COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre des Libertés Individuelles
N° RG 23/00989 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U57D
N° de Minute : 1004
Ordonnance du dimanche 11 juin 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
APPELANT
M. [P] [N]
né le 01 Janvier 1991 à [Localité 2] (IRAK)
de nationalité Irakienne
Actuellement retenu au CRA de [Localité 3]
dûment avisé, comparant en personne
assisté de Me Sarah BENSABER, avocat au barreau de DOUAI, avocate commise d'office et de M. [D] [X] interprète assermenté en langue Kurde, tout au long de la procédure devant la cour, serment préalablement prêté ce jour
INTIMÉ
M. LE PREFET DU NORD
dûment avisé, absent non représenté
PARTIE JOINTE
M. le procureur général près la cour d'appel de Douai : non comparant
MAGISTRATE DELEGUEE : Yasmina BELKAID, Conseillère à la cour d'appel de Douai désignée par ordonnance pour remplacer le premier président empêché
assistée de Pauline LEGROS, greffière
DÉBATS : à l'audience publique du dimanche 11 juin 2023 à 14 h 00
ORDONNANCE : prononcée publiquement à Douai, le dimanche 11 juin 2023 à
Le premier président ou son délégué,
Vu les articles L.740-1 à L.744-17 et R.740-1 à R.744-47 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ;
Vu l'ordonnance rendue le 09 juin 2023 par le Juge des libertés et de la détention de LILLE prolongeant la rétention administrative de M. [P] [N] ;
Vu l'appel interjeté par Maître Sarah BENSABER venant au soutien des intérêts de M. [P] [N] par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel de ce siège le 10 juin 2023sollicitant la main-levée du placement en rétention administrative ;
Vu l'audition des parties, les moyens de la déclaration d'appel et les débats de l'audience ;
EXPOSÉ DU LITIGE
A titre liminaire il est rappelé que le juge judiciaire ne peut se prononcer ni sur le titre administratif d'éloignement de l'étranger, ni directement ou indirectement, sur le choix du pays de destination.
Les prérogatives judiciaires se limitent à vérifier la régularité et le bien-fondé de la décision restreignant la liberté de l'étranger en plaçant ce dernier en rétention, ainsi qu'à vérifier la nécessité de la prolongation de la rétention au vu des diligences faites par l'administration pour l'exécution de l'expulsion et le maintien de la rétention dans la plus courte durée possible.
Sur le moyen tiré de l'irrégularité de l'interprétariat
L'article L743-12 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit qu'en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, le juge des libertés et de la détention saisie d'une demande sur ce motif ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée du placement ou du maintien en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger.
Selon l'article L.744-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'étranger placé en rétention est informé dans les meilleurs délais qu'il bénéficie, dans le lieu de rétention, du droit de demander l'assistance d'un interprète, d'un conseil et d'un médecin, et qu'il peut communiquer avec son consulat et toute personne de son choix. Ces informations lui sont communiquées dans une langue qu'il comprend.
En l'espèce, il ressort des pièces de la procédure que M. [R] [I], interprète en langue kurde, a été requis par les services de police. La circonstance qu'il n'est pas justifié que cet interprète soit inscrit sur une liste établie par le procureur de la République ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration est indifférente pour la mise en oeuvre du texte précité qui ne prévoit pas une telle exigence, s'agissant d'un interprète intervenant en présentiel.
Il apparaît donc que l'intéressé a été assisté d'un interprète aux différents stades de la procédure de rétention administrative, en particulier pour la notification de ses droits, sans au surplus que celui-ci n'allègue et ne justifie d'un grief quelconque caractérisant une atteinte à ses droits.
Ce moyen sera donc rejeté.
Sur la régularité de l'interpellation
Les conditions de l'interpellation sont soumises au contrôle du juge judiciaire en ce qu'elles précèdent le placement en rétention administrative de l'étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire français.
L'article L.743-12 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit en effet qu'en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, le juge des libertés et de la détention saisi d'une demande sur ce motif ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée du placement ou du maintien en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger.
Il ressort des dispositions de l'article 78-2 du code de procédure pénale et de l'article L 611-1 du CESEDA que les officiers de police judiciaire ou les agents de police judiciaire agissant sous les ordres de ceux-ci peuvent procéder à un contrôle d'identité ou de titre dès lors notamment qu'une des conditions alternatives ci -dessous mentionnées est caractérisée :
- il existe une des causes visées par l'alinéa 1er dudit article 78-2 du code de procédure pénale
- le contrôle est effectué dans les limites spatiales et temporelles des réquisitions du procureur de la République
- il existe un risque caractérisé d'atteinte l'ordre public, la sécurité des biens et des personnes
- le contrôle s'effectue dans une zone de 20 Km en deça des frontières des Etats Schengen ou dans un rayon de 10 Km autour des ports et aéroports constituant un point de passage frontalier
-des éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne de l'intéressé sont de nature faire apparaître sa qualité d'étranger.
Sur la base et dans les limites de ces réquisitions l'article 78-2 al 6 du code de procédure pénale autorise les agents de la force publique à contrôler l'identité de toute personne sans justifier d'un élément visible et objectif à l'origine du contrôle.
En l'espèce, les agents de police ont agi en application de l'article 78-2 du code de procédure pénale dans le cadre d'un contrôle préventif dans un rayon de 10 km autour du port maritime de [Localité 1].
Il résulte du procès-verbal dressé le 7 juin 2023 que M. [N] a vu son identité contrôlée, non pas dans la tente dans laquelle il dormait comme il le prétend, mais à proximité de la société Flandres Béton et matériaux sur la commune de [Localité 4] où il circulait à pied.
