La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/07/2023 | FRANCE | N°22/02181

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 06 juillet 2023, 22/02181


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 06/07/2023



****





N° de MINUTE : 23/260

N° RG 22/02181 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UII7



Jugement (N° 20/00095) rendu le 08 Mars 2022par le tribunal judiciaire de Dunkerque





APPELANT



Monsieur [W] [K]

né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 8] (59)

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 7]



Représent

é par Me Faïza Elmokretar, avocat au barreau de Dunkerque, avocat constitué

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 59178/02/22/4599 du 20/05/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de D...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 06/07/2023

****

N° de MINUTE : 23/260

N° RG 22/02181 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UII7

Jugement (N° 20/00095) rendu le 08 Mars 2022par le tribunal judiciaire de Dunkerque

APPELANT

Monsieur [W] [K]

né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 8] (59)

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représenté par Me Faïza Elmokretar, avocat au barreau de Dunkerque, avocat constitué

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 59178/02/22/4599 du 20/05/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai)

INTIMÉES

Association Bureau Central Français représentant la compagnie de droit roumain Uniqa Asigurari SA, dont le siège social est [Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 9]

Représentée par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assisté de Me Myriam Houfani, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant substitué par Me Sophie Barbero, avocat au barreau de Paris

S.A. Mga Monceau Generale Assurances agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Yann Leupe, avocat au barreau de Dunkerque, avocat constitué, assistée de Me Fabien Boisgard, avocat au barreau de Tours, avocat plaidant

Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Flandres

[Adresse 4]

[Localité 8]

Défaillante à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 13 juillet 2022 à personne habilitée

DÉBATS à l'audience publique du 03 mai 2023 tenue par Claire Bertin magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 06 juillet 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 11 avril 2023

****

EXPOSE DU LITIGE

1. Les faits et la procédure antérieure :

Le 22 novembre 2014, M. [W] [K] a été victime d'un accident de la circulation routière survenu à [Localité 10] sur l'autoroute A16, impliquant le véhicule Peugeot 407, assuré auprès de la société Monceau générale assurances (MGA), et un ensemble routier conduit par Mme [D] [V], assuré auprès de la société de droit roumain Uniqa asigurari, représentée par l'association le Bureau central français (BCF).

M. [K] a subi à la suite de l'accident un polytraumatisme responsable d'une hémorragie intra-vitréenne droite, d'une dissection de l'artère vertébrale gauche, et de multiples fractures du plancher orbital droit, des apophyses C6 C7, de la lame C5 non déplacé, de cinq côtes, de l'omoplate gauche, du cotyle gauche, de l'apophyse transverse L1 L3, et de la jambe droite, laquelle a nécessité la mise en place d'un fixateur externe et la réalisation d'un parage de la plaie au regard du foyer de fracture.

Par actes d'huissier de justice du 21 et 23 juin 2016, M. [K] a fait assigner le BCF représentant la société de droit roumain Uniqa asigurari, et la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Flandres devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Dunkerque afin d'obtenir une expertise médicale, et une provision de 10 000 euros à valoir sur la liquidation ultérieure de son préjudice.

Par acte du 12 août 2016, le BCF a fait assigner la MGA afin que l'expertise judiciaire lui soit, le cas échéant, déclarée opposable.

La jonction des procédures a été ordonnée le 8 septembre 2016.

Par ordonnance du 27 octobre 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Dunkerque a confié à M. [J] une expertise médicale, mais a rejeté la demande de provision, considérant que pouvait s'élever une contestation sérieuse quant à l'obligation d'indemnisation du BCF.

L'expert [J] a déposé son rapport le 10 février 2017, concluant à l'absence de consolidation de l'état de santé de la victime, et à un déficit fonctionnel permanent qui ne sera pas inférieure à 50%.

Suivant actes d'huissier délivrés le 4, 6 et 13 décembre 2019, M. [K] a fait assigner la CPAM des Flandres, la MGA, et le BCF devant le tribunal de grande instance de Dunkerque notamment aux fins de voir condamner le BCF à le garantir et à l'indemniser de l'ensemble de ses préjudices, de voir ordonner une nouvelle mesure d'expertise médicale judiciaire, et d'obtenir une provision de 10 000 euros à valoir sur la liquidation de son préjudice.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 8 mars 2022, le tribunal de grande instance devenu tribunal judiciaire de Dunkerque a :

