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30/06/2023 | FRANCE | N°21/01095

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale c salle 2, 30 juin 2023, 21/01095


ARRÊT DU

30 Juin 2023







N° 984/23



N° RG 21/01095 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TWCA



MLB/NB

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de DUNKERQUE

en date du

19 Mai 2021

(RG F18/00627)







































GROSSE :





aux avocats



le 30 Juin 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [P] [M]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me David BROUWER, avocat au barreau de DUNKERQUE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 59178/02/21/011585 du 09/1...

ARRÊT DU

30 Juin 2023

N° 984/23

N° RG 21/01095 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TWCA

MLB/NB

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de DUNKERQUE

en date du

19 Mai 2021

(RG F18/00627)

GROSSE :

aux avocats

le 30 Juin 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [P] [M]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me David BROUWER, avocat au barreau de DUNKERQUE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 59178/02/21/011585 du 09/11/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de DOUAI)

INTIMÉE :

S.A.S. KEOLIS FLANDRE MARITIME (ANCIENNEMENT CARIANE LITTORAL)

[Adresse 7]

[Localité 3]

représentée par Me Benoit GUERVILLE, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l'audience publique du 03 Mai 2023

Tenue par Muriel LE BELLEC

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Séverine STIEVENARD

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Soleine HUNTER-FALCK

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

Gilles GUTIERREZ

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Juin 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé Muriel LE BELLEC, conseiller et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 12 avril 2023

EXPOSE DES FAITS

M. [P] [M] a été embauché par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er juin 1998 en qualité de conducteur receveur par la société Cariane Littoral, devenue Keolis Flandre Maritime, qui applique la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport et emploie façon habituelle au moins onze salariés.

Il a été reconnu travailleur handicapé pour la période du 20 novembre 2014 au 19 novembre 2019.

Mis à pied à titre conservatoire le 18 octobre 2018, M. [M] a été convoqué par lettre recommandée du 22 octobre 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement le 6 novembre 2018, à l'issue duquel il a été licencié pour faute grave par lettre recommandée en date du 20 novembre 2018.

Les motifs du licenciement tels qu'énoncés dans la lettre sont les suivants :

« Le jeudi 18 octobre 2018, j'ai été informé par notre client DK Bus qu'un enregistrement montrant l'un de nos conducteurs se détourner de sa mission, était diffusé sur les réseaux sociaux.

Vous êtes clairement identifiable sur cette vidéo tournée par un client qui se trouvait dans le bus et j'ai ainsi pu constater que, pendant votre service, vous étiez allé acheter des cigarettes avec des clients à bord ! De surcroît, la bande son prouve que vous aviez laissé tourner le moteur du véhicule dont n'importe quel « plaisantin », ou personne malveillante, aurait pu s'emparer très facilement ! Tandis que vous étiez affecté à la ligne 20, vous vous êtes arrêté [Adresse 8], dans le sens Belgique France. Il s'agit d'une zone qui n'est absolument pas sécurisée.

Lors de l'entretien, vous avez reconnu les faits en expliquant que sur le moment vous n'aviez pas pris conscience de la gravité des faits ni de la dangerosité d'une telle situation.

En agissant de la sorte, vous avez volontairement enfreint les consignes et les règles de sécurité de l'entreprise.

Un car n'est pas une voiture de fonction dont vous pouvez faire usage à titre personnel ; les clients voyageurs ne sont pas vos amis ou votre famille que vous pouvez associer à des courses privées ; vous êtes garant du véhicule que nous vous confions pour l'exercice de vos fonctions ; et vos temps de trajet professionnels sont encadrés, ce qui ne vous autorise pas à les aménager comme bon vous semble.

En clair, vous ne pouvez pas déroger, de quelque manière et pour quelque motif que ce soit, de votre propre chef, à ce que prévoit votre planning de travail et contrevenir aux règles élémentaires de sécurité des biens et des personnes.

