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22/06/2023 | FRANCE | N°22/01471

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 22 juin 2023, 22/01471


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 22/06/2023





****





N° de MINUTE :

N° RG 22/01471 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UF5N



Jugement (N° 19/04596) rendu le 28 Février 2022 par le tribunal judiciaire de Lille







APPELANTE



SCI Enzo Patrimoine agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]


[Localité 5]



Représentée par Me Amandine Boddaërt, avocat au barreau de Lille, avocat constitué





INTIMÉES



Société Générale venant aux droits et obligations de la banque Crédit du Nord

prise en la...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 22/06/2023

****

N° de MINUTE :

N° RG 22/01471 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UF5N

Jugement (N° 19/04596) rendu le 28 Février 2022 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANTE

SCI Enzo Patrimoine agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Amandine Boddaërt, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉES

Société Générale venant aux droits et obligations de la banque Crédit du Nord

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me Martine Vandenbussche, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

SA QUATREM prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Agnes Goldmic, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

SAS Aon France La Société AON FRANCE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentée par Me Emmanuel Masson, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, assisté de Me Dorothée Lours, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

DÉBATS à l'audience publique du 16 mars 2023 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023 après prorogation du délibéré en date du 25 mai 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 27 février 2023

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

Courant 2008, la SCI Enzo patrimoine (la SCI) a financé l'acquisition d'un immeuble par un prêt de 163 000 euros accordé par la SA Crédit du Nord (le Crédit du Nord ou le prêteur).

Un bulletin d'adhésion à une assurance emprunteur de groupe souscrite par le Crédit du Nord auprès de la société Quatrem, couvrant les risques décès et PTIA de M. [R], gérant de la SCI, a été signé par ce dernier.

La société Aon France est gestionnaire du contrat d'assurance.

M. [R] ayant invoqué son placement en invalidité permanente, il n'a obtenu aucune réponse à sa demande de prise en charge de l'emprunt par la société Quatrem ou le gestionnaire du contrat.

Compte tenu de la défaillance de la SCI à rembourser les échéances du prêt, la déchéance du terme a été prononcée par le prêteur. Dans le cadre d'une saisie immobilière, le juge de l'exécution a fixé la créance du Crédit du Nord à 103 111, 96 euros et autorisé la vente amiable du bien saisi.

Invoquant l'inexistence d'un contrat d'assurance groupe conclu en couverture du prêt, la SCI a fait assigner le prêteur et la société Quatrem devant le tribunal judiciaire de Lille, notamment aux fins de restitution par l'assureur des primes d'assurance indues et d'indemnisation par le prêteur d'une perte de chance à hauteur de 103 111,96 euros. Le prêteur ayant appelé en garantie la société Aon France, les instances ont été jointes.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 28 février 2022, le tribunal judiciaire de Lille a :

1- débouté la SCI de l'intégralité de ses demandes ;

2- condamné la SCI à verser à la société Quatrem la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

3- condamné la SCI aux entiers dépens de l'instance l'ayant opposée au Crédit du Nord et à la société d'assurance Quatrem ;

4- autorisé Maitre Alice Dhonte à recouvrer directement les dépens dont elle aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision ;

5- condamné le Crédit du Nord aux entiers dépens de l'instance l'ayant opposée la société Aon France ;

6- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 25 mars 2022, la SCI formé appel de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 1 à 3 et 6 ci-dessus.

La SA Société Générale est venue aux droits du Crédit du Nord, par fusion-absorption définitive à compter du 1ere janvier 2023.

4. Les prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 30 janvier 2023, la SCI demande à la cour, au visa des articles 1103, 1193 et suivants du code civil, de :

- la recevoir en ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement en ce qu'il a admis l'inexistence du contrat d'assurance souscrit au bénéfice de la société Enzo patrimoine ;

- infirmer le jugement en ses dispositions visées par la déclaration d'appel ;

En conséquence,

- condamner la Société générale au paiement de la somme de 2 016,14 euros au titre de la restitution des primes d'assurance indûment versées,

- condamner la Société générale, au paiement de la somme de 103 111,96 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance subie,

- condamner in solidum ou l'une à défaut de l'autre, les sociétés Quatrem et la Société générale au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance et 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

- condamner in solidum ou l'une à défaut de l'autre, les sociétés Quatrem et la Société générale au paiement des entiers frais et dépens.

