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30/06/2023 | FRANCE | N°22/00229

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 30 juin 2023, 22/00229


ARRÊT DU

30 Juin 2023







N° 978/23



N° RG 22/00229 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UDZZ



MLBR/CH

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de ROUBAIX

en date du

25 Janvier 2022

(RG F21/00184 -section )






































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GROSSE :



aux avocats



le 30 Juin 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



S.A.R.L. AEDIFICATIO

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Julie ALLAIN, avocat au barreau de LILLE





INTIMÉE :



Mme [L] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 3]

r...

ARRÊT DU

30 Juin 2023

N° 978/23

N° RG 22/00229 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UDZZ

MLBR/CH

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de ROUBAIX

en date du

25 Janvier 2022

(RG F21/00184 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 30 Juin 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

S.A.R.L. AEDIFICATIO

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Julie ALLAIN, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

Mme [L] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Marthe BESLUAU, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER

DÉBATS : à l'audience publique du 09 Mai 2023

Tenue par [A] [V]

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Valérie DOIZE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

[A] [V]

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Juin 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par [A] [V], Président et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 11 avril 2023

EXPOSÉ DU LITIGE':

Mme [L] [Y] épouse [C] a été embauchée à compter du 21 septembre 2015 en qualité d'assistante de direction par la SARL Aedificatio, qui est une société holding dont la filiale opérationnelle est la société A2m Menuiserie.

À compter du mois d'octobre 2018, Mme [Y] a été promue aux fonctions de responsable administrative et financière.

Le 21 janvier 2020, une altercation à propos du réglement de fournisseurs a opposé la salariée à M. [N], gérant de l'entreprise.

Par courrier recommandé en date du 21 janvier 2020, Mme [Y] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 5 février suivant et a été mise à pied à titre conservatoire.

La salariée a été placée en arrêt maladie à compter de ce même jour.

Par lettre recommandée du 19 février 2020, la société Aedificatio a notifié à Mme [Y] son licenciement pour faute grave lui reprochant notamment un comportement discriminant persistant, un retard de paiement des fournisseurs, un manque de respect à l'égard de la hiérarchie, un manque de rigueur dans le suivi administratif de ses dossiers et une attitude déloyale vis-à-vis de l'employeur.

Par requête du 27 avril 2020, Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Roubaix afin de contester son licenciement et d'obtenir divers indemnités liées à l'exécution et la rupture du contrat de travail.

Par jugement contradictoire du 25 janvier 2022, le conseil de prud'hommes de Roubaix a':

- dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Aedificatio à payer à Mme [Y] les sommes suivantes':

*16 300 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*3 200 euros au titre du caractère vexatoire du licenciement,

*3 338,81 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

*6 541,34 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 654,13 euros de congés payés y afférents,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- débouté la société Aedificatio de sa demande reconventionnelle,

- condamné la société Aedificatio aux dépens,

- condamné la société Aedificatio au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que la moyenne des salaires retenue est de 3 270,67 euros brut,

- ordonné l'exécution provisoire au titre de l'article R. 1454-28 du code du travail.

Par déclaration reçue au greffe le 21 février 2022, la société Aedificatio a interjeté appel de ce jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [Y] du surplus de ses demandes.

Dans ses dernières conclusions déposées le 9 novembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens et prétentions, la société Aedificatio demande à la cour de':

- infirmer le jugement rendu en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a dit qu'il avait un caractère vexatoire,

- à titre principal, juger que le licenciement de Mme [Y] est fondé sur une faute grave et la débouter de l'ensemble de ses demandes,

- à titre subsidiaire, juger que le licenciement de Mme [Y] repose sur une cause réelle et sérieuse et la débouter de l'ensemble de ses demandes,

- à titre infiniment subsidiaire, si la cour estimait le licenciement comme sans cause réelle et sérieuse, réduire à de plus justes proportions le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, limiter la condamnation à la somme de 3 270,67 euros, réduire à de plus justes proportions le montant des dommages-intérêts pour licenciement vexatoire, faute de préjudice démontré,

- en tout état de cause, confirmer le jugement rendu en ce qu'il a débouté Mme [Y] de ses autres demandes,

- reconventionnellement, condamner Mme [Y] au paiement de la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et mettre à sa charge les dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées le 29 juillet 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens et prétentions, Mme [Y] demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu sauf s'agissant du quantum des sommes allouées au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et au titre de son caractère vexatoire, et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral et au titre de l'obligation de santé et de sécurité de l'employeur,

statuant à nouveau,

- débouter la société Aedificatio de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Aedificatio à lui payer les sommes suivantes':

