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15/06/2023 | FRANCE | N°22/01453

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 15 juin 2023, 22/01453


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 15/06/2023





****



N° de MINUTE : 23/212

N° RG 22/01453 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UF3Q



Jugement (N° 19/01202) rendu le 03 Mars 2022 par le tribunal judiciaire de Douai





APPELANTE



SELAS M.J.S. Partners prise en la personne de Maître [L] [J] domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]



Rep

résentée par Me Séverine Surmont, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Yves-Marie Le Corff, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant, substitué par Me Ivan Mathis, avocat au barreau d...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 15/06/2023

****

N° de MINUTE : 23/212

N° RG 22/01453 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UF3Q

Jugement (N° 19/01202) rendu le 03 Mars 2022 par le tribunal judiciaire de Douai

APPELANTE

SELAS M.J.S. Partners prise en la personne de Maître [L] [J] domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Séverine Surmont, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Yves-Marie Le Corff, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant, substitué par Me Ivan Mathis, avocat au barreau de Paris

INTIMÉE

SAS Aka France prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assisté de Me Etienne Gutton, avocat au barreau de Nancy, avocat plaidant

DÉBATS à l'audience publique du 13 avril 2023 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 15 juin 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 27 mars 2023

OBSERVATIONS DU MINISTÈRE PUBLIC : 10 mars 2023 communiquées aux parties le 13 mars 2023

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

La Sas Aka France, fournisseur de la Sarl Dumesnil, a livré entre avril et juin 2014 des têtes et des raccords de robinet, pour un montant global de 107 486,18 euros. Ses factures mentionnant une clause de réserve de propriété, n'ont pas été payées.

Par jugement du 16 octobre 2014, la société Dumesnil a été placée en liquidation judiciaire : la Selas [P] et [L] [J] (devenue la Selas MJS Partners) a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Par courrier du 4 novembre 2014, la société Aka France a revendiqué auprès du liquidateur judiciaire les marchandises impayées qui se retrouvaient en nature dans le stock de la société Dumesnil. Le liquidateur judiciaire a acquiescé hors délai à une telle revendication en nature, chiffrée à 1 251,18 euros, le reste des marchandises (107 486,18 ' 1 251,18 = 106 235 euros) ayant été revendu.

En l'absence d'acquiescement, la société Aka France a revendiqué le 16 décembre 2014 devant le juge-commissaire le prix de celles déjà revendues pour le surplus, au visa de l'article L. 624-18 du code de commerce : le liquidateur judiciaire s'y est opposé.

Par arrêt infirmatif du 26 janvier 2017, la cour d'appel d'Amiens a condamné le liquidateur judiciaire, ès qualités, à verser à la société Aka France, par priorité à toute autre créance, la somme de 106 235 euros, au titre de la revendication du prix de revente des marchandises sur le fondement de l'article L. 624-18 du code de commerce, au-delà de la seule restitution en nature des marchandises en stock. Par arrêt du 5 décembre 2018, le pourvoi formé par le liquidateur judiciaire a été rejeté par la chambre commerciale de la Cour de cassation.

En dépit de commandements de payer adressés au liquidateur judiciaire, ce dernier n'a procédé à aucun versement de la somme précitée.

La société Aka France a assigné en responsabilité professionnelle la société MJS Partners devant le tribunal judiciaire de Douai pour solliciter l'indemnisation de l'absence de versement de sa créance de prix de revente de ses marchandises.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 3 mars 2022, le tribunal judiciaire de Douai a :

1. condamné la société MJS Partners à payer à la société Aka France la somme de 109 400,58 euros à titre de dommages-intérêts ;

2. condamné la société MJS Partners à payer à la société Aka France la somme de 5 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

3. condamné la société MJS Partners aux dépens de l'instance ;

4. débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

5. ordonné l'exécution provisoire.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 24 mars 2022, la société MJS Partners a formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement.