-débouter la société Quatrem et Société générale de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

A l'appui de leurs prétentions, la SCI fait valoir que :

- le contrat d'assurance n'a pas été finalisé, alors que le bulletin d'adhésion produit ne comporte que la signature de M. [R] et que l'avis de la « société de courtage » Aon sur l'acceptation de « l'affiliation » de ce dernier par le médecin-conseil ne suffit pas à prouver la régularisation d'un tel contrat ; la société Quatrem confirme n'avoir jamais ouvert de contrat au profit de M. [R] et prétend ne pas avoir perçu de primes, pourtant réglées par la SCI.

- le Crédit du Nord a engagé sa responsabilité à son encontre dès lors que :

* il lui a laissé croire qu'une assurance emprunteur avait été souscrite, alors que les primes ont été encaissées par ce prêteur pendant 10 ans ; le préjudice de l'emprunteur non assuré est constitué par une perte de chance à concurrence de la créance revendiquée par la banque ;

* elle n'est pas partie à la convention tripartite du 20 janvier 2006 entre le prêteur, l'assureur et le gestionnaire : cette convention ne lui est ainsi pas opposable, de sorte que les premiers juges ne pouvaient retenir une absence de faute du prêteur au motif qu'il a respecté les termes de cette convention ;

* elle avait mandaté le Crédit du Nord pour mener à son terme la régularisation du contrat d'assurance ; alors que le préteur avait la gestion des cotisations, ses obligations ne se limitaient ainsi pas à adresser un bulletin d'adhésion et à se satisfaire d'un courrier adressé par la société Aon France. Ayant la charge de la constitution et de la maintenance des fichiers des assurés, le Crédit du Nord aurait dû s'apercevoir que le contrat était manquant et faire le nécessaire ;

- la perte de chance s'évalue à concurrence de 100 % du prêt ; le Crédit du Nord ne peut plaider pour l'assureur en exposant que la garantie n'aurait pas été acquise, alors que la société Quatrem n'invoque pas qu'elle aurait dénié sa garantie si le contrat avait été signé ; « cela n'est pas le sujet puisqu'il n'existe aucun contrat auquel se référer » ; la garantie ou non au titre d la PTIA par la société Quatrem n'a pas vocation à fixer le quantum de la perte de chance subie ; au surplus, à la suite d'un triple pontage coronarien, M. [R] a cessé toute activité professionnelle, ainsi qu'il en atteste médicalement ;

- les primes indûment payées en l'absence de contrat d'assurance doivent lui être restituées : la production de l'échéancier fixé par le Crédit du Nord établit le paiement de ces primes, alors que le propre décompte produit par le prêteur indiquent que seules deux mensualités de 1 552,32 euros ont été impayées de sorte que la déchéance du terme a été prononcée ; le Crédit du Nord ne produit pas les relevés qui prouvent le versement de ces primes, conformément au tableau d'amortissement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 9 janvier 2023, la Société Générale, venant aux droits du Crédit du Nord, demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté « la SCI de l'intégralité de ses demandes » à l'égard du Crédit du Nord » et notamment en ce qu'il a reconnu que l'action en responsabilité engagée par la SCI « ne peut prospérer et ses demandes à ce titre seront purement et simplement rejetées » et en ce qu'il a débouté la SCI de sa demande en répétition de l'indu dirigée à l'encontre du Crédit du Nord ;

et l'infirmer pour le surplus en ce qu'il a jugé que « la souscription du contrat d'assurance groupe emprunteur n'aurait jamais été finalisée au bénéfice de M. [R] » et condamné le Crédit du Nord aux entiers dépens de l'instance l'ayant opposée à la société Aon France.

