La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/07/2023 | FRANCE | N°21/01305

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale d salle 2, 07 juillet 2023, 21/01305


ARRÊT DU

07 Juillet 2023







N° 1068/23



N° RG 21/01305 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TYSC



LB/CH

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de ROUBAIX

en date du

28 Juin 2021

(RG 20/00090 -section )







































<

br>


GROSSE :



aux avocats



le 07 Juillet 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



S.A. TAPIS [Localité 6]

[Adresse 2]

[Localité 8]

représentée par Me Marie FRUCHART, avocat au barreau de LILLE





INTIMÉ :



M. [U] [J]

[Adresse 1]

[Localité 3...

ARRÊT DU

07 Juillet 2023

N° 1068/23

N° RG 21/01305 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TYSC

LB/CH

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de ROUBAIX

en date du

28 Juin 2021

(RG 20/00090 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 07 Juillet 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

S.A. TAPIS [Localité 6]

[Adresse 2]

[Localité 8]

représentée par Me Marie FRUCHART, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉ :

M. [U] [J]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Hélène POPU, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l'audience publique du 11 Mai 2023

Tenue par Laure BERNARD

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Annie LESIEUR

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Virginie CLAVERT

: CONSEILLER

Laure BERNARD

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 07 Juillet 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 20 avril 2023

EXPOSE DU LITIGE

M. [J] a été engagé par la société Tapis [Localité 6] par contrat de qualification du 3 novembre 1994.

La relation de travail s'est pérennisée par la signature deux ans plus tard d'un contrat à durée indéterminée, et M. [J] a occupé successivement les fonctions d'employé polyvalent, vendeur, responsable des chantiers, adjoint au responsable de magasin et enfin responsable de magasin.

A compter de 2016, il a exercé ses fonctions au sein du magasin de [Localité 8].

Par courrier du 9 janvier 2020, M. [J] a été convoqué à un entretien préalable. Par courrier du 4 février 2020, il s'est vu notifier une mise à pied à titre disciplinaire de deux jours les 17 et 18 février 2020, par un courrier rédigé en ces termes':

«'Vous occupiez la fonction de Responsable de Magasin sur notre magasin de [Localité 8] jusqu'au 31 décembre 2019. Vous êtes depuis le 1er janvier 2020, Responsable de Magasin sur notre magasin de [Localité 5].

Les faits que nous vous avons exposés lors de l'entretien, sont les suivants :

' Sur la commande n° 001 1737/4 du 28/04/2018 : client [E] [P] (3 665,07 euros)

Le 19 novembre 2019, la photographie d'un bébé posé à plat ventre sur un 501 a été diffusée sur Facebook. La photographie était accompagnée d'un message «[Localité 6] m'a laissée tomber» et d'une légende indiquant «Salut [Localité 6] ma fille apprend à marcher sur un chantier qui dure depuis plus d'un an à cause de votre parquet défectueux. Une idée de l'âge qu'elle aura quand ce sera fini'' #BalanceTonParquet #SAVenCarton». Madame [A] était l'auteur de cette publication.

Les investigations menées à la suite de cette publication qui renvoie une image déplorable de notre entreprise a permis de révéler vos défaillances dans l'exécution de votre mission et plus particulièrement votre absence de cadrage et de contrôle des agissements de votre vendeur, Monsieur [N].

Ainsi, le 24 avril 2018, Madame [A] s'est présentée au magasin accompagnée de Monsieur [E] [P], salarié de l'entreprise. Monsieur [N] a pris en charge sa commande mais plutôt que de conclure la vente au nom de la cliente, il a établi le bon de commande au nom de Monsieur [P] afin de concéder, de manière indue, une remise de 20'% normalement accordée au seul personnel de l'entreprise'! Non content de ce 1er manquement, il n'a pas hésité à lui allouer une remise supplémentaire pour lui accorder, au total, un rabais de 28,89 %'!

Alors que vous étiez présent en magasin le jour-là, vous avez laissé Monsieur [N] conclure une vente sous le nom d'un salarié alors que vous saviez que cette commande était passée pour le compte d'une personne étrangère à l'entreprise. Par votre inaction, vous avez permis à Monsieur [N] de contourner nos procédures internes, de consentir des remises irrégulières et au-delà du raisonnable allant à l'encontre des intérêts que l'entreprise avait à vendre des produits avec une marge aussi faible.