4. Les prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 23 novembre 2022, la société MJS Partners, appelante, demande à la cour de réformer le jugement en ses seules dispositions numérotées 1 à 3 ci-dessus, et statuant à nouveau, de :

- débouter la société Aka France de l'ensemble de ses demandes, à défaut de rapporter la preuve d'une faute imputable au liquidateur judiciaire à titre personnel en lien causal direct avec un préjudice certain ;

* subsidiairement, limiter l'indemnisation de la société Aka France à la somme de 7 697,24 euros ;

* très subsidiairement, limiter cette indemnisation à la somme de 37 272,68 euros ;

- condamner la société Aka France à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Aka France aux dépens.

A l'appui de ses prétentions, la société MJS Partners fait valoir que :

- la preuve d'une faute n'est pas démontrée à son encontre : (i) l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens n'a aucune autorité de la chose jugée à son égard et lui est ainsi inopposable, dès lors qu'elle n'y avait pas la même qualité que dans la présente instance ; les premiers juges ne pouvaient par conséquent se référer exclusivement au montant fixé par cet arrêt pour faire l'économie d'examiner le préjudice réellement subi par le créancier revendiquant ; (ii) l'inexécution de cet arrêt n'est pas fautive, alors que la liquidation ne détenait en compte que 13 533,62 euros, alors qu'elle conteste que son courrier indiquant qu'elle entendait attendre l'arrêt de la Cour de cassation avant de verser la somme fixée par la cour d'appel impliquait qu'elle disposait de l'intégralité des fonds ; les premiers juges n'ont pas constaté qu'elle disposait des sommes revendiquées, alors qu'il résulte de son rapport sur la situation du débiteur que le solde bancaire de la société Dumesnil s'élevait à 1786 euros et que le recouvrement des créances s'est limité à 37 272 euros ; (iii) les marchandises revendiquées avaient été rapidement revendues pour la plupart, de sorte qu'elle ne figuraient plus dans le stock, ainsi qu'en atteste le commissaire-priseur : elle s'est opposée exclusivement à la revendication du prix, dès lors que la jurisprudence alors constante de la Cour de cassation (Com. 2 novembre 1993, n°91-16297 ; 7 avril 2009) imposait au créancier revendiquant de prouver le paiement par les sous-acquéreurs après le jugement d'ouverture ;

- la preuve d'un préjudice en lien de causalité direct avec la faute reprochée n'est pas établie : (i) seul le défaut de preuve par la société Aka France des paiements effectués par les sous-acquéreurs a causé le refus légitime de lui payer les sommes réclamées : outre une absence de revendication immédiate du prix, cette faute est la cause exclusive du préjudice allégué ; (ii) le préjudice subi ne peut excéder (a) les sommes effectivement encaissées, après le jugement d'ouverture, sur la revente des seules marchandises impayées de la société Aka France, soit la somme de

7 697,24 euros ou (b) celles encaissées auprès de l'ensemble des clients de la société Dumesnil, soit la somme de 37 272 euros ; l'inventaire dressé par le commissaire-priseur ne concerne pas les marchandises revendiquées, dès lors qu'il vise d'autre pièces que les seuls raccords et têtes de robinet ayant été revendiqués ; (iii) la critique du compte établi par un mandataire judiciaire est inopérante, dès lors qu'il est dressé conformément aux règles de sa profession et par un logiciel agréé, qu'il est confirmé par les factures versées au débat, que sa comptabilité spéciale est vérifiée deux fois par an par un commissaire aux comptes et qu'elle est adressé aux organes chargés de son contrôle, et notamment au procureur de la République ; (iv) l'indemnisation de la société Aka France ne peut inclure la TVA qu'elle a n'a ni encaissée, ni reversée au Trésor public ; (v) n'étant pas le garant de la société débitrice, le liquidateur judiciaire n'a pas à supporter les frais d'exécution exposés par le créancier revendiquant.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 19 janvier 2023, la société Aka France demande à la cour, au visa des articles 1382 et 1383 anciens, 1240 et suivants nouveaux du code civil, et des articles L 624-18 et R 641-31-II du code de commerce, de :

- débouter la société MJS Partners de son appel et de l'ensemble de ses demandes,

En conséquence, confirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions, en conséquence,

- condamner la société MJS Partners, anciennement dénommée [P] et [L] [J] Selas, à lui verser la somme de 106 235 euros à titre de dommages intérêts, en réparation de sa faute civile professionnelle,

- condamner la société MJS Partners à lui verser la somme de 2 500 euros de dommages intérêts en réparation de son attitude d'obstruction systématique à son encontre depuis l'engagement de la procédure de revendication,

- condamner la société MJS Partners à lui verser la somme de 665,58 euros à titre d'indemnisation des frais d'huissiers liés aux tentatives d'exécution de l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens et de l'arrêt de la Cour de cassation,

- condamner la société MJS Partners à lui verser la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, outre les entiers dépens.