En conséquence, et statuant à nouveau :

A titre principal :

' constater son absence de faute à l'endroit de la SCI ,

' en conséquence débouter purement et simplement la SCI de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire :

' constater la faute de la société Aon; en conséquence :

' « condamner solidairement Aon à la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre ».

En tout état de cause :

' condamner la SCI au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens au titre de la procédure de première instance ;

' condamner la SCI au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens au titre de la procédure d'appel.

A l'appui de ses prétentions, la Société générale fait valoir que :

- elle n'a commis aucune faute, reprenant à son profit la motivation des premiers juges ; elle conteste tout manquement à son devoir de conseil ; l'inexistence d'une assurance emprunteur couvrant le remboursement du prêt ne repose que sur les seules allégations non démontrées de la société Quatrem ; à l'inverse, l'acte de prêt comporte une clause démontrant qu'il était assorti d'une assurance groupe susceptible de couvrir les risques décès, incapacité du travail et invalidité au profit de M. [R] ;

- l'inopposabilité de la convention tripartite à la SCI et l'allégation qu'elle était chargée des formalités du contrat d'assurance sont des arguments nouveaux devant la cour, qui sont infondés ;

- à titre subsidiaire, l'indemnisation d'une perte de chance n'est jamais égale au préjudice subi dans son intégralité ; en l'espèce, la SCI ne démontre pas qu'elle aurait pu bénéficier de la prise en charge de son prêt : (i) d'une part, l'adhésion était prévue pour le risque décès ; (ii) d'autre part, la preuve d'une invalidité permanente totale de son gérant n'est pas rapportée ; à l'inverse, il ne justifie que d'une incapacité partielle et d'un arrêt de travail sur la seule période de mai-juin 2017 ;

- la SCI ne démontre pas qu'elle a prélevé indûment une somme de 2 016,14 euros en paiement des primes d'assurance ;

- la société Aon France doit la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre, dès lors que celle-ci a commis des fautes ; dès lors qu'elle a pris attache avec cette société Aon France, courtier d'assurance ayant mission de mettre en rapport M. [R] avec la société Quatrem, la responsabilité de ce courtier peut être recherchée au titre d'une telle mission ; d'autant plus que la convention tripartite prévoit que la société Aon France s'engage à transmettre le dossier à l'assureur pour qe ce dernier donne une réponse au gestionnaire dans un délai de deux jours ouvrés suivant réception.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 26 juillet 2022, la société Quatrem, intimée, demande à la cour de confirmer purement et simplement le jugement critiqué, de débouter la SCI de toutes ses demandes et de condamner la SCI à lui payer 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens lesquels pourront être recouvrés par Maître Levasseur.

A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir que la preuve qu'un contrat d'assurance groupe a été conclu n'est pas rapportée, alors que l'acte notarié de prêt indique que l'adhésion est subordonnée à l'acceptation de la compagnie d'assurance et qu'elle n'a perçu aucune prime, alors que la SCI ne démontre pas un tel paiement à son profit.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 19 septembre 2022, la société Aon France, intimée, demande à la cour de :

- confirmer le jugement critiqué sur le rejet des demandes de la SCI et sur l'absence de responsabilité du Crédit du Nord ;

- à supposer que la cour rejette les demandes formées par la SCI à l'encontre du Crédit du Nord, juger sans objet la demande de garantie formée par le Crédit du Nord à son encontre ;

- à supposer que la cour fasse droit aux demandes de la SCI à l'encontre du Crédit du Nord, juger qu'elle n'a commis aucune faute.

- juger qu'il n'est pas rapporté la preuve d'un préjudice s'analysant en une perte de chance ;

- débouter le Crédit du Nord de toutes ses demandes formées à son encontre ;

En tout état de cause, rejeter toute demande de condamnation à son encontre ;

Reconventionnellement, condamner tout succombant à lui régler une somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

A l'appui de ses prétentions, la société Aon fait valoir que :

- sa responsabilité n'est invoquée que par le Crédit du Nord, et non par la SCI et la société Quatrem ; elle n'a vocation à être examinée que dans l'hypothèse où le Crédit du Nord est lui-même condamné ;

- sa responsabilité n'est pas engagée :

* en l'absence de faute démontrée à son encontre. Le Crédit du Nord procède par affirmations et ne précise pas le manquement contractuel qui lui est reproché ; au surplus, elle a respecté ses obligation contractuelle : (i) d'une part, en exécution de la convention tripartite conclue le 20 janvier 2006 avec la société Quatrem et le Crédit du Nord : la clause invoquée par cette dernière mentionne que la transmission du dossier d'assurance par le gestionnaire à l'assureur intervient « le cas échéant », alors que le « traitement » qu'elle vise renvoie au délai de traitement des adhésions ; (ii) d'autre part, en exécution de la convention du 28 mars 2006 conclue avec la société Quatrem : en sa qualité de gestionnaire, elle a valablement informé le prêteur de l'acceptation de l'assureur, ainsi que l'établit le propre courrier produit par le Crédit du Nord. Aucune faute ne peut lui être reprochée au titre de la mise en rapport de l'assuré et de l'assureur.

- la convention de gestion donne mission à l'organisme financier de percevoir l'ensemble des cotisations afférentes aux adhésions, de sorte qu'elle n'est elle-même pas concernée par la demande de restitution des primes dirigée à l'encontre du Crédit du Nord ;

* en l'absence de preuve d'un préjudice, dès lors que la perte de chance invoquée par la SCI est nulle, à défaut de démontrer que les conditions de la garantie visée par le contrat d'assurance inexistant sont remplies : à cet égard, M. [R] n'établit pas qu'il est en invalidité permanente totale, alors que la définition contractuelle de la PTIA exige une telle démonstration.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il s'observe que la SCI n'invoque pas le mandat apparent dont disposerait le Crédit du Nord pour conclure, pour le compte de l'assureur, un contrat obligeant ce dernier à garantir le sinistre, dès lors qu'une telle apparence aurait pu légitimement lui faire croire à l'existence d'un tel contrat d'assurance emprunteur. A l'inverse, elle opte pour l'inexistence du contrat et l'absence d'obligation de la société Quatrem à son égard.

Par ailleurs, il n'y a pas lieu à infirmer le jugement critiqué en ce qu'il a jugé que « la souscription du contrat d'assurance groupe emprunteur n'aurait jamais été finalisée au bénéfice de M. [R] », alors que ce jugement ne comporte pas un tel chef dans son dispositif.

Sur la responsabilité du Crédit du Nord :

Lorsqu'un ou plusieurs fondements juridiques sont invoqués au soutien d'une prétention, la cour tranche le litige selon les règles de droit qui lui sont applicables, conformément à l'article 12 alinéa 1 du code de procédure civile. Il lui appartient par conséquent de vérifier si toutes les conditions d'application de la règle de droit ou des règles de droit invoquées par la partie sont ou non réunies.

Si plusieurs moyens de droit sont soutenus par la partie, la cour doit examiner chacune des règles invoquées et ce, en respectant la hiérarchie éventuellement donnée par celle-ci à ces moyens.

La cour dispose enfin de la simple faculté de soulever d'office un nouveau fondement qui n'a été invoqué par aucune des parties, sans qu'il s'agisse d'une obligation et à charge de respecter le principe du contradictoire, après examen des différents fondements invoqués expressément par les parties.

Au titre d'une perte de chance de ne pas être garanti par l'assureur :

En l'espèce, le fondement expressément invoqué par la SCI à l'appui de son action en responsabilité se limite au visa des dispositions des « articles 1103 et 1193 et suivants ». Outre que ces dispositions ne sont pas applicables à un contrat souscrit en 2008, elles renvoient exclusivement à la force obligatoire du contrat. Il s'en déduit exclusivement la nature contractuelle de la responsabilité recherchée à l'encontre du Crédit du Nord.

S'agissant de la nature du contrat en vertu duquel le Crédit du Nord engagerait sa responsabilité, la SCI reste floue sur sa qualification, alors que la faute reprochée consiste à lui avoir « laissé croire qu'une assurance emprunteur avait été souscrite, alors que ce n'était pas le cas ».

Alors qu'aucune obligation d'information et de conseil n'est clairement alléguée dans ses conclusions, la SCI ne fonde ses demandes à l'encontre du Crédit du Nord :

- (i) ni sur sa qualité de souscripteur du contrat d'assurance-groupe auquel elle propose aux emprunteurs d'adhérer, au titre d'une responsabilité encourue à l'encontre de l'adhérent ;

- (ii) ni sur une qualité d'intermédiaire d'assurance, au titre d'une responsabilité dans la conclusion ou l'exécution du contrat d'assurance sollicité par l'emprunteur.

Si la SCI mentionne ponctuellement (page 7 de ses conclusions) qu'elle « avait mandaté le Crédit du Nord pour mener à son terme la régularisation du contrat d'assurance auprès de Quatrem », elle n'apporte toutefois aucun élément établissant l'existence d'un tel mandat qu'elle aurait directement confié à cet établissement.

Dès lors que la SCI a invoqué expressément un fondement textuel, il n'appartient pas à la cour de soulever d'office d'autres fondements.

En sa seule qualité de prêteur, le Crédit du Nord n'a aucune obligation à son encontre au titre de la transmission à l'assureur ou à un gestionnaire d'une demande d'adhésion à un emprunt. À cet égard, l'article 4 du contrat de prêt mentionne exclusivement que « sous réserve d'acceptation par la compagnie d'assurance, l'adhésion au contrat d'assurance groupe souscrit par la banque auprès de la compagnie Quatrem a été demandée pour couvrir les risques de décès de M. [R] [V] à concurrence de 100 % du prêt ». Cette clause ne comporte ainsi aucun engagement pris par le prêteur concernant la conclusion du contrat d'assurance, laquelle ne résulte que de l'acceptation de la demande d'adhésion par l'assureur de groupe. Par ailleurs, cette clause précise pas qu'il appartient ultérieurement au prêteur de vérifier que l'adhésion a été effectivement acceptée par l'assureur de groupe. De fait, une demande d'adhésion a signée par M. [R] le 6 novembre 2008 et transmis le 7 novembre 2008 par le Crédit du Nord (pièce 2 de la société Aon France). La responsabilité contractuelle du Crédit du Nord ne peut être engagée à ce titre.

Enfin, l'argumentaire de la SCI renvoie implicitement au mandat qui lie le Crédit du Nord à la société Quatrem.

A défaut d'être présumé mandataire de l'assureur de groupe en application de l'article L. 141-6 alinéa 2 du code des assurances, dès lors qu'il s'agit en l'espèce d'un contrat souscrit par un établissement de crédit ayant pour objet la garantie de remboursement d'un emprunt, le souscripteur du contrat peut toutefois être mandaté par cet assureur au titre de la conclusion ou de la gestion du contrat d'assurance.

À cet égard, deux conventions ont notamment été conclues entre le Crédit du Nord et la société Quatrem, pour déterminer les missions confiées à ce titre à l'organisme financier comme mandataire de l'assureur de groupe.

Pour autant, ces stipulations contractuelles ne peuvent engager la responsabilité contractuelle que des parties liées par ces conventions.

La SCI invoque elle-même être un tiers à ces conventions, qui lui sont effectivement inopposables. Si elle dispose en cette qualité de tiers de la faculté d'invoquer à son profit un manquement contractuel imputable au Crédit du Nord à l'égard de ses propres cocontractants dès lors qu'il lui cause un préjudice, une telle action est toutefois de nature nécessairement délictuelle.