- dit que M. [K] avait « commis plusieurs fautes de nature à l'exclure de son droit à indemnisation pour le préjudice subi lors de l'accident de la circulation survenu le 22 novembre 2014 »;

- débouté M.  [K] de sa demande d'expertise médicale ;

- débouté M. [K] de sa demande d'indemnité provisionnelle ;

- condamné solidairement M. [K] et la MGA à payer au BCF la somme de 13 379,78 euros au titre des dommages causés au domaine public ;

- condamné M. [K] aux dépens dont distraction au profit de la SCP Vanbatten-Catrix et de Maître Bruno Khayat, membre de la SELARL Dhorne-Carlier-

Khayat ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 4 mai 2022, M. [K] a formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de l'intégralité du dispositif de ce jugement.

4. Les prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 juillet 2022, M. [K], appelant principal, demande à la cour, au visa des dispositions de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 et de l'article 145 du code de procédure civile, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement querellé, et notamment de :

- dire et juger qu'il avait la qualité de piéton lorsqu'il a été percuté par le véhicule poids-lourd conduit par Mme [V] le 22 novembre 2014 ;

- dire et juger qu'il n'a commis aucune faute de nature à exclure totalement l'indemnisation de son préjudice ; subsidiairement, limiter l'indemnisation de son préjudice à hauteur de 70% ;

- condamner le BCF à le garantir et à l'indemniser de l'ensemble de ses préjudices ;

- débouter les intimés de toutes demandes contraires ;

- désigner tel expert du choix de la juridiction pour procéder à une mesure d'expertise médicale avec mission habituelle complète ;

- déclarer la décision à intervenir opposable à la CPAM et à MGA ;

- condamner le BCF à lui payer une provision de 10 000 euros ;

- condamner le BCF à payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

A l'appui de ses prétentions, M. [K] fait valoir que :

- après avoir heurté une glissière de sécurité, il s'est retrouvé sur l'autoroute à l'extérieur de son véhicule ; le poids-lourd conduit par Mme [V] a percuté son véhicule à l'arrêt, le projetant sur lui ;

- si son état de santé est désormais stabilisé, il a dû être amputé de la jambe droite et porte désormais une prothèse oculaire ;

- s'il s'agit d'un seul et même accident, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir eu le temps de se mettre à l'abri des autres usages de la route ;

- en revanche, si l'on retient qu'il a eu le temps de se mettre à l'abri, il est impossible de considérer que les deux collisions constituent un seul et même accident lui faisant conserver sa qualité de conducteur ;

- il avait la qualité de piéton, et son préjudice doit être garanti et intégralement indemnisé ;

- il estime que deux accidents distincts sont survenus : le premier lorsqu'il percute la glissière de sécurité en tenant d'éviter des chats sans qu'il en résulte pour lui aucun dommage corporel ; le second lorsque, se trouvant à l'extérieur de sa voiture, l'ensemble routier a percuté son véhicule arrêté, qui l'a à son tour renversé ; il n'avait plus la maîtrise de son véhicule au moment de la seconde collision ;

- seule la faute intentionnelle ou inexcusable d'un piéton est de nature à réduire son droit à indemnisation ; il n'a pas volontairement recherché le dommage qu'il a subi ; il n'était pas ivre, et avait allumé les feux de détresse et le plafonnier ;

- dans l'hypothèse même où il aurait conservé sa qualité de conducteur, il n'a commis aucune faute de nature à exclure son droit à indemnisation ; en tout état de cause, son état d'alcoolisation n'a concouru à la survenance ni du premier accident ni du second ; il n'a pas été poursuivi pénalement pour défaut de maîtrise, mais seulement pour conduite en état alcoolique.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 3 octobre 2022, la MGA, intimée, demande à la cour, au visa de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 et de l'article L. 376-1 du code de procédure civile, de :

- confirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions ;

subsidiairement,

- lui donner acte de ses protestations et réserves d'usage quant à l'expertise médicale sollicitée par M. [K] ;

- dire et juger que l'expertise devra avoir lieu aux frais avancés de M. [K] ;

- débouter M. [K] de l'ensemble de ses demandes plus amples ou contraires ;

y ajoutant,

- « condamner M. [K] à lui verser une indemnité de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [K] à lui verser une indemnité de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile » ;

- déclarer l'arrêt à venir commun à la CPAM des Flandres ;

- condamner M. [K] aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Yann Leupe, membre de la SELARL Leupe-Verhoeven-Dhorne, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, la MGA fait valoir que :

