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06/07/2023 | FRANCE | N°21/06067

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 06 juillet 2023, 21/06067


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 06/07/2023





****





N° de MINUTE :

N° RG 21/06067 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T7PL - jonction RG 21/06081



Jugement (N° 18/00310) rendu le 21 Octobre 2021 par le tribunal judiciaire d'Arras







APPELANTS



Monsieur [H] [N]

né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 8] (62)

de nationalité Française

[Adresse 3

]

[Localité 5]



Représenté par Me Vincent Debliquis, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué, assisté de Me Hélène Feron-Poloni, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant



SCI . PHD CAPITAL agissant par so...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 06/07/2023

****

N° de MINUTE :

N° RG 21/06067 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T7PL - jonction RG 21/06081

Jugement (N° 18/00310) rendu le 21 Octobre 2021 par le tribunal judiciaire d'Arras

APPELANTS

Monsieur [H] [N]

né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 8] (62)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Vincent Debliquis, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué, assisté de Me Hélène Feron-Poloni, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

SCI . PHD CAPITAL agissant par son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 9]

[Localité 6]

Représentée par Me Vincent Debliquis, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué, assisté de Me Hélène Feron-Poloni, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

INTIMÉE

Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Charles Delavenne, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant

DÉBATS à l'audience publique du 23 mars 2023 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 6 juillet 2023 après prorogation du délibéré en date du 01 juin 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 13 mars 2023

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

M. [H] [N] est le gérant de la société civile PHD Capital, dont l'objet social est l'acquisition et la gestion de tout portefeuille de valeurs mobilières ou autre titre de placement.

En octobre, puis novembre et décembre 2017, pour réaliser des opérations en relation avec la crypto-monnaie à titre personnel et pour le compte de la société PHD Capital, M. [N] a demandé à la Caisse régionale de Crédit agricole mutuelle Nord de France (la CRCA) de procéder à une série de virements internationaux pour un montant total de 1 350 000 euros à destination de comptes ouverts par une société ICBC Market bank, exerçant sous l'enseigne Crypto-Monneo (Crypto-Monneo), dans des établissements bancaire domiciliés en Hongrie et en Slovaquie.

M. [N] a ainsi ordonné les virements suivants':

- 10 000 euros, 1 000 euros, 4 000 euros et l00 000 euros les 17, 20 et 25 octobre 2017 depuis le compte de la société PHD Capital, ainsi que 350 000 euros et 10 000 euros les 25 et 27 octobre-20 l7 depuis son compte personnel vers un compte ouvert au nom de «'ICBC Exchange KFT'» au sein de la banque Raiffeisen bank domiciliée en Hongrie';

- 235 000 euros le 29 novembre 2017 depuis le compte de la société PHD Capital et 140 000 euros le même jour depuis son compte personnel vers un compte ouvert au nom de «'ICBC Market SRO au sein de la banque Unicredit bank domiciliée en Slovaquie';

- 500 000 euros le 12 décembre 2017 depuis son compte personnel vers un compte ouvert au nom de «'ICBC Exchange'» au sein de la banque Tatra banka domiciliée en Slovaquie.

Le 9 avril 2018, M. [N] a déposé plainte pour escroquerie auprès des services de police à l'encontre de Crypto-Monneo.

Par acte du 31 janvier 2018, M. [N] et la société PHD Capital ont fait assigner la CRCA devant le tribunal de grande instance d'Arras en responsabilité, invoquant des manquements de cette dernière à son devoir de vigilance.

Par ordonnance du 20 décembre 2018, le juge de la mise en état a fait injonction à la CRCA de produire l'intégralité de ses messages Swift avec la banque slovaque concernant le dernier virement de 500 000 euros réalisé en décembre 2017.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 21 octobre 2021, le tribunal judiciaire d'Arras a :

1- déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer présentée par la CRCA

2- débouté M. [N] et la société PHD Capital de leur action en responsabilité et de leurs demandes d'indemnisation et de publication à l'encontre de la CRCA';

3- débouté la CRCA de sa demande d'indemnisation à l'encontre de M. [N] et de la société PHD Capital pour procédure abusive ;

4- condamné solidairement M. [N] et la société PHD Capital à payer à la CRCA la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure

civile ;

5- débouté M. [N] et la société PHD Capital de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

6- rejeté la demande d'exécution provisoire ;

7- condamné M. [N] et la société PHD Capital aux dépens.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 3 décembre 2021, M. [N] et la société PHD Capital ont formé appel de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 2, 4, 5 et 7 ci-dessus.

Une nouvelle déclaration d'appel ayant été formée le 6, puis le 9 décembre 2021 par M. [N] et la société PHD Capital, les instances ont été jointes par ordonnances du 24 mars 2022 sous le numéro RG 21/06067.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 08 mars 2021, M. [N] et PHD Capital demandent à la cour, au visa des articles 1104 et 1231-1 (anciens 1134 et 1147) du code civil, L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier, de':

- juger qu'ils sont recevables et bien fondés en leur appel,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la CRCA de sa demande de dommages et intérêts à leur encontre pour procédure abusive';

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions défavorables aux concluants,

- débouter la CRCA de son appel incident, de l'ensemble de ses demandes, demandes reconventionnelles, fins, conclusions et prétentions,

- dire irrecevable la CRCA en ses demandes à titre principal de « débouter en conséquence M. [N] et la société civile de portefeuille PHD Capital de leurs demandes d'indemnisation et de publication », et à titre subsidiaire de « débouter en conséquence M. [N] et la société civile de portefeuille PHD Capital de leurs demandes de dommages et intérêts et de publication », en ce qu'elles ont été formulées tardivement dans ses conclusions n°2 signifiées le 17 octobre 2022,

Statuant à nouveau :

- juger que la CRCA a manqué à son devoir de vigilance et commis des fautes préjudiciables à leur encontre';

- condamner la CRCA à payer à M. [N] la somme de 1 000 000 euros, au titre du préjudice lié aux virements, avec intérêts au taux légal applicable pour les créances de particuliers envers les professionnels à compter de l'assignation,

- condamner la CRCA à payer à M. [N] la somme de 80 000 euros, au titre du préjudice lié aux conséquences financières de la situation hors virements, avec intérêts au taux légal applicable pour les créances de particuliers envers les professionnels à compter de l'assignation,

- condamner la CRCA à payer à M. [N] la somme de 100 000 euros, au titre du préjudice moral, avec intérêts au taux légal applicable pour les créances de particuliers envers les professionnels à compter de l'assignation,

- condamner la CRCA à payer à la société PHD Capital la somme de 350 000 euros, au titre du préjudice lié aux virements, avec intérêts au taux légal applicable pour les créances de professionnels à compter de l'assignation,

- ordonner la capitalisation des intérêts dès lors qu'ils seront dus pour une année entière,

- ordonner la publication par extrait du jugement à intervenir dans les journaux « la Voix du Nord » et « les Échos » dans la limite de 30 000 euros par insertion, à la charge exclusive de la CRCA';

En tout état de cause,

- condamner la CRCA à leur payer respectivement la somme de 25.000 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la CRCA en tous les dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Debliquis.

A l'appui de leurs prétentions, M. [N] et la société PHD Capital font valoir que':

=$gt; sur les fautes':

- des anomalies apparentes tant matérielles qu'intellectuelles affectaient les virements litigieux, qu'il appartenait à la CRCA de détecter en sa qualité de professionnelle': le caractère inhabituel des virements a été relevé par le propre service «'sécurité financière'» de la banque, étant relevé qu'il n'est pas établi qu'il ait auparavant réalisé des opérations régulières et pour ces montants à destination de comptes étrangers'; la CRCA elle-même exerce un contrôle sur l'identité du destinataire des fonds à l'étranger, dès lors qu'elle ne propose pas à ses clients de créer eux-mêmes un nouveau bénéficiaire de virement hors de France'; le contexte particulier des crypto-devises implique une vigilance renforcée des établissements bancaires, alors qu'il est notoire qu'il s'agit pour une partie de monnaies utilisées par le crime organisé, ainsi qu'en atteste le rapport 2015 établi par Tracfin ; la CRCA ne peut davantage ignorer l'existence sur le marché via internet d'un nombre important d'acteurs proposant des produits de placement atypiques sans disposer d'autorisation pour y procéder, tels que l'indique de façon récurrente l'AMF ; les principaux critères d'alerte de Tracfin étaient remplis, dès lors que les virements s'inscrivaient dans un contexte de promesses de rendements élevés, présentées à distance par des sociétés systématiquement situées à l'étranger et usant d'appellations commerciales différentes, avec recours à des comptes bancaires éphémères également situés à l'étranger ; la localisation dans un «'pays de l'Est'» implique nécessairement un risque de fraude'; le prétendu RIB du bénéficiaire avait une apparence inhabituelle, avec un logo grossier que les services spécialisés de la CRCA devait identifier comme douteux'; l'importance des montants transférés et les changements de dénomination sociale ou de comptes bancaires étaient également des éléments de contexte nécessitant un contrôle, alors que l'usurpation de l'identité de la plus grande banque mondiale (ICBC) pouvait être aisément déjouée sans recourir à des outils sophistiqués, dès lors que l'ouverture par un tel établissement de comptes dans de «'petites banques locales'», notamment en Slovaquie'; aucune vérification sur «'Cryptomonnéo'» n'a été effectuée par la CRCA'; le virement de décembre 2017 mentionne «'compte épargne dynamique'cryptomonnaie », de sorte que la CRCA ne peut valablement prétendre ignorer un tel contrat'; les vérifications alléguées par le banquier ne sont pas établies';

- ayant exécuté les virements internationaux à destination d'une société ICBC en dépit de nombreuses anomalies apparentes, la CRCA a manqué à son obligation de vigilance, pour n'avoir pas détecté (i) dès octobre 2017 que cette dernière avait en réalité usurpé l'identité d'une banque chinoise renommée, et avoir validé via son «'service risques'» les demandes de virements, alors qu'elle avait déjà manifesté un défaut de contrôle lors d'un virement antérieur destiné à l'achat de bitcoins en octobre 2017'; (ii) rassuré par l'analyse et les «'vérifications'» prétendues de la CRCA, ainsi que par la participation aux opérations des directeurs du patrimoine successifs, il a procédé à une nouvelle série de virements le 27 novembre 2017 sur un compte ouvert en Slovaquie au profit d'une société CBC Market SRO usurpant également l'identité de la société ICBC'; alors que la CRCA manifestait une réticence à exécuter les nouveaux virements au regard de leur caractère inhabituel et que M. [N] s'enquerrait alors de la régularité de la précédente série de virements, les demandes ont été en définitive à nouveau validées par les services de sécurité de la banque';

(iii) en décembre 2017, il a ordonné un dernier virement de 500 000 euros correspondant à un surcroît de liquidités résultant de la vente de valeurs mobilières, que la CRCA a validé, alors que l'entité bénéficiaire et l'État où était domicilié le compte destinataire (Slovaquie) avaient à nouveau changé';

- dans un contexte de «'chantage'» exercé par la CRCA, il a été contraint de céder des valeurs mobilières pour obtenir des liquidités lui permettant de procéder à des investissements': alors qu'il sollicitait un découvert supplémentaire de 140 000 euros, il a été contraint de procéder notamment à la vente de parts de SCPI pour un montant de 740 000 euros et de bitcoins, et ceci à perte': il subit par conséquent un préjudice consistant en la perte d'opportunités de gains complémentaires en lien avec les placements ainsi liquidés';

- le 17 décembre 2017, craignant être victime d'une escroquerie, M. [N] a contacté la CRCA pour les interroger sur la possibilité d'annuler le dernier virement de 500 000 euros': si une procédure de «'recall'» lui a été exposée, aucun conseil de la banque n'a accompagné cette présentation et l'un de ses interlocuteurs lui a indiqué téléphoniquement que seule une somme de 40 000 euros restait créditée sur le compte bénéficiaire de sorte que le «'recall'» ne serait pas véritablement fructueux, alors que Cryto-Monneo lui a indiqué qu'il restituerait les fonds dès lors que cette procédure serait levée': pour préserver une telle possibilité de restitution amiable, M. [N] a opté le 18 décembre 2017 pour une annulation de cette procédure qu'un employé de la CRCA lui a demandé de confirmer par écrit lors d'un déplacement à son domicile; si l'annulation du «'recall'» a été effective le 19 décembre 2019, l'escroquerie était déjà consommée, dès lors que seuls 40 000 euros restaient disponibles à cette date'; alors que la CRCA a en définitive indiqué que la somme de 500 000 euros restaient disponibles sur un compte de tiers ouvert par la banque slovaque Tatra bank, elle a toutefois différé ses diligences dans l'attente de la communication d'une plainte, mis en doute la réalité de l'escroquerie et finalement renvoyé M. [N] à agir de son propre chef auprès des autorités slovaques pour obtenir la restitution de ces fonds';

- alors qu'il avait informé sa banque de l'escroquerie, la CRCA n'a pas cherché dès le 13 décembre 2017 à récupérer la totalité des fonds, au-delà des 500 000 euros visés par le dernier virement';

- la CRCA n'a pas respecté ses obligations de vigilance et de déclaration prévues par le code monétaire et financier qui lui impose une ingérence dans les affaires de ses clients en matière de blanchiment des capitaux': elle devait par conséquent s'enquérir de l'identité réelle des bénéficiaires des virements et rechercher la finalité économique des opérations litigieuses en raison de leur caractère inhabituel';

- la CRCA était autorisée à refuser d'exécuter un ordre de virement, en application de l'article L. 133-10 du code monétaire et financier, à charge d'en informer l'utilisateur de services de paiement';

- aucune mise en garde n'a été adressée par la CRCA, dès lors que la décharge qu'a signée M. [N] date de décembre 2017, soit postérieurement à la première série de virements ayant été validée sans réserve par la banque'; une décharge est l'inverse d'un accompagnement, alors qu'aucune réponse n'a été apportée à l'interrogation de M. [N] sur les qualités du bénéficiaire des virements dans un courriel du 29 novembre 2017'; les virements n'ont aucun lien avec l'acquisition de diamants, alors qu'une telle facture communiquée par les escrocs à leur banque slovaque est un faux';

=$gt; sur les préjudices':

M. [N] souffre d'un préjudice':

* économique': constitué à la fois par':

- les sommes visés par les virements': ayant été escroqué, M. [N] a été invité à se constituer partie civile dans le cadre d'une instruction en cours du chef d'escroquerie en bande organisée'; n'ayant pas été indemnisés dans ce cadre et n'ayant aucune possibilité d'obtenir une restitution des sommes litigieuses au regard de l'échec de la procédure de recall imputable à la CRCA et de l'écoulement de cinq années, M. [N] et la société PHD Capital ont définitivement perdu les sommes virées, de sorte que leur préjudice économique est égal à leur montant total'; la perte de chance ne s'applique pas'à la situation litigieuse, alors que la réparation intégrale du préjudice subi implique la condamnation de la CRCA à lui payer l'intégralité des sommes virées par sa faute ;

- des pertes autres que celles liées aux virements pour un montant de 80 000 euros : s'agissant «'notamment :

(i) du surplus d'intérêts débiteurs sur le découvert ;

(ii) des pertes liées à la vente forcée de ses parts de SCPI pour 730 000 euros (pertes par rapport au prix d'achat / perte de loyers')';

(iii) des pertes de gains complémentaires sur la vente forcée de ses actions et Bitcoins'».

* moral': résultant de l'angoisse née d'une telle escroquerie, qui a eu des répercussions sur son état de santé.

- la société PHD Capital souffre d'un préjudice économique à hauteur de 350 000 euros, correspondant au montant des sommes virées.

- s'il avait été informé de l'escroquerie, M. [N] n'aurait pas versé un euro, de sorte que le lien de causalité entre les fautes du banquier et ses préjudices est établi.

- ils n'ont pas abusé du droit d'agir en justice, dès lors que l'annulation de la procédure de «'recall'» repose sur une nouvelle man'uvre des escrocs ayant laissé espérer à tous les intervenants la restitution amiable des sommes.

- les demandes formulées par la CRCA de «'débouté'» visant l'indemnisation et la publication du jugement sont irrecevables pour avoir été présentées tardivement dans des conclusions n°2, en application de l'article 909 du code de procédure civile.

4.2. Aux termes de ses conclusions notifiées le 10 mars 2023, la CRCA demande à la cour de':

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* débouté M. [N] et la société civile de portefeuille PHD Capital de leur action en responsabilité et de leurs demandes d'indemnisation et de publication à l'encontre de la CRCA,

* les a condamné solidairement à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* les a débouté de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

* les a condamné aux dépens.

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

- l'a déboutée de sa demande d'indemnisation à l'encontre de M. [N] et de la société civile de portefeuille PHD Capital pour procédure abusive ;

- débouter les appelants de leurs demandes tendant à voir dire irrecevable ses demandes à titre principal de « débouter en conséquence Monsieur [N] et la société civile de portefeuille PHD Capital de leurs demandes d'indemnisation et de publication ; et à titre subsidiaire de débouter en conséquence Monsieur [N] et la société civile de portefeuille PHD Capital de leurs demandes de dommages-intérêts et de publication en ce qu'elles ont été formulées tardivement dans ses conclusions n° 2 signifiées le 17/10/22 »

En conséquence

=$gt; à titre principal

- débouter M. [N] et la société civile de portefeuille PHD Capital de l'intégralité de leurs demandes, fins, et conclusions ;

- juger qu'elle n'a pas manqué à ses obligations et n'a commis aucune faute préjudiciable à M. [N] et à la société civile de portefeuille PHD Capital

- débouter en conséquence M. [N] et la société civile de portefeuille PHD Capital de leurs demandes d'indemnisation et de publication ;

=$gt; à titre subsidiaire': si la cour devait retenir sa responsabilité

- débouter M. [N] et la société civile de portefeuille PHD Capital de leur demande de dommages et intérêts et de publication

=$gt; en tout état de cause :

- condamner M. [N] et la société civile de portefeuille PHD Capital au paiement de la somme de 20 000 euros au titre du préjudice subi pour procédure abusive

- condamner M. [N] et la société civile de portefeuille PHD Capital au paiement de la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [N] et la société civile de portefeuille PHD Capital aux entiers dépens de la présente instance.

A l'appui de ses prétentions, la CRCA fait valoir que :

- elle a respecté son obligation de vigilance, qui est limitée par le principe de non-ingérence dans les affaires de son client, face à un client averti disposant d'une culture financière et à la personnalité souvent agressive'; à cet égard, il n'appartient pas au banquier d'empêcher son client d'effectuer un acte irrégulier, inopportun ou dangereux ou de refuser d'exécuter un ordre de son client au motif qu'il ne serait pas judicieux'; le retard dans l'exécution d'un virement engage la responsabilité du banquier'; le principe de non-ingérence exclut que la banque vérifie la conformité d'un opération à l'objet social d'une société';

- le devoir de vigilance ne s'applique pas face à des opérations irrégulières, lorsque les clients ont consenti à l'opération de paiement, alors que le banquier est resté un tiers à l'investissement envisagé'; en l'espèce, les virements sont d'une part intervenus à l'initiative de M. [N], qui a fourni toutes les informations nécessaires à leur exécution'; d'autre part, seul M. [N] a décidé d'investir dans les bitcoins et choisi les établissements avec lesquels il souhaitait contracter, étant observé qu'il a admis avoir été directement contacté par Crypto-monneo : à cet égard, la banque n'a pas conseillé à son client un tel investissement dans le cadre de la restructuration de son patrimoine';

- aucun blocage des virements n'est intervenu, dès lors qu'ils ne présentaient pas d'anomalies apparentes matérielles ou intellectuelles'; le courriel interne à la banque n'avait pas pour objet de reconnaître le caractère inhabituel des virements à l'égard des donneurs d'ordre, mais de souligner que ce type d'opération était peu courant'; elle avait par conséquent l'obligation d'exécuter les ordres de virement'; aucun des motifs prévus pour refuser une telle exécution sur le fondement de l'article L.133-10 du code monétaire et financier n'est applicable à l'espèce';

- le devoir de vigilance a été respecté, alors qu'il s'agissait exclusivement de l'acquisition de crypto-monnaies : elle n'a commis aucune faute, en l'absence de toute anomalie apparente': (i) matérielle': les ordres de virement ont été signés et remis par le client à la banque'; les RIB ont été remis par M. [N], et comportaient la mention de l'Iban, étant observé que ces documents ont permis la réalisation effective des virements'; (ii) intellectuelle': d'une part, les opérations sollicitées étaient conformes à celles habituellement pratiquées par M. [N], alors qu'elles intervenaient sur un solde créditeur'; d'autre part, la localisation d'un établissement bancaire dans un «'pays de l'est'» ne peut automatiquement laisser suspecter une fraude'; à cet égard, son premier achat auprès d'une société Coinbase a été réalisé auprès d'une banque située en Estonie, sans que M. [N] ait été à cette occasion escroqué'; ensuite, les rendements importants annoncés (6 à 26 %) étaient conformes à ceux observés sur le marché de la crypto-monnaie'; enfin, seul M. [N] a été en contact avec la société ICBC, alors qu'il a directement conclu les contrats avec cette dernière, sans intervention de son propre banquier'; la réputation mondiale d'une telle banque ne permettait pas de mettre en doute l'opération'; alors que la Slovaquie et la Hongrie font partie de l'Union européenne, il ne s'agissait pas d'opérations offshore';

- aucun devoir de conseil ne lui incombe, à défaut d'avoir fourni un service de conseil en investissement, ou d'avoir spécialement conseillé une telle opération';

- aucune obligation de vigilance renforcée ne lui incombait en application de l'article L. 561-10-2 du code monétaire et financier, dès lors qu'elle n'existe qu'au titre du respect de la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme'; l'existence d'une déclaration auprès de Tracfin est confidentielle, de sorte qu'il ne peut lui être imposé de la produire, alors qu'une telle obligation ne porte que sur les comptes de ses clients, et non ceux de tiers';

- elle a valablement informé son client sur les risques liés à l'achat de cryptomonnaie, en lui adressant d'une part par courriels des articles de mise en garde sur de telles opérations en novembre et décembre 2017 et en lui faisant d'autre part signer des lettres de décharges comportant le rappel des risques attachés à ces mêmes opérations'; enfin, M. [N] n'est pas un client profane tant par son propre exercice professionnel de conseiller en investissement que par l'intérêt personnel qu'il témoigne à l'égard des questions d'investissement';

- subsidiairement': les préjudices invoqués sont contestés':

(i) d'une part, l'existence d'une escroquerie n'est pas établie, alors que M. [N] a tardé à déposer plainte et a demandé l'annulation de la procédure de «'recall'» ; la société PHD Capital a perçu sur son compte une rémunération provenant de la société ICBC Market SRO le 23 novembre 2017'; le virement de 140 000 euros vers cette même société correspond en outre à un achat de diamants, tel qu'il résulte d'une facture fournie par la banque slovaque';

(ii) d'autre part, le préjudice invoqué n'est pas certain, alors qu'il n'est pas établi que M. [N] et la société PHD Capital ne pourront pas récupérer les fonds ayant été virés';

(iii) les préjudices économiques autres que ceux liés aux virements n'ont pas de lien de causalité avec la faute reprochée, alors que M. [N] a seul décidé l'achat de bitcoins et de procéder à cet égard à des opérations sur des SCPI qu'il détenait pour permettre leur financement ;

(iv) le préjudice moral n'est pas justifié';

Ses demandes sont recevables, dès lors qu'elle n'est appelante incidente qu'à l'égard du seul chef du jugement l'ayant déboutée de sa demande indemnitaire au titre d'une procédure abusive, alors que sa demande de confirmation des chefs concernant le débouté des demandes de ses clients figure dans le dispositif de ses premières conclusions devant la cour'; l'ajout surabondant d'une telle demande de débouté dans ses conclusions récapitulatives est sans incidence.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'irrecevabilité des demandes de la CRCA':

En application de l'article 909 du code de procédure civile, l'intimé doit former appel incident dans ses premières conclusions notifiées dans un délai de 3 mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant.

En l'espèce, la CRCA n'est en réalité appelante incidente dans ses premières conclusions du 1er juin 2022 qu'au titre de sa demande d'infirmation du chef du jugement l'ayant déboutée de sa demande indemnitaire au titre d'une procédure abusive. Pour le surplus, elle a sollicité la confirmation du jugement critiqué, notamment en ce qu'il a débouté M. [N] et la société PHD Capital de leurs demandes d'indemnisation et de publication formées à son encontre.

La circonstance que le dispositif de ses conclusions ultérieures comporte à titre surabondant la mention qu'elle sollicite le débouté de M. [N] et de la société PHD Capital de ces mêmes demandes d'indemnisation et de publication est indifférente, alors qu'une telle prétention résulte directement de sa demande de confirmation du jugement critiqué de ce chef.

Aucune irrecevabilité des demandes formulées par la CRCA n'est ainsi établie.

Sur un manquement par la CRCA au devoir de vigilance':

Conformément aux dispositions de l'article L. 133-13 du code monétaire et financier, le banquier teneur de compte a l'obligation d'exécuter promptement un virement que son client lui ordonne, pourvu que l'ordre soit régulier et que le compte soit créditeur d'une somme disponible suffisante.

Étant tenu de ne pas s'immiscer dans les affaires de son client, le banquier n'a pas, en principe, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications pour s'assurer que les opérations qui lui sont demandées par son client sont régulières, non dangereuses pour lui et qu'elles ne sont pas susceptibles de nuire à un tiers.

Ce principe de non-ingérence de l'établissement teneur de compte trouve une limite tant dans le devoir général de vigilance lui incombant, encore appelé obligation générale de prudence, que dans son obligation spéciale de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

=$gt; au titre du devoir spécial de vigilance':

Pour autant, les obligations de'vigilance'et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des'articles'L.'561-5 à L.'561-22 du code monétaire et financier'ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. La victime d'agissements frauduleux ne peut donc se prévaloir de l'inobservation de ces obligations pour réclamer des dommages-intérêts.

N'étant pas instituées dans l'intérêt particulier du client de la banque, ces règles prudentielles invoquées par M. [N] (pages 53 à 64 de ses conclusions) ne peuvent constituer un fondement valable à sa demande indemnitaire à l'encontre de la CRCA, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation (Cass. com., 28'avr. 2004, n°'02-15.054, confirmée par Cass. com., 21'sept. 2022, n°'21-12.335).

=$gt; au titre du devoir général de vigilance':

Si la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n'a pas à procéder à de quelconques investigations sur l'origine, la destination et l'importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l'interroger sur l'existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu'aucun indice de falsification ne peut être décelé, le principe de non-ingérence laisse subsister la responsabilité contractuelle du banquier qui accepte d'enregistrer une opération dont l'illicéité ressort d'une anomalie apparente, c'est-à-dire une anomalie qui ne doit pas échapper au banquier diligent.

Si le devoir de non-immixtion trouve ainsi sa limite dans le devoir de surveillance du banquier, celui-ci est toutefois cantonné à la détection des seules anomalies apparentes, qu'elles soient matérielles, lorsqu'elles affectent les mentions figurant sur les documents ou effets communiqués au banquier, ou intellectuelles, lorsqu'elles portent sur la nature des opérations effectuées par le client et le fonctionnement du compte.

Par ailleurs, un établissement de crédit ayant fait preuve, à un moment donné, d'une'vigilance'dépassant le cadre légal de ses obligations en effectuant des recherches sur l'identité des organismes bénéficiant des virements ordonnés par son client, ne saurait se voir reprocher de telles vérifications supplémentaires (Cass. com., 21'sept. 2022, n°'21-12.335 précité).