Ce procès-verbal fait foi jusqu'à preuve contraire qui n'est pas rapportée par M. [N] de sorte que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'interpellation sera rejeté.
Sur la régularité de la requête
M. [N] soulève l'incompétence du signataire de la requête en prolongation de la mesure.
Aux termes de l'article R. 742-1 du CESEDA, le juge des libertés et de la détention est saisi aux fins de prolongation de la rétention par simple requête de l'autorité administrative, dans les conditions prévues au chapitre III, avant l'expiration, selon le cas, de la période de quarante-huit heures mentionnée à l'article L. 742-1 ou de la période de prolongation ordonnée en application des articles L. 742-4, L. 742-5, L. 742-6 ou L. 742-7. La requête est adressée par tout moyen au greffe du tribunal compétent conformément aux dispositions de l'article R. 743-1.
Toutefois, l'absence de signature de l'autorité administrative compétente étant une cause d'irrecevabilité, le moyen ne peut pas être soulevé la première fois à hauteur d'appel.
Ce moyen sera donc déclaré irrecevable.
De manière surabondante, s'agissant d'une procédure de nature civile, il appartient à l'appelant, en application de l'article 9 du Code de procédure civile, de démontrer en quoi son moyen est fondé et notamment en quoi le délégataire de l'autorité préfectorale ne disposait pas de la compétence pour signer l'arrêté de placement en rétention administrative, preuve qui n'est pas rapportée en l'espèce alors pourtant que les documents à l'appui dudit moyen sont des actes administratifs accessibles visés en tête de l'arrêté de placement en rétention administrative.
En toute hypothèse, il ressort des pièces du dossier que le signataire de la requête saisissant le juge des libertés et de la détention disposait de la signature préfectorale pour la période concernée.
Sur l'incompétence de l'auteur de la demande de laisser-passer consulaire
M. [N] soulève l'incompétence de l'auteur de la demande de laisser-passer consulaire en l'absence de délégation de signature.
Toutefois, la demande de laisser passer consulaire, n'étant ni un acte administratif faisant grief au sens du droit public, ni une demande en justice, ni un acte de procédure pénale soumis à des règles spécifiques, peut être faite par tout agent public requis par sa hiérarchie pour ce faire, sans qu'il soit nécessaire de disposer d'une habilitation spécifique.
Ce moyen, étant inopérant, sera en conséquence rejeté.
Sur la perspective d'éloignement
Aux termes de l'article L. 741-3 du même code, un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ ; l'administration doit exercer toute diligence à cet effet qu'à compter du placement en rétention.
Le juge judiciaire, qui ne peut statuer sur le choix du pays de destination doit néanmoins s'assurer que le placement en rétention est fondé sur une base légale laquelle est constituée par l'existence d'un titre administratif.
Il ressort de la compétence exclusive de la juridiction administrative de statuer sur les moyens soutenus de nullité interne ou de nullité externe du titre d'éloignement, le juge judiciaire ne pouvant, au titre du contrôle de la base légale de l'arrêté de placement en rétention administrative, que vérifier l'existence et l'absence de caducité du titre d'éloignement.
Il s'ensuit que le juge judiciaire ne saurait fonder la décision relative à la prolongation de la rétention administrative sur les critères ayant conduit l'autorité administrative au choix du pays d'éloignement, l'appréciation des conditions de sécurité du dit pays, au titre notamment de l'article 3 de la CEDH, devant fait l'objet d'un contrôle et d'une sanction éventuelle du seul juge administratif.
Il est en effet constant que le juge judiciaire ne saurait fonder la décision relative à la prolongation de la rétention administrative sur son appréciation de l'existence ou l'absence de perspectives d'éloignement vers le pays de destination choisi par l'autorité administrative.
Ce raisonnement revient en effet, implicitement mais nécessairement, à s'arroger un droit de contrôle sur le choix du pays d'éloignement, en contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs donnant compétence exclusive au juge administratif pour ce faire.
Dans ces conditions, ce moyen sera rejeté.
Il convient donc de confirmer l'ordonnance entreprise.
PAR CES MOTIFS,
DÉCLARE l'appel recevable ;
CONFIRME l'ordonnance entreprise.
DIT que la présente ordonnance sera communiquée au ministère public par les soins du greffe ;
DIT que la présente ordonnance sera notifiée dans les meilleurs délais à l'appelant, à son conseil et à l'autorité administrative ;
LAISSE les dépens à la charge de l'Etat.
Pauline LEGROS, greffière
Yasmina BELKAID, Conseillère
N° RG 23/00989 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U57D
REÇU NOTIFICATION DE L'ORDONNANCE 1004 DU 11 Juin 2023 ET DE L'EXERCICE DES VOIES DE RECOURS :
Vu les articles 612 et suivants du Code de procédure civile et R743-20 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
Pour information :
L'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.
Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d'attente ou la rétention et au ministère public.
Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.
Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.
Reçu copie et pris connaissance le dimanche 11 juin 2023 :
- M. [P] [N]
- l'interprète
- l'avocat de M. [P] [N]
- l'avocat de M. LE PREFET DU NORD
- décision notifiée à M. [P] [N] le dimanche 11 juin 2023
- décision transmise par courriel pour notification à M. LE PREFET DU NORD et à Maître Sarah BENSABER le dimanche 11 juin 2023
- décision communiquée au tribunal administratif de Lille
- décision communiquée à M. le procureur général :
- copie à l'escorte, au Juge des libertés et de la détention de LILLE
Le greffier, le dimanche 11 juin 2023
N° RG 23/00989 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U57D