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28/03/2024 | FRANCE | N°23/03343

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 28 mars 2024, 23/03343


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 28/03/2024



****





N° de MINUTE : 24/114

N° RG 23/03343 - N° Portalis DBVT-V-B7H-VAOI



Jugement (N° 17/00439) rendu le 24 Juillet 2017 par le Tribunal de Grande Instance de Saint Quentin

Arrêt rendu le 14 janvier 2021 par la cour d'appel d'Amiens

Arrêt rendu le 20 avril 2023 par la Cour de cassation





DEMANDERESSE À LA SAISINE

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SA Allianz Iard agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 6]



Représentée par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Do...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 28/03/2024

****

N° de MINUTE : 24/114

N° RG 23/03343 - N° Portalis DBVT-V-B7H-VAOI

Jugement (N° 17/00439) rendu le 24 Juillet 2017 par le Tribunal de Grande Instance de Saint Quentin

Arrêt rendu le 14 janvier 2021 par la cour d'appel d'Amiens

Arrêt rendu le 20 avril 2023 par la Cour de cassation

DEMANDERESSE À LA SAISINE

SA Allianz Iard agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Patrice Gaud, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

DEFENDEURS À LA SAISINE

Monsieur [U] [P]

né le [Date naissance 5] 1957 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 2]

Représenté par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assisté de Me Christophe Bejin, avocat au barreau de Saint-Quentin

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro C-59178/23/002654 du 17/10/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai)

Mutuelle Générale de L'Education Nationale prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 1]

Défaillante, à qui la déclaration de saisine a été signifiée le 19 septembre 2023 à personne habilitée

DÉBATS à l'audience publique du 17 janvier 2024 tenue par Claire Bertin magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 mars 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 8 janvier 2024

****

EXPOSE DU LITIGE

1. Les faits et la procédure antérieure :

Le 22 octobre 1977, M. [U] [P] a été victime d'un accident de la circulation impliquant un véhicule automobile, conduit par [I] [D], et assuré auprès de la société AGF.

M. [P] a notamment subi un traumatisme crânio-facial, une contusion de l'abdomen avec rupture de la rate nécessitant une splénectomie, et une fracture partielle de l'olécrâne gauche.

Il a été indemnisé de ses préjudices suivant une transaction conclue le 4 septembre 1981.

Le 20 octobre 1993, M. [P] a été radié des cadres de l'éducation nationale pour inaptitude physique, et a perçu par suite une pension d'invalidité.

Par jugement du 25 mars 2004 devenu définitif, le tribunal de grande instance de Saint-Quentin l'a indemnisé de l'aggravation de son préjudice, condamnant in solidum [I] [D] et son assureur, la société AGF, à lui payer des dommages et intérêts à hauteur de 152 803,59 euros, dont une somme au titre du préjudice professionnel.

Depuis lors, [I] [D] est décédé.

Par acte du 6 avril 2017, M. [P] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Saint-Quentin la société Allianz iard (Allianz), venant aux droits de la société AGF, en présence de la Mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN) afin d'obtenir l'indemnisation de sa perte de droits à la retraite.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 24 juillet 2017, le tribunal de grande instance de Saint-Quentin a :

déclaré l'action recevable ;

ordonné la réouverture des débats ;

invité M. [P] à conclure et produire toute pièce utile sur le montant de sa pension future pour l'audience du 18 septembre 2017.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration au greffe du 17 août 2017, la société Allianz iard a formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de ce jugement en toutes ses dispositions.

4. La procédure :

Par arrêt du 14 janvier 2021, la cour d'appel d'Amiens a infirmé le jugement querellé en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant, ordonné le rabat de l'ordonnance de clôture du 7 octobre 2019, fixé la clôture de la procédure au 12 novembre 2020, déclaré irrecevable l'action de M. [P] tendant à la réparation de sa perte de droits à la retraite, débouté les parties de leurs plus amples demandes, et condamné M. [P] aux entiers dépens.

