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08/06/2023 | FRANCE | N°21/04672

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 08 juin 2023, 21/04672


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 08/06/2023





****





N° de MINUTE : 23/201

N° RG 21/04672 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T2GO



Jugement (N° 19/05830) rendu le 15 Avril 2021 par le Tribunal Judiciaire de Lille





APPELANTE



SARL Entreprise Eymery prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité

3]



Représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Maxime Moulin, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant



INTIMÉS



Maître [H] [U]

de nationa...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 08/06/2023

****

N° de MINUTE : 23/201

N° RG 21/04672 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T2GO

Jugement (N° 19/05830) rendu le 15 Avril 2021 par le Tribunal Judiciaire de Lille

APPELANTE

SARL Entreprise Eymery prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Maxime Moulin, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant

INTIMÉS

Maître [H] [U]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

SCP [U]-Cortier agissant poursuites et diligences de son représentant légal

domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentés par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Gilles Grardel, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant

DÉBATS à l'audience publique du 22 mars 2023 tenue par Yasmina Belkaid magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 8 juin 2023, après prorogation du délibéré en date du 25 mai 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

AVIS DU MINISTÈRE PUBLIC : 3 février 2023

Communiquées aux parties le 9 février 2023

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 27 février 2023

****

EXPOSE DU LITIGE

Suivant marché de travaux du 6 novembre 1998, la Société Civile de Construction Vente La Royale a confié la construction d'un immeuble de 30 logements et 3 locaux commerciaux à un groupement de 17 entreprises, dont la société Eymery, titulaire du lot numéro 8 intitulé « cloison, isolation, plafond suspendu ».

Ce groupement était représenté par l'entreprise Ramery, titulaire du lot gros 'uvre, en qualité de mandataire.

La maîtrise d'oeuvre de ces travaux était confiée à M. [X] [M], architecte.

La réception (avec réserves) des ouvrages exécutés est intervenue contradictoirement le 2 mars 2000 avec effet au 3 mars 2000.

Se prévalant de désordres non levés, la société La Royale a intenté une action sur le fondement de la garantie de parfait achèvement à l'encontre de l'ensemble des sociétés intervenantes.

Par une ordonnance de référé du 4 avril 2000 rendue à la requête de la société Ramery, M. [G] [O] a été désigné en qualité d'expert. Il a été remplacé par M. [K] [P] puis par M. [Y] [B].

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 30 décembre 2011.

Parallèlement, une seconde procédure de référé a été initiée par le syndicat des copropriétaires de la Résidence la Royale à l'encontre du maître d'ouvrage et de certaines entreprises, à l'exclusion toutefois de la société Eymery non concernée par cette procédure d'expertise.

M. [B] a, en vertu d'une mission distincte, déposé un second rapport en date du 18 Février 2010.

Par acte du 1er mars 2010, la société La Royale a assigné devant le tribunal de grande instance de Lille l'ensemble des intervenants au marché aux fins de voir lever les réserves.

Par acte du 16 mai 2012, la société Eymery a assigné la société La Royale et la société Ramery devant le tribunal de grande instance de Dunkerque pour obtenir le paiement du solde de ses travaux, outre des intérêts contractuels moratoires.

Par une ordonnance du 20 août 2013, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Dunkerque s'est dessaisi au profit du tribunal de grande instance de Lille.

Par un jugement rendu le 28 avril 2017, confirmé par la cour d'appel de Douai le 14 juin 2018, le tribunal de grande instance de Lille a constaté la prescription de l'action de la société Eymery et a rejeté les demandes des sociétés Ramery et La Royale.

Par arrêt en date du 13 juin 2019, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société Eymery.

C'est dans ces conditions que, par acte d'huissier de justice du 17 juillet 2019, la société Eymery a assigné Maître [U] et la SCP [U]-Cortier en responsabilité et en indemnisation de l'ensemble des préjudices résultant de l'acquisition de la prescription de son action et de l'absence de paiement de ses travaux ainsi que des indemnités dues par les sociétés Ramery et La Royale.

Par un jugement du 15 avril 2021, le tribunal judiciaire de Lille a :

condamné M. [H] [U] et la SCP [U] Cortier solidairement à payer à la société Eymery 85% de la somme de 34 9087,94 euros produisant intérêts au taux des obligations cautionnées augmenté de 2,5 points du 18 mai 2001 au 30 juin 2013

rejeté le surplus des demandes de la société Eymery

condamné M. [H] [U] et la SCP [U] Cortier solidairement à payer à la société Eymery la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

dit n'y avoir lieu à aucune autre condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile

condamné M. [H] [U] et la SCP [U] Cortier solidairement à supporter les dépens de l'instance.

Par déclaration du 31 août 2021, la société Eymery a interjeté appel de ce jugement en limitant sa contestation aux seuls chefs du dispositif numérotés 1, 2 et 4 ci-dessus.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 24 février 2023, la société Eymery demande à la cour de :

infirmer le jugement en date du 15 avril 2021 rendu par le tribunal judiciaire de Lille en ce qu'il a :

' condamné M. [H] [U] et la SCP [U] Cortier, solidairement, à payer à la SARL Eymery uniquement 85 % de la seule somme de 34 087,94 euros produisant intérêt au taux des obligations cautionnées augmenté de 2,5 points seulement et sur la seule période du 18 mai 2001 au 30 juin 2013 ;

' rejeté le surplus des demandes de la SARL Eymery (quantum de la condamnation, remboursement des frais de toutes les procédures, capitalisation des intérêts, point de départ et de fin des intérêts) ;

' dit n'y avoir lieu à aucune autre condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau :

Vu les articles 1147 et suivants du Code civil dans leur version à la date de régularisation du mandat entre M. [H] [U] et la société Eymery

juger que M. [H] [U] et la SCP [U]-Cortier ont engagé leur responsabilité contractuelle en délivrant l'assignation des 14 et 16 mai 2012 alors que la prescription contre les sociétés Ramery et La Royale était acquise sans provoquer aucun acte interruptif de prescription.