Ce faisant, vous avez purement et simplement renoncé à exercer votre rôle de Responsable de Magasin qui comprend, en tout lieu, le contrôle de l'application des procédures de l'entreprise au sein de votre point de vente.

Le 24 mai 2018, Madame [A] a enlevé la marchandise au magasin en votre présence. Mais vous n'avez pas vérifié que Madame [A] avait réglé le solde de la commande, à savoir 540'euros. Vous avez donc laissé sortir la marchandise. Madame [A] n'a jamais réglé le solde de la commande.

D'ailleurs et après l'enlèvement, le solde impayé est apparu dans la dette de votre magasin. Afin d'éviter d'avoir à justifier l'injustifiable, le 24 août 2018, Monsieur [N] a effacé le solde de la commande (540 euros) dans le système informatique. Au final, et par votre abstention fautive, cette cliente aura bénéficié d'un taux de remise exorbitant de 37 %. Au surplus, l'effacement de la dette a permis de clôturer la commande litigieuse dans notre système informatique et sortir artificiellement cette dette de vos indicateurs de gestion. II est inacceptable que vous ayez pu laisser agir ainsi Monsieur [N].

Force est de constater que vous avez failli dans la mise en 'uvre de votre rôle managérial. Alors que vous auriez dû réagir pour recadrer votre collaborateur, vous avez préféré assister passivement aux événements qui ont finalement conduit à une avalanche de difficultés pour l'entreprise.

' Sur la gestion des commandes passées par Monsieur [N] pour son propre compte':

Le 23 novembre 2019, Monsieur [N] a passé une reprise de marchandise (10,50 m2 pour un montant de 305,20 euros). Cette reprise de marchandise a été faite sur une commande en contremarque que Monsieur [N] a passé pour son propre compte.

Une fois encore, vous avez laissé votre vendeur bafouer nos procédures internes, sans rien faire'! Tout d'abord, il est prohibé de conclure une vente pour soi-même. Ensuite, il est également interdit de reprendre une marchandise achetée en contremarque. Cette man'uvre a, de plus, permis à Monsieur [N] de bénéficier d'un remboursement du montant de la valeur de marchandise «reprise». Nous ne comprenons pas comment vous avez pu tolérer une telle pratique'!

Les agissements de Monsieur [N] ont eu pour conséquence de faire supporter par votre magasin cette reprise de marchandise qui s'est vue réintégrer dans sa valeur de stock. La marchandise «reprise» a été comptabilisée lors de l'inventaire de décembre 2019. Or, après vérification, il apparaît que ces produits ne sont pas physiquement présents dans le magasin de [Localité 8].

Lors de notre entretien. vous nous avez indiqué que Monsieur [N] avait vendu la marchandise à une de ses connaissances. Et qu'il venait de vous indiquer, quelques minutes avant le début de votre entretien, qu'il envisageait d'aller chez cette personne «récupérer» les produits manquants pour les remettre dans le stock du magasin'!

Cette situation est aberrante'! Comment pouvez-vous tolérer que votre vendeur «vole» l'entreprise et votre magasin, sans ne rien faire, ni ne rien dire''

Après analyse des commandes de Monsieur [N], nous avons identifié deux autres reprises de marchandises présentant les mêmes anomalies et l'absence de présence physique dans les stocks. Même si pour l'une d'entre elles, Monsieur [N] prétend que la marchandise a été retrouvée, il n'en demeure pas moins que vous avez toléré, au sein de votre magasin, des pratiques réitérées hors procédures et préjudiciables aux intérêts de l'entreprise.

En conséquence et au vu de la nature des fautes commises, nous vous notifions, par la présente, une mise à pied disciplinaire de deux jours.»

Par courrier du 12 février 2020, M. [J] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 27 février 2020'; il a été licencié pour faute grave par courrier en date du 17 mars 2020 rédigé en ces termes :

«Nous prenons note de votre courrier de réponse du 16 mars 2020, reçu ce 17 mars 2020, par lequel vous déclarez uniquement avoir pris «la décision de contester les faits» qui vous sont reprochés.