En présence d'une anomalie apparente, le banquier teneur de compte doit mettre en 'uvre les moyens nécessaires pour qu'aucun préjudice ne soit subi, ni par son cocontractant ni par les tiers. Ce devoir implique que le banquier procède, dans le cadre d'une obligation de se renseigner, à des investigations supplémentaires pour choisir le comportement adapté à la situation. Le comportement adéquat peut consister à refuser d'exécuter l'opération, ainsi qu'il y est autorisé par l'article L. 133-10 du code de commerce.

Alors que le banquier est également susceptible d'engager sa responsabilité contractuelle à l'égard de son client, soit pour un retard dans l'exécution de l'ordre de virement, soit pour un refus d'exécuter cet ordre en application de l'article L. 133-10 précité, les diligences qu'il lui appartient d'effectuer, en présence d'une telle anomalie, ne peuvent toutefois outrepasser les seules vérifications lui permettant de lever le doute sur une apparence, dès lors qu'il convient de garantir un équilibre entre ses obligations antagonistes de non-immixtion et de prudence. Tenu à une obligation de moyens, il ne lui incombe ni de procéder à des investigations approfondies et de se livrer à une enquête sur ces anomalies, ni de garantir à son client le résultat de l'opération exécutée sur le compte.

Enfin, le devoir de vigilance s'attache à la qualité de prestataire de services de paiement et existe dès lors que le banquier se trouve en présence d'anomalies apparentes dans l'emploi d'un moyen de paiement susceptibles d'affecter le fonctionnement du compte ouvert par le client, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que cet établissement teneur de compte est ou non intervenu dans l'opération ayant donné lieu à un tel paiement : il en résulte que ce devoir existe même dans l'hypothèse où la banque teneur de compte n'a pas proposé ou participé à l'investissement pour lequel l'ordre de virement est donné à l'établissement bancaire, dès lors qu'en particulier, le client n'invoque pas sa qualité de prestataires de services d'investissement et l'obligation de mise en garde qui s'y attache.

En l'espèce, la circonstance non contestée que M. [N] a été directement démarché par Cryptomonneo et qu'il a ultérieurement conclu seul avec cette dernière l'intégralité des transactions ayant donné lieu aux virements litigieux est ainsi indifférente pour apprécier l'existence d'un tel devoir de vigilance incombant à la CRCA.

D'une part, alors que M. [N] et la société PHD Capital se livrent à une appréciation globale et rétrospective du comportement de la CRCA pour estimer que ce banquier a failli à son obligation de vigilance en ne détectant pas l'usurpation d'identité de l'ICBC, il convient à l'inverse d'examiner chaque série de virements et la réaction progressivement apportée par la banque face à la situation évolutive qui en résulte et en appréciant l'existence d'anomalies apparentes de façon contemporaine à chacune de ces séries.

D'autre part, alors que l'anomalie apparente est celle qui ne doit pas échapper au banquier normalement prudent et diligent, cette notion présente un caractère relatif et son existence ne peut s'apprécier qu'en fonction des circonstances concrètes de chaque espèce. L'anormalité du fonctionnement du compte variant d'un client à l'autre, il en résulte qu'elle est susceptible de faire défaut, notamment s'agissant des anomalies intellectuelles, lorsque les circonstances révèlent un contexte compatible avec un tel fonctionnement atypique.

* au titre des virements initiaux d'octobre 2017':

En premier lieu, les défaillances quasi-contemporaines de la CRCA dans l'exécution d'ordres de virement, résultant d'une erreur commise le 16 octobre 2017 par cette dernière dans les références bancaires d'un bénéficiaire étranger au présent litige (pièce 15), ne permettent pas d'en tirer la conclusion générale d'une incompétence systématique de cette banque dans le traitement des instructions de ses clients et d'établir ainsi l'existence d'un manquement par le teneur du compte à son obligation de vigilance à l'occasion des virements intervenus à destination de Crypto-monnaie à compter du 17 octobre 2017.

En deuxième lieu, M. [N] invoque le caractère grossier du logo figurant sur le RIB ayant permis d'exécuter ses ordres de virement et l'absence de détection d'une usurpation d'identité d'une banque renommée.

Pour autant, le RIB a été d'une part fourni à la CRCA par M. [N] lui-même, après qu'il l'a reçu en pièce jointe d'un courriel qui lui a été adressé le 17 octobre 2017 par un interlocuteur se présentant comme [B] [R] et utilisant une adresse [Courriel 12]. Alors qu'il ne comporte aucune mention ou indice permettant de retenir le caractère frauduleux de la démarche, ce courriel a été transféré à la CRCA par M. [N] pour qu'elle procède au virement de la somme initiale de 10 000 euros vers le compte y figurant.

D'autre part, le RIB ainsi transmis a permis la réalisation effective des virements sur le compte du bénéficiaire.

Enfin, outre que les photocopies en noir et blanc produites par M. [N] sont de piètre qualité (pièces 17 et 18), le caractère manifestement irrégulier de ce RIB ne ressort pas de sa présentation générale ou de ses mentions, alors qu'y figurent notamment, en bas de page, les références suivantes': «'ICBC Bank Ltd Xco. Reg. N°11833 district de Xicheng, [Localité 11], Chine © 2017 ICBC Bank Ltd'».

Il résulte notamment d'une telle mention que la CRCA n'avait pas de motif apparent de suspecter une fraude dans l'utilisation de l'identité de cette banque chinoise, alors que le RIB lui-même ne révèle aucune anomalie matérielle apparente.

A l'inverse, la seule circonstance que le compte du bénéficiaire des virements était ouvert au sein de la Raiffeisen bank domiciliée en Hongrie ne constituait pas un indice apparent qui devait conduire la CRCA à détecter une usurpation de l'identité de la bancaire chinoise ICBC, dont les références figuraient sur le RIB produit.

En réalité, le RIB communiqué par M. [N] fait apparaître la concordance entre le libellé du compte bancaire sur lequel le virement est effectué et le bénéficiaire mentionné sur les ordres de virements, de sorte qu'il n'est affecté d'aucune anomalie apparente.

Au surplus, si une information judiciaire est ouverte du chef d'escroquerie en bande organisée et blanchiment et que M. [N] a été invité à se constituer partie civile, il ne résulte toutefois d'aucune pièce produite qu'au titre des man'uvres frauduleuses constitutives d'une telle escroquerie, figure une telle usurpation de l'identité de la banque ICBC, outre que M. [N] n'apporte aucune précision sur l'identité du tiers «'inconnu'» qu'il indique lui avoir révélé le 13 décembre 2017 qu'il n'aurait pas conclu avec la ICBC.

En troisième lieu, outre qu'elle ne résulte que des seules déclarations de M. [N] et concerne des sociétés AS LHV Pank et Coinbase UK Ltd étrangères au présent litige (sa pièce 12), la circonstance que l'enregistrement d'un nouveau bénéficiaire de virement ne puisse être réalisée sur internet directement par le client lorsque ce bénéficiaire est domicilié à l'étranger, n'est pas de nature à caractériser la volonté de la CRCA de procéder d'office à un contrôle sur l'identité de tels bénéficiaires, étant observé qu'une telle vérification s'analyserait au surplus comme une violation de son obligation de non-immixtion dans les affaires du donneur d'ordres.

En quatrième lieu, si les formulaires de demande de virement ont été rédigés par la CRCA, ils ont toutefois été renseignés sur les seules indications fournies par M. [N], avant de lui être réadressés par courriel pour approbation, préalablement à leur exécution par l'établissement teneur de compte. Aucune faute n'est ainsi imputable à la banque pour cette seule participation purement matérielle à la rédaction des ordres de virement, qui reflètent exclusivement la volonté de ses clients et mentionnent les seules informations fournies par ces derniers, sur la base d'un RIB exempt de toute anomalie matérielle.

* au titre des virements postérieurs':

M. [N] et la société PHD Capital invoquent une série de circonstances, pour estimer que le contexte des virements devait conduire la CRCA à détecter une anomalie intellectuelle apparente.

Si les services de sécurité de la CRCA ont pu s'interroger d'une façon générale sur l'existence de telles anomalies sur la base d'un faisceau d'éléments, tel qu'il résulte notamment des indications fournies par Tracfin en matière de blanchiment de capitaux, une telle interrogation ne reposait toutefois pas sur des éléments justifiant l'exercice d'un devoir de vigilance par la banque, qui n'a eu vocation à s'exercer qu'à compter du 13 décembre 2017, date à laquelle M. [N] allègue avoir été alerté par un tiers non dénommé qu'il était victime d'une escroquerie.

La mention figurant dans les courriels du 25 octobre 2017 (pièces 24 et 25 de M. [N]) d'une validation par le «'service risque'» de la CRCA des virements sollicités par M. [N] et la société PHD Capital respectivement à hauteur de 350 000 euros et de 100 000 euros est par conséquent indifférente.

De même, les échanges internes ayant conduit la CRCA à ne pas exécuter les nouveaux virements à la date du 28 novembre 2017, «'compte tenu du caractère inhabituel des opérations et de la multiplicité de ces dernières'», s'analysent comme une vérification non justifiée par la banque teneur de compte, qui n'est ainsi pas de nature à engager postérieurement sa responsabilité au titre d'une obligation de vigilance.

=$gt; le montant des virements effectués':

Si une opération de virement d'un montant notable peut être constitutive d'une anomalie apparente, l'appréciation de l'importance de ce montant doit se faire en fonction du patrimoine du client à l'origine de l'ordre de paiement.

Sur ce point, M. [N] ne conteste pas qu'au 16 octobre 2017, il disposait d'un patrimoine hors professionnel de l'ordre de 24 millions d'euros (pièce 68 de la CRCA). Dans ces conditions, le montant investi dans la cryptomonnaie par M. [N] ne constitue pas une anomalie apparente qui nécessitait une vigilance particulière de la CRCA lors de l'exécution successive des virements intervenus à compter de cette même date. L'objet social de la société PHD Capital est en outre l'acquisition de produits financiers.

Dans ces conditions, la circonstance que M. [N] et la société PHD Capital ait ensemble passé des ordres de virement pour un montant total de 1,35 millions d'euros n'est pas de nature à établir le caractère anormal de ces mouvements bancaires, alors qu'il n'est pas contesté qu'ils s'inscrivent dans un contexte de restructuration de leur patrimoine.

Loin de solliciter l'intervention directe de la CRCA dans les opérations de virements litigieuses, M. [N] indique à l'inverse que «'le montant des virements pouvant être exécuté par téléphone n'ayant pas encore été déplafonné, [il n'a] donc pas pu effectuer ceux-ci de [son] téléphone'», dans un courriel daté du 24 octobre 2017 et adressé en copie à «'crypto monnaie [J] [X]'».

=$gt; la nature de l'investissement ayant donné lieu aux virements et les rendements annoncés':

Les ordres de virement, intitulés «'demandes de transfert à destination de l'étranger $gt; 10 000 euros'», comportent sous la rubrique «'motif économique'» la mention «'achat cryptomonnaie'», de sorte que la CRCA avait connaissance de l'objet de la transaction pour laquelle les virements étaient effectués.

Pour autant, M. [N] et la société PHD Capital ne sont pas de nouveaux clients de la CRCA, de sorte que cette banque a pu analyser les mouvements affectant leurs comptes en fonction de sa connaissance de leurs relations d'affaires antérieures.

La volonté clairement exprimée de ces clients étant à cette époque de réorienter leurs investissements, ils ont manifesté auprès de la CRCA leur volonté d'investir dans la cryptomonnaie de façon réitérée.

Dans un courriel du 26 octobre 2017, M. [N] s'adresse aux directeurs régionaux de la CRCA pour réclamer alternativement l'augmentation de son autorisation de découvert ou la cession de SCPI. Il réclame d'être informé «'assez rapidement'», exposant à cet égard les performances haussières des produits que lui offre Cryptomonneo': il précise à cet égard qu'en fonction du montant investi, les rendements versés mensuellement vont de 6 % par mois jusqu'à 26 %, «'soit pour 1000 ke en moins de quatre mois la mise de départ déjà récupérée en intérêt'».

Dans un nouveau courriel du 2 novembre 2017, il sollicite ainsi un rendez-vous à bref délai auprès de la CRCA pour liquider 1,5 millions d'euros de SCPI, étant observé que l'urgence à y procéder renvoie à ses «'premières discussions'» lors desquelles le bitcoin était à 3600 euros, alors qu'à la date de rédaction de ce courriel il a atteint 6062, soulignant ainsi les rendements exceptionnels d'un tel investissement dans la période antérieure à celle visée par les virements litigieux.

Contestant l'absence d'exécution immédiate de ses nouveaux virements dans son courriel du 29 novembre 2017 (sa pièce 35), M. [N] y précise qu'il a déjà été destinataire à cette date d'une somme de 7 000 euros d'intérêts au titre de son placement réalisé par les virements effectués au cours du seul mois d'octobre précédent, de sorte que «'l'origine des fonds et le bénéficiaire sont parfaitement identifiés'». Ce faisant, il confirme l'absence d'anomalie apparente affectant les virements antérieurs, alors qu'une rétribution lui a ainsi été versée en exécution d'un tel placement. Une telle apparence de normalité, résultant des informations fournies par son propre client, justifie à l'inverse que la CRCA a en définitive procédé aux virements sollicités.

Alors qu'aucune anomalie apparente tant matérielle qu'immatérielle ne justifiait à cette date une dérogation au principe de non-immixtion, la circonstance que la CRCA n'a pas répondu à une proposition formulée le 29 novembre 2017 par M. [N] d'entrer directement en contact avec Cryptomonneo (sa pièce 36) est par conséquent indifférente.