En conséquence,

à titre principal,

les condamner solidairement à verser à la société Eymery la somme de

47 329,64 euros TTC, le tout avec intérêts contractuels du marché (au taux des obligations cautionnées augmenté de 2,5 points) avec capitalisation annuelle (point de départ des intérêts : 2 juillet 2000) au titre du préjudice financier lié à la perte de chance, certaine, d'obtenir la condamnation des sociétés La royale et Ramery à payer à la société Eymery lesdites sommes.

à titre subsidiaire,

les condamner solidairement à verser à la société Eymery la somme de 41.110,06 euros TTC le tout avec intérêts contractuels du marché (au taux des obligations cautionnées augmenté de 2,5 points) avec capitalisation annuelle (point de départ des intérêts : 2 juillet 2000) au titre du préjudice financier lié à la perte de chance, certaine, d'obtenir la condamnation des sociétés La royale et Ramery à payer à la société Eymery lesdites sommes.

à titre encore plus subsidiaire,

Dans l'éventualité où la Cour devait considérer que les intérêts contractuels constituent une clause pénale et devait en prononcer la diminution, de juger que les intérêts contractuels sont calculés sur la base de l'intérêt légal augmenté de 10 points.

en tout état de cause,

- les condamner solidairement à verser à la société Eymery la somme de 21.281,93 euros décomposée comme suit

* coût de l'assignation au fond : 161,36 euros

* frais et honoraires de Me Moulin devant la cour d'appel : 2.160 euros

* coût du timbre fiscal pour la procédure d'appel : 225 euros

* coût de la signification du jugement : 210,40 euros

* coût de la signification de l'arrêt de la cour d'appel de Douai : 205,04 euros

* coût des honoraires de Me Le Griel devant la cour de cassation : 4.200 euros

* condamnations au profit des sociétés Ramery et La Royale devant la cour d'appel de Douai : 6.000 euros

*condamnations au profit des sociétés Ramery et La Royale devant la Cour de cassation : 5.181,49 euros

*le remboursement partiel des honoraires versés à Me [U] : 3.000 euros

les condamner solidairement à verser à la société Eymery la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

débouter M. [H] [U] et la SCP [U] Cortier de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

débouter M. [H] [U] et la SCP [U] Cortier de leur appel incident.

les condamner solidairement aux dépens.

La société Eymery recherche la responsabilité civile de l'avocat, soit sur le fondement de l'ancien article 1147 du code civil, soit sur celui du mandat ad litem en invoquant un défaut de diligence de l'avocat.

Elle affirme que l'obligation de réaliser les actes de procédure dans les délais impartis est une obligation de résultat. Or, il ressort des décisions de justice rendues par le tribunal de grande instance de Lille, la cour d'appel de Douai et la Cour de cassation que l'assignation délivrée par Maître [U] étant tardive, l'action était prescrite. En outre, alors qu'une proposition transactionnelle intervenait après l'expiration du délai de prescription, il n'y était pas donné suite par la société Eymery sur les conseils de l'avocat.

Elle soutient qu'en engageant pas la procédure dans le délai de prescription, l'avocat l'a empêchée d'obtenir le paiement des sommes dues par ses donneurs d'ordre dans le cadre de l'exécution du marché qui lui était confié de sorte que l'inexécution de son obligation par l'avocat a été la cause directe du dommage subi.

Elle estime que son préjudice est certain dès lors qu'elle ne dispose d'aucune autre action subsidiaire contre un éventuel tiers pour obtenir le paiement des sommes qu'elle réclamait.

Elle ajoute que ses travaux ont été réceptionnés sans réserve ce que retient l'arrêt de la Cour d'appel de Douai dans son arrêt du 14 juin 2018 dès lors que l'expert judiciaire, lui-même, n'a observé aucune malfaçon.

Elle affirme qu'elle a perdu la chance d'obtenir la somme totale de 47 329,64 € TTC incluant les travaux modificatifs validés par le maître d'oeuvre de la société SCCV LA ROYALE.

S'agissant de la demande de condamnation aux intérêts moratoires contractuels sur le solde du marché au titre du préjudice lié à la perte de chance

En premier lieu, elle affirme que le paiement des intérêts moratoires est prévu par l'article 18-7 de la norme NFP 03-001 de septembre 1991 à laquelle le marché de travaux fait référence qui prévoit que le taux des intérêts moratoires est « le taux des obligations cautionnées augmenté de 2,5 points », soit 17 %. A cet égard, elle précise que cette norme qui figure en deuxième position et avant le CCAP dans la lettre de marché, supplante, en cas de divergence, les pièces qui suivent. A cet égard, elle fait valoir qu'elle a respecté le processus de cette norme, conformément aux articles 17.5 et 17.6 alors que le maître de l'ouvrage n'a pas validé le projet de décompte général de sorte que le projet de décompte qu'elle a transmis est devenu définitif. Elle conteste l'argument adverse selon lequel un quitus est exigé alors qu'il n'est prévu ni par la convention de groupement ni par le marché de travaux.

Elle ajoute qu'en toute hypothèse et si le CCAP avait vocation à s'appliquer en priorité, le refus de quitus donné par le maître de l'ouvrage aurait alors été totalement infondé et à l'origine de l'indemnisation du préjudice subi.

Elle conteste également l'analyse des intimés selon laquelle tout marché à forfait est un marché « ne varietur» imposant l'application de l'annexe D de la norme NFP03001 pour prétendre que celle-ci imposait la modification de diverses clauses contractuelles et qu'en l'absence de ces modifications, il n'y aurait aucun intérêt moratoire dû alors que le marché prévoit expressément la possibilité de modifier la nature et la consistance des travaux en son article B3 de sorte qu'il s'agit d'un simple marché à forfait et que l'annexe D n'a pas vocation à s'appliquer. Elle ajoute que cet argument est en toute hypothèse irrecevable dans la mesure où il n'avait jamais été évoqué par la partie adverse.