En l'espèce, seule la responsabilité contractuelle du Crédit du Nord étant recherchée, la SCI ne peut invoquer d'éventuels manquements de celui-ci à ses obligations envers l'assureur de groupe pour solliciter la condamnation de cet établissement financier.

Il en résulte que la SCI n'établit pas le fondement sur lequel repose sa demande indemnitaire.

Le jugement l'ayant déboutée de sa demande indemnitaire est par conséquent confirmé de ce chef.

Au titre d'un paiement indu des primes d'assurance :

Alors que la SCI ne propose à nouveau aucun fondement textuel à l'appui de sa demande de remboursement des primes d'assurance qu'elle allègue avoir payées, son dispositif vise la restitution d'une somme de 2 016,14 euros indûment versées, de sorte qu'elle exerce une action quasi-contractuelle à l'encontre du Crédit du Nord. À cet égard, les premiers juges ont ainsi valablement visé les dispositions de l'article 1376 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, aux termes duquel celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.

Pour autant, il appartient à la SCI d'établir l'existence du paiement de la créance dont elle sollicite la restitution.

À cet égard, les premiers juges ont estimé qu'une telle preuve n'était pas rapportée.

Devant la cour, la SCI ne produit pas davantage de pièce établissant que les primes d'assurance ont été effectivement payées au Crédit du Nord.

À cet égard, la SCI produit exclusivement :

- le tableau d'amortissement du prêt : pour autant, cette pièce ne prouve pas le paiement des primes, outre le montant des échéances mensuelles de remboursement du capital.

- un décompte établi par le Crédit du Nord, indiquant un impayé à hauteur de

3 138,42 euros, qui a été régularisé par la remise d'un chèque du même montant le 6 juillet 2015 : si la SCI prétend qu'une telle somme correspond à deux mensualités impayées, il n'existe toutefois pas de corrélation entre la somme de 3 138,42/2 =

1 569,21 euros et celle de 1 552,32 euros représentant les échéances mensuelles intégrant les primes d'assurance selon le tableau d'amortissement.

Seule la production d'un historique du compte ou d'un relevé de son propre compte bancaire établissant que le montant mensuellement versé s'établissait à 1 552,32 euros est de nature à établir l'existence de la créance qu'invoque la SCI.

Alors que la charge de la preuve de sa créance repose sur la SCI en application de l'article 1315, devenu 1353 alinéa 1er du code civil, elle ne peut par conséquent opposer que seul le Crédit du Nord dispose des relevés établissant ses paiements en exécution du contrat pour se dispenser de produire une telle pièce, alors qu'elle disposait de la faculté d'enjoindre son cocontractant de lui remettre l'historique de compte.

L'existence de sa créance n'étant pas démontrée, le jugement ayant débouté la SCI de sa demande de restitution est confirmé.

A défaut de toute condamnation du Crédit du Nord, son recours en garantie à l'encontre de la société Aon France est dépourvu d'objet.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

et d'autre part, à condamner la SCI, outre aux entiers dépens d'appel, à payer respectivement à la Société générale et à la société Quatrem la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.

En application de l'article 699 du code de procédure civile, la cour autorisera Me Virginie Levasseur à recouvrer directement contre la personne condamnée les dépens d'appel dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.

Il n'est pas contraire à l'équité de débouter les autres demandes formées au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement rendu le 28 février 2022 par le tribunal judiciaire de Lille dans toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

Condamne la SCI Enzo Patrimoine aux dépens d'appel ;

Autorise Me Virginie Levasseur à recouvrer directement contre la SCI Enzo Patrimoine les dépens de première instance et d'appel dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision ;

Condamne la SCI Enzo Patrimoine à payer respectivement à la Société générale, venant aux droits de la SA Crédit du Nord, et à la société Quatrem la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs autres demandes contraires ou plus amples.

Le Greffier

Harmony Poyteau

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 22/01471
Date de la décision : 22/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-22;22.01471 ?
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