- les investigations des enquêteurs ont montré que M. [K], qui conduisait avec un taux d'alcoolémie de 1,4 gramme d'alcool par litre de sang, a perdu le contrôle de son véhicule, percuté sur sa gauche le terre-plein central en béton de l'autoroute, traversé les deux voies de circulation pour aller percuter sur sa droite les glissières de sécurité avant de s'immobiliser sur la voie de droite ; il est alors sorti de son véhicule sans éclairage ni feux de détresse, et est resté à côté de son véhicule sur la voie de droite, surprenant la conductrice de l'ensemble routier qui, arrivant dans le même sens de circulation, a percuté par l'arrière le véhicule Peugeot 407, celui-ci heurtant M. [K] et le projetant derrière les glissières de sécurité ;

- outre le dommage corporel subi par M. [K], des dégâts matériels ont été occasionnés à l'ensemble routier roumain et aux infrastructures autoroutières ;

- elle a accepté d'indemniser le propriétaire de l'ensemble routier roumain à hauteur de 87 021,35 euros pour les dégâts matériels occasionnés au poids-lourd, et de 9 807,58 euros pour la marchandise transportée ;

- elle a en revanche refusé d'indemniser M. [K] au titre de la garantie facultative « dommages subis par le conducteur », lui opposant l'exclusion de garantie prévue au contrat en cas de conduite en état d'imprégnation alcoolique ;

- M. [K] ne justifiant pas en quoi il a intérêt à lui rendre l'arrêt commun, elle doit être mise hors de cause ;

- dans le cadre spécifique d'un accident de la circulation complexe avec une succession de collisions, la qualité de conducteur ou de piéton de la victime ne peut changer au cours de l'accident ;

- elle ne conteste pas le jugement dont appel en ce qu'il l'a condamnée avec M. [K] à payer au BCF la somme de 13 379,78 euros en réparation du préjudice causé au domaine public.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 4 octobre 2022, le BCF, intimé et appelant incident, demande à la cour, au visa des dispositions de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 et notamment son article 4, et des articles R. 417-9, R. 412-6, R 421-7 et R. 234-1 du code de la route, de :

- confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a :

- dit que M. [K] avait commis plusieurs fautes de nature à exclure son droit à indemnisation pour le préjudice subi lors de l'accident de la circulation survenu le 22 novembre 2014 ;

-débouté celui-ci de sa demande d'expertise et sa demande de provision ;

- condamné solidairement M. [K] et la MGA à lui payer la somme de 13 379,78 euros au titre de dommages et intérêts causés au domaine public ;

- condamné M. [K] aux entiers dépens de première instance ;

- débouter M. [K] de l'intégralité de ses demandes à son encontre, compte tenu de sa qualité de conducteur au moment de l'accident de la circulation dont il a été victime le 22 novembre 2014 et des fautes de conduites excluant son droit à réparation en application de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 ;

- le déclarer, en sa qualité de représentant de la société Uniqa asigurari, recevable en ses demandes ;

- débouter la MGA de ses demandes à son encontre ;

- condamner in solidum M. [K] et son assureur MGA à lui payer, en sa qualité de représentant de la société Uniqa asigurari, la somme de 13 379,78 euros en remboursement des dommages causés au domaine public ;

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa réclamation de première instance au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

y faisant droit et statuant à nouveau,

- condamner M. [K] à lui payer la somme de 8 000 euros pour les frais irrépétibles de première instance, et de 8 000 euros pour les frais irrépétibles d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [K] aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Loïc le Roy, avocat au barreau de Douai, membre de la SELARL Lexavoue Amiens-Douai.

A l'appui de ses prétentions, le BCF fait valoir que :

- une victime ne peut avoir deux qualités différentes, celles de piéton et de conducteur, lors d'un même accident ;

- à la suite d'une première collision, M. [K] est sorti de son véhicule, lequel n'était pas éclairé sur une chaussée non éclairée, pour faire signe aux automobilistes arrivant derrière lui ; il s'est placé, sans gilet réfléchissant, sans triangle de sécurisation et en état d'ivresse avancé, à proximité de son véhicule sur

l'autoroute ;

- il s'agit d'un accident complexe, unique et indivisible, les collisions étant survenues dans un même laps de temps, un même lieu, et dans un enchaînement continu, au cours duquel M. [K] a conservé sa qualité de conducteur ;

- la thèse selon laquelle M. [K] aurait perdu le contrôle de son véhicule en tentant d'éviter deux chats sur l'autoroute est peu probante au vu des constatations matérielles effectuées par les enquêteurs ;

- la perte de contrôle initiale s'explique en réalité par le taux d'alcoolémie élevé de M. [K] et son défaut de maîtrise ; puis, il s'est arrêté sur la voie de droite, gênant ainsi la circulation des autres usagers, et ne s'est pas mis à l'abri sur la bande d'arrêt d'urgence ;

- l'ensemble des fautes commises successivement par le conducteur sont de nature à exclure son droit à indemnisation.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 11 avril 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

I - Sur la perte alléguée de la qualité de conducteur

L'article 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dispose que la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis.