*32 706 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,

*13 082 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

*10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour mesure brusque et vexatoire,

*5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect des règles en matière de santé et de sécurité,

- condamner la société Aedificatio à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 avril 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION':

- sur le licenciement de Mme [Y] :

La société Aedificatio fait grief au jugement d'avoir déclaré le licenciement de Mme [Y] sans cause réelle et sérieuse au motif que la rupture du contrat de travail serait en réalité motivée par les difficultés économiques de l'entreprise, en lui reprochant de ne pas avoir examiné les différents griefs allégués dans la lettre de licenciement.

Elle conteste avoir détourné la procédure de licenciement disciplinaire et réfute l'existence des difficultés économiques alléguées que l'intimée échoue selon elle à établir à travers la seule attestation du conseiller l'ayant assisté lors de l'entretien préalable et l'existence d'un commandement de payer délivré à sa filiale.

Elle fait également valoir que le fait d'avoir accepté de réfléchir à une rupture conventionnelle du contrat sur proposition du conseiller du salarié ne vaut pas renonciation à la procédure disciplinaire précédemment initiée et qui a été menée jusqu'à son terme.

La société Aedificatio soutient enfin en substance que les pièces qu'elle produit suffisent à démontrer la réalité et la gravité des fautes commises par sa salariée, qu'elle décomposent comme suit :

- une insubordination et un manque de respect de Mme [Y] à l'égard de sa hiérarchie,

- une attitude déloyale de la salariée à travers des propos dénigrants et une tentative de débauchage de salariés au profit de l'entreprise de son conjoint,

- un comportement discriminant à l'égard de collaborateur d'origine étrangère,

- des manquements professionnels graves dans l'accomplissement de ses missions, à savoir des retards de paiement des fournisseurs et un manque de rigueur dans le suivi administratif des dossiers.

En réponse, Mme [Y] s'appuie à nouveau sur l'attestation du conseiller l'ayant assistée lors de l'entretien préalable pour soutenir que le réel motif de son licenciement est économique, l'illustrant par un commandement de payer visant la filiale de la société Aedificatio.

Elle soutient que les griefs évoqués dans la lettre de licenciement, selon elle tous mensongers, ne sont pas établis par les pièces adverses, précisant notamment que celui tiré de son attitude supposée discriminante à l'égard de collaborateur n'a même pas été évoqué pendant l'entretien préalable et que c'est elle qui a été agressée par son employeur lors de leur altercation du 21 janvier 2020, le traumatisme ainsi subi ayant conduit son médecin à la placer le jour même en arrêt de travail.

Mme [Y] explique en substance les retards de paiement et défaut de suivi administratif dénoncés par son employeur par les problèmes de trésorerie de l'entreprise et le retard pris par le gérant pour valider les dossiers.

Sur ce,

La faute grave privative du préavis prévu à l'article L1234-1 du même code est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend immédiatement impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis.

II appartient à l'employeur de rapporter la preuve de l'existence d'une faute grave, à défaut de quoi le juge doit rechercher si les faits reprochés sont constitutifs d'une faute pouvant elle-même constituer une cause réelle et sérieuse, le doute subsistant alors devant profiter au salarié.

Il sera également rappelé qu'en vertu de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, sauf si le même comportement fautif du salarié s'est poursuivi dans ce délai.

Ainsi, les faits dont la société Aedificatio a eu connaissance plus de 2 mois avant le déclenchement de la procédure disciplinaire ne pourront être pris en compte que si des griefs de nature similaire survenus ou connus dans le délai de 2 mois s'avèrent établis.

Aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, la société Aedificatio reproche à Mme [Y] 'un ensemble de comportements fautifs persistants, délibérés et avec une volonté avérée et non équivoque de nuire à la bonne réputation de notre entreprise, voire sa pérennité, qu'elle résume comme suit :

- non-respect des missions qui vous sont confiées et volonté délibérée de porter atteinte à l'entreprise en ne menant pas à bien les missions inhérentes à vos fonctions,

- non-respect des collaborateurs par un comportement discriminatoire et répété,

- insubordination vis-à-vis de votre supérieur hiérarchique et ce devant vos collègues, tentant de déstabiliser son pouvoir de direction,

- allégations mensongères, voire diffamatoires, auprès des collaborateurs sur la gérance de l'entreprise et l'état de sa trésorerie,

- comportement déloyal vis-à-vis de l'entreprise par la tentative de débauchage du personnel au profit de votre conjoint et par la non reconduction de l'agrément RGE.

