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01/06/2023 | FRANCE | N°22/02282

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 01 juin 2023, 22/02282


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 01/06/2023





****





N° de MINUTE :23/200

N° RG 22/02282 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UISV



Jugement (N° 20/03429) rendu le 07 Avril 2022 par le tribunal judiciaire de Valenciennes







APPELANT



Monsieur [R] [K]

né le [Date naissance 3] 1969 à [Localité 9] (Tunisie)

de nationalité Française

[Adresse 4]
>[Localité 7]



Représenté par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assisté de Me Georges Lacoeuilhe, avocat au barreau de Paris, avocat plaidat, substitué par Me Valentine Meil, avocat au ...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 01/06/2023

****

N° de MINUTE :23/200

N° RG 22/02282 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UISV

Jugement (N° 20/03429) rendu le 07 Avril 2022 par le tribunal judiciaire de Valenciennes

APPELANT

Monsieur [R] [K]

né le [Date naissance 3] 1969 à [Localité 9] (Tunisie)

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représenté par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assisté de Me Georges Lacoeuilhe, avocat au barreau de Paris, avocat plaidat, substitué par Me Valentine Meil, avocat au barreau de Paris

INTIMÉS

Monsieur [L] [F]

né le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 10]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me Alexia Navarro, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, substitué par Me Pauline Collette, avocat au barreau de Lille

Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Hainaut, prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 8]

[Localité 6]

Défaillante, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 5 juillet 2022 à personne habilitée

DÉBATS à l'audience publique du 08 mars 2023 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 01 juin 2023 après prorogation du délibéré en date du 11 mai 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 23 janvier 2023

****

EXPOSE DU LITIGE

1. Les faits et la procédure antérieure :

En raison de gonalgies persistantes, M. [L] [F] a subi le 11 mai 2016 une IRM du genou gauche, qui a établi l'existence d'une lésion de la corne postérieure du ménisque interne avec épanchements intra-articulaires modérés.

Le 24 août 2016, il a consulté M. [R] [K], chirurgien orthopédique exerçant dans un cadre libéral au sein d'un centre hospitalier, qui a indiqué un traitement chirurgical du seul tableau révélé par L'IRM.

Le 15 septembre 2016, il a été hospitalisé pour y subir une intervention.

Au cours de l'intervention, M. [K] a en outre réalisé la section de l'aileron rotulien externe et une synovectomie.

Le 24 septembre 2016, le services des urgences a constaté la présence d'un hématome du genou gauche et de la face postérieure de la cuisse gauche, qu'a également relevé M. [K] lors d'une consultation du 26 septembre 2016 au cours de laquelle il a traité l'hémarthrose par ponction.

M. [F] a été à nouveau hospitalisé le 30 septembre 2016 : M. [H] a alors réalisé un lavage et régularisé la corne postérieure du ménisque interne, ce chirurgien ayant relevé la présence d'un très volumineux hématome consécutif à une section de l'aileron rotulien externe sous arthroscopie.

L'expert [S], désigné par le juge des référés, a déposé son rapport le 30 janvier 2020.

En l'absence d'accord, M. [F] a assigné devant le tribunal judiciaire de Valenciennes M. [K], ainsi que la caisse primaire d'assurance-maladie aux fins d'indemnisation, invoquant les fautes commises par ce chirurgien.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 7 avril 2022, le tribunal judiciaire de Valenciennes a :

dit que la responsabilité de M. [K] est engagée suite à l'intervention chirurgicale subie par M. [F] ;

condamné M. [K] à payer à M. [F], la somme totale de

98 199,75 euros, en réparation du préjudice subi, se répartissant comme suit :

* sur le préjudice d'impréparation : 7 500 euros ;

* sur les frais d'assistance par tierce personne temporaire : 1 536 euros ;

* sur le déficit fonctionnel temporaire : 963,75 euros ;

* sur les souffrances endurées : 8 000 euros ;

* sur le préjudice esthétique temporaire : 1 200 euros ;

* sur l'incidence professionnelle : 50 000 euros ;

* sur le déficit fonctionnel permanent : 7 000 euros ;

* sur le préjudice d'agrément : 15 000 euros ;

* sur le préjudice sexuel : 7 000 euros ;

débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

condamné M. [K] à payer à M. [F] 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné M. [K] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise ;

dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 9 mai 2022, M. [K] a formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement.

4. Les prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 2 décembre 2022, M. [K] demande à la cour de :

- le recevoir en son appel le disant bien fondé ;

=$gt; à titre principal :

- infirmer le jugement critiqué en ce qu'il a retenu sa responsabilité et l'a condamné à indemniser le préjudice de M. [F] ;

Statuant à nouveau :

- écarter sa responsabilité en l'absence de preuve d'une faute en lien avec le dommage,

- débouter M. [F] de l'intégralité de ses demandes dirigées à son encontre ; - condamner M. [F] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [F] aux entiers dépens de la procédure en ce compris les frais d'expertise ;

=$gt; à titre subsidiaire :

- limiter sa part de responsabilité à hauteur de 50 % au titre de la perte de chance ;

- par conséquent limiter l'indemnisation de M. [F] à hauteur de ce taux de perte de chance ;

- débouter M. [F] de ses demandes indemnitaires formulées au titre du préjudice d'agrément,

- réduire les sommes allouées à M. [F] au titre du préjudice d'impréparation, du DFT, du préjudice esthétique temporaire, des souffrances endurées, de l'assistance par tierce personne temporaire, de l'incidence professionnelle, du déficit fonctionnel permanent et du préjudice sexuel,

=$gt; à titre infiniment subsidiaire : réduire la somme allouée à M. [F] au titre du préjudice d'agrément à hauteur de 2 000 euros ;

A l'appui de ses prétentions, il fait valoir que :

il n'a commis aucune faute :

(i) il a rempli son obligation d'information dès lors qu'il a d'une part valablement informé M. [F] des risques liés à l'arthroscopie du genou aux fins de traitement d'une lésion du ménisque interne, qui correspond à l'indication opératoire correctement posée, et qu'il a d'autre part été dans l'impossibilité d'informer son patient lorsqu'il a découvert en cours d'intervention une lésion du ménisque externe qu'il a décidé de traiter dans le même temps ; les complications sont identiques pour le ménisque interne et externe ; en tout état de cause, M. [F] aurait accepté et signé le consentement éclairé, selon le propre avis médical que produit le patient ;

(ii) s'il a effectivement procédé en per-opératoire à la section de l'aileron rotulien externe et à une synovectomie, l'absence de réalisation d'un tel geste complémentaire aurait entraîné un dysfonctionnement rotulien sous la forme d'une bascule isolée, occasionnant des phénomènes d'hyperpressions cartilagineuses et un déplacement, lequel aurait provoqué ensuite des douleurs, des blocages, des gonflements ou une instabilité ; un second geste chirurgical aurait dû être réalisé ultérieurement ; l'indication opératoire de cette lésion méniscale externe était donc justifiée ; les avis médicaux produits par M. [F] n'ont pas été établis dans le cadre d'expertises contradictoires et judiciaires, alors que l'un des praticiens n'est pas chirurgien orthopédique, mais neurologue de sorte qu'il ne dispose pas des compétences requises pour apprécier son comportement ;

les gestes complémentaires réalisés n'ont pas de lien de causalité avec la complication survenue : la survenance d'un hématome au décours d'une telle intervention est une complication connue, qui aurait pu se manifester même s'il avait limité son geste chirurgical à la seule intervention initialement prévue sur le ménisque interne, étant observé que les douleurs ressenties concernent la partie interne du genou ; par ailleurs, l'épanchement articulaire douloureux qu'a subi M. [F] est postérieur et résulte d'une réception brutale, et non de l'hématome post opératoire ou du geste chirurgical sur le ménisque externe ;

seuls les préjudices en lien direct et certain avec le seul hématome doivent être indemnisés.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 8 décembre 2022, M. [F], intimé et appelant incident, demande de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré M. [K] entièrement responsable des préjudices qu'il a subis ;

- réformer le jugement en ce qu'il a sous-évalué ses préjudices en condamnant M. [K] à lui verser une somme totale de 98 199,75 euros tous préjudices confondus ; et statuant à nouveau, condamner M. [K] à lui verser une somme totale de 193.583,75 euros en réparation de ses entiers préjudices répartis comme suit :

o Préjudice d'impréparation : 10 000 euros,

o Déficit fonctionnel temporaire : 963,75 euros,

o Assistance tierce personne temporaire : 1 536 euros,

o Préjudice esthétique temporaire : 1 500 euros,

o Souffrances endurées : 8 000 euros,

o Atteinte à l'intégrité physique et psychique (déficit fonctionnel permanent) :

7 000 euros,

o Préjudice d'agrément : 15 000 euros,

o Incidence professionnelle : 139 584 euros,

o Préjudice sexuel : 10 000 euros.

- débouter M. [K] de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre ;

- condamner M. [K] à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens d'appel et de première instance, et notamment les frais d'expertise judiciaire.

A l'appui de ses prétentions, M. [F] fait valoir que :

l'urgence à réaliser l'intervention complémentaire n'est pas établie, de sorte que M. [K] devait recueillir le consentement de son patient avant d'y procéder, et non la réaliser d'office pendant qu'il était sous anesthésie.

le geste opératoire a été fautivement réalisé, ainsi qu'il ressort des avis conformes qu'ont fournis trois experts médicaux ; les rapports d'expertise de MM. [G] et [J] sont opposables à M. [K], dès lors qu'ils sont discutés contradictoirement devant la juridiction et qu'ils se corroborent entre eux ; en outre, le rapport d'expertise judiciaire retient également une telle faute technique ; la survenance d'un hématome en post opératoire n'est pas une complication de la chirurgie, mais un effet secondaire dont il n'a pas été informé, de sorte qu'il ne pouvait « deviner » son existence ; cet hématome n'est que la conséquence du fait générateur de responsabilité, qui est constitué par la section de l'aileron rotulien externe, alors que l'hématome lui-même n'a pas causé les préjudices subis ;

ses préjudices ont été sous-évalués par le premier juge.

La caisse primaire d'assurance-maladie du Hainaut, à laquelle la déclaration d'appel a été régulièrement signifiée le 5 juillet 2022 à personne habilitée, ainsi que les conclusions d'appelant, n'a pas constitué avocat.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1. Sur la responsabilité du professionnel de santé :

au titre du devoir d'information :

sur la faute résultant d'un défaut d'information du patient :

Il résulte de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique que toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.

Hormis l'état d'urgence médicale ou le refus du patient d'être informé, il appartient ainsi au praticien de lui délivrer une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins proposés, ainsi que sur les risques afférents aux soins prodigués.

La preuve d'une telle information du patient incombe au praticien. Cette preuve peut être apportée par tous moyens, y compris par des présomptions graves, précises et concordantes et il incombe aux juges du fond d'apprécier la valeur et la portée des éléments de preuve soumis, y compris des rapports d'expertise.

En l'espèce, l'expert [S] indique que M. [F] n'a pas signé de consentement éclairé, qui ne lui a pas été remis par M. [K].

Alors que ce rapport d'expertise judiciaire est d'une part opposable à M. [K] dès lors qu'il était partie à l'instance de référé, la cour ne peut d'autre part refuser d'examiner un rapport d'expertise établi unilatéralement à la demande d'une partie, dès lors qu'il est régulièrement versé aux débats, soumis à la discussion contradictoire et corroboré par d'autres éléments de preuve. En particulier, deux rapports d'expertise - l'un amiable et l'autre judiciaire - établis de façon non contradictoires, qui ont été soumis à la discussion des parties, peuvent être valablement exploités lorsqu'ils se corroborent mutuellement.

À cet égard, M. [F] produit en premier lieu un rapport établi par l'expert [G], mandaté par son assureur de protection juridique, qui a déposé ses conclusions le 16 octobre 2017. Il en résulte que le geste chirurgical pratiqué n'a pas été celui prévu initialement, alors qu'il s'interroge sur l'indication posée en peropératoire, donc sans explication, d'une telle résection de l'aileron rotulien externe, qui « aurait certainement pu être discutée et argumentée selon un nouveau bilan et différée ». La circonstance que cet expert soit neurochirurgien n'exclut pas en soi sa compétence technique pour fournir un avis technique, étant observé qu'il a été désigné sur la recommandation du médecin-conseil de l'assureur.

Il verse en second lieu un rapport établi le 11 mai 2018 par l'expert [J], désigné par l'assureur du centre hospitalier. Cet expert relève notamment que l'indication de la section de l'aileron rotulien externe ne figure pas sur le courrier de consultation préopératoire.

M. [K] ne conteste pas l'absence d'information sur la réalisation d'un tel geste chirurgical, qu'il a décidé d'office en peropératoire, mais estime que la découverte en peropératoire d'une lésion du ménisque externe justifie qu'il n'ait pas informé son patient sur le geste complémentaire qu'il ne conteste pas avoir réalisé, au-delà de l'indication chirurgicale initiale.

Pour autant, M. [K] ne démontre pas l'urgence à procéder à ce geste complémentaire, sans en avoir préalablement informé M. [F] et sans avoir recueilli son consentement éclairé à sa réalisation. Les experts relèvent d'ailleurs non seulement qu'une discussion aurait dû intervenir avec le patient avant la réalisation de ce geste, mais également que cette intervention complémentaire sur le ménisque externe n'était elle-même pas indiquée.

Plus globalement, en l'absence de toute production d'une fiche d'information signée par le patient, d'un formulaire selon lequel ce dernier attesterait avoir reçu oralement une information médicale précise sur les risques de l'intervention projetée, ou encore d'une attestation de témoin portant sur la délivrance effective de l'information, la cour observe que, contrairement à ses allégations, M. [K] échoue à démontrer avoir informé M. [F] des conditions de déroulement de l'intervention chirurgicale, des risques et complications qui y étaient associés, et ce quel qu'en soit le vecteur, écrit ou oral.

Dans ces conditions, alors que M. [F] rapporte notamment à l'expert [G] n'avoir pas été valablement informé des éventuelles complications de l'intervention, la circonstance que M. [K] allègue que les mêmes risques concernaient les deux gestes pratiqués au cours de l'intervention chirurgicale est indifférente, à défaut de justifier purement et simplement avoir procédé à une quelconque information de son patient, outre qu'une telle allégation n'est pas davantage médicalement démontrée.

Enfin, outre que M. [K] récuse lui-même le rapport de l'expert [G], la mention selon laquelle « quoiqu'il en soit, M. [F] accepte le principe de l'intervention. Il aurait signé un consentement éclairé que nous n'avons pas dans le dossier » ne concerne que l'opération initialement prévue, et non le geste complémentaire litigieux.

Il s'ensuit que M. [K] ne rapporte pas la preuve d'avoir dûment informé son patient des risques qui se sont réalisés, et ce préalablement à l'intervention réalisée.

sur le préjudice d'impréparation :

M. [F] n'invoque pas la perte de chance d'éviter les séquelles liées à l'intervention du professionnel de santé, que le défaut d'information par M. [K] sur les risques liés à la résection de l'aileron rotulien externe lui aurait causé, mais un préjudice d'impréparation.

Indépendamment de toute perte de chance pour la victime, le non-respect, par un professionnel de santé, de son devoir d'information cause à celui auquel l'information était due, lorsque ce risque se réalise, un préjudice moral résultant d'un défaut de préparation aux conséquences d'un tel risque, qui, dès lors qu'il est invoqué, doit être réparé.

La responsabilité de M. [K] est dès lors engagée au titre d'une telle faute, alors que la réalisation du risque n'ayant pas été signalé au patient établit le lien de causalité avec le préjudice moral subi par M. [F].

au titre du geste technique :

La responsabilité du praticien n'est, en principe, engagée qu'en cas de faute, sur le fondement de l'article L. 1142-1, I, alinéa 1 du code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002, dont la preuve incombe aux demandeurs en réparation, dès lors que les établissements, services ou organismes et les professionnels de santé ne sont soumis qu'à une obligation de moyens et non de résultat, à l'égard de leurs patients.

Cette preuve peut être apportée par tous moyens, y compris par des présomptions graves, précises et concordantes et il incombe aux juges du fond d'apprécier la valeur et la portée des éléments de preuve soumis, y compris des rapports d'expertise.

En l'espèce, l'expert [S] indique que :

- si l'indication chirurgicale était licite, la réalisation du geste semble en revanche inappropriée par rapport aux lésions remarquées et diagnostiquées par l'IRM ;

- « dans le cadre de son geste chirurgical, le docteur [K] a réalisé un geste trop agressif, inapproprié ayant entraîné un saignement articulaire important et ainsi une complication chirurgicale ayant nécessité une prise en charge spécifique ».

Il conclut que l'acte chirurgical n'est pas justifié, inapproprié, estimant qu'en ont résulté les conséquences et la convalescence subis par le patient.

Alors que ce rapport d'expertise judiciaire est d'une part opposable à M. [K] dès lors qu'il était partie à l'instance de référé, la cour ne peut d'autre part refuser d'examiner un rapport d'expertise établi unilatéralement à la demande d'une partie, dès lors qu'il est régulièrement versé aux débats, soumis à la discussion contradictoire et corroboré par d'autres éléments de preuve. En particulier, deux rapports d'expertise - l'un amiable et l'autre judiciaire - établis de façon non contradictoires, qui ont été soumis à la discussion des parties, peuvent être valablement exploités lorsqu'ils se corroborent mutuellement.

Si l'indication chirurgicale est admise par les experts [S] et [J] et que le geste de méniscectomie interne est conforme aux données médicales, ils convergent également pour estimer à l'inverse que la réalisation par M. [K] de la section de l'aileron rotulien externe n'est pas un geste conforme. Sur ce point, l'expert [J] indique qu'alors qu'un tel geste n'était pas indiqué, en l'absence de réelle subluxation externe de la rotule radio clinique et compte tenu de l'absence de plainte du patient de type fémoro-patellaire et de douleur rotulienne, ce geste inapproprié a au contraire déstabilisé la rotule du patient entraînant une déhiscence de la partie externe du compartiment du genou avec une rotule sur sa facette externe extrêmement sensible. « S'y ajoute une complication peropératoire, constituée par une section de l'artère rotulienne supérieure externe, ce qui est fréquent dans les sections des ailerons rotuliens sous arthroscopie », qui est à l'origine de l'hématome ayant nécessité une nouvelle arthroscopie 15 jours plus tard.

Au titre du lien de causalité entre la faute commise et les préjudices subis, l'expert [G] relève que le patient souffre actuellement plutôt de cette résection de l'aileron que des suites de sa résection méniscale. Par ailleurs, le chirurgien [H], qui a hospitalisé M. [F] du 30 septembre au 1er octobre 2016, a constaté « un très volumineux hématome consécutif à une section de l'aileron rotulien externe sous arthroscopie ».

Il résulte de ces avis concordants que l'hémarthrose n'a pas été causée par le geste initialement prévu, mais par ce geste complémentaire portant sur le ménisque externe, au cours duquel a été lésée l'artère rotulienne supérieure externe. La lésion de cette artère est confirmée par l'expert [J], qui indique qu'au 30 septembre 2016, l'artère incriminée a été électrocoagulée. Une telle lésion fautive ne se confond ainsi pas avec le risque d'hématome susceptible de survenir à l'occasion d'une méniscectomie, lequel est d'ailleurs commun à toutes les chirurgies ou peut résulter de la prise d'anticoagulants par le patient (pièces 3 et 4 de M. [K]).

Alors que M. [K] allègue que M. [F] aurait été contraint de subir un tel geste complémentaire s'il n'avait pas pris cette initiative en peropératoire, il n'en apporte toutefois aucune démonstration technique, notamment à défaut de produire des pièces médicales établissant la nécessité d'un tel acte au regard des examens préalablement réalisés et figurant dans le dossier médical du patient. Sur ce point, la mention figurant dans son compte-rendu opératoire et son courrier de sortie de lésions cartilagineuses sévères n'est objectivée par aucun examen médical, à défaut d'être notamment révélée par l'IRM pratiquée quelques mois auparavant.

La perte de chance n'est pas applicable à l'espèce, alors que le lien de causalité entre la faute commise et les préjudices subis est certain, de sorte qu'il convient de mettre à la charge de M. [K] la réparation intégrale des conséquences dommageables imputables à la section injustifiée de l'aileron rotulien externe dont M. [F] a été la victime.

Si une reprise chirurgicale est intervenue le 30 septembre 2016 et a mis un terme à l'hématome, notamment en l'évacuant et en électrocoagulant l'artère lésée, une telle circonstance n'a pas vocation à affecter le lien de causalité direct et certain entre la faute technique et les préjudices subis par M. [F] : alors que seule la complication s'étant ajoutée aux autres conséquences dommageables de l'acte chirurgical fautif a cessé, les experts déterminent en revanche les préjudices résultant de l'acte médical initial du 15 septembre 2016, en relation avec les conséquences de la section non justifiée de l'aileron rotulien externe, qui incluent non seulement celles liées à l'hématome, mais également la gêne liée à l'agressivité du geste et à la déstabilisation de la rotule.

Le jugement ayant déclaré M. [K] intégralement responsable des conséquences dommageables d'une telle faute est par conséquent confirmé.

2. Sur la réparation du préjudice

L'expert judiciaire a notamment conclu, concernant le préjudice de M. [F], à :

un déficit fonctionnel total du 30 septembre 2016 au 1 octobre 2016, soit 2 jours

un déficit fonctionnel de classe III du 2 octobre 2016 au 15 novembre 2016, soit 45 jours

un déficit fonctionnel de classe II du 16 novembre 2016 au 15 décembre 2016 , soit 30 jours ;

un déficit fonctionnel de classe I du 16 décembre 2016 au 27 février 2017 ,soit 74 jours ;

une consolidation fixée à la date du 28 février 2017 ;

un déficit fonctionnel permanent de 5 % ;

des souffrances endurées à hauteur de 3/7 ;

un préjudice esthétique temporaire à hauteur de 1,5/7 ;

Sur l'assistance par tierce personne permanente  :

L'indemnisation au titre de l'assistance tierce personne correspond aux dépenses liées à la réduction d'autonomie ; elle doit se faire en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée, de sorte que l'indemnité allouée au titre de ce poste de préjudice ne doit pas être réduite en cas d'assistance bénévole par un proche de la victime.

Dès lors que le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être réduit en cas d'assistance d'un membre de la famille, il n'y a pas lieu de tenir compte de l'absence de déclaration de cette aide familiale aux organismes sociaux et de calculer l'indemnité en coût social hors cotisations sociales. L'indemnité doit par conséquent intégrer le montant des cotisation sociales afférentes à cette aide.

L'expert [S] a retenu un besoin en assistance par tierce personne à hauteur de 1 h 30 par jour du 2 octobre 2016 au 15 novembre 2016, puis à hauteur de 5 heures par semaine du 16 novembre au 15 décembre 2016. Ce besoin est exclusivement et directement en lien avec les conséquences de la faute technique commise par M. [K], alors qu'un tel besoin ne préexistait pas à l'intervention réalisée par ce dernier le 15 septembre 2016.

Sur une base horaire de 20 euros, il convient d'évaluer le besoin en assistance tierce personne définitive à la somme de :

45 jours x 20 euros x 1,5 heure + 10 % (au titre des congés payés) = 1 485 euros

30 jours/7 x 20 euros x 5 heures + 10 % = 471,14 euros

soit un total de 1 956,14 euros.

La demande étant plafonnée à 1 536 euros, il convient de confirmer le jugement ayant fixé l'indemnisation de ce poste à ce montant.

Sur l'incidence professionnelle

Ce poste n'a pas pour objectif d'indemniser la perte de revenu liée à l'invalidité permanente, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle, comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle, de l'augmentation de la pénibilité du travail qu'elle occupe ou de la nécessité de changer de profession. Ce poste comprend également les frais de reclassement professionnel, de formation, ou de changement de poste, et plus largement tous les frais nécessaires à un retour de la victime dans la sphère professionnelle.

En l'espèce, M. [F] exerce les fonctions d'officier de police judiciaire en qualité de major, qui correