ARRÊT DU
07 Juillet 2023
N° 1060/23
N° RG 21/01318 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TY5D
LB/CL
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOULOGNE SUR MER
en date du
02 Juillet 2021
(RG F19/00178 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 07 Juillet 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [X] [O]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Laetitia BONNARD PLANCKE, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER
INTIMÉE :
S.A.S. GLACON ARMATURES
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Alex DEWATTINE, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER
DÉBATS : à l'audience publique du 11 Mai 2023
Tenue par Laure BERNARD
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Annie LESIEUR
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
Laure BERNARD
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 07 Juillet 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 20/04/2023
EXPOSE DU LITIGE
La société Glacon Armatures exerce une activité de fabrication d'armatures pour le bâtiment'; elle est soumise à la convention collective de la métallurgie.
M. [O] a été engagé à compter du 16 juillet 1981 en qualité de soudeur.
Au dernier état de la relation de travail, il exerçait les fonctions de plieur.
M. [O] a été victime d'un accident pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels.
Par avis du 13 juin 2019, le médecin du travail a déclaré M. [O] inapte en ces termes':
«' Inapte définitif au poste de travail,
Reclassement à proposer à un poste avec port de charges limité à 7-8 kg maximum non répétitif. Pas de tâches les bras au-dessus du plan cardiaque.
Pas d'épreuve de force, ni de travail en hauteur. Travail assis et debout avec siège adapté. Pas de conduite de VL plus d'une heure. Température ambiante environ 19°.
Etude de poste et 4FE': le 06/06/2019
Capacité de formation : oui
Capacités restantes : travail administratif, de contrôle par exemple et selon les termes sus-jacents.'»
Par courrier du 11 juillet 2019, M. [O] a informé son employeur de son refus d'être reclassé au poste de décortiqueur proposé par courrier du 5 juillet 2019.
Par courrier du 16 juillet 2019, M. [O] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 25'juillet'2019; il a été licencié par courrier en date du 30'juillet'2019 rédigé en ces termes :
«'Nous faisons suite à l'entretien préalable du jeudi 25 juillet 2019, pour lequel vous vous êtes présenté. Vous avez fait le choix de ne pas être accompagné, malgré la possibilité qui vous avait été offerte.
Nous avons échangé sur les éléments suivants:
En date du 13/06/2019, le médecin du travail a prononcé une inaptitude à votre poste de travail ['].
Conformément aux dispositions légales, nous avons effectué une recherche de poste en Interne au sein de notre unité Glacon Armatures, ce qui nous a conduit, par courrier du 05 juillet 2019, à vous proposer un reclassement au sein de notre usine de [Localité 5] au poste de décortiqueur, poste correspondant aux restrictions émises par le médecin du travail. Cette proposition de poste a bien évidemment été soumise à la consultation des délégués du personnel de l'usine, qui ont à l'unanimité rendu un avis favorable.
Par courrier reçu dans nos services le 11 juillet 2019, vous nous avez indiqué refuser le poste de reclassement proposé alors que celui-ci correspondait aux restrictions émises par le médecin du travail. Lors de l'entretien, je vous ai demandé des explications sur ce refus. Vous n'avez apporté aucune explication à ce refus, malgré mes demandes répétées.
Nous avons également interrogé les autres établissements du Groupe, lesquels nous ont fait part de leurs réponses négatives concernant un reclassement correspondant aux réserves médicales.
Au regard de votre refus de notre proposition de reclassement, et n'ayant malgré nos recherches aucune autre proposition à vous faire, nous nous voyons dans l'obligation de vous notifier votre licenciement pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement. la rupture de votre contrat de travail est effective à la date de ce courrier.'»
Le 9 octobre 2019, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne sur Mer aux fins principalement de contester les conséquences de la rupture du contrat de travail.
Par jugement rendu le 2'juillet'2021, la juridiction prud'homale a débouté M. [O] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux entiers dépens.
M. [O] a régulièrement interjeté appel contre ce jugement par déclaration du 30 juillet 2021.
Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 20 octobre 2021, M. [O] demande à la cour de':
- infirmer le jugement déféré,
- condamner la société Glacon Armatures à lui payer':
- 24'868'euros à titre d'indemnité de licenciement,
- 4'351'euros de préavis outre 435'euros de congés payés afférents,
- 1'500'euros de préjudice moral,
- 1'500'euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 18'janvier'2022, la société Glacon Armatures demande à la cour de':
- confirmer le jugement déféré,
- subsidiairement, de juger que l'indemnité spéciale visée à l'article L.1226-14 du code du travail n'ouvre pas droit à une indemnité compensatrice de congés payés.
Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 avril 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le caractère abusif du refus de poste de reclassement
M. [O] fait valoir que son refus du poste de reclassement proposé était fondé sur l'inadéquation du poste de décortiqueur à ses capacités intellectuelles, n'ayant occupé que des postes d'ouvrier au sein de l'entreprise ; que ce refus n'avait dès lors aucun caractère abusif ; que par ailleurs ce poste de reclassement offrait une rémunération moindre que celle dont il bénéficiait auparavant.
La société GLACON ARMATURES en réponse soutient que compte tenu de la longue expérience de M. [O] dans l'entreprise (38 ans) et de sa connaissance des produits, le poste de décortiqueur était tout à fait accessible à ce salarié, qui aurait pu bénéficier d'une formation en interne ; que contrairement à ce que soutient celui-ci, la rémunération du poste de reclassement proposé était supérieure à celle dont il bénéficiait en qualité de plieur.
Sur ce,
Aux termes de l'article L.1226-2 du code du travail dans sa rédaction applicable au présent litige, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.
Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel lorsqu'ils existent, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
Aux termes de l'article L.1226-14 du code du travail, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9.
Toutefois, ces indemnités ne sont pas dues par l'employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif.
Les dispositions du présent article ne se cumulent pas avec les avantages de même nature prévus par des dispositions conventionnelles ou contractuelles en vigueur au 7 janvier 1981 et destinés à compenser le préjudice résultant de la perte de l'emploi consécutive à l'accident du travail ou à la maladie professionnelle.
En l'espèce, M. [O] occupait un poste de plieur au sein de la société GLACON ARMATURES, ayant occupé précédemment un poste de soudeur.
Suite à un accident du travail, il a été déclaré inapte au poste de plieur par le médecin du travail le 13 juin 2019 selon un avis rédigé en ces termes :
'Inapte définitif au poste de travail,
Reclassement à proposer à un poste avec port de charges limité à 7-8 kg maximum non répétitif. Pas de tâches les bras au-dessus du plan cardiaque.
Pas d'épreuve de force, ni de travail en hauteur. Travail assis et debout avec siège adapté. Pas de conduite de VL plus d'une heure. Température ambiante environ 19°.
Etude de poste et 4FE': le 06/06/2019
Capacité de formation : oui
Capacités restantes : travail administratif, de contrôle par exemple et selon les termes sus-jacents.'
Par courrier du 5 juillet 2019, un poste de décortiqueur lui a été proposé, dont la mission était de 'traiter les plans à décortiquer sur ordinateur pour les besoins de l'atelier avec un souci permanent d'optimisation en relation avec le client et son bureau d'études'.
A la lecture de la fiche de poste jointe à la proposition, les différentes missions dévolues au salarié décortiqueur étaient les suivantes :
- vérifier le nombre de pièces,
- simplifier et adapter les pièces pour le montage et le transport,
- respecter les normes liées à l'armature,
- rechercher les écarts de poids anormaux si la nomenclature est fournie,
- sauvegarder les plans en vue d'une répétition,
- réaliser les armatures conformément au plan de ferraillage,
- suivre avec l'aide du responsable du bureau d'études le planning des chantiers,
- en relation étroite avec le bureau d'études, viser à la simplification des armatures, détecter les impossibilités de produits standard, classer et archiver les plans,
- contrôler les mètres suivant le type de marché,
- pour les aciers façonnés et les armatures assemblées, respecter le gabarit routier et tenir compte de la longueur des éléments en fonction de l'accès au chantier,
- signaler au bureau d'études 'calcul béton' toutes les anomalies (impossibilité de façonnage, croisement de poutres...)
