à ce titre sera rejetée.

Le jugement querellé sera réformé de ce chef.

sur le préjudice moral du fait de la perte du bébé

Le préjudice moral résultant du décès in utero le jour du terme de la grossesse n'est pas contesté en son principe par l'[9] qui propose également une indemnité de 25 000 euros avant application du coefficient de perte de chance.

Ce préjudice sera réparé par l'allocation de la somme de 25 200 euros, soit 90 % de 28 000 euros, ce qui assure la réparation intégrale du préjudice de la victime sans pertes ni profit.

Le jugement querellé sera réformé de ce chef.

sur le préjudice d'établissement

Ainsi qu'il a été dit s'agissant de la demande présentée par Mme [E], M. [E] est marié et a fondé une famille puisque son épouse a mis au monde un garçon en 2018. En outre, une incertitude pesait, dès avant le décès de l'enfant [A], sur la faisabilité du projet familial compte tenu des antécédents d'infertilité de Mme [E].

Dès lors, le préjudice d'établissement n'est pas établi.

Le jugement querellé sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile

L'[9], succombant principalement, sera condamné à payer les dépens d'appel.

L'[9] sera condamné à payer à M. et Mme [E] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à titre d'indemnité de procédure en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Réforme le jugement rendu le 20 décembre 2019 par le tribunal judiciaire de Lille en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a :

débouté Mme [J] [M] et M. [H] [E] de leurs autres demandes indemnitaires dirigées contre l'hôpital privé de [Localité 7]

débouté Mme [J] [M] et M. [H] [E] de leur action en responsabilité dirigée contre Mme [I] [T]

Statuant à nouveau des chefs réformés soumis à la cour et y ajoutant ;

Déclare l'hôpital privé de [Localité 7] responsable du préjudice subi par Mme [J] [M] et M. [H] [E] à hauteur d'une perte de chance de 90 % ;

Condamne l'hôpital privé de [Localité 7] à payer à Mme [J] [M] les sommes suivantes en réparation de son préjudice :

7 200 euros au titre des souffrances endurées

25 200 euros au titre du préjudice d'affection

1 440 euros au titre des frais d'obsèques

Condamne l'hôpital privé de [Localité 7] à payer à M. [H] [E] la somme de 25 200 euros en réparation de son préjudice d'affection ;

Déboute Mme [J] [M] et M. [H] [E] de leur demande indemnitaire au titre du préjudice moral particulier lié à la rétention fautive d'information sur les raisons du décès in utero ;

Condamne l'hôpital privé de [Localité 7] aux entiers dépens d'appel ;

Condamne l'hôpital privé de [Localité 7] à payer à Mme [J] [M] et M. [H] [E] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le Greffier

Fabienne Dufossé

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 20/00707
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;20.00707 ?
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