M. [P] a formé pourvoi en cassation contre l'arrêt susvisé.

Par arrêt du 20 avril 2023, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu le 14 janvier 2021 entre les parties par la cour d'appel d'Amiens, sauf en ce qu'il avait ordonné le rabat de l'ordonnance de clôture du 7 octobre 2019 et fixé la clôture de la procédure au 12 novembre 2020, remis, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt, et les a renvoyées devant la cour d'appel de Douai.

La Cour de cassation a jugé que la cour d'appel avait violé les dispositions de l'article 1355 du code civil en déclarant irrecevable comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée la demande formée par M. [P] en indemnisation de la perte de ses droits à la retraite, alors que le jugement du 25 mars 2004 n'avait statué que sur l'indemnisation des pertes de rémunération subies par M. [P] lors de ses congés de maladie, et sur la perte de chance de bénéficier du déroulement prévisible de sa carrière, et que celui-ci n'avait pas demandé au tribunal la réparation de la perte de ses droits à la retraite.

Par déclaration au greffe enregistrée le 18 juillet 2023, Allianz a saisi la cour d'appel de Douai du renvoi après cassation.

5. Les prétentions et moyens des parties :

5.1. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 26 décembre 2023, Allianz, appelante principale, demande à la cour, au visa de l'article 2226, ancien 2270-1, du code civil, d'infirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

- juger irrecevable comme prescrite l'action de M. [P] ;

- la mettre hors de cause ;

- débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes dirigées contre elle ;

- condamner M. [P] à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

A l'appui de ses prétentions, Allianz fait valoir que :

- l'ancien article 2270-1 du code civil, entré en vigueur le 1er janvier 1986, dispose que les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ;

- la date de consolidation fait courir le délai de prescription prévu par cet article 2270-1 ancien ;

- l'article 2226 du code civil, instauré par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, entré en vigueur le 19 juin 2008, dispose en son alinéa 1er que l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ;

- un délai de prescription de dix ans à compter de la date de consolidation du dommage aggravé a donc vocation à s'appliquer en l'espèce ;

- par suite du jugement rendu le 25 mars 2004 par le tribunal de grande instance de Saint-Quentin, M. [P] disposait d'un délai de dix ans jusqu'au 25 mars 2014 pour exercer une action en justice ;

- sa nouvelle assignation devant le tribunal de grande instance de Saint-Quentin a été délivrée le 6 avril 2017, alors que son action était incontestablement prescrite ; - dès lors qu'en application de l'article 2250 du code civil, seule une prescription acquise est susceptible de renonciation, elle ne pouvait renoncer à l'avance, en 2003, à la prescription de la nouvelle action en aggravation que M. [P] a cru devoir initier en 2017 sur la base d'un courrier du 17 décembre 2015 émanant de la CARSAT Nord-Picardie ;

- depuis le prononcé du jugement du 25 mars 2004, il n'y a eu aucune aggravation de l'état de santé de M. [P], laquelle est seule de nature à faire courir un nouveau délai de dix ans ;

- le simple fait que la CARSAT ait adressé un courrier à M. [P], répondant à sa demande d'information sur la liquidation de sa retraite, ne s'analyse pas en une aggravation susceptible d'ouvrir de nouveaux droits ;

- M. [P] invoque une « aggravation financière » de son préjudice et, pour la première fois en cause d'appel, une aggravation de son état médical qui serait de nature à interrompre la prescription décennale ;

- M. [P] fonde sa demande sur les mêmes rapports médicaux contradictoires que ceux invoqués dans le cadre de l'instance ayant donné lieu au jugement du 25 mars 2004 ; en outre, les certificats médicaux de 2008 à 2019 qu'il produit ne sont pas de nature à démontrer l'aggravation de son état de santé ;

- M. [P] se contredit puisqu'il évoque dans ses écritures une « aggravation situationnelle, c'est-à-dire indépendante de l'évolution de son état de santé » ;

- le départ en retraite de M. [P] ne constitue pas un évènement inattendu, soudain et nouveau justifiant une impossibilité en 2003 de quantifier son préjudice professionnel, en ce compris sa perte des droits à la retraite.