Plus généralement, la CRCA a attiré l'attention de M. [N] sur les risques liés à l'achat de cryptomonnaie, ainsi qu'il résulte à la fois d'un courrier signé par ce dernier le 27 novembre 2017 dans lequel il reconnaît avoir été mis en garde sur le risque de perte lié à un tel investissement ou d'un courriel du 5 décembre 2017 à

10 h 09 comportant une série de lien vers des articles diffusés sur internet par l'AMF concernant l'investissement dans les bitcoins (pièce 10 CRCA)'; en réponse à une telle recommandation, M. [N] a répondu à 10 h 45': «'je puis admettre que cela énerve la banque de France ou l'AMF compte tenu du phénomène mais bon ' leur impartialité est discutable regardez les commentaires il y a un an et aujourd'hui. De plus je ne suis pas sur le bitcoin uniquement'».

Dans un courriel du 6 décembre 2017, M. [N] a transmis un article de La tribune sur «'les premiers échanges boursiers basés sur le bitcoin'», auquel la CRCA lui a répondu en l'appelant être vigilant sur cette spéculation.

Le 12 décembre 2017, veille de son propre revirement, M. [N] adresse en outre à ses interlocuteurs au sein de la CRCA un courriel dont l'objet est «'intéressant le CA et ICBC et aussi les crypto'» dans lequel figure un article intitulé «'ce qui est important cette semaine pour vos investissements'»': cet article indique notamment': «'la folie bitcoin': pas si démente que cela'», dans lequel est vantée cette cryptomonnaie.

Au-delà du seul avertissement sur le risque de perte lié aux produits eux-mêmes, M. [N] reconnaît enfin, dans un courrier daté du 12 décembre 2017, qu'il lui appartient de «'prendre des précautions afin de [s']assurer de la réalité de l'opération de placement proposé'» et avoir été à nouveau mis en garde par la CRCA sur le risque de perte. Pour autant, en dépit d'un tel échange, il maintient son ordre du virement.

Rétrospectivement, M. [N] ne démontre pas que les rendements annoncés par Cryptomonneo et indiqués dans son courriel du 26 octobre 2017 étaient aberrants et auraient du par conséquent alerter la CRCA au titre de son obligation de vigilance.

Les éléments d'information ainsi transmis à la banque par ces clients exerçant une activité professionnelle dans le secteur financier établissent ainsi leur intérêt pour ce type d'investissement, de sorte que la multiplicité des virements sur une période de quelques semaines trouve une justification dans un tel engouement reposant sur l'urgence à profiter de tels rendements financiers': dans ce contexte, la répétition de virements d'un montant croissant ayant pour objet d'acquérir de la cryptomonnaie ne présente par conséquent aucun caractère anormal pour l'établissement teneur de compte.

=$gt; la domiciliation à l'étranger des comptes sur lesquels étaient virées les sommes et le changement de dénomination et d'Etat de domiciliation des comptes des bénéficiaires :

Dans un contexte de mondialisation financière, la circonstance que les comptes sur lesquels les virements ont été ouverts au profit de sociétés bénéficiaires implantées en Hongrie et Slovaquie ayant l'apparence d'établissements d'une seule et même société ICBC ne permettait pas davantage à la CRCA de présumer l'existence de manoeuvres frauduleuses.

D'une part, si ces Etats sont situés en Europe de l'est, une telle localisation ne constitue pas un élément justifiant une prudence particulière, alors qu'à la date des virements litigieux, il s'agit déjà de membres de l'Union européenne partageant une culture bancaire commune, notamment constituée par l'adoption de la deuxième directive européenne sur les services de paiement, dont l'entrée en vigueur est intervenue à compter du 13 janvier 2018, soit à proximité temporelle immédiate des opérations litigieuses au profit de comptes ouverts auprès de la Raiffeisen Bank et de la Tatra Banka, dans un contexte de mise en place progressive d'une collaboration entre établissements bancaires au sein de l'Union européenne et d'une sécurisation de leurs transactions. Les interlocuteurs directs de M. [N] se présentaient en outre comme implantés sur le territoire français et disposaient notamment de lignes téléphoniques et d'adresses électroniques compatibles avec une telle implantation.

D'autre part, M. [N] confirme avoir valablement réalisé l'achat de bitcoins par virement au profit d'un compte bancaire domicilié en Estonie, lorsqu'il a traité en septembre 2017 avec une société Coinbase. Dans un contexte très similaire à celui observé pour ses opérations ultérieures avec Cryptomonneo, M. [N] n'a pourtant jamais invoqué que cette opération non contestée aurait dû être également analysée comme frauduleuse par la CRCA et justifier la mise en 'uvre d'un devoir de vigilance par cette dernière.

Enfin, alors que la seule domiciliation à l'étranger des comptes sur lesquels sont effectués les virements litigieux ne constitue ainsi pas en soi une anomalie intellectuelle apparente, il n'est pas allégué ou prouvé que les bénéficiaires des différents ordres de virement aient été répertoriés par l'autorité de régulation comme non agréés, voire frauduleux, au moment de l'exécution des ordres de virement.

Au-delà de ces éléments, il s'observe une stabilité et une pérennité de l'infrastructure avec laquelle M. [N] a conclu l'acquisition de cryptomonnaies':

- le compte sur lequel a été viré la somme de 500 000 euros a continué à exister, de sorte qu'il ne présente pas un caractère éphémère ;

- la société litigieuse n'a pas disparu': le 9 avril 2018, M. [N] indique ainsi aux services de police ayant recueilli sa plainte pour escroquerie à l'encontre de Cryptomonneo que le site internet de cette société existe toujours, alors qu'il dispose sur internet d'un espace client, faisant apparaître les montants versés et le calcul des intérêts. Dans un courriel du 28 novembre 2017, adressé à M. [N] par [J] [X] depuis une adresse [Courriel 7], cette «'analyste cryptomonnaie/gestionnaire de patrimoine'» domiciliée dans une agence située à [Localité 10] lui indique, impression d'écran à l'appui et sans aucune incorrection grammaticale ou syntaxique, que l'onglet «'investissement'» correspondant respectivement à son compte personnel et à celui de la société PHD Capital produit le rendement escompté de 21 % (pièce 70 CRCA)';

- il n'est pas démontré que le site internet soit répertorié par l'AFM parmi les faux sites';

- les échanges entre Cryptomonneo et M. [N] impliquent deux interlocuteurs s'exprimant en français et présentant un discours professionnel, ainsi que l'admet lui-même M. [N] devant les services de police lors de son dépôt de plainte.

Il ressort ainsi de l'ensemble de ces éléments que les opérations litigieuses étaient cohérentes avec la connaissance actualisée que la banque avait de ses clients.

Antérieurement à la révélation d'une escroquerie, la CRCA ne disposait ainsi pas d'éléments l'obligeant à mettre en 'uvre son obligation de vigilance.

* au titre de la procédure de recall':

Dès lors que M. [N] a lui-même indiqué à la CRCA qu'en dépit de leur régularité apparente, les virements constituaient des détournements dans le cadre d'une escroquerie, la banque teneur de compte était légitime à mettre en 'uvre la procédure de «'recall'» destinée à bloquer le dernier virement de 500 000 euros.