Il convient d'abord de relever qu'aucune des pièces produites ne vient caractériser le comportement discriminatoire allégué qui aurait concerné un autre salarié, M. [K], lequel se serait plaint, selon la lettre de licenciement, le 23 janvier 2020 'des réticences' de Mme [Y] à corriger son erreur lors de la déclaration de ses jours de congés auprès de la Caisse de congés payés ainsi que de son refus de lui fournir des explications sur ce point.

En effet, la société Aedificatio produit des attestations insuffisamment circonstanciées pour retenir cette faute.

Dans son attestation, M. [K] se limite à exprimer son ressenti en ces termes : 'elle a fait de nombreuses erreurs et fautes dans le calcul de mes heures sur ma fiche de paye. Lorsque je lui demandais de l'aide car je ne comprenais pas à cause de mon français qui n'était pas très bon, elle ne s'occupait jamais de moi et me traitait avec mépris', sans relater les circonstances ou termes employés par Mme [Y] qui tendraient à caractériser, au-delà de son comportement éventuellement inadapté à l'égard de ce salarié, une attitude discriminatoire et humiliante en raison de son origine.

En outre, M. [D], autre salarié, atteste simplement que 'celle-ci portait un jugement discriminatoire sur la nationalité du collaborateur' sans autre précision sur les scènes dont il aurait été témoin et M. [U] relate des propos qu'aurait tenu Mme [Y] à propos de M. [K], 'qu'il se débrouille ou qu'il retourne en Irak. On verra si il sera mieux loti là-bas', sans toutefois les dater, sachant que ce ne sont pas ceux repris dans la lettre de licenciement.

Par ailleurs la société Aedificatio prétend qu'elle n'aurait été informée de cet incident que le 23 janvier 2020 sans produire de pièce pour l'établir, étant observé qu'il est acquis aux débats que ce grief n'a pas été évoqué par l'employeur lors de l'entretien préalable du 5 février 2020, ce qui est difficilement compréhensible, au vu de la nature des faits, si ceux-ci avaient véritablement été portés à sa connaissance dans un temps aussi proche de l'entretien.

Au regard de l'insuffisance des éléments produits par la société Aedificatio, le doute devant bénéficier à la salariée, ce grief ne peut être retenu.

Par ailleurs, aux termes de la lettre de licenciement, la société Aedificatio dénonce dans le point 3 le manque de respect dont Mme [Y] aurait fait preuve à l'égard du gérant le 21 janvier 2020, attitude qui relèverait selon elle de l'insubordination, et d'une tentative de destabilisation de la direction, eu égard 'aux menaces portées sur l'entreprise devant certains de vos collègues', alors que le gérant lui demandait des explications sur les anomalies détectées dans son travail. Il est précisé dans la lettre que les propos de Mme [Y] auraient été tenus devant notamment M. [D], M. [U] et M. [Z].

Or, ni M. [U], ni M. [D], qui seuls ont fourni une attestation, ne font état de la scène du 21 janvier 2020 et encore moins des propos visés dans la lettre de licenciement que Mme [Y] nie avoir tenus.

Si Mme [M] atteste avoir été présente dans le bureau de Mme [Y] lors de ce vif échange entre celle-ci et le gérant de la société et certifie que ce dernier n'a pas eu de geste violent à l'égard de l'intimée, elle ne fait en revanche pas non plus état de propos irrespectueux ou menaçants qui auraient été tenus par celle-ci, ni d'ailleurs de son éventuelle agressivité ou acte d'insubordination.

Ainsi, à défaut pour la société Aedificatio de rapporter la preuve des faits qui seraient survenus le 21 janvier 2020, le grief tiré du manque de respect et de l'insubordination ne peut être retenu à l'encontre de Mme [Y].

Il en est de même du reproche fait à Mme [Y] d'avoir débauché des salariés de l'entreprise au profit de celle de son conjoint et plus généralement d'avoir eu une attitude déloyale à l'égard de son employeur.

En effet, si à travers les statuts de la société NW Menuiserie, la société Aedificatio rapporte la preuve que 2 anciens salariés, M. [W] et M. [I], ont rejoint ladite société, aucune des attestations produites, qui se limitent à évoquer des propos critiques que Mme [Y] aurait tenus à l'égard de son employeur, ne font état, contrairement à ce qui est allégué dans la lettre de licenciement, du fait que Mme [Y] 'aurait incité de nombreux collaborateurs à quitter l'entreprise' en leur faisant part notamment en janvier 2020 que son 'copain gérait une belle boîte de couverture et chercher à embaucher un chargé d'opérations et qu'il payait beaucoup mieux que chez A2m'.

S'agissant de la prétendue déloyauté de Mme [Y] en raison de propos qualifiés dans la lettre de licenciement de mensongers et diffamatoires 'auprès des collaborateurs sur la gérance de l'entreprise et l'état de sa trésorerie', il est prétendu dans la lettre dont il sera rappelé qu'elle fixe les limites du litige, qu'en janvier 2020, Mme [Y] aurait déclaré devant des salariés qu' 'A2m perdait de l'argent, avait de graves problèmes de trésorerie et ne serait jamais capable d'être rentable et de leur permettre d'évoluer', l'employeur indiquant que la salariée aurait confirmé la teneur de ces propos lors de l'entretien préalable.

Or, aucune pièce de l'appelante ne vient attester d'un tel aveu dont il n'est pas non plus fait état dans l'attestation du conseiller de Mme [Y] que celle-ci verse aux débats.

Par ailleurs, ainsi que le souligne à raison Mme [Y], les deux seuls salariés qui évoquent dans leurs attestations des propos susceptibles d'être qualifiés de dénigrants à l'égard du gérant de la société Aedificatio, ne font pas référence à la discussion de janvier 2020 telle que reprise dans la lettre de licenciement.

En effet, M. [U] relate sans les dater des échanges avec Mme [Y] au cours desquels celle-ci aurait dit 'mon patron est un bon à rien, il n'est pas capable de gérer une société... sa famille c'est la même chose... d'après ses dires, il serait capable de subvenir aux besoins de la société pendant des mois voir plus, car ils sont très fortunés', ce qui apparaît différent et au demeurant contradictoire avec les propos visés dans la lettre de licenciement.

Pour sa part, M. [X] prétend avoir été témoin sans les dater de propos d'une teneur similaire à son collègue, et dit qu'arrivé le 1er octobre 2019, Mme [Y] 'disait que je ne serai pas payé en temps et en heure mon salaire'. Or, la lettre de licenciement ne fait pas état de discussion en octobre 2019, de sorte que lesdits propos ne peuvent être retenus pour fonder le licenciement.

Les pièces produites par la société Aedificatio ne portent donc pas précisément sur le contenu de la discussion visée dans la lettre de licenciement. Il existe donc un doute quant à la réalité de la scène alléguée et de la déloyauté de la salariée qui en serait résultée.

Restent à examiner les griefs tirés du retard dans le paiement des factures et du manque de rigueur dans le suivi administratif des dossiers, étant rappelé que la société Aedificatio doit rapporter la preuve du caractère fautif de ce qui pourrait s'apparenter à de simples négligences involontaires, l'appelante dénonçant dans la lettre de licenciement 'la volonté délibérée de porter atteinte à l'entreprise en ne menant pas à bien les missions inhérentes à vos fonctions', voire une déloyauté de sa part s'agissant de l'agrément Qualibat.

Force est d'abord de constater que la société Aedificatio ne produit aucune pièce relative à la procédure d'agrément Qualibat de sorte qu'elle ne démontre pas que l'absence d'agrément serait imputable à une faute, voir à la déloyauté de Mme [Y] qui dénie toute responsabilité à ce sujet.

Dans la lettre de licenciement, il est aussi fait grief à la salariée :

- de ne pas avoir pris en charge un acte d'huissier avec un risque de blocage des comptes,

- d'avoir fait preuve de négligence dans la déclaration de l'accident du travail de M. [D] survenu le 27 septembre 2019, la CPAM ayant envoyé le 16 janvier 2020 un courrier d'avertissement à l'entreprise à ce sujet,

- d'avoir laissé de nombreuses factures fournisseurs sur le bureau sans les traiter, ni les payer, plus particulièrement celle de la miroiterie Dubrulle malgré les relances en décembre 2019 et janvier 2020, ainsi que des dossiers clients non facturés et des attestations TVA réduites non classées.

Il sera cependant relevé que seul le retard dans la déclaration de l'accident de M. [D], la réception d'un acte d'huissier de justice et le retard pris dans le réglement de la miroiterie Dubrulle, sont matériellement établis par les pièces de la société Aedificatio, l'attestation de M. [F], directeur financier conseil du gérant de la société, étant trop vague dans l'énoncé des autres dossiers qui seraient demeurés sans suivi ou impayés, 'factures perdue ou non classée, factures non saisies et/ou non réglées, documents non classés...' pour en vérifier l'exactitude.