5.2. Aux termes de ses conclusions notifiées le 5 janvier 2024, M. [P], intimé et appelant incident, demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement querellé, en ce que notamment l'action qu'il a initiée a été déclarée recevable ;

- juger que l'action en indemnisation de ses pertes de retraite n'est pas atteinte de prescription ;

- rejeter l'argumentaire adverse sur la prescription de l'action ;

- juger que l'arrêt à intervenir sera déclaré commun et opposable à la MGEN ;

- débouter Allianz de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Allianz venant aux droits de la société AGF au paiement d'une indemnité de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner enfin Allianz aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris ceux afférents à l'arrêt à intervenir, et en prononcer distraction au profit de la SCP Processuel, avocat aux offres de droit.

A l'appui de ses prétentions, M. [P] fait valoir que :

- le délai de 10 ans prévu par l'article 2226 du code civil a été interrompu par la délivrance de l'assignation du 6 avril 2017 aux fins de comparution devant le tribunal de grande instance de Saint-Quentin ;

- à défaut, faute pour la société AGF de lui avoir opposé un quelconque délai de prescription dans le cadre de l'instance ayant donné lieu au jugement du 25 mars 2004, l'assureur a renoncé implicitement mais nécessairement à se prévaloir de la prescription acquise à l'époque, si prescription acquise il y avait ;

- en conséquence, Allianz ne saurait lui opposer une quelconque prescription décennale tirée des dispositions de l'article 2270-1 ancien et/ou 2226 du code civil ;

- en tout état de cause, le point de départ du délai de prescription doit être fixé au jour de la détermination définitive du préjudice, c'est-à-dire au jour de la liquidation de ses droits à la retraite ;

- ses demandes ne sauraient dès lors être atteintes de délai de prescription ;

- le premier juge a considéré à juste titre que l'aggravation du préjudice était apparue à l'occasion du calcul de ses droits à la retraite, et que son action n'était donc pas atteinte de prescription ;

- si le jugement du 25 mars 2004 l'a indemnisé de ses pertes de revenus consécutives à l'accident, les sommes ainsi allouées ne prenaient pas en considération ses pertes futures de droits à la retraite ; à ce jour, il perçoit chaque mois une pension de retraite de 214,12 euros de la CARSAT Nord Picardie, et une allocation adulte handicapé de 757,24 euros alors que, s'il n'avait pas été victime de l'accident en 1977, il aurait mené à son terme, jusqu'à l'échelon hors classe, sa carrière de professeur de lycée professionnel, et perçu en 2023 une rémunération annuelle brute de 48 499,32 euros ;

- il produit des certificats médicaux montrant l'aggravation de son état de santé en 2008, 2011 et 2012, et 2019, laquelle n'a pu qu'interrompre le délai de prescription ;

- une aggravation financière ou situationnelle de son préjudice, indépendante de l'évolution de son état de santé, constitue également un fait générateur donnant naissance à un nouveau délai de prescription ;

- au moment où il a engagé la première procédure ayant abouti au jugement du 25 mars 2004, il ignorait la modicité de la pension de retraite qu'il allait percevoir ;

- la prescription ne commence à courir qu'au jour où il a pu déterminer de manière précise et certaine la perte de ses droits à la retraite, c'est à dire au jour de leur liquidation définitive et irrévocable le 1er novembre 2019, date effective de son départ en retraite.