Force est de constater que vous n'apportez aucun élément de nature à pouvoir modifier notre appréciation des faits.

Nous avons pris la décision de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute grave pour les faits et motifs exposés dans notre courrier du 10 mars 2020, et qui, pour mémoire, sont les suivants:

Par courrier en date du 4 février 2020, nous vous avons notifié une mise à pied disciplinaire de deux jours, initialement prévus les 17 et 18 février 2020. Cette mesure disciplinaire sanctionnait vos différents manquements dans la conduite de votre rôle de Responsable de Magasin sur notre site de [Localité 8] et nous vous invitions, à cette occasion, à adopter un comportement irréprochable sur votre nouveau point de vente d'affectation à [Localité 5].

Or, contre toute attente, le 5 février 2020, nous avons découvert des faits d'une particulière gravité qui vous ont conduit à abandonner votre poste de travail vers 17h, en violant les règles élémentaires de sécurité.

Le 7 février suivant, vous nous avez adressé un arrêt de travail que nous avons reçu le 10 février couvrant la période du 5 février au 8 mars 2020'!

C'est dans ce contexte, par LRAR adressée le 12 février 2020, que nous vous avons convoqué à un nouvel entretien préalable fixé au 27 février 2020 à 11h30 avec Monsieur [X] [Z], directeur régional. et Monsieur [O] [R], responsable des ressources humaines, pour envisager une mesure éventuelle de licenciement. L'horaire arrêté pour la tenue de cet entretien correspondait aux heures de sortie autorisées dans le cadre de votre arrêt maladie.

Par un courrier daté du 21 février 2020, reçu ce 24 février 2020, vous nous avez informés que vous ne seriez pas présent à l'entretien préalable, pour «raison médicale».

Par la présente, nous prenons le soin de vous transmettre les éléments ayant motivé votre dernière convocation en entretien préalable, et qui sont les suivants:

Le 5 février 2020, vous aviez une réunion de travail, sur votre magasin, avec Monsieur [W] [C], Responsable des Services de votre région. A votre retour de déjeuner et alors que Monsieur [W] [C] vous rejoignait en salle de pause, ce dernier a été très surpris par la forte odeur d'alcool qui régnait dans la pièce. II vous a demandé si quelqu'un venait de consommer de l'alcool ou si vous-même en aviez consommé. Vous avez tout d'abord répondu par la négative.

Cependant confronté à cette puissante odeur d'alcool qui émanait de votre personne, vous avez fini par indiquer que vous aviez bu du vin rosé durant votre déjeuner. Cette explication ne pouvant, en elle-même justifier la situation, Monsieur [W] [C] a recherché la présence d'alcool en salle de pause. Vous avez finalement avoué être en possession de 2 bouteilles d'eau en plastique de 50 cl chacune qui contenaient, en réalité de l'alcool type Vodka coupé avec de l'eau.

Vous avez clairement demandé à Monsieur [W] [C] de ne pas remonter l'information auprès de la Direction, ce qu'il a refusé. Afin de garantir votre sécurité, il vous a demandé de laisser les clés de votre véhicule de service et de contacter un de vos proches afin qu'il vienne vous chercher pour vous raccompagner à la fin de votre journée de travail. II vous a même proposé de vous soumettre à un éthylotest pour lever toute ambiguïté. En vain, vous vous êtes opposé à ces demandes légitimes et avez préféré vous enfuir de votre lieu de travail à 17h, au volant de votre véhicule de service'!

Ce faisant, vous avez directement contrevenu aux instructions qui vous avaient été données d'une part par Monsieur [W] [C] et d'autre art, par Monsieur [R], Responsable des Ressources Humaines, qui avant même la «découverte» des 2 bouteilles d'alcool, vous avait demandé, par téléphone, d'attendre la fermeture du magasin à 19h pour faire un point sur votre état et déterminer si vous seriez alors, en capacité de rentrer chez vous, en conduisant.

Vous avez fait preuve d'une attitude totalement irresponsable en violation directe avec vos obligations contractuelles et les règles de sécurité les plus élémentaires.