Y ajoutant, condamner la société MJS Partners au versement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel, outre les entiers dépens.

A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir que :

- la faute commise par le liquidateur judiciaire est constituée par l'absence de mesure conservatoire pour permettre le versement du prix de revente des marchandises revendiquées, conformément à l'article R. 641-31-II du code de commerce, en cas de succès de son action en revendication, alors que l'arrêt d'appel était exécutoire par provision ; ce mandataire judiciaire n'a pas tenu compte de l'arrêt de condamnation prononcé par la cour d'appel d'Amiens ; cette faute a placé la procédure collective de la société Dumesnil dans l'incapacité de lui remettre le prix de revente de ses marchandises, en dépit de son droit à être payé par priorité à tout autre créance ; même le montant de 13 533 euros n'a pas été versé après que la cour d'appel, puis la Cour de cassation, a statué sur le montant qu'il appartenait au liquidateur judiciaire de lui verser ;

- la critique des décisions rendues par la cour d'appel d'Amiens, puis par la Cour de cassation est inopérante ; à l'inverse, la jurisprudence retient, lorsque le mandataire es-qualité n'est pas en mesure de rapporter la preuve du prix par les sous-acquéreurs au jour de l'ouverture de la procédure, que l'action en revendication est alors accueillie pour la totalité des marchandises revendiquée, sans considération de la présence ou de l'absence effective de ces dernières à l'ouverture de la procédure collective ;

- la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée est étrangère à la solution du litige, alors que seule la cour d'appel d'Amiens avait une compétence exclusive et d'ordre public pour statuer sur le montant du prix de revente revendiqué, en application de l'article R. 662-3 du code de commerce, lequel prix a été ainsi définitivement fixé à 106 235 euros ; la présente juridiction ne peut s'y substituer pour procéder alternativement à une fixation de ce montant ;

- le refus opposé par le liquidateur judiciaire de verser le prix de revente est injustifié, dès lors qu'il est indifférent qu'une telle demande ne soit pas présentée par le vendeur réservataire dans sa revendication initiale si elle intervient toutefois dans les délais légaux ;

- ce refus est fautif, alors qu'il repose notamment sur l'argument « aberrant » selon lequel l'article L. 624-18 du code de commerce ne concernerait que les marchandises revendues après le jugement d'ouverture, et non celles revendues après ce dernier ;

- ainsi que l'a confirmé la Cour de cassation, elle n'a elle-même commis aucune faute, de sorte que seul le refus de mettre en 'uvre l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens a causé son préjudice ;

- son préjudice est égal à la somme de 106 235 euros, que le liquidateur judiciaire devait lui verser par priorité à toute autre créance ; la production du « compte étude » de la liquidation judiciaire de la société Dusmenil est tardive, dès lors qu'une telle pièce est produite pour la première fois et qu'elle n'a pas été discutée devant la cour d'appel d'Amiens et la Cour de cassation, de sorte la présente juridiction ne peut qu'adopter le montant des sommes versés par les sous-acquéreurs après l'ouverture de la procédure collective tel que cette cour d'appel l'a jugé au titre de sa compétence exclusive ; au surplus, ce « compte étude » est un titre que le liquidateur judiciaire se délivre à lui-même, en violation de l'article 1363 du code civil : la circonstance que diverses garanties techniques ou institutionnelles permettent un contrôle de la comptabilité de l'étude n'exclut pas que cette dernière est établie par le liquidateur lui-même, étant observé que la preuve d'un agrément du logiciel ou d'une attestation de sincérité des comptes n'est pas fournie ; l'attestation du commissaire-priseur est inopérante, en ce que la responsabilité du liquidateur judiciaire n'est recherchée qu'au titre des marchandises revendues avant l'ouverture de la procédure collective ; en dépit d'une sommation adressée au liquidateur judiciaire dans le cadre de l'action en revendication, celui-ci n'avait pas produit l'inventaire ; s'agissant de la TVA, elle est exigible dès la livraison des marchandises, sans considération du paiement de la facture par l'acheteur : cette taxe a ainsi été décaissée à perte, de sorte qu'elle constitue un préjudice ;