Le conducteur est celui qui accomplit les gestes nécessaires à la conduite d'un véhicule terrestre à moteur ou qui tout au moins en conserve la maîtrise.

Il appartient à la cour de se prononcer sur le fait de savoir si le conducteur victime, dont le véhicule a été accidenté lors d'une première collision, est resté conducteur au sens de l'article précité après être sorti de son véhicule afin de prévenir les autres usagers d'un danger imminent.

En l'espèce, il résulte de l'enquête de police que :

- le 26 novembre 2014 vers 7 heures à [Localité 10] (59) sur l'autoroute A16 est survenu, de nuit sur chaussée rectiligne en bon état, un accident corporel de la circulation routière entre un véhicule Peugeot 407, assuré auprès de la MGA, et un ensemble routier conduit par Mme [V], assuré auprès de la société de droit roumain Uniqa asigurari ;

- les constatations matérielles mettent d'abord en évidence une perte de contrôle au cours de laquelle le véhicule Peugeot 407 conduit par M. [K] est venu percuter sur sa gauche le terre-plein central de l'autoroute, puis a traversé les voies de circulation pour aller heurter sur sa droite les glissières de sécurité le long de la bande d'arrêt d'urgence, avant de s'immobiliser sur la voie de circulation de droite ; - M. [K] est ensuite sorti de son véhicule, se plaçant à côté de celui-ci pour avertir les autres usagers ; la conductrice de l'ensemble routier, qui progressait sur la voie de droite dans le même sens de circulation que lui, a freiné, s'est déportée sur la gauche cherchant à éviter la collision avec la Peugeot 407 arrêtée sans éclairage en pleine voie de circulation, mais a percuté l'arrière gauche du véhicule léger, et perdu le contrôle du poids-lourd qui s'est couché sur le flanc gauche, le tracteur endommageant le terre-plein central en béton ;

- les constatations médicales ont révélé que M. [K] conduisait avec un taux d'alcoolémie de 1,4 gramme d'alcool par litre de sang ;

- Mme [V] a expliqué aux enquêteurs qu'il faisait nuit, qu'elle progressait sur l'autoroute A16 à une vitesse d'environ 84 km/h, qu'elle avait vu un véhicule léger arrêté sur la voie de droite dans son sens de circulation, sans éclairage ni feux de détresse, qu'elle avait vu le conducteur à l'extérieur de la voiture sur la gauche près de la portière conducteur, qu'elle avait freiné pas trop brusquement pour ne pas bloquer ses roues et donné un coup de volant à gauche pour tenter de l'éviter, qu'elle avait percuté l'arrière de la voiture avec son avant droit, qu'elle avait vu le piéton essayer d'esquiver vers la bande d'arrêt d'urgence, et qu'elle était certaine de ne pas l'avoir percuté avec le camion ;

- un témoin, M. [N], a indiqué notamment qu'il avait vu un semi-remorque étranger faire plusieurs écarts afin d'éviter un véhicule arrêté sur les voies de circulation, et qu'il n'y avait pas d'autre véhicule impliqué dans cet accident ;

- lors de son interrogatoire le 16 janvier 2015, M. [K] a relaté qu'il circulait à une vitesse d'environ 100 ou 110 km/h lorsque, surpris par la présence de chats, il avait donné un coup de volant, tapé dans le muret central, puis avait réussi à s'arrêter « sur la bande d'arrêt d'urgence, un peu à cheval sur la voie de droite » ; il avait vu des phares dans son rétroviseur, était descendu pour se placer à l'extérieur côté passager au niveau de l'avant du véhicule, précisant : « j'ai même fait des signes au poids-lourd qui arrivait pour le faire s'écarter ; soudain, j'ai réalisé que le conducteur ne me voyait pas, j'ai été tétanisé et le poids-lourd a percuté ma voiture ; sous le choc, ma tête a percuté le pare-brise violemment et je ne me souviens de rien pour ce qui s'est passé après » ; il a admis qu'il avait consommé de l'alcool en excès durant la nuit.