Vous saviez pertinemment que vous étiez en infraction au regard des consignes strictes de l'entreprise. En effet, le règlement intérieur qui vous a été remis précise :

Article 9-1 « Tout membre du personnel est tenu de conserver en bon état le matériel qui lui est confié par l'entreprise en vue de l'exécution de son travail, sans pouvoir en faire un autre usage, notamment à des fins personnelles. »

Article 15 : « Le transport public de voyageurs entraîne des obligations particulières :

Chaque collaborateur de l'entreprise est, à son niveau, le garant de la qualité de service ;...

Les conducteurs doivent respecter les horaires et itinéraires prescrits et ceci dans le respect du code de la route ;

Conformément aux dispositions réglementaires, la conduite des véhicules de transport en commun doit être adaptée aux circonstances ; »

Du fait de votre abandon de notre bus sans surveillance et aux abords d'une route nationale, moteur tournant avec des passagers à l'intérieur, je n'ose imaginer ce qui aurait pu survenir si un autre véhicule avait embouti notre car ou si n'importe quel individu s'en était emparé sachant que toutes sortes de motivations peuvent traverser certains esprits...

Votre désinvolture a exposé moult personnes et l'entreprise à des risques colossaux et inconsidérés. C'est totalement inadmissible de la part d'un conducteur, professionnel de la route, qui se doit d'assurer la sécurité de ses clients en toutes circonstances.

Votre attitude est assurément irresponsable.

Une telle attitude dépasse l'entendement et les limites de l'acceptable. Ce que vous avez fait est extrêmement grave. En plus de vos manquements à la sécurité, vous avez totalement terni l'image de l'entreprise. En effet, il lui est confié une mission de service public et, à ce titre, elle se doit d'employer des conducteurs au comportement exemplaire et irréprochable. Le nom de l'entreprise est d'ailleurs cité dans les commentaires sur les réseaux sociaux ce qui nuit, malheureusement et incontestablement, à sa réputation aussi bien auprès de nos clients voyageurs que de nos donneurs d'ordre et même au delà.

Les conséquences de votre haute négligence sont multiples. Sans qu'on puisse véritablement les hiérarchiser tant elles sont lourdes, elles se résument comme suit :

- Image de marque de l'entreprise altérée par votre manque de sérieux :

vis-à-vis de notre client DK Bus, qui nous a lui-même informé de votre écart,

auprès des clients voyageurs

effet nocif bien plus vaste dans la mesure où la vidéo a été considérablement partagée et visionnée par un public élargi et dans un périmètre illimité.

- Impact négatif tout à fait possible lors de prochains appels d'offre, lesquels sont très concurrencés

- Non-respect de votre feuille de service et des instructions précises qui y figurent

- Courses personnelles effectuées pendant votre temps de travail

- Bien de l'entreprise laissé sans surveillance

- Clients mis gravement en danger dans un endroit non sécurisé et à bord d'un car sans chauffeur

- Exposition de l'entreprise et son dirigeant à de multiples risques, tant en matière de réglementation que de sécurité

- Abandon d'un véhicule qui peut se révéler extrêmement dangereux entre les mains de non professionnels ou de personnes malveillantes.

En aucun cas, nous ne pouvons tolérer une telle légèreté de la part d'un conducteur dont le métier requiert qu'il soit attentif aux consignes à observer, consciencieux, qu'il se conforme à la trame détaillée de travail qui lui est remis et soit soucieux des règles de sécurité qui ne sauraient être négligées.

Compte tenu de la gravité des faits reprochés, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible, considérant que votre comportement nuit gravement à l'image de marque de l'entreprise et constitue également un trouble manifeste quant au respect des règles de sécurité des biens et des personnes. »

Par requête du 14 décembre 2018, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Dunkerque pour faire constater l'illégitimité de son licenciement.

Par jugement de départage en date du 19 mai 2021, expédié aux parties le 26 mai 2021, le conseil de prud'hommes a rejeté la demande tendant à ordonner le retrait de la pièce numéro 3 produite par la société Keolis Flandre Maritime, dit que le licenciement pour faute grave est fondé, débouté M. [M] de l'ensemble de ses autres demandes, rejeté les autres demandes des parties plus amples ou contraires et condamné M. [M] à payer à la société Keolis Flandre Maritime la somme de 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Le 24 juin 2021, M. [M] a interjeté appel de ce jugement.