- le refus abusif du liquidateur judiciaire d'exécuter l'arrêt de la cour d'appel l'a contrainte à engager des démarches de recouvrement, dont le coût intègre son préjudice ; le montant de 13 533 euros n'a pas même été versé, alors qu'il ne figurait pas dans le courrier adressé par le liquidateur judiciaire le 28 novembre 2017 aux termes duquel les sommes restant en comptabilité avaient vocation à payer ses honoraires.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Par conclusions du 10 mars 2023, communiquées aux parties le 13 mars 2023, le procureur général a conclu à la confirmation de la responsabilité du liquidateur judiciaire.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité délictuelle de la société MJS Partners :

La responsabilité personnelle des mandataires et administrateurs judiciaires est engagée sur le fondement de l'article 1382 devenu l'article 1240 du code civil.

Doivent donc être prouvés une faute commise dans l'exercice de leurs fonctions, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Ces professionnels ne sont tenus que d'obligations de moyens.

* au titre d'un défaut de versement du prix de revente des marchandises :

Il résulte de la combinaison des art. L. 624-18, R. 624-16 et R. 641-31, II, du code de commerce que le droit de propriété du vendeur sous réserve de propriété, dont le bien a été revendu et n'a pas été payé à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective, se reporte sur la créance du débiteur à l'égard du sous-acquéreur, de sorte que le liquidateur ne doit remettre au revendiquant subrogé que le montant qui lui a été versé après l'ouverture de la procédure par le sous-acquéreur.

En l'espèce, l'action en revendication a été exercée par la société Aka France sur le prix de revente des marchandises, en l'absence d'un acquiescement à sa demande par le liquidateur judiciaire.

Au titre de cette action en revendication, la cour d'appel d'Amiens, sur appel d'un jugement ayant statué sur le recours exercé à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire, a définitivement admis le droit de propriété de la société Aka France sur le prix de revente des marchandises à hauteur de 106 235 euros, lequel est ainsi devenu opposable à la procédure collective.

Si cet arrêt du 26 janvier 2017 n'a pas autorité de chose jugée à l'encontre de la société MJS Partners, dont la responsabilité est recherchée dans la présente instance à titre personnel, alors qu'elle agissait ès qualités dans le cadre de l'action en revendication, une telle circonstance est toutefois indifférente pour apprécier tant la faute commise par le liquidateur judiciaire que le préjudice subi par la société Aka France.

=$gt; D'une part, l'article R. 641-31-II du code de commerce dispose qu'en cas de revendication du prix des biens en application de l'article L. 624-18, les sommes correspondantes payées par le sous-acquéreur postérieurement à l'ouverture de la procédure sont remises au créancier revendiquant par le liquidateur. Il en résulte qu'il incombait au liquidateur judiciaire de procéder à la remise à la société Aka France du prix des marchandises que lui avaient versé les sous-acquéreurs au titre des factures litigieuses, dès l'admission de la revendication de cette créance résultant de l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, lequel était exécutoire par provision.