Par la suite, vous avez continué de faire preuve d'une éthique totalement contraire à celle attendue d'un Responsable de Magasin. En effet, vous avez communiqué à votre entourage familial les numéros de téléphone personnel de salariés de l'entreprise. Ainsi, entre les 6 et 10 février, votre épouse a passé plusieurs appels à certains membres de votre équipe pour leur demander de se taire et de ne pas nuire à vos intérêts. Et pour cause'! Les éléments en notre possession démontrent désormais la récurrence de votre comportement mis à jour le 5 février dernier.

Ces éléments suffisent à justifier la procédure initiée. Malheureusement, de nouveaux dysfonctionnements, voire des détournements de marchandises survenus dans votre magasin de [Localité 8] nous ont, récemment, été révélés.

Ainsi, début février 2020, Monsieur [I] s'est présenté au magasin de [Localité 7] pour savoir s'il pouvait enfin récupérer la commande qu'il avait passée sur votre ancien magasin de [Localité 8] le 4 septembre 2019.

Notre équipe de [Localité 7] a été surprise de la demande de ce client, qui n'apparaissait nulle part dans notre système informatique. Monsieur [I] nous a alors détaillé les événements qui, malheureusement, sont accablants tant pour vous en qualité de Manager que pour votre ancienne équipe de [Localité 8].

En effet, il résulte des éléments que nous avons reconstitués que Monsieur [B] avec la complicité de Monsieur [N], s'est livré durant plusieurs mois à une succession de man'uvres frauduleuses, via la captation de clients, via le passage de «fausses» commandes personnelles, via le détournement d'acomptes clients, et autres avoirs, pour in fine, détourner à leur profit de la marchandise. Le nombre et la récurrence de ces pratiques malhonnêtes démontrent au mieux une inexécution fautive de votre rôle de Manager et au pire, votre complicité.

II est désormais établi que les faits que nous vous avons reprochés à l'occasion de votre précédente sanction disciplinaire ne sont pas isolés mais relèvent d'une pratique courante que vous avez contribué à ériger comme mode de fonctionnement.

Vos agissements sont incompatibles avec le contrat de travail qui nous lie et son exécution de bonne foi. Ils constituent une faute grave rendant impossible votre maintien dans l'Entreprise.

Nous avons en conséquence pris la décision de vous licencier. Ce licenciement pour faute grave est privatif de toute indemnité de licenciement et de préavis. Votre contrat de travail prend fin à la date d'envoi de la présente.

Nous vous informons, par la présente, de la levée de toute clause de non concurrence qui serait éventuellement prévue dans votre contrat de travail, dans un avenant à celui-ci ou tout autre document signé par votre hiérarchie. Aucune indemnité ni rémunération ne vous sera donc versée sur ce fondement.'»

Par demande réceptionnée au greffe le 29 mai 2020, M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Roubaix aux fins principalement de contester la rupture du contrat de travail et d'obtenir les indemnités afférentes ainsi qu'un rappel de salaire et des dommages et intérêts pour défaut d'exécution de bonne foi du contrat de travail et non-respect des mesures de prévention.

Par jugement rendu le 28 juin 2021, la juridiction prud'homale a :

- fixé le salaire moyen de M. [J] à 2'975'euros bruts mensuels,

- jugé le licenciement de M. [J] abusif,

- condamné la société Tapis [Localité 6] à payer à M. [J]':

- 22'639'euros bruts au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 8'925'euros bruts au titre de l'indemnité de préavis outre 892'euros bruts de congés payés afférents,

- 35'700'euros d'indemnités pour licenciement abusif,

- 1 500'euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [J] du surplus de ses demandes.

La société Tapis [Localité 6] a régulièrement interjeté appel contre ce jugement par déclaration du 28'juillet'2021.

Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 30 mars 2022, la société Tapis [Localité 6] demande à la cour de':

- infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté M. [J] de sa demande de dommages et intérêts pour inexécution déloyale du contrat de travail et de sa demande de rappel de salaire,

- subsidiairement, juger le licenciement de M. [J] comme reposant sur une cause réelle et sérieuse et débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- à titre infiniment subsidiaire, limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement abusif à la somme de 8'925'euros,

- en tout état de cause, débouter M. [J] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [J] à lui payer 3'000'euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 30 décembre 2021, M. [J] demande à la cour de':

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a reconnu son licenciement abusif et a condamné la société Tapis [Localité 6] à lui payer':

- 22'639'euros bruts au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 8'925'euros bruts au titre de l'indemnité de préavis outre 892'euros bruts de congés payés,

- infirmer le jugement déféré sur le surplus, à l'exception des dispositions relatives au rappel de salaire,

- condamner la société Tapis [Localité 6] à lui payer':

- 74'375'euros d'indemnité pour licenciement abusif,

- 17'850'euros de dommages et intérêts pour non-exécution de bonne foi du contrat de travail et non-respect des mesures de prévention,

- 3'000'euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la présente instance.

- dire que les condamnations sont assorties de l'intérêt légal à compter de l'introduction de la demande,

- dire et juger qu'à défaut de règlement spontané, des condamnations prononcées, l'exécution devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier de justice et le montant des sommes retenues par celui-ci en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 fixant le tarif des huissiers, sera supporté par la société Tapis [Localité 6], en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner la société Tapis [Localité 6] aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 avril 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il est observé que le chef du jugement de première instance relatif à la demande de rappel de salaire n'est pas critiqué.

Sur le bien fondé du licenciement

La société Tapis [Localité 6] soutient que la matérialité des faits visés dans la lettre de licenciement est parfaitement établie, et que la gravité de ceux-ci justifiait le licenciement de M. [J] pour faute grave ; que contrairement à ce qu'à retenu le conseil de prud'hommes, la complaisance reprochée à M. [J] face aux fraudes commises par M. [B] lorsqu'il était responsable de magasin à Wattrelos constitue un fait fautif distinct de ceux pour lesquels il a été sanctionné par une mise à pied disciplinaire de deux jours le 4 février 2020 qui concernaient des fraudes commises par M. [N] et découvertes antérieurement ; que les attestations versées aux débats émanant des anciens collègues de M. [J] ne permettent pas de démentir celles de M. [W] [C], Mme [S] et M. [F].

En réponse, M. [J] conteste la matérialité des faits reprochés ; il souligne que certains faits visés dans la lettre de licenciement ont déjà été sanctionnés par une mise à pied notifiée le 4 février 2020 et ne constituent pas, dans tous les cas, des faits fautifs, s'agissant d'un usage toléré dans l'entreprise ; que sa consommation d'alcool le 5 février 2019 et l'introduction prohibée d'alcool en salle de pause n'est pas établie, les attestations versées aux débats de M. [W] [C] (qui ne respecte pas les exigences posées par l'article 202 du code de procédure civile), Mme [S] et M. [F] étant mensongères ; qu'il ne peut lui être reproché de s'être opposé à la réalisation d'un alcootest le 5 février 2020, les conditions posées par le règlement intérieur n'étant pas réunies ; que s'agissant du comportement de son épouse, Mme [J], celle-ci a uniquement appelé le magasin de [Localité 5] puis celui d'[Localité 4] pour avoir des explications sur les dénonciations calomnieuses à son encontre.

Sur ce,

Aux termes de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre.

Il est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Pour que le licenciement disciplinaire soit justifié, l'existence d'une faute avérée et imputable au salarié doit être caractérisée.

La faute grave s'entend d'une faute d'une particulière gravité ayant pour conséquence d'interdire le maintien du salarié dans l'entreprise.

Devant le juge saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part, d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part, de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis. Les faits invoqués doivent être matériellement vérifiables.

Enfin, la sanction doit être proportionnée à la faute et tenir compte du contexte dans lequel les faits ont été commis, de l'ancienneté du salarié et des conséquences des agissements incriminés

En l'espèce, M. [J] auparavant responsable de magasin à [Localité 8] (depuis 2011) a été muté en qualité de responsable de magasin à [Localité 5] à compter du 1er janvier 2020 en raison de la fermeture du magasin de [Localité 8].