En deuxième lieu, elle soutient que la clause des intérêts moratoires ne constitue pas une clause pénale. Si la cour jugeait le contraire et en réduisait la portée, elle sollicite que les sommes dues portent alors intérêts au taux légal, augmenté de 10 points en application de l'article L. 441-6 I du code de commerce.

En troisième lieu, elle considère que le point de départ des intérêts moratoires est le lendemain du jour où le DGD est définitif, soit le 2 juillet 2000, ou le cas échéant, au plus tard, le 14 mai 2001, date de mise en demeure de payer adressée à la SCCV LA ROYALE et à défaut le jour de l'assignation en paiement.

En quatrième lieu, s'agissant du terme, elle soutient que les intérêts moratoires contractuels courent jusqu'à la date du paiement effectif et non comme l'affirment les intimés, le 28 avril 2017, date du jugement, dès lors qu'il n'est pas certain qu'en cas de condamnation, le tribunal aurait prononcé l'exécution provisoire, qui à l'époque n'était pas de droit.

Elle considère que selon les dispositions de l'article 18-7 de la norme NFP03001 de septembre 1991, le taux contractuel des intérêts moratoires est « le taux des obligations cautionnées augmentées de 2,5 points », soit 17 %.

Enfin, elle estime par ailleurs que la capitalisation des intérêts moratoires contractuels constitue un préjudice qui devait être indemnisé. Elle reproche au tribunal d'avoir rejeté sa demande de capitalisation des intérêts au motif que celle-ci n'aurait pas de caractère contractuel alors que cette capitalisation avait été sollicitée judiciairement, dès la délivrance de l'assignation en 2012 par les défendeurs et que la capitalisation des intérêts par application de l'article 1154 du code civil est de droit à compter de la demande en justice. Elle précise que la perte de chance de la capitalisation des intérêts est certaine et résulte uniquement de la prescription de l'action engagée par Me [U], celui-ci ayant de surcroît sollicité cette capitalisation des intérêts moratoires contractuels dans son assignation de 2012. Selon elle, cette capitalisation devait résulter d'une demande en justice qui pouvait être réalisée, de manière certaine, dès 2003. Elle ajoute que le terme de la capitalisation des intérêts est, comme celui des intérêts moratoires, la date effective du paiement des sommes dues.

- Elle considère que le premier juge a statué ultra petita dès lors que le cours des intérêts moratoires contractuels ne pouvait pas être arrêté au 30 juin 2013 mais, au plus tôt, à la date du délibéré de la cour d'appel de Douai du 14 juin 2018 ou le cas échéant au 28 avril 2017 et non en 2013.

Elle sollicite l'indemnisation du préjudice financier résultant des frais et honoraires d'avocats et aux condamnations au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre des procédures de première instance, d'appel et de cassation

Elle conteste l'affirmation de la SCCV selon laquelle elle se trompe de patrimoine responsable puisque ces sommes étaient dues par Ramery ou une société tierce, intervenant à l'opération alors que ses demandes de paiement étaient précises et documentées et que les travaux ont été réceptionnés sans aucune réserve. Elle conclut que le taux de chance de succès de la demande de condamnation des sociétés RAMERY, SCCV La Royale ou des autres entreprises qui auraient dû être mises en cause par les intimés puisqu'il n'y avait aucune réserve sur ses travaux est de 100%.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 21 février 2023, M. [H] [U] et la SCP [U] 'Cortier, intimés et appelants incidents, demandent à la cour de :

- juger que l'appel formé par la société Eymery est mal fondé

- déclarer recevable et bien fondé l'appel incident régularisé par Maître [U] et la SCP [U]-Cortier.

En conséquence,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lille le 15 avril 2021 en ce qu'il a :

condamné M. [H] [U] et la SCP [U] Cortier, solidairement, à payer à la SARL Eymery 85 % de la somme de

34 087,94 euros produisant intérêt au taux des obligations cautionnées augmenté de 2,5 points du 18 mai 2001 au 30 juin 2013 ;

condamné M. [H] [U] et la SCP [U] Cortier, solidairement, à payer à la SARL Eymery la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

dit n'y avoir lieu à aucune autre condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné M. [H] [U] et la SCP [U] Cortier, solidairement, à supporter les dépens de l'instance

Statuant à nouveau

Sur la faute

- donner acte à Maître [U] et la SCP [U] Cortier qu'ils s'en rapportent à justice s'agissant de l'existence d'une faute consécutive à la reconnaissance de la prescription opposée à la société Eymery au titre du paiement du solde de son marché.

S'agissant de la perte de chance

A titre principal

- débouter la société Eymery de toutes ses demandes, faute de démontrer l'existence d'une perte de chance.

A titre subsidiaire

juger que la créance de la société Eymery au titre du solde de son marché ne pouvait excéder la somme de 15.802,54 euros HT pour laquelle il conviendra en outre de fixer la perte de chance

réviser à la baisse la perte de chance, le taux de 85 % retenu par le tribunal apparaissant excessif au vu de la complexité du litige initial .

S'agissant de la demande de condamnation aux intérêts moratoires

A titre principal

juger que les dispositions du CCAP l'emportent sur les dispositions de la norme AFNOR P03001 dans son édition de 1991.

En conséquence,

débouter la société Eymery de toutes ses demandes, fins et conclusions au titre des intérêts moratoires.

A titre subsidiaire

juger que la capitalisation des intérêts moratoires revendiqués par la société Eymery ne pouvait intervenir qu'à compter du 14 Mai 2012 date de l'assignation au fond et ce conformément aux dispositions de l'article ancien 1154 du code civil.

juger qu'en toute hypothèse, le cours des intérêts moratoires et de la capitalisation ne pouvait se poursuivre au-delà du 28 Avril 2017 date du jugement prononcé au fond par le tribunal de Grande Instance de Dunkerque.