Pour autant, la société MJS Partners a refusé tout versement au profit de la société Aka France, ayant successivement opposé à une telle remise de la somme fixée par la cour d'appel d'Amiens que :

« compte tenu des sommes en jeu, [elle] entend[ait] attendre la décision de la Cour de cassation avant d'envisager d'adresser les fonds à la société Aka », selon sa réponse à l'huissier de justice lui ayant délivré le 15 mai 2017 un commandement de payer de payer la somme de 106 235 euros en principal. En l'absence de caractère suspensif du pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt du 26 janvier 2017, un tel refus de procéder à un paiement immédiat des sommes lui appartenant est fautif.

elle « rappel[ait] qu'[elle n'avait pas cette somme en comptabilité puisqu'aujourd'hui la somme qu'il [lui restait] devra servir à payer [ses] honoraires », en réponse à un second commandement de payer la même somme délivré 25 février 2019. La subrogation réelle dont bénéficie la société Aka France sur le prix de revente des marchandises s'opposait toutefois à un quelconque concours de ce créancier réservataire avec tout autre créancier sur les sommes payées par les sous-acquéreurs, la cour d'appel d'Amiens ayant à cet égard indiqué que le liquidateur judiciaire devait ès qualités verser la somme de 106 235 euros « par priorité à toute autre créance », y compris s'agissant de la créance correspondant à ses honoraires du liquidateur judiciaire.

Alors que le liquidateur judiciaire ne pouvait disposer des fonds correspondant à la créance de prix de revente, il n'a pas davantage pris une quelconque mesure conservatoire pour préserver la propriété de ce créancier réservataire.

Les fautes commises par la société MJS Partners sont par conséquent établies.

=$gt; D'autre part, la société MJS Partners n'établit pas que le préjudice invoqué par la société Aka France soit exclusivement causé par une double faute que cette dernière aurait elle-même commise : une telle allégation, qui renvoie directement aux moyens que le liquidateur judiciaire a développé ès qualités au soutien de son pourvoi à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, est en totale contradiction avec les termes de l'arrêt rendu le 5 décembre 2018 par la chambre commerciale, dont il résulte que :

il n'appartenait pas à la société Aka de « revendiquer immédiatement le prix dans les mains de l'administrateur » : à cet égard, la nécessité de soumettre la revendication du prix de revente à l'acquiescement préalable du liquidateur judiciaire a été écartée par la Cour de cassation, de sorte qu'une telle demande est recevable dès lors que la procédure préalable a été suivie au titre de la revendication des marchandises en nature et que la revendication du prix de revente est elle-même intervenue ultérieurement dans les délais légaux ;

la société Aka France a valablement démontré que les paiements par les sous-acquéreurs sont intervenus après le jugement d'ouverture, en considération du refus par le liquidateur judiciaire d'apporter des informations à la société Aka France sur la comptabilité de la société Dumesnil auquel seul celui-ci avait accès.

Aucune faute n'est ainsi imputable à la société Aka France, de sorte que son comportement ne constitue pas la cause du défaut de paiement par le liquidateur judiciaire.

A l'inverse, l'absence de versement de la créance du prix de revente à la société Aka France est directement causée par les fautes commises par le liquidateur judiciaire ayant refusé de payer, puis disposer des sommes versées par les sous-acquéreurs sans les remettre au revendiquant.

=$gt; Enfin, si l'action en revendication du prix ou de la partie du prix des biens vendus avec réserve de propriété, qui n'a été ni payé, ni réglé en valeur ni compensé entre le sous-acquéreur et le débiteur à la date du jugement ouvrant la procédure collective de ce dernier, tend seulement à rendre opposable à cette procédure le report du droit de propriété du vendeur initial sur la créance du prix de revente, la juridiction statuant sur une telle revendication a toutefois seule vocation à examiner tous les moyens de défense opposés à sa mise en 'uvre par le vendeur réservataire. À cet égard, si l'article R. 662-3 du code de commerce dispose que le tribunal saisi de la procédure de liquidation judiciaire connaît de tout ce qui concerne cette liquidation judiciaire, cette disposition réserve toutefois les pouvoirs attribués en premier ressort au juge-commissaire. En revanche, il résulte de l'article L. 624-17 in fine du code de commerce qu' « à défaut d'accord ou en cas de contestation, la demande est portée devant le juge-commissaire qui statue sur le sort du contrat, au vu des observations du créancier, du débiteur et du mandataire de justice saisi ». L'action en revendication relève ainsi de la compétence exclusive du juge-commissaire, auquel succèdent le tribunal de commerce, puis la cour d'appel au titre des recours ultérieurement exercés, qui disposent seuls du pouvoir juridictionnel de statuer sur toutes les difficultés soulevées dans le cadre de l'instance en revendication.