De l'ensemble de ces éléments d'enquête, pièces et constatations, il ressort à l'évidence que les deux collisions successives, la première au cours de laquelle le conducteur, M. [K], a perdu seul le contrôle de son véhicule léger en heurtant le terre-plein central à gauche, puis la glissière de sécurité à droite, et est venu s'immobiliser sur la voie de circulation de droite, et la seconde au cours de laquelle ledit véhicule, arrêté sur l'autoroute, a été percuté à l'arrière gauche par un ensemble routier qui n'a pas réussi à l'éviter, sont intervenues dans un même laps de temps, en un même endroit, et suivant un enchaînement continu, de sorte qu'elles constituent un seul et unique accident.

S'agissant d'un accident de la circulation complexe présentant une succession de deux collisions, la cour retient que la qualité de conducteur de la victime ne peut changer au cours de cet accident reconnu comme unique et indivisible, et qu'en conséquence, le conducteur dont le véhicule a été accidenté lors d'une première phase n'en reste pas moins conducteur et non piéton, lorsqu'il est percuté après être descendu de son véhicule lors d'une seconde phase.

Le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il a retenu que M. [K] n'avait pas perdu sa qualité de conducteur du véhicule impliqué quand bien même il en était sorti au moment du second impact.

II - Sur la faute du conducteur de nature à exclure son droit à indemnisation

En vertu de l'article 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis, sauf s'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice.

La faute de la victime ayant contribué à la réalisation de son préjudice s'apprécie en faisant abstraction du comportement de l'autre conducteur du véhicule impliqué dans l'accident. Les juges du fond n'ont pas à rechercher, pour exclure son droit à indemnisation, si la faute du conducteur victime est la cause exclusive de l'accident mais doivent seulement examiner si cette faute a contribué à la réalisation de son préjudice et apprécier sa gravité afin de réduire ou exclure son droit à indemnisation.

Le droit à indemnisation d'un conducteur victime même en présence d'une faute n'est ni réduit, ni supprimé dès lors que cette faute n'a eu aucune conséquence sur le dommage subi. Le lien de causalité s'apprécie entre la faute commise et le dommage, et non entre la faute et l'accident. Pour réduire le droit à indemnisation d'une victime conductrice, il suffit donc que la faute de la victime ait eu une incidence sur son dommage et il n'importe pas qu'elle ait eu une influence dans la manière dont s'est déroulé l'accident.

Il s'ensuit que les fautes de conduite reprochées à M. [K] doivent s'apprécier indépendamment du comportement de la conductrice du poids-lourd impliqué.

En l'espèce, l'enquête de police a suffisamment démontré que M. [K], qui conduisait en complet état d'ébriété, a perdu le contrôle de son véhicule, peu important ici l'origine de son embardée, présence d'un animal ou déficit sensoriel ou d'attention lié à l'absorption d'alcool, a percuté sur sa gauche le terre-plein central en béton de l'autoroute, traversé les deux voies de circulation pour aller percuter sur sa droite les glissières de sécurité avant de s'immobiliser sur la voie de droite, gênant ainsi la progression d'autres véhicules ; il est ensuite sorti de son véhicule sans actionner l'éclairage ni les feux de détresse, sans revêtir un gilet de sécurité ni se munir d'un triangle de pré-signalisation, et s'est positionné de nuit sans précaution sur la chaussée devant son véhicule accidenté, agitant les bras pour alerter les usagers de l'autoroute.

En agissant ainsi au mépris des règles de sécurité routière les plus élémentaires, notamment en conduisant en état alcoolique au point de voir son discernement gravement altéré, en arrêtant son véhicule en pleine voie de circulation et non sur la bande d'arrêt d'urgence, en se tenant debout sur la chaussée à proximité immédiate de son véhicule accidenté pour alerter les usagers, sans utiliser les avertisseurs lumineux ou réfléchissants préconisés par le code de la route et sans se réfugier derrière les glissières de sécurité, M. [K] a d'évidence commis plusieurs fautes graves à l'occasion de sa conduite sur autoroute, lesquelles ont directement contribué à la réalisation de son propre dommage.

C'est par une exacte appréciation des faits et de la cause que le premier juge a considéré que l'appelant avait commis une succession de fautes en relation de causalité directe et certaine avec son préjudice, et ayant pour effet d'exclure son droit à indemnisation.