Vu les dispositions de l'article 1152 ancien du Code Civil,

constater le caractère manifestement excessif des intérêts moratoires revendiqués par la société Eymery, lesquels constituent une clause pénale.

ramener le montant des intérêts moratoires à de plus justes proportions.

juger qu'en l'absence de production du CCAP, lequel prévaut sur les dispositions du CCAG mis en place par la norme AFNOR P03001, la société Eymery ne rapporte pas la preuve du montant des éventuels intérêts moratoires dus sur sa créance.

En conséquence,

débouter la société Eymery de toutes ses demandes, fins et conclusions de ce chef.

En tout état de cause

débouter la société Eymery de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

débouter la société Eymery de toutes ses autres demandes, fins et conclusions au titre des préjudices accessoires.

frais et dépens comme de droit

Sur la responsabilité contractuelle

Maître [U] s'en rapporte à justice s'agissant de la caractérisation d'une faute. Il précise néanmoins que la responsabilité contractuelle recherchée sur le fondement de l'article 1147 du code civil implique de démontrer une faute, un préjudice et un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice ajoutant que s'agissant de la responsabilité d'un avocat, seule la perte de chance liée à la prescription de l'action en paiement de la société Eymery devra être appréciée par la cour.

Sur la demande au titre du solde des travaux

Maître [U] et la SCP [U]-Cortier s'opposent à la demande de paiement de la société Eymery d'une somme de 47.329,64 euros TTC au titre du solde de son marché, en ce compris le règlement des travaux supplémentaires en considérant que la créance de la société EYMERY au titre du solde du marché ne peut excéder les sommes reconnues par le maître de l'ouvrage dans ses conclusions devant la Cour d'Appel, soit 15.802,54 euros HT.

Ils font valoir que :

le décompte général définitif présenté par la société Eymery le 18 Mai 2000 au mandataire du groupement d'entreprises, la société Ramery, a été contesté de manière constante par le maître de l'ouvrage qui se prévalait à juste titre des dispositions de l'article B8 alinéa 2 du CCAP prévoyant que « ce décompte ne sera recevable que s'il est accompagné de quitus acceptés par les acquéreurs, le syndic et le maître d'oeuvre, des réserves données à la réception' ». Or, la société Eymery n'a jamais fourni de quitus de levée des réserves conforme à l'article B4-3 et à l'article E1 du CCAP et n'en produit pas davantage dans le cadre de la présente procédure.

Ils estiment donc qu'en l'absence de tout quitus régularisé par le maître d'ouvrage au titre de la levée des réserves, la société Eymery ne justifie pas de l'exigibilité de sa créance.

le solde du marché intègre des travaux supplémentaires non formellement commandés par le maître d'ouvrage qui les a contestés, précisant que l'expert judiciaire, qui a établi les comptes entre les parties, ne retient aucun travaux supplémentaires au profit de la société Eymery et ajoutant que le marché signé par la société Eymery avec le maître d'ouvrage intégrait un prix forfaitaire tel que décrit à l'article 12.2 du marché « le prix est ferme, forfaitaire et non révisable » de sorte que toute commande de travaux supplémentaires devait dès lors donner lieu à un avenant préalable signé par le maître d'ouvrage, ce qui n'a pas été le cas. A cet égard, ils soutiennent que, contrairement aux affirmations de la société Eymery, le maître d'oeuvre, Monsieur [M], ne disposait d'aucun mandat pour engager le maître d'ouvrage de même que la présence du maître d'ouvrage à des réunions de chantier ne vaut pas acceptation tacite de tels travaux de la part de celui-ci selon l'article B3 du CCAP.

Ils contestent l'analyse de la société Eymery sur la portée juridique du décompte général définitif en soutenant que la norme AFNOR NFP03001 ne saurait être considérée comme prévalant sur les dispositions du CCAP contractuel également visé au rang des pièces constitutives du marché dans la mesure où les dispositions de ce cahier des clauses administratives particulières l'emportent sur les dispositions du cahier des clauses administratives générales et que cette hiérarchie des documents contractuels est reprise dans les dispositions même de la norme AFNOR NFP03001 en son article 1.3.1 et par l'article 2.3 applicable en cas de contradiction de documents du marché. Ils ajoutent que cette hiérarchie est également décrite par les dispositions de l'article A.4.4 du CCAP qui qualifient expressément le CCAP de pièces d'ordre particulier et la norme AFNOR P03001 de pièce d'ordre général. Ils estiment donc que c'est à juste titre que le tribunal a écarté l'ensemble des travaux supplémentaires et retenu au titre du solde du marché la somme de 34.087,94 euros TTC qu'ils demandent toutefois de ramener à 15.802,54 euros HT, somme reconnue par le maître d'ouvrage dans ses conclusions devant la cour d'appel et alors que la société Eymery n'établit pas le quantum de sa créance et à laquelle il conviendra d'appliquer un taux de perte de chance minorée compte tenu de la complexité du litige initial.

Sur les intérêts moratoires

Pour s'opposer au paiement des intérêts moratoires, ils rappellent que le CCAP prévaut sur les dispositions de la norme AFNOR P03001 et soutiennent que la société Eymery ne justifie ni de la date d'exigibilité de la créance, ni de son quantum ni du taux d'intérêt prétendument applicable.

Ils soutiennent que contrairement aux affirmations de la société Eymery, il n'existe aucune confusion entre les pièces générales et les pièces particulières et qu'en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques reprises au CCAP, les parties avaient convenu de faire application du droit commun et en particulier des intérêts moratoires au taux légal suivant les modalités décrites au code civil. Ils font par ailleurs valoir qu'en toute hypothèse, la créance de la société Eymery n'était pas exigible en vertu du décompte général définitif.