La société Aedificatio ne donne en outre aucun élément concernant l'origine et l'objet de cet acte d'huissier de justice qui permettrait de l'imputer à un retard de paiement de Mme [Y].

L'appelante dit d'ailleurs avoir découvert cet exploit d'huissier sur le bureau de Mme [Y] le 21 janvier 2020 après que 'M. [I], lui ait remis la semaine précédente'. Or, il est acquis aux débats que Mme [Y] n'est revenue de quelques jours de congé que le 21 janvier 2020 pour repartir immédiatement suite à son arrêt maladie et surtout à sa mise à pied à titre conservatoire. La saisie sur le compte bancaire étant intervenue le 29 janvier 2020, il apparaît, à défaut de preuve contraire et compte tenu de l'absence de la salariée pendant cette période qu'elle ne peut pas non plus être tenue pour responsable de la réalisation de la saisie, sachant que le gérant a été informé de cette perspective dès le 21 janvier 2020 et avait donc encore le temps de faire les démarches pour l'éviter.

S'agissant du retard pris dans la déclaration de l'accident du travail de M. [D] et dans la régularisation des règlements dus à la société Dubrulle, il ressort des pièces de la société Aedificatio que Mme [Y] avait les éléments en sa possession pour traiter ces 2 dossiers et a fait preuve a minima de négligence et de manque de réactivité.

Il n'en demeure pas moins que ce sont les 2 seuls anomalies directement imputables à la salariée que l'appelante a été en mesure de présenter. Ayant été commises dans un intervalle de 5 mois, cela apparaît insuffisant pour caractériser une volonté délibérée de Mme [Y] de perturber le fonctionnement de l'entreprise et lui nuire comme il lui a été reproché dans la lettre de licenciement.

Il sera en outre relevé que d'une part, Mme [Y] a régularisé la situation de M. [D] dès novembre 2019 et qu'il s'agit du premier avertissement donné par la CPAM concernant d'éventuel retard dans les déclarations d'accident du travail, et que d'autre part, la société Aedificatio ne donne aucun élément sur les conséquences concrètes du retard pris dans le réglement à la société Dubrulle de la somme de 2 947,66 euros, évoquant une désorganisation du chantier du fait de l'absence des produits commandés à ce fournisseur, sans toutefois justifier de l'ampleur de ces perturbations.

Aussi, à supposer même que ces 2 négligences puissent être qualifiées de fautives compte tenu du niveau de responsabilité de Mme [Y], elles n'apparaissent pas suffisamment importantes pour constituer une faute grave, ni même une cause sérieuse de licenciement, Mme [Y] n'ayant fait jusqu'alors l'objet d'aucune sanction disciplinaire.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, aucun des griefs visés dans la lettre de licenciement n'étant établi, ou pour ceux qui le sont, susceptibles de constituer une cause sérieuse de licenciement, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déclaré sans cause réelle et sérieuse, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si la motivation première de la rupture de la relation de travail était économique.

En l'absence de critique développée par les parties, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives à l'indemnité de licenciement et à l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents.

La société Aedificatio sollicite par ailleurs une limitation de l'indemnisation due à Mme [Y] en raison du caractère injustifié de son licenciement à une somme de 3 270,67 euros, correspondant à un mois de salaire, tandis que Mme [Y], dans le cadre de son appel incident, entend la voir portée à un montant de 32 706 euros.

Outre le fait qu'une telle somme excéderait le plafond fixé par l'article L. 1235-3 du code du travail au regard de l'ancienneté de la salariée, cette dernière ne développe par ailleurs aucune argumentation et ne produit aucune pièce pour démontrer que son préjudice serait plus important que celui retenu par les premiers juges.

La société Aedificatio fait également à juste titre observer que la salariée déclare dans ses conclusions avoir retrouvé un emploi, après une reconversion professionnelle, un an après son licenciement, en qualité de formatrice à l'AFPA de [Localité 5].

Aussi, compte tenu de son âge (40 ans) et de son ancienneté limitée (4 ans) au jour de son licenciement, et de l'absence d'élément justificatif donné par Mme [Y] sur sa situation professionnelle et financière postérieurement à cette rupture avant de retrouver ce nouvel emploi, il convient de limiter le montant des dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice étant nécessairement résulté de la perte injustifiée de son emploi, à la somme de 9 900 euros. Le jugement sera infirmé en ce sens.