Par ses conclusions reçues le 10 septembre 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, M. [M] sollicite de la cour qu'elle infirme le jugement entrepris, ordonne le retrait de la pièce 3 adverse et des références faites à cette pièce dans les conclusions de la société Keolis Flandre Maritime, dise son licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne la société Keolis Flandre Maritime à lui payer les sommes de :

1 100 euros (16/30 x 2 064 euros ) à titre de rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire

6 192 euros (3 x 2 064 euros) à titre d'indemnité compensatrice de préavis

618 euros (3 x 206 euros) à titre d'indemnité de congés payés

12 039 euros à titre d'indemnité de licenciement

31 992 euros (15,5 mois de salaire) d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses conclusions reçues le 9 décembre 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Keolis Flandre Maritime sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et que, statuant à nouveau sur ce point et y ajoutant, elle déboute M. [M] de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens en appel et le condamne à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile et celle de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel. A titre subsidiaire, si la cour devait réformer la décision et écarter la faute grave, elle lui demande de juger que le licenciement repose à tout le moins sur une cause réelle et sérieuse, de débouter M. [M] de sa demande au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et de réduire à de plus justes proportions la demande d'indemnité de licenciement (au cas particulier pour un montant de 9 699,81 euros). A titre infiniment subsidiaire, si la cour devait réformer la décision et juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle lui demande de réduire la demande de dommages et intérêts dans les plus amples proportions, faute de préjudice justifié.

La clôture de la procédure a été ordonnée le 12 avril 2023.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la demande de rejet des débats de la pièce n° 3 de l'intimée

La pièce n° 3 de la société Keolis Flandre Maritime figure à son bordereau de pièces sous l'intitulé « mise à pied disciplinaire ».

Cette sanction est datée du 20 mai 2014. M. [M] fait justement valoir qu'étant antérieure de plus de trois ans à l'engagement le 22 octobre 2018 de la procédure de licenciement, elle ne peut être invoquée à l'appui du licenciement en application de l'article L.1332-5 du code du travail.

L'employeur fait observer que la lettre de licenciement ne mentionne pas l'existence d'une mise à pied disciplinaire antérieure, ce qui est exact. Il prétend ensuite qu'il n'a fait état de cette sanction disciplinaire dans le cadre de la procédure que pour éclairer la juridiction sur le fait que M. [M] n'était pas un salarié exemplaire et en réponse à l'argumentation du salarié qui se prévalait d'un déroulement de carrière exemplaire.

Toutefois, les juges ne peuvent pas prendre en compte les sanctions antérieures prononcées plus de trois ans avant l'engagement de la procédure de licenciement pour caractériser la faute grave, de sorte qu'ils n'ont pas lieu d'être éclairés sur de telles sanctions. Ensuite, il ne ressort pas des conclusions du salarié devant la cour qu'il se présente comme un salarié exemplaire au déroulement de carrière exemplaire, de sorte que la société Keolis Flandre Maritime ne justifie pas devoir le contredire sur ce point. Enfin, la société Keolis Flandre Maritime fait allusion dans ses conclusions, après l'exposé de la sanction notifiée le 20 mai 2014, à la connaissance que M. [M] avait des conséquences de « la réitération de son comportement fautif » et soutient qu'il « a persisté dans ce comportement fautif alors qu'il n'a jamais contesté les reproches adressés ». Ce faisant, elle invoque la sanction prescrite à l'appui du licenciement, en violation du texte précité.

Le jugement sera infirmé et la pièce 3 écartée des débats, étant observé que la motivation du jugement sur la demande de retrait de la pièce 3 porte curieusement sur la vidéo produite par l'employeur dont il est indiqué dans le jugement qu'il s'agit de la pièce 1.

Sur le licenciement

En application des articles L.1232-6 et L.1234-1 du code du travail, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est motivée par le fait pour M. [M] d'avoir quitté son bus, moteur tournant, sur une route nationale, avec des passagers à bord, pour aller s'acheter des cigarettes.