A titre subsidiaire, ils affirment que l'article 18-7 de la norme AFNOR n'est pas applicable en l'espèce dans la mesure où la norme AFNOR P03001 Edition Septembre 1991 intègre une annexe D dont il est précisé qu'elle fait partie intégrante de la norme définissant des « clauses modificatives dans le cas de marché à prix forfaitaire global définis, ne varietur » alors que le marché privé litigieux constituait bien un marché forfaitaire ne varietur ainsi que cela résulte des dispositions de l'article 12.2 de la lettre marché, laquelle précise que « le prix est ferme, forfaitaire et non révisable » et que ce marché subordonnait le versement d'un complément de prix au bénéfice de l'entreprise à la signature préalable d'un avenant.

Plus subsidiairement et au cas où la cour ferait application des dispositions de la norme AFNOR, ils demandent de faire application des dispositions spécifiques de l'article 18.7 telles que définies à l'annexe D qui prévoient que ces dispositions doivent figurer en tête de l'échéancier, ce qui n'a pas été les cas de telle sorte qu'elles sont inopposables au maître de l'ouvrage.

Sur le point de départ des intérêts moratoires et la capitalisation des intérêts

Ils critiquent les modalités d'application des intérêts moratoires formulées par la société Eymery.

Ils considèrent en effet, que le montant de la créance ne pouvait être apprécié qu'à l'issue du dépôt du rapport d'expertise de M. [B] en 2011 et dans le cadre de l'action au fond de sorte que les intérêts moratoires ne pouvaient être prononcés qu'à partir du jugement ou, le cas échéant, à compter de la délivrance de l'assignation au fond intervenue le 14 Mai 2012.

Ils affirment que de la même manière, la capitalisation de ces intérêts ne pouvait être initiée avant les demandes formées par voie d'assignation conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil.

Enfin, ils font valoir que le décompte des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts ne peut être poursuivi durant l'instance les opposant à la société Eymery dès lors que la créance que celle-ci a pu détenir à l'égard du maître d'ouvrage et celle résultant du préjudice éventuellement imputable à son ancien conseil en vertu d'une responsabilité contractuelle constituent deux créances distinctes de sorte que le cours des intérêts doit être arrêté au plus tard le 28 Avril 2017 et qu' au-delà de cette date, dans le cadre de l'action en responsabilité, seules les règles du droit commun sont susceptibles d'être appliquées.

A titre subsidiaire, ils affirment que la clause d'intérêts moratoires conventionnels, dont se prévaut la société Eymery, s'analyse en une clause pénale que la cour peut modérer en vertu de l'article 1152 du code civil. Ils précisent en effet que l'application d'un intérêt moratoire capitalisé aurait un caractère manifestement excessif eu égard au montant en principal de la demande.

En toute hypothèse, ils soulignent que les arguments développés par la société Eymery relativement au patrimoine responsable ne sont pas pertinents pour justifier de son préjudice.

Sur les demandes accessoires

Ils demandent à la cour de constater que seule la somme totale de 5.300 euros HT est justifiée et d'écarter les autres prétentions de la société Eymery qui ne justifie pas de leur principe et du règlement effectif des factures.

L'ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 27 février 2023.

MOTIFS

Sur la responsabilité

Dans les rapports avec son client, l'avocat est susceptible d'engager sa responsabilité contractuelle lorsqu'il commet une faute ayant causé un préjudice à celui-ci dans l'exercice de son mandat de représentation en justice, en application de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable à l'espèce.

L'avocat est ainsi tenu d'une obligation contractuelle de diligence dans la conduite de la procédure. Il doit à ce titre accomplir de sa propre initiative et dans les délais prescrits tous les actes et formalités utiles.

Il engage notamment sa responsabilité s'il laisse prescrire l'action en laissant expirer le délai légal pour agir ou s'il commet une erreur de fait ou de droit ayant pour effet d'entraîner l'extinction du droit d'agir.

Il n'est pas contesté que, dans sa décision du 15 avril 2021, le tribunal judiciaire de Lille a constaté que l'action en paiement du solde de son marché introduite le 16 mai 2012 par la société Eymery était prescrite, ce jugement ayant été confirmé par la cour d'appel de Douai le 14 juin 2018 et la Cour de cassation dans un arrêt du 13 juin 2019 ayant rejeté le pourvoi.

M. [U] reconnaît lui-même qu'il a considéré à tort que les diverses ordonnances de référé rendues entre le 4 avril 2000 et le 8 juin 2011 avaient pu interrompre utilement le délai décennal de prescription.

La faute n'étant pas contestée, il convient d'examiner si celle-ci a causé un préjudice à la société Eymery.

Sur le préjudice et le lien de causalité

Lorsqu'il ne peut être tenu pour certain qu'en l'absence de la faute de l'avocat, le dommage invoqué par son client ne serait pas survenu, le préjudice subi s'analyse en une perte de chance d'échapper à ce dommage ou de présenter un dommage de moindre gravité, correspondant à une fraction des différents chefs de préjudice, évaluée en mesurant l'ampleur de la chance perdue et non en appréciant la nature ou la gravité de la faute.

Constitue ainsi une perte de chance la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, même faible.

Il convient de rechercher, pour évaluer le préjudice pouvant résulter de la faute de l'avocat, s'il existait une chance sérieuse d'obtention du paiement du solde de marché de travaux que l'avocat avait été chargé de demander, en reconstituant fictivement, au vu des conclusions des parties et des pièces produites aux débats, la discussion qui aurait pu s'instaurer devant la cour d'appel.

En l'espèce, la société Eymery réclame le paiement de la somme de 47 329,64 euros correspondant au solde de son marché de travaux en ce inclus les travaux supplémentaires lesquels sont contestés dans leur principe.

Il est constant que dans le cadre de l'opération de construction, le maître d'ouvrage a confié un marché de travaux portant sur le lot plâtrerie à la société Eymery pour un montant hors taxes de 598 969,55 francs.

La réception de ces travaux est intervenue sans réserves le 2 mars 2000 à l'exception des travaux d'enduit de plâtre dans le hall d'entrée, cette réserve ayant été levée selon procès-verbal de réception du 13 mars 2003.