Parmi ces difficultés figure notamment la question de déterminer si tout ou partie des biens vendus avec réserve de propriété a été ou non payé antérieurement à l'ouverture de la procédure collective par les sous-acquéreurs.

En l'espèce, la cour d'appel d'Amiens a définitivement tranché cette question, en estimant que le montant versé par les sous-acquéreurs après l'ouverture de la procédure collective de la société Dumesnil s'élevait à 106 235 euros, après avoir retenu que l'intégralité des paiements effectués par les sous-acquéreurs étaient intervenus postérieurement à l'ouverture de la liquidation judiciaire.

La cour a ainsi admis la revendication à hauteur du montant total de la créance de prix de revente, correspondant au montant intégral des factures, déduction faite du montant représentatif de la revendication en nature à laquelle le liquidateur judiciaire a acquiescé.

En considération des conditions d'application de l'article L. 624-18 précité, une telle fixation du montant revendiqué implique nécessairement que la cour d'appel a estimé qu'à la fois :

d'une part, la totalité des paiements est postérieure au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire ;

d'autre part, la totalité du prix des marchandises non restituées en nature a été payée par les sous-acquéreurs, à hauteur du montant intégral des marchandises vendues avec réserve de propriété, tel qu'il résulte des factures produites, de sorte que le liquidateur disposait de la somme revendiquée, pour l'avoir reçue, après le jugement d'ouverture de la procédure collective, des sous-acquéreurs des marchandises.

Ainsi, pour apprécier le préjudice subi par le revendiquant dans le cadre d'une action en responsabilité exercée à titre personnel à l'encontre du liquidateur, la cour ne dispose pas des pouvoirs juridictionnels pour statuer sur les difficultés qu'élève désormais la société MJS Partners aux fins de limiter le préjudice subi par la société Aka France au seul montant que les sous-acquéreurs auraient effectivement payé après la liquidation judiciaire, selon le compte étude de la procédure collective qu'il produit dans la présente instance.

Pour les mêmes motifs, il n'entre pas dans la compétence de la présente juridiction de statuer sur la difficulté résultant de l'intégration ou non de la TVA dans la créance indemnitaire de la société Aka France.

Après que la revendication de la société Aka France avait été ainsi admise pour ce montant, il appartenait purement et simplement au liquidateur judiciaire d'exécuter cet arrêt, ainsi qu'il en avait l'obligation en application de l'article R. 641-31-II précité.

Dès lors que la MJS Partners n'est pas en mesure de représenter les fonds provenant de la vente, à concurrence de la créance du revendiquant, telle qu'elle a été fixée par la juridiction exclusivement compétente pour statuer sur ce point, elle engage sa responsabilité personnelle à l'égard de ce dernier et doit l'indemniser à hauteur du montant ainsi retenu.

Le jugement ayant condamné le liquidateur judiciaire à payer à la société Aka France la somme de 106 235 euros est confirmé de ce chef.

* au titre d'un défaut d'exécution des arrêts rendus :

La société Aka France sollicite l'indemnisation des frais qu'elle a exposés pour faire signifier à la société MJS Partners deux commandements de payer visant la somme fixée par l'arrêt rendu le 26 janvier 2017 par la cour d'appel d'Amiens. Alors qu'il résulte de l'article R. 641-31, II, du code de commerce que ce liquidateur judiciaire devait spontanément exécuter cet arrêt exécutoire ayant fixé la créance du vendeur réservataire dès sa signification intervenue le 2 février 2017, seul son refus injustifié de verser cette somme et son inertie ou son absence de réponse aux a entraîné les frais de commandement exposés les 15 mai 2017 et 25 février 2019, dont le coût est valablement justifié par la société Aka France à hauteur de 665,58 euros. Le jugement ayant condamné le liquidation judiciaire à payer cette somme est par conséquent confirmé de ce chef.

* au titre d'une « attitude d'obstruction systématique à l'encontre de la société Aka France » :

Une action ou une défense en justice ne peut, sauf circonstances particulières, constituer un abus de droit dès lors que sa légitimité a été reconnue, au moins partiellement, par la juridiction de premier degré.