Pour caractériser la faute de M. [M], la société Keolis Flandre Maritime produit les messages de M. [L], directeur de DK'Bus - réseau de transport en commun de la communauté urbaine de [Localité 5], un procès-verbal de constat d'huissier, l'attestation de M. [F], chef de centre, une clé USB supportant une vidéo, des captures d'écran, le planning de M. [M] pour la journée du 27 septembre 2018 et divers documents administratifs comportant la photographie du salarié.

M. [L] a avisé la société Keolis Flandre Maritime par un mail en date du 18 octobre 2018, confirmé par un courrier du 21 octobre 2018, qu'une vidéo circulait sur les réseaux sociaux montrant l'un de ses conducteurs s'arrêtant pour acheter des cigarettes à la frontière en laissant les passagers seuls à bord, ce qui était inacceptable en terme de sécurité, de qualité du service public et d'image.

L'huissier de justice requis par la société Keolis Flandre Maritime présente dans son procès-verbal du 14 janvier 2019 le plan de la ligne 20, le permis de conduire et la carte de conducteur de M. [M] avec sa photographie. Il décrit la vidéo dont le lien a été transmis par M. [L] à la société Keolis Flandre Maritime le 18 octobre 2018, en précisant que, d'une durée de 30'47'', elle a été ajoutée sur le site YouTube par [I] A. le 17 octobre 2018 et vue 690 fois et que son auteur filme le trajet du bus. Plusieurs photographies extraites de la vidéo sont jointes.

M. [M] conteste la commission des faits reprochés et fait valoir que la vidéo qui aurait été prise de lui à son insu constitue un mode de preuve illicite.

Cependant, la vidéo a été tournée non pas par l'employeur mais par un passager qui filme non pas le conducteur du bus mais, depuis l'intérieur du bus, le paysage durant son parcours. Ce document n'a pas porté une atteinte disproportionnée à la vie privée de M. [M] et sa production est indispensable à l'exercice du droit à la preuve de la société Keolis Flandre Maritime et à la préservation de ses droits et intérêts légitimes. Il n'y a pas lieu d'écarter cette pièce des débats.

La vidéo débute par un intertitre qui indique : « Réseau DK'BUS [Localité 5] Iveco Bus Crossway LE n° 15.9003 sur la ligne 20 entre les arrêts Gare [4] et [6] ». Elle se termine par le carton : « Vidéo enregistrée le 27 septembre 2018 © [I] A. » Cette date d'enregistrement de la vidéo est également précisée par [I] A. dans le message accompagnant son post sur YouTube. C'est donc vainement que M. [M] soutient que rien n'indique que la vidéo aurait été tournée le 27 septembre 2018. Le planning édité le 10 septembre 2018 montre que le bus n° 15.9003 devait être conduit par M. [M] sur le parcours entre la gare [4] et [6] le 27 septembre 2018. M. [M] n'allègue aucun changement de planning.

La vidéo montre que le bus s'arrête à 7'33'' du début du film. L'auteur de la vidéo a alors indiqué en légende : « Arrêt en double file ». On entend un homme annoncer : « Pause cigarette Monsieur ». Le moteur ne cesse de tourner pendant toute la scène. Il n'existe pas de doute sur le fait que c'est le chauffeur qui descend du bus, en raison du bruit d'ouverture du portillon. On le voit traverser la route nationale en trottinant, la vidéo étant alors légendée : « Le conducteur est parti s'acheter des cigarettes #Cariane». Le chauffeur sort du cadre de l'image et se rend manifestement à la station service située en face. On entend un passager du bus dire : « Incroyable ». Le chauffeur réapparaît dans l'image deux minutes plus tard, traversant la route vers le bus avec dans les mains une cartouche de cigarettes. On entend à nouveau le portillon du conducteur s'ouvrir et se fermer et le bus repart à 10' du début du film.