Par un courrier du 18 mai 2001, la société Eymery a transmis un décompte définitif de sa créance faisant apparaître outre le coût du marché de base à hauteur de la somme de 598  969,55 francs, les travaux par trois avenants acceptés d'un montant respectivement de 48 802 francs, 18 073,80 francs et 27 738 francs, soit la somme totale de 693 583 francs.

Ce décompte comporte également la facturation de travaux supplémentaires représentant un coût total de 144 313,39 francs.

Sur la qualification du marché conclu entre les parties

La qualification du marché à forfait ou non détermine le régime juridique auquel est soumis le paiement des travaux supplémentaires dans la mesure où par application de l'article 1793 du code civil, lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main d'oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire, maître d'ouvrage.

L'article 12.2 de la lettre de marché de travaux établie entre le maître d'ouvrage et le groupement d'entreprises conjointes, représenté par son mandataire, la société Ramery, qui représente le groupement d'entreprises intervenantes à l'opération de construction selon convention du 29 octobre 1998, prévoit que le prix est ferme, forfaitaire et non révisable.

Par ailleurs, il ressort de l'examen du cahier des clauses administratives particulières signé par les parties, en particulier le titre B relatif aux prix et règlements, que l'offre de marché présente un caractère forfaitaire en connaissance des lieux et après vérification de tous les éléments afférents à l'exécution des travaux.

Hormis l'accord des parties contractantes pour la modification du prix par voie d'avenant au présent marché, le prix ne peut être révisé qu'aux conditions fixées au CCAP , notamment pour cause de variation des conditions économiques (article B.5).

Il ressort de ces éléments que les parties ont entendu conclure un marché à forfait.

Sur les travaux supplémentaires

Il n'est pas contesté que chacun des postes de travaux facturés par la société Eymery n'étaient pas prévus au marché à forfait initial et qu'ils constituent des travaux supplémentaires.

La possibilité, strictement encadrée par l'article 2.8 de la lettre de marché subordonnant les travaux supplémentaires ou modificatifs à l'accord préalable du maître d'ouvrage qui délivre l'ordre au service compétent, est conforme à l'article 1793 du code civil et ne porte donc pas atteinte au caractère forfaitaire du marché principal.

S'agissant d'un marché à forfait, en application de l'article 1793 du code civil, l'entrepreneur ne peut réclamer paiement que des travaux supplémentaires pour lesquels il a reçu un ordre de service préalable et écrit du maître d'ouvrage portant tant sur le principe de réalisation des travaux que sur le prix de ceux-ci.

L'article B.13 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) applicable au marché de travaux signé le 6 novembre 1998 prévoit ainsi que les travaux modificatifs ne peuvent être entrepris sans un ordre de service établi par le maitre d''uvre et contresigné par le maître d'ouvrage.

En application de ces dispositions, toute commande de travaux supplémentaires passée par l'architecte n'engage pas le maître d'ouvrage, sauf justification d'un mandat exprès qui aurait été confié à ce dernier pour commander de tels travaux, ce qui n'est nullement justifié en l'espèce.

Dès lors, il est indifférent, dans les rapports entre le maître d'ouvrage et la société Eymery, que d'une part, les travaux supplémentaires réalisés par celle-ci n'aient pas fait l'objet de réserves encore que la preuve de la délivrance d'un quitus n'est pas rapportée et, d'autre part, que l'architecte ait demandé à la société Eymery de réaliser des travaux de remplacement du BA 13 des murs extérieurs par un doublage isolant et de modification de position de cloisons comme l'a relevé l'expert judiciaire, dans le mesure où il n'est nullement justifié que le maître d'ouvrage a autorisé ces travaux avant leur réalisation étant précisé que le CCAP prévoit, en son article D.1.2.2, que les ordres de service du maître d''uvre à l'entreprise comportant des travaux complémentaires doivent obligatoirement être contresignés par le maître d'ouvrage.

Il n'est pas davantage démontré une ratification tacite par le maître d'ouvrage des travaux supplémentaires de la société Eymery.

A cet égard, la ratification tacite des travaux supplémentaires, qui suppose la démonstration d'une acceptation non équivoque du maître de l'ouvrage, ne saurait résulter de la seule connaissance par le maître d'ouvrage de l'exécution de travaux supplémentaires dans le cadre des réunions de chantier ou encore du silence gardé par celui-ci lors de leur exécution.

Par ailleurs, le bouleversement de l'économie du contrat résultant notamment de la longueur du chantier affecté par des désordres en toiture, du fait d'autres locateurs d'ouvrage et du mandataire du maître d'ouvrage, dont les opérations d'expertise ont permis de révéler sa défaillance dans la réalisation de ses propres travaux et sa carence dans la coordination du chantier, n'est pas de nature à permettre à la société Eymery de réclamer le paiement de travaux nécessaires non compris dans le marché à forfait, les circonstances imprévisibles n'étant pas de nature à entraîner la modification du caractère forfaitaire du contrat.

Enfin, la proposition de règlement du solde du marché formulée le 7 février 2014 par le maître de l'ouvrage qui entendait mettre un terme au litige l'opposant à la société Eymery n'emporte pas renonciation à son droit de contester les prétentions indemnitaires formulées par cette dernière et ce d'autant plus que la société Eymery l'a décliné au motif qu'elle n'incluait pas les intérêts moratoires.

Dès lors, c'est à bon droit que le premier juge a écarté le coût des travaux supplémentaires de la créance de la société Eymery.

Sur les comptes entre les parties

Sur le solde du prix du marché de travaux initial

Dans son rapport d'expertise judiciaire du 30 décembre 2011, M. [B] a arrêté les comptes entre les parties en fixant le coût des travaux réalisés par la société Eymery à la somme de 810 826,30 francs et sa créance résiduelle à la somme de 223 602,26 francs soit 34 087,94 euros TTC au titre du solde du marché.