La lettre de licenciement datée du 17 mars 2020 fait grief à M. [J] de :

- s'être montré complaisant (voire complice) face aux fraudes commises par M. [B], ancien vendeur du magasin de [Localité 8], et révélées notamment par un mail de M. [I] le 17 février 2020,

- avoir introduit de l'alcool type vodka ou gin dans l'établissement le 5 février 2020, et avoir quitté son poste de travail avec son véhicule de fonctions après avoir refusé de souffler dans un alcootest et ce malgré l'opposition de M. [W] [C] et les directives de M. [R],

- avoir communiqué à son épouse les coordonnées personnelles de salariés de la société et notamment Mme [S], afin qu'elle les incite à ne pas témoigner contre lui dans la procédure disciplinaire dont il faisait l'objet.

A titre liminaire, il sera rappelé, qu'en l'absence de doute quant à l'identité de l'auteur d'une attestation, son caractère dactylographié ne suffit pas à la priver de son caractère probant, la cour conservant tout pouvoir d'appréciation quant à la valeur probante d'une telle pièce.

Concernant les fraudes imputées à M. [B] à l'égard desquelles M. [J] se serait montré complaisant, les faits visés dans la lettre de licenciement concernent un autre salarié que celui visé dans le courrier de notification de la mise à pied disciplinaire du 4 février 2020, et constituent bien des faits distincts.

Cependant, la lettre de licenciement ne vise que la transaction concernant M. [I], les autres faits visés étant imprécis, sans que les conclusions de l'employeur ne puissent valablement pallier ce défaut de précision, de sorte que seul les faits concernant M. [I] seront examinés.

Par un mail daté du 17 février 2020, M. [I], un client, s'est plaint d'être resté sans nouvelles de sa commande de parquet passée le 4 septembre 2010 au sein du magasin de [Localité 8] par l'intermédiaire de M. [B], à l'occasion de laquelle il a pu bénéficier d'une remise de 20%. La lecture du bon de commande litigieux fait apparaître que cette commande a été passée par M. [B] pour son propre compte pour appliquer cette réduction de 20% dont bénéficiait le personnel de la société Tapis [Localité 6] ; toutefois, l'employeur n'apporte aucun élément quant aux règles encadrant l'usage de cet avantage, sachant que M. [J] démontre que d'autres salariés dans le passé, ont également eu recours à cette pratique tendant à faire bénéficier à des tiers de cette réduction de 20%. Dès lors, le doute doit profiter à M. [J], et il ne peut être considéré que la commande du 4 septembre 2019 était frauduleuse, sachant que la société Tapis [Localité 6] n'apporte aucun élément objectif concernant le détournement d'acomptes clients ou d'avoirs pour détourner de la marchandise allégués.

Ce grief n'est donc pas fondé.

S'agissant du fait pour M. [J] d'avoir divulgué à son épouse les coordonnées personnelles de Mme [S], le mail adressé le 9 février 2020 par M. [Z], directeur général à M. [R], responsable des ressources humaines, fait état du fait

que Mme [J] ne cesse d'appeler le magasin de [Localité 5] mais ne vise aucunement des appels sur le portable personnel de Mme [S], dont il n'est pas produit les relevés d'appels téléphoniques. Il ne peut par ailleurs être valablement reproché à M. [J] des faits (appels réitérés au magasin) commis par son épouse. Dès lors, ce grief n'est pas établi.

En revanche, concernant les faits du 5 février 2020, l'attestation précise et circonstanciée de M. [W] [C] quant à l'introduction par M. [J] de deux bouteilles en plastique comprenant de l'alcool de type Vodka ou Gin dans l'établissement est confortée par les mails qu'il a adressés à M. [R], responsable des ressources humaines au moment de la découverte des faits, et par les attestations concordantes de Mme [S] et M. [F], salariés du magasin de [Localité 5], faisant état de la découverte d'une bouteille de ce type quelques temps auparavant dans l'établissement, et de vin rosé (cubis et bouteille d'eau contenant un fond de rosé) dans le véhicule de société, les deux salariés ayant rapporté ces difficultés à la direction, décrivant des propos incohérents et un comportement bizarre de M. [J] sur son lieu de travail.