En l'espèce, si l'argumentaire du liquidateur judiciaire a été validé notamment par le tribunal de commerce et qu'à ce titre aucun abus du droit de se défendre n'est ainsi constitué, la faute imputée par la société Aka France à la société MJS Partners ne concerne toutefois pas un abus dans l'exercice des voies de droit, mais un refus fautif et systématique d'exécuter l'arrêt de la cour d'appel ou d'apporter des explications précises sur la situation du compte de la société Dumesnil.

Par ailleurs, alors que le retard à exécuter une décision judiciaire n'est en principe sanctionné en application de l'article 1231-7 du code civil que par le seul cours des intérêts légaux portant sur le montant de la condamnation, la société Aka France peut toutefois être indemnisée d'un préjudice distinct résultant d'une faute commise par le liquidateur judiciaire dans l'exercice de ses fonctions : à cet égard, alors que le liquidateur judiciaire est seul habilité à exercer les droits du débiteur dessaisi sur son patrimoine, son comportement présente en l'espèce un caractère abusif qui s'est poursuivi sur plusieurs années. Outre que son refus initial d'exécuter une décision exécutoire est fautif, le liquidateur judiciaire a adopté à l'égard de la société Aka France ou de l'huissier chargé du recouvrement un comportement systématique d'opposition à tout règlement de la somme et n'a pas été normalement diligent dans ses relations avec l'un des créanciers de la procédure collective : ce comportement abusif résulte de la conjonction des éléments suivants :

grossièreté de l'erreur commise par courriel du 28 janvier 2015, selon laquelle l'article L. 624-18 du code de commerce ne s'appliquerait pas à des ventes de marchandises antérieures à la liquidation judiciaire, incompatible avec les compétences techniques attendues d'un professionnel des procédures collectives ou constitutive d'une mauvaise foi ;

refus d'apporter des précisions sur le montant des sommes dont il disposait en compte, alors qu'il exerce un monopole dans la représentation du débiteur dessaisi à l'égard des créanciers ;

volonté de faire prévaloir sa propre créance d'honoraires sur le paiement des sommes dont était propriétaire le vendeur réservataire, en dépit du rappel par l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens de l'absence de concours avec d'autres créanciers ;

absence complète d'explications fournies à l'huissier de justice, lequel précise dans un courrier du 1er juillet 2019 que Me [J] ne lui a adressé aucune réponse, en dépit de ses nombreuses relances et d'une communication en direct avec ce dernier.

Dans ces conditions, le jugement ayant condamné la société MJS Partners à payer la somme de 2 500 euros à titre de dommages-intérêts est confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

et d'autre part, à condamner la société MJS Partners, outre aux entiers dépens d'appel, à payer à la société Aka France la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement rendu le 3 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Douai en ce qu'il a :

- condamné la Selas MJS Partners, anciennement dénommée [P] et [L] [J] Selas, à payer à la Sas Aka France la somme de 106 235 euros à titre de dommages intérêts, en réparation de l'absence de versement de la créance de prix de revente des marchandises vendues à la société Dumesnil sous réserve de propriété ;

- condamné la Selas MJS Partners, anciennement dénommée [P] et [L] [J] Selas, à payer à la Sas Aka France la somme de 2 500 euros à titre de dommages intérêts, en réparation de son attitude d'obstruction systématique ;

- condamné la Selas MJS Partners, anciennement dénommée [P] et [L] [J] Selas, à payer à la Sas Aka France la somme de 665,58 euros à titre d'indemnisation des frais d'huissiers liés aux tentatives d'exécution de l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens et de l'arrêt de la Cour de cassation ;

- condamné la Selas MJS Partners, anciennement dénommée [P] et [L] [J] Selas, aux dépens ;

- condamné la Selas MJS Partners, anciennement dénommée [P] et [L] [J] Selas, à payer à la Sas Aka France la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, outre les entiers dépens.

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

Y ajoutant :

Condamne la Selas MJS Partners aux dépens d'appel ;

Condamne la Selas MJS Partners à payer à la Sas Aka France la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.

Le Greffier

Harmony Poyteau

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 22/01453
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-15;22.01453 ?
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