Sur les intérêts moratoires

L'article 1134 du code civil, applicable au présent litige, dispose que les conventions tiennent de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel.

L'article A. 4. du CCAP prévoit que les documents contractuels sont les suivants :

- Pour les documents d'ordre particulier,

1. la lettre de marché par entreprise retenue

2. l'ordre de service de commencer les travaux

3. le cahier des clauses administratives particulières CCAP etc'

- Pour les documents d'ordre général

- Le cahier des clauses administratives générales applicables aux travaux de bâtiment faisant l'objet de marchés privés (norme française P 03.001)

- Les prescriptions générales édictées par le CSTB dans le REEF et toutes les rectifications valables à la date de signature du marché

- Les documents techniques unifiés (DTU établis par le CSTB) dans le REEF, les normes et tous les textes législatifs et réglementaire publiés à la date de signature du marché (qu'ils soient parus ou non au REEF à cette date) etc'

Il en résulte que les dispositions du CCAP priment sur celles de la norme NF P 03.001 dans l'hypothèse d'une contradiction ou d'une différence entre les deux documents.

La lettre de marché dont se prévaut la société Eymery, qui reprend en page 6 l'ensemble des pièces contractuelles particulières du marché en les numérotant de 1 à 19, et fait figurer la norme NF-P 03.001 en numéro 2 et le CCAP en numéro 3, ne permet pas de déduire que la norme Afnor prévaut sur le CCAP alors que les clauses dudit CCAP, qui s'imposent aux parties, prévoient le contraire.

Il apparaît néanmoins que les parties ont expressément fait entrer la norme AFNOR NF P 03-001 de septembre 1991 (applicable à la date du marché litigieux) dans le champ contractuel, ladite norme constituant le cahier des clauses administratives générales applicable aux travaux de bâtiment faisant l'objet de marchés privés.

L'article A.1 du CCAP prévoit d'ailleurs que ledit CCAP définit les clauses particulières relatives aux travaux de l'ensemble immobilier défini dans les lettres de marché désignant l'entreprise contractante et vient compléter et/ou amender le cahier des clauses administratives générales aux travaux de bâtiment faisant l'objet de marchés privés (norme NFP 03.001 dernière édition) ou CCAG document d'ordre général contractuel.

L'article A.4.4 du CCAP intitulé « ordre de préséance des documents contractuels » prévoit qu'en cas de contradiction entre plusieurs documents mentionnés les documents particuliers priment sur les documents d'ordre général et les indications de la pièce portant le numéro le moins élevé primeront sur les autres.

L'article B.8 intitulé « règlement » prévoit que les entreprises devront présenter leur décompte définitif de travaux au maître d'ouvrage dans un délai de 90 jours après réception. Le maître d'ouvrage leur adressera ensuite un bon d'acompte définitif pour accord qui devra être obligatoirement restitué par chaque entreprise dans un délai de 30 jours ; à défaut l'accord de l'entreprise sera réputé acquis. Les règlements auxquels l'approbation de ces comptes donnera lieu seront effectués par le maître d'ouvrage dans les 15 jours qui suivront à condition expresse que toutes les réserves figurant au procès-verbal soient levées ainsi que celles ayant été signalées par le ou les acquéreurs dans le mois qui suit la réception.

Cette clause de même que les articles B.3.1 et B.4 relatifs au paiement du CCAP s'abstiennent de déterminer l'incidence de l'absence de réponse du maître de l'ouvrage au décompte définitif établi par l'entreprise et il ne contient sur ce point aucune stipulation qui soit contraire ou incompatible avec l'article 18-7 relatif aux intérêts moratoires de la norme NF. P 03-001 valant CCAG, lequel conserve ainsi sa valeur supplétive.

Par ailleurs, les dispositions de l'annexe D de la norme NF.P. 03-001, qui prévoient que le marché ne peut être modifié à la demande d'une des parties contractantes que par voie d'avenant ne sont pas applicables au marché de travaux litigieux, d'une part, en ce que les pièces du marché n'y font pas référence et, d'autre part, dès lors que les parties ont convenu que les travaux modificatifs ne pourront être entrepris sans un ordre de service, et non un avenant, établi par le maître d''uvre et contresigné par le maître d'ouvrage.

Dès lors, la circonstance que la clause 18-7 de la norme ne figure pas en tête de l'échéancier du locataire d'ouvrage est indifférente pour l'application des intérêts moratoires.

En l'absence de stipulations contraires aux termes du marché, la société Eymery est donc en droit de se prévaloir de ce texte.

L'article 18-7 de la norme NF P03-001 de septembre 1991 prévoit que les retards de paiement ouvrent droit pour l'entrepreneur, après mise en demeure par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au paiement d'intérêts moratoires à un taux, qui à défaut d'être fixé au cahier des clauses administratives particulières, sera le taux des obligations cautionnées augmenté de 2,5 points.

La société Eymery justifie avoir mis en demeure le maître d'ouvrage d'avoir à lui payer le solde du marché par courrier du 14 mai 2001.

Le taux des obligations cautionnées étant de 14,5%, conformément aux termes de l'arrêté du 30 octobre 1981, le taux contractuel s'élève donc à 17% l'an.

Ces intérêts moratoires ont pour objet, non seulement d'indemniser de manière forfaitaire et anticipée le préjudice causé à la société Eymery par le non-respect du délai de paiement convenu, mais aussi de contraindre le maître d'ouvrage à exécuter ponctuellement ses obligations.

Dès lors, l'article 18-7 de la norme, ayant valeur contractuelle entre les parties, qui majore le taux des intérêts contractuels en cas de défaillance du débiteur s'analyse en une clause pénale, que le juge peut réduire en vertu de l'article 1152 du code civil devenu 1231-5.