Or, le règlement intérieur précise qu'il est interdit d'introduire, de consommer ou de distribuer des boissons alcoolisées autres que celles mises à disposition du personnel par l'entreprise, mais que cette interdiction ne vise pas les quantités norames de vin (33cl)de cidre, ou de bière (1/2L) destinées à accompagner les repas du personnel déjeunant sur place et ceci exclusivement aux heures de repas.

Par ailleurs s'il ne peut être reproché à M. [J], faute de témoin, de ne pas s'être prêté à l'alcootest proposé par M. [W] [C] le 5 février 2020, celui-ci a pris la route vers 17 heures au moyen de son véhicule de fonctions en violation des directives de M. [W] [C] et de M. [R], et sans que la compatibilité de son état avec la conduite n'ait pu être vérifiée, l'attestation du médecin traitant du salarié ne permettant pas d'établir qu'il était apte à conduire à 17 heures.

Ainsi, au regard des responsabilités exercées par M. [J] en qualité de responsable de magasin, son comportement le 5 février 2020 justifiait la rupture de son contrat de travail.

Cependant, compte tenu de l'ancienneté de ce salarié engagé en 1994 et qui avait toujours, jusqu'au 4 février 2020, donné entière satisfaction à son employeur, cette faute ne justifiait pas son éviction immédiate de la société.

Dans ces conditions, son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, le jugement entrepris devant être infirmé en ce sens.

Sur les conséquences du licenciement

Le licenciement étant justifié par une cause réelle et sérieuse et non par une faute grave, c'est par une juste appréciation que le conseil de prud'hommes, au regard du montant du salaire de M. [J] et de son ancienneté, a condamné l'employeur à lui payer 22'639'euros bruts au titre de l'indemnité de licenciement et 8'925'euros bruts au titre de l'indemnité de préavis outre 892'euros bruts de congés payés afférents.

Le jugement déféré sera toutefois infirmé en ce qu'il a alloué à M. [J] la somme de 35'700'euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande de dommages et intérêts pour inexécution déloyale du contrat de travail et manquement à l'obligation de prévention

M. [J] reproche à son employeur d'avoir porté atteinte à sa vie privée en fouillant le 5 février 2020 ses affaires personnelles (son sac qui se trouvait en salle de pause) et en cherchant à le soumettre à un éthylotest en violation des dispositions du règlement intérieur.

Cependant, M. [J] n'apporte aucun élément permettant d'établir que M. [W] [C] a fouillé son sac sans son assentiment.

En outre, s'il est exact qu'un alcootest a été proposé à M. [J], il ne lui a été aucunement imposé, sachant que ce teste était destiné à lever le doute sur son aptitude à prendre la route, compte tenu de l'odeur d'alcool constatée par M. [W] [C].

Enfin, le seul fait que M. [J] ait été placé en arrêt de travail pour un syndrome dépressif à compter du 5 février 2020 ne permet pas de retenir un manquement de l'employeur à son obligation de prévention.

Dès lors, aucun manquement de la société Tapis [Localité 6] à son obligation de loyauté ou à son obligation de prévention n'est caractérisé.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [J] de sa demande de dommages et intérêts présentée sur ce fondement.

Sur les dépens et l'indemnité de procédure

Le jugement de première instance sera confirmé concernant le sort des dépens et l'indemnité de procédure.

La société Tapis [Localité 6] sera condamnée aux dépens conformément à l'article 696 du code de procédure civile, sans qu'il soit nécessaire de préciser quels sont les frais compris dans les dépens.

L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, les parties étant déboutées de leur demande formée sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement rendu le 28 juin 2021 par le conseil de prud'hommes de Roubaix sauf en ce qu'il a jugé que le licenciement de M. [J] est dénué de cause réelle et sérieuse et a alloué à celui-ci la somme de 35 700 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau,

DIT que le licenciement de M. [J] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

DEBOUTE M. [J] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Tapis [Localité 6] aux dépens de l'appel ;

DEBOUTE les parties de leur demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER

Valérie DOIZE

LE PRESIDENT

Pierre NOUBEL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale d salle 2
Numéro d'arrêt : 21/01305
Date de la décision : 07/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-07;21.01305 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award