Enfin, compte tenu de la gravité de certains motifs de licenciement allégués, notamment un comportement discriminant à l'égard d'autres salariés et une volonté de nuire à l'entreprise, qui ne se sont pas avérés établis, outre une mise à pied immédiate le jour même de l'altercation avec le gérant de la société dont elle n'est pas à l'origine, le licenciement de Mme [Y] est intervenu dans des circonstances brutales et vexatoires. Il convient cependant de limiter la réparation du préjudice moral qui en est résulté pour Mme [Y] à un montant de 1 000 euros.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

- sur le harcèlement moral :

Dans le cadre de son appel incident, Mme [Y] fait grief au jugement de ne pas avoir retenu qu'elle avait été victime de harcèlement moral de la part de M. [N], gérant de la société Aedificatio.

Elle dénonce l'exercice de pressions permanentes par celui-ci sur les salariés ainsi que ses crises de colères qui se sont illustrées selon elle par l'agressivité dont il a fait preuve à son endroit le 21 janvier 2020.

Pour établir la matérialité des faits susceptibles de laisser supposer l'existence d'un harcèlement, Mme [Y] produit les attestations de M. [W] concernant les conditions de travail au sein de l'entreprise, et de M. [I] s'agissant de l'incident du 21 janvier 2020.

Toutefois, ainsi que le souligne l'appelante, ces 2 attestations ne présentent pas de garanties suffisantes d'impartialité dans la mesure où il ressort des statuts de la société NW Menuiserie produits par la société Aedificatio, que M. [I] et M. [W], en sont les associés avec M. [R], conjoint de Mme [Y], ce que celle-ci ne conteste pas.

En outre, s'agissant de l'incident du 21 janvier 2020, la société Aedificatio produit l'attestation de Mme [M] qui certifie que M. [N] n'a fait preuve d'aucun geste violent à l'égard de Mme [Y], ce qui contredit l'attestation de M. [I].

Non corroborées par d'autres éléments, les 2 attestations produites par Mme [Y] ne peuvent ainsi suffire à établir la matérialité des faits allégués.

Il convient en conséquence de retenir que Mme [Y] n'établit pas l'existence de faits laissant supposer qu'elle aurait été victime d'un harcèlement moral et de confirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande indemnitaire de ce chef.

- le manquement à l'obligation de sécurité :

Dans le cadre de son appel incident, Mme [Y] dénonce le manquement de la société Aedificatio à son obligation de sécurité, en ce que les locaux dans lesquels elle travaillait étaient insalubres et qu'il n'existait qu'un toilette qui n'était pas régulièrement nettoyé.

Force est cependant de constater qu'elle ne verse aux débats aucune pièce pour étayer ses dires, la seule attestation du conseiller l'ayant assisté lors de l'entretien préalable qui constate que dans le réfectoire où a eu lieu l'entretien, il y a 'de nombreuses traces d'utilisations présentes et anciennes', étant insuffisamment précise et circonstanciée et ne porte ni sur les sanitaires, ni sur le bureau de Mme [Y].

Par ailleurs, la société Aedificatio qui doit justifier qu'elle respecte son obligation de sécurité, produit des photographies montrant les toilettes et le bureau dans un très bon état de propreté, ainsi que les justificatifs concernant la prestation de ménage, pièces sur lesquelles Mme [Y] n'émet aucune observation.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il n'est pas établi que la société Aedificatio a manqué à son obligation de sécurité. Le jugement sera confirmé de ce chef.

- sur les demandes accessoires :

Au vu de ce qui précède, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

La société Aedificatio ayant été accueillie en partie en ses demandes à hauteur de cour, il convient de laisser à chaque partie la charge des dépens d'appel qu'elle aura exposés.

L'équité commande en outre de débouter les parties de leur demande respective sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement entrepris en date du 25 janvier 2022 sauf en ses dispositions relatives aux montants des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en raison des circonstances brutales et vexatoires de son prononcé ;

statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

CONDAMNE la société Aedificatio à payer à Mme [L] [Y] les sommes suivantes :

- 9 900 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 1 000 euros en réparation du préjudice moral causé par les circonstances brutales et vexatoires de son licenciement ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DIT que chaque partie conservera la charge des dépens qu'elle aura exposés en appel.

LE GREFFIER

Valérie DOIZE

LE PRESIDENT

[A] [V]


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 22/00229
Date de la décision : 30/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-30;22.00229 ?
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