Ce taux contractuel de 17% apparaît toutefois manifestement excessif compte tenu des circonstances du présent litige en cours depuis 2001, présentant un caractère complexe avec de nombreux intervenants dans le cadre de l'instruction particulièrement longue du litige opposant le groupement d'entreprises ainsi que ses membres au maître d'ouvrage, l'expert judiciaire désigné le 4 avril 2000 ayant déposé son rapport le 30 décembre 2011. Alors que la clause pénale a vocation à sanctionner forfaitairement le préjudice résultant de l'inexécution contractuelle, il résulte de ces circonstances que le préjudice résultant de l'absence de paiement du solde est largement imputable à des facteurs étrangers au comportement du débiteur.

La demande subsidiaire tendant à voir fixer le taux des intérêts moratoires à 10 % en application de l'article L. 441-6 du code de commerce ne saurait prospérer dès lors que, d'une part, les dispositions de l'article 18-7 de la norme priment sur celles de l'article L. 441-6 de code de commerce qui n'ont qu'un caractère supplétif et, d'autre part, que ce texte, créé postérieurement au contrat de marché, n'est pas applicable en l'espèce.

En effet, les dispositions de la loi du 15 mai 2001, modifiant l'article L. 441-6 du code de commerce sont applicables, dès la date d'entrée en vigueur de ce texte, aux contrats en cours ce qui n'est pas le cas en l'espèce, le contrat de marché de travaux datant du 6 novembre 1998.

Il convient donc de modérer, en application du texte précité, la pénalité manifestement excessive eu égard aux conditions du marché et aux circonstances du présent litige en réduisant le taux d'intérêt à celui de l'intérêt légal non majoré.

Par ailleurs, en application des dispositions de l'article 18.7 de la norme NFP 03-001 édition septembre 1991, conforme sur ce point à l'article 1153 alinéa 3 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce, le point de départ des intérêts courant sur le montant de la dette est fixé à la date de la mise en demeure, soit au 15 mai 2001, date de réception par le maître d'ouvrage du décompte définitif de la société Eymery (pièce n°58) dont il convient de relever que son montant n'est pas inférieur à la somme sollicitée.

Cette date, et non celle du jugement ou de l'assignation au fond, sera donc retenue comme point de départ des intérêts moratoires.

Le jugement est donc infirmé en ce sens que M. [U] sera condamné à payer à la société Eymery la somme 34 087,94 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2001.

La capitalisation de ces intérêts, lorsqu'elle est demandée, est de droit conformément à l'article 1154 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce.

Elle sera donc ordonnée à compter du 14 mai 2012, date de l'assignation devant le premier juge, et non pour les années antérieures à compter de 2003 qui correspondrait à la date à laquelle l'assignation aurait dû intervenir, comme le demande la société Eymery, et dans les conditions de l'article 1154 du code civil.

Sur la perte de chance

La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, comme le demande la société Eymery. L'indemnisation de la perte de chance doit en effet nécessairement correspondre à une fraction du préjudice final.

La perte de chance conduit ainsi exclusivement à déterminer le taux de probabilité de survenance de l'évolution finalement constatée, en appréciant le degré de certitude du lien de causalité entre la faute et le préjudice final et en permettant de fixer la fraction indemnisable du préjudice résultant de la faute elle-même.

Il est certain que par la faute de M. [U], qui a laissé expirer le délai de prescription de l'action en paiement, la société Eymery a définitivement perdu la chance de recouvrer sa créance au titre des travaux qu'elle a exécutés pour un montant de 34 087,94 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2001 et la capitalisation de ces intérêts à compter du jugement 15 avril 2021.

La cour évalue à 90 % la perte de chance de la société Eymery de recouvrer sa créance au titre du solde de sa facture de travaux en raison de la faute de M. [U].

Le jugement querellé sera infirmé de ce chef.

Sur les frais de procédure

La demande de paiement des frais ( frais d'avocat, d'avocat conseil, frais d'huissier et dépens) exposés par la société Eymery dans le cadre des instances ayant conduit à l'arrêt du 13 juin 2019 de la Cour de cassation qui a rejeté le pourvoi formé la société Eymery qui contestait la forclusion de son action en paiement sera rejetée pour les motifs pertinents développés par le premier juge que la cour d'appel adopte dès lors en effet qu'ils ne présentent aucun lien avec la faute de M. [U]. Il en est de même des frais exposés dans le cadre d'une instance distincte.

Si les frais engagés par la société Eymery pour recouvrer le paiement de sa créance au titre des travaux qu'il a exécutés dans le cadre du contrat de marché constituent un préjudice réparable au titre de la perte de chance, la cour observe que le coût de l'assignation de même que les frais de signification du jugement du 28 avril 2017 ne sont davantage justifiés en cause d'appel, la pièce n°70, étant incomplète, ne permet pas de déterminer la nature de l'acte ayant fait l'objet de la signification.

Dès lors, la société Eymery sera déboutée de sa demande à ce titre.

Le jugement querellé sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

- et d'autre part, à condamner solidairement M. [U] et la SCP [U]-Cortier aux entiers dépens d'appel, et à débouter les parties de leur demande respective sur le fondement de l'article 700 du code de procédure au titre de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement rendu le 15 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Lille en ce qu'il a condamné M. [H] [U] et le SCP [U]-Cortier, solidairement, à payer à la société Eymery 85 % de la somme de 34 087,94 euros produisant intérêts au taux des obligations cautionnées augmenté de 2,5 points du 18 mai 2001 au 30 juin 2013 ;

Stauant à nouveau de ce seul chef et y ajoutant :

Condamne solidairement M. [H] [U] et le SCP [U]-Cortier à payer à la société Eymery 90 % de la somme de 34 087,94 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2001 ;

Ordonne la capitalisation des intérêts à compter du 15 avril 2021 dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;

Condamne solidairement M. [H] [U] et le SCP [U]-Cortier à payer les dépens de l'instance d'appel ;

Déboute les parties de leur demande respective au titre des frais exposés en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le Greffier

Fabienne Dufossé

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/04672
Date de la décision : 08/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-08;21.04672 ?
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