M. [M] fait valoir que les photos prises par l'huissier de justice ne sont pas de nature à l'identifier. Toutefois, la ressemblance est importante entre le conducteur de bus visible sur la vidéo et les photographies de M. [M] présentes sur les documents administratifs à son nom.

M. [F], chef de centre, a attesté le 16 avril 2019, dans les formes de l'article 202 du code de procédure civile, que M. [M] avait reconnu les faits lors de l'entretien préalable et qu'après avoir indiqué qu'il faisait cela régulièrement et ne se rendait pas compte de la gravité, il avait admis que ce n'était pas bien. Le salarié a produit une attestation en date du 15 novembre 2020 de M. [G], délégué syndical qui l'assistait lors de l'entretien préalable, qui déclare que M. [M] n'a en aucun cas reconnu les faits reprochés lors de l'entretien préalable. M. [O], directeur et auteur de la lettre de licenciement, a écrit à M. [G] le 12 avril 2021 pour lui demander, à l'approche de l'audience de départage, d'honorer son engagement pris en mars de revenir sur son témoignage pour reconnaître qu'il n'est pas conforme à la réalité, M. [O] ajoutant : « Tout comme M. [F] et moi, vous savez pertinemment que M. [M] a bien reconnu les faits reprochés lors de l'entretien préalable à son licenciement et, sans doute par faiblesse, compassion ou solidarité, vous avez cru bon de certifier le contraire. » M. [G] n'est pas revenu sur son témoignage ni ne l'a confirmé, au contraire de M. [F] qui, informé du témoignage de M. [G], a confirmé que M. [M] avait bien avoué les faits reprochés, à savoir qu'il s'était arrêté moteur tournant sur le bas-côté de la route avec des clients dans le bus pour aller chercher une cartouche de cigarettes pendant le service.

Indépendamment de ces témoignages contraires, la vidéo, les photographies du salarié et le planning du 27 septembre 2018 désignent M. [M] comme l'auteur des faits et établissent le grief. La faute de M. [M] ayant consisté à abandonner, même brièvement, son bus, moteur tournant, avec ses passagers à l'intérieur pour un motif personnel non impérieux constitue un manquement aux missions du conducteur receveur suffisamment grave pour justifier son licenciement. Cette faute n'était pas de nature toutefois, y compris pour la sauvegarde de l'image de la société, à empêcher son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

Il n'existe pas de discussion sur le montant du rappel de salaire, par suite de la mise à pied conservatoire devenue sans objet, ni sur celui de l'indemnité compensatrice de préavis, la société intimée n'en contestant que le principe.

A défaut de dispositions conventionnelles contraires, les absences pour maladie ne sont pas prises en compte dans le calcul de l'ancienneté pour déterminer le montant de l'indemnité de licenciement. Au vu du tableau des absences de M. [M], celle-ci doit en conséquence être évaluée à 9 699,81 euros.

Partiellement fondée, l'action engagée par M. [M] ne présente pas de caractère abusif, ce qui justifie de confirmer le jugement qui a débouté la société Keolis Flandre Maritime de sa demande indemnitaire de ce chef.

Il convient d'infirmer le jugement du chef de ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile, de débouter la société Keolis Flandre Maritime et de la condamner à verser à M. [M] la somme de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté M. [P] [M] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la société Keolis Flandre Maritime de sa demande d'indemnité pour procédure abusive, et statuant à nouveau :

Ecarte des débats la pièce n° 3 de la société Keolis Flandre Maritime.

Dit que le licenciement est justifié non par une faute grave mais par une cause réelle et sérieuse.

Condamne la société Keolis Flandre Maritime à verser à M. [P] [M] :

1 100 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire

6 192 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

618 euros au titre des congés payés y afférents

9 699,81 euros à titre d'indemnité de licenciement.

Déboute la société Keolis Flandre Maritime de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Keolis Flandre Maritime à verser à M. [P] [M] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Keolis Flandre Maritime aux dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier,

Valérie DOIZE

Pour le Président emêpêché,

Muriel LE BELLEC, Conseiller


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale c salle 2
Numéro d'arrêt : 21/01095
Date de la décision : 30/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-30;21.01095 ?
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