- contrôler les plans et vérifier le carnet de ferraillage par rapport au coffrage et aux normes,
- retracer les éléments sous forme de cartons de montage d'après le carnet de ferraillage,
- si les cartons de montage sont réalisés manuellement, saisir les barres sur micro pour éditer les étiquettes et les sorties d'acier,
- faire modifier les nomenclatures erronées par le BET,
- faire changer par le BET les impossibilités de fabrication et proposer des simplifications.
La société GLACON ARMATURES a précisé dans son courrier daté du 5 juillet 2019 que M. [O] pourrait se former avec le décortiqueur du SNAAM de [Localité 6], afin qu'il lui apporte tout le support et l'aide dont il aurait besoin.
Par courrier du 11 juillet 2019, M. [O] a refusé ce poste au moyen du coupon-réponse fourni par l'entreprise, lequel ne prévoyait pas d'espace dédié aux motifs de ce refus.
Il a été licencié pour inaptitude professionnelle le 30 juillet 2019, mais n'a pas perçu l'indemnité spéciale de licenciement ni l'indemnité compensatrice de préavis prévues à l'article L.1226-14 du code du travail.
Par courrier du 19 août 2019, M. [O] a précisé avoir refusé le poste de décortiqueur car il estimait ne pas avoir les capacités intellectuelles ni le niveau demandé pour occuper ce poste.
La société GLACON ARMATURES de donne pas de précision concrète sur la formation en interne qui était envisagée que M. [O] puisse acquérir de nouvelles compétences.
Or, si l'employeur a estimé que le poste de décortiqueur était accessible à M. [O], ce poste requérait, au vu des missions dévolues, des compétences de base très éloignées de celle de ce salarié, impliquant notamment un travail sur ordinateur, une analyse critique de la conception des armatures et une interaction avec de mulptiples interlocuteurs (clients, bureau d'études techniques, chefs de chantiers, collègues de l'atelier).
Dans ces conditions, il ne peut être considéré que le refus du poste de décortiqueur par M. [O], qui avait occupé exclusivement des fonctions d'exécution en atelier en qualité d'ouvrier durant 38 ans et qui était âgé de 58 ans au moment de son licenciement, était abusif.
Dès lors, M. [O] est bien fondé à solliciter le bénéfice de l'indemnité spéciale de licenciement et de l'indemnité compensatrice de préavis prévues à l'article L.1226-14 du code du travail.
Par infirmation du jugement entrepris, La société GLACON ARMATURES sera en conséquence condamnée à lui payer la somme de 24'868'euros à titre du solde de l'indemnité de licenciement et 4'351'euros d'indemnité compensatrice de préavis.
M. [O] sera débouté de sa demande de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis, laquelle n'a pas la nature d'une indemnité de préavis et n'ouvre pas droit à congés payés.
Sur les dépens et l'indemnité de procédure
Le jugement de première instance sera infirmé concernant le sort des dépens et l'indemnité de procédure.
La société GLACON ARMATURES sera condamnée aux dépens conformément à l'article 696 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à M. [O] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement rendu le 2 juillet 2021 par le conseil de prud'hommes de Boulogne sur Mer sauf en ce qu'il a débouté M. [O] de sa demande de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,
Statuant à nouveau,
CONDAMNE la société GLACON ARMATURES à payer à M. [O] :
- 24'868'euros à titre du solde de l'indemnité de licenciement,
- 4'351'euros d'indemnité compensatrice de préavis ;
CONDAMNE la société GLACON ARMATURES aux dépens ;
CONDAMNE la société GLACON ARMATURES à payer à M. [O] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER
Valérie DOIZE
LE PRESIDENT
Pierre NOUBEL