La circonstance que M. [N] ait lui-même ultérieurement renoncé à une telle procédure ne permet pas d'imputer à la banque teneur de compte une quelconque responsabilité dans la dissipation alléguée des fonds.

Après que la procédure de «'recall'» a été lancée, une demande d'annulation a été présentée par M. [N]': face à une telle démarche, la CRCA a alerté ses clients sur les risques s'y attachant, dès lors que M. [N] a signé un courrier daté du 19 décembre 2017 dans lequel il est informé qu'en procédant un tel ordre d'annulation, il s'expose à perdre les sommes virées si ses «'doutes quant à la probité du bénéficiaire du virement initial étaient confirmés'» ultérieurement.

Au demeurant, une telle demande d'annulation réalisée par message Swift à destination de la banque Tatra Banka a été en réalité infructueuse': sur ce point, la CRCA a d'ailleurs précisé à ses clients qu'une telle démarche n'était pas techniquement réalisable.

Aucune inertie fautive ne peut être reprochée à la CRCA, qui a à l'inverse tenu ses clients informés des diligences à remplir postérieurement à la procédure de «'recall'»: à cet égard, la CRCA leur a précisé par courriel du 26 janvier 2018 que la banque Tatra Banka exigeait la production d'une plainte par M. [N] pour envisager la restitution de la somme de 500 000 euros bloquée sur ses comptes et qu''«'à défaut de retour sur ce point avant le 30 janvier 2018, elle libérera les fonds bloqués au profit du bénéficiaire ICBC Exchange'». Par courriels des 2 février 2018 et 5 avril 2018, une telle demande a été réitérée par la CRCA auprès de ses clients. Pour autant, M. [N] n'a procédé à un tel dépôt de plainte que le 9 avril 2018 (pièce 20 CRCA), transmise dès le lendemain par sa banque, étant enfin observé que M. [N] et la société PHD Capital ne fournissent aucun fondement sur lequel reposerait par ailleurs une obligation de la CRCA de procéder d'office à des diligences particulières pour obtenir la restitution des fonds au profit de ses clients.

En définitive, M. [N] prétend que la CRCA lui a indiqué qu'à l'issue de la procédure de «'recall'», la banque Tatra Banka l'aurait informée que seule une somme de 40 000 euros restait bloquée à son seul profit sur le compte du bénéficiaire du virement de 500 000 euros. Pour autant, la réalité d'une telle allégation ne résulte d'aucun des messages adressés par la CRCA, alors que M. [N] admet lui-même qu'une telle information n'aurait été adressée que téléphoniquement (page 22 de ses conclusions) et qu'il verse un courriel daté du 8 avril 2018 dans lequel cette dernière lui indique à l'inverse que cette banque étrangère détient toujours à cette dernière date l'intégralité du montant correspondant au virement.

Il ne peut par conséquent imputer à la CRCA sa propre inertie à ne pas avoir sollicité la restitution de cette somme de 500 000 euros ou l'échec de la procédure de «'recall'» que cette banque a effectivement réalisée.

S'agissant des virements antérieurs à celui de 500 000 euros, la CRCA a répondu par courriel du 20 avril 2018 que «'les délais pour exercer [les demandes de recall] étant expirés, il est impossible d'y répondre favorablement'». Sur ce point, M. [N] et la société PHD Capital ne produisent aucun élément pour justifier que la CRCA disposait de la faculté de procéder à une telle procédure de «'recall'» à la date du 13 décembre 2017 lorsqu'il a révélé l'existence d'une escroquerie, alors qu'en l'absence d'anomalie apparente antérieurement détectable, la banque n'avait aucune obligation d'y procéder en refusant d'exécuter les ordres de virement de ses clients et alors qu'un virement non permanent est en principe irrévocablement réalisé au jour de la réception de l'ordre, conformément à l'article L. 133-8 du code monétaire et financier, et en tout état de cause après qu'il a été reçu par le banquier du bénéficiaire.

Au surplus, la réalité de la dissipation frauduleuse des fonds versés sur les comptes bancaires ouverts en Hongrie ou Slovaquie et leur absence de contrepartie dont aurait profité M. [N] n'est pas établie avec certitude en considération des seules pièces produites.

Sur les «'préjudices économiques autres que les virements'»':

Alors que M. [N] et la société PHD Capital invoquent à l'encontre de la CRCA une faute constituée par un manquement à son obligation de vigilance au titre d'une série de virements en sa qualité d'établissement teneur de leurs comptes, les demandes formulées au titre d'autres préjudices résultant notamment d'une revente à perte de SCPI ne présentent pas de lien de causalité avec une telle faute.

De façon confuse, ils mentionnent également un «'chantage'» exercé par la CRCA pour contraindre M. [N] à la signature a posteriori d'une notice d'information sur un placement antérieur en SCPI, qui aurait déterminé un refus de lui accorder un découvert complémentaire de trois semaines. Ils invoquent également un comportement fautif de la banque, en sa qualité de prêteur de deniers, s'agissant de l'acquisition de biens immobiliers.

Pour autant, si les échanges de courriels font apparaître que des pourparlers étaient en cours dans le cadre de la restructuration de leur patrimoine, M. [N] et la société PHD Capital n'apportent aucune démonstration d'un comportement fautif de la banque qui aurait causé une telle perte.

Ils échouent par conséquent à démontrer une faute de la CRCA, à défaut d'établir le caractère abusif d'une rupture de relations par cette dernière qui aurait conduit à l'échec de deux projets d'acquisition immobilière dont l'état d'avancement n'est pas réellement circonstancié.

Le jugement ayant débouté M. [N] et la société PHD Capital de leur action en responsabilité et de leurs demandes d'indemnisation et de publication à l'encontre de la CRCA est par conséquent confirmé de ce chef.

Sur la demande au titre d'une procédure abusive :

En application de l'article 1240 du code civil dans sa rédaction postérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d'erreur grossière équipollente au dol, de faute, même non grossière ou dolosive, ou encore de légèreté blâmable, dès lors qu'un préjudice en résulte.

En l'espèce, la CRCA n'établit pas le caractère fautif du comportement de M. [N] et de la société PHD Capital au titre d'une recherche de sa responsabilité contractuelle, de sorte que le jugement est également confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande indemnitaire à leur encontre.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

- et d'autre part, à condamner M. [N] et la société PHD Capital, outre aux entiers dépens d'appel, à payer à CRCA la somme de 3'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Déclare recevables les demandes formulées par la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France'à l'encontre de M. [H] [N] et de la société PHD Capital ;

Confirme le jugement rendu le 21 octobre 2021 par le tribunal judiciaire d'Arras en toutes ses dispositions critiquées';

Y ajoutant':

Condamne M. [H] [N] et de la société PHD Capital aux dépens

d'appel ;

Condamne M. [H] [N] et de la société PHD Capital à payer à la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France la somme de 3'000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile';

Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.

Le greffier

Harmony POYTEAU

Le président

Guillaume SALOMON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/06067
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;21.06067 ?
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