5.3. La MGEN n'a pas constitué avocat devant la cour de renvoi.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la Cour de cassation a considéré, sur le fondement de l'article 1355 du code civil, qu'aucune autorité de la chose jugée ne s'attachait à la demande formée par M. [P] en indemnisation de la perte de ses droits à la retraite, dès lors que le jugement du 25 mars 2004 n'avait statué que sur l'indemnisation des pertes de rémunération subies par M. [P] lors de ses congés de maladie, et sur la perte de chance de bénéficier du déroulement prévisible de sa carrière, et que celui-ci n'avait pas demandé au tribunal la réparation de la perte de ses droits à la retraite.

Il appartient désormais à la cour de renvoi de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par l'assureur, tirée de l'acquisition de la prescription décennale de l'action initiée par M. [P].

Aux termes de l'article 2270-1 du code civil, créé par la loi n°85-677 du 5 juillet 1985, entré en vigueur le 1er janvier 1986, et applicable au présent litige, les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.

En cas de dommage corporel ou d'aggravation du dommage, c'est la date de la consolidation qui fait courir le délai de la prescription prévu par ce texte.

La prescription de l'action en réparation de l'aggravation de l'état de santé ne court qu'à compter de la manifestation de cette aggravation.

L'action en aggravation d'un préjudice est autonome au regard de l'action en indemnisation du préjudice initial.

Si toute victime dispose en effet d'une nouvelle action en réparation contre le responsable ou son assureur en cas d'aggravation de son dommage, encore faut-il que cette nouvelle action tende à la réparation d'un élément du préjudice inconnu au moment de la demande initiale, et sur lequel il n'a donc pu être statué.

Un délai de prescription de dix ans à compter de la date de consolidation du dommage aggravé a donc vocation à s'appliquer au cas d'espèce.

L'accident de la circulation au cours duquel M. [P] a subi un préjudice corporel est survenu le 22 octobre 1977.

M. [P] a été indemnisé de son préjudice initial par le responsable de l'accident et son assureur, la société AGF, suivant transaction régularisée le 4 septembre 1981.

La victime a ensuite justifié d'une aggravation de son état de santé imputable au fait dommageable.

Suivant le rapport d'expertise médicale du 2 juillet 2001, l'expert [V] a maintenu la date de consolidation au 9 octobre 1988, fixé le déficit fonctionnel permanent à 35%, considérant que M. [P] présentait une aggravation de son état en raison d'une augmentation de la spasticité au niveau de l'hémicorps droit de nature à augmenter la gêne fonctionnelle, mais sans aggravation du déficit. En outre, l'expert a précisé que M. [P] était en arrêt complet d'activités professionnelles depuis le 29 juin 1988, placé en congés sans traitement le 20 octobre 1990, puis radié des cadres de l'éducation nationale le 20 octobre 1993, et qu'il n'y avait pas de nouvelle incapacité temporaire totale de travail postérieurement à l'expertise du 22 juin 1991 ; son aptitude à reprendre une activité professionnelle était, selon lui, théorique compte tenu de son âge, de sa conjoncture socio-économique et professionnelle.

A la suite de ces conclusions, le tribunal de grande instance de Saint-Quentin a, dans son jugement du 25 mars 2004, indemnisé l'aggravation de l'état de santé de M. [P].

Si ce dernier soutient que, dans le cadre de cette instance, l'assureur a renoncé implicitement à se prévaloir de la prescription extinctive, la cour rappelle que seule une prescription acquise est susceptible de renonciation, et que la volonté de renoncer doit se manifester sans équivoque. A cette date, l'assureur ne pouvait valablement renoncer par anticipation à la prescription extinctive de l'action en indemnisation de la perte de droits à la retraite, laquelle n'a été initiée par la victime qu'en 2017.

S'agissant de la prétendue aggravation de son état de santé, M. [P] produit au soutien de sa demande quelques certificats médicaux de suivi médical, qui en décrivent certaines étapes, dont une accentuation de la dysarthrie, des sensations de paresthésie, un malaise vagal, un accident ischémique transitoire en 2008, un accident vasculaire cérébral sylvien profond gauche en 2011, une paresthésie de l'hémicorps droit de très courte durée en 2012, et un passage aux urgences en 2019 pour perte de sensibilité et paresthésie.

Cependant, faute de synthèse médicale postérieure à l'expertise judiciaire réalisée le 2 juillet 2001, l'analyse de ces seules pièces ne permet pas de conclure à une aggravation de l'état de santé de M. [P] en lien de causalité direct et certain avec l'accident survenu le 20 octobre 1977, soit plus de trente années auparavant.

S'agissant de l'aggravation financière de la situation de M. [P], s'il a omis de s'informer du calcul prévisible de ses droits à la retraite dès 2004, et prétend n'avoir découvert le montant de sa pension de retraite que le 17 décembre 2015 à l'occasion de l'envoi par la CARSAT de son relevé de carrière, il reste pour autant qu'il était en mesure de connaître l'existence et l'étendue de sa perte de droits à la retraite dès le 25 mars 2004, date à laquelle le tribunal de grande instance de Saint-Quentin a liquidé son préjudice aggravé.

Le fait qu'il reçoive son relevé de carrière le 17 décembre 2015 ne saurait avoir pour effet de reporter le point de départ du délai de dix ans qui lui était imparti pour agir.

Le point de départ de la prescription décennale court non pas du jour où la victime a décidé de s'informer du montant prévisible de ses droits à la retraite, ni du jour où elle sollicite la liquidation de ses droits à la retraite, mais bien à compter de l'aggravation de son dommage.

S'agissant de l'aggravation situationnelle alléguée, il s'observe que M. [P] a cessé toute activité professionnelle dès 1988, et qu'il a eu connaissance en 2001 de son inaptitude à un retour à l'emploi, l'expert judiciaire qualifiant alors de théorique sa possibilité de retour à l'emploi.

En conséquence, M. [P] ne démontre, que ce soit sur le plan médical, financier ou situationnel, aucune aggravation de son dommage postérieure au 25 mars 2004 de nature à interrompre le cours de la prescription.

Il s'ensuit que l'action en réparation que M. [P] a engagée le 6 avril 2017 au titre de sa perte de droits à la retraite devant le tribunal de grande instance de Saint-Quentin était prescrite depuis le 25 mars 2014.

Il convient de faire droit à la fin de non-recevoir soulevée par l'appelante, tirée de la prescription décennale de l'action en responsabilité civile extracontractuelle.

Dès lors qu'Allianz vient aux droits de la société AGF, assureur du véhicule du conducteur responsable de l'accident, il n'y a pas lieu de prononcer sa mise hors de cause dans le présent litige.

L'arrêt est déclaré opposable à la MGEN, régulièrement intimée en cause d'appel.

M. [P] qui succombe est condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le sens de l'arrêt et l'équité conduisent à le condamner à payer à Allianz la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Vu le jugement rendu le 24 juillet 2017 par le tribunal de grande instance de Saint-Quentin,

Vu l'arrêt rendu le 14 janvier 2021 par la 1ère chambre civile de la cour d'appel d'Amiens,

Vu l'arrêt de cassation partielle rendu le 20 avril 2023 par la 2ème chambre civile de la Cour de cassation,

Vu l'article 2270-1 ancien du code civil,

Réforme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 24 juillet 2017 par le tribunal judiciaire de Saint-Quentin,

Prononçant à nouveau,

Déclare irrecevable comme prescrite l'action engagée par M. [U] [P] tendant à l'indemnisation de sa perte de droits à la retraite ;

Déclare l'arrêt opposable à la Mutuelle générale de l'éducation nationale ;

Déboute les parties de leurs plus amples prétentions ;

Condamne M. [U] [P] aux dépens de première instance et d'appel ;

Le condamne en outre à payer à la société Allianz iard, venant aux droits de la société AGF, la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier

Harmony POYTEAU

Le président

Guillaume SALOMON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 23/03343
Date de la décision : 28/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-28;23.03343 ?
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