Le jugement dont appel sera confirmé sur ce point.

III - Sur l'expertise judiciaire et sur l'indemnité provisionnelle

En considération d'une telle exclusion du droit à indemnisation du conducteur victime, il convient de débouter purement et simplement M. [K] de sa demande d'expertise médicale judiciaire, ainsi que de sa demande de condamnation provisionnelle formulée à l'encontre du BCF.

IV - Sur l'indemnisation des dommages causés au domaine public

Le premier juge a considéré que les fautes commises par M. [K] étaient l'unique cause de l'accident, et a condamné solidairement celui-ci avec son assureur MGA à payer au BCF, représentant la société de droit roumain Uniqa asigurari, la somme de 13 379,78 euros au titre des dommages causés au domaine public,

M. [K] sollicite l'infirmation de cette disposition, au motif qu'il était piéton et que seule une faute intentionnelle ou inexcusable pouvait réduire son droit à indemnisation.

La MGA acquiesce à cette disposition, et en demande la confirmation.

Le BCF demande la confirmation sur ce point, considérant que le premier juge a intégralement fait droit à sa demande reconventionnelle, et qu'aucune faute ne pouvait être reprochée à la conductrice du poids-lourd.

Sur ce, le BCF justifie que la société Macif, prise en sa qualité de correspondante en France de la société Uniqa asigurari, a payé au trésor, à la demande du ministère de l'écologie et du développement durable, une somme de 13 379,78 euros en remboursement des dommages matériels causés au domaine public à la suite de la dégradation du terre-plein central.

Si M. [K] est le seul à contester le jugement dont appel en ce qu'il l'a condamné solidairement avec son assureur, la MGA, à payer au BCF, pris en sa qualité de représentant de la société Uniqa asigurari, la somme de 13 379,78 euros au titre des dommages causés au domaine public, force est de constater qu'il n'articule à cet égard aucun moyen de défense sur le principe et le quantum des sommes qui lui sont réclamées.

Le jugement dont appel sera confirmé sur ce point, sauf à préciser que la condamnation est prononcée in solidum entre l'assuré et la MGA, et non solidairement comme l'a retenu le premier juge.

V - Sur l'opposabilité de l'arrêt à la MGA et à la CPAM

L'appelant demande à la cour de déclarer la décision à intervenir opposable à la CPAM et à la MGA, mais n'articule aucun moyen à cet égard.

Dans sa motivation, la MGA demande à être mise hors de cause, mais ne formule pour autant aucune demande à ce titre dans le dispositif de ses conclusions.

Sur ce, étant ici rappelé que l'assureur MGA a été condamné in solidum avec son assuré à verser au BCF une indemnité de remboursement des dommages causés au domaine public, le présent arrêt sera déclaré commun à la CPAM des Flandres et opposable à l'assureur MGA.

VI - Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement querellé sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance.

M. [K] qui succombe sera condamné aux entiers dépens d'appel.

En application de l'article 699 du code de procédure civile, la cour autorisera Maître Yann Leupe, avocat membre de la SELARL Leupe-Verhoeven-Dhorne, et Maître Loïc le Roy, avocat au barreau de Douai, membre de la SELARL Lexavoue Amiens-Douai, à recouvrer directement contre la personne condamnée les dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

En revanche, l'équité conduit la cour à débouter la MGA et le BCF de leurs demandes respectives d'indemnité de procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 8 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Dunkerque, sauf à préciser que M. [W] [K] et la société Monceau générale assurances (MGA) sont condamnées in solidum à payer à l'association Bureau central français (BCF), pris en sa qualité de représentant de la société de droit roumain Uniqa asigurari, la somme de 13 379,78 euros au titre des dommages causés au domaine public ;

Y ajoutant,

Déclare l'arrêt commun à la caisse primaire d'assurance maladie des Flandres, et opposable à la société Monceau générale assurances ;

Déboute les parties de leurs plus amples prétentions ;

Condamne M. [W] [K] aux dépens d'appel ;

Dit qu'en application de l'article 699 du code de procédure civile, Maître Yann Leupe, avocat membre de la SELARL Leupe-Verhoeven-Dhorne, et Maître Loïc le Roy, avocat au barreau de Douai, membre de la SELARL Lexavoue Amiens-Douai, recouvreront directement contre M. [W] [K] les dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision ;

Déboute les parties de leurs demandes d'indemnité de procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier

Fabienne Dufossé

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 22/02181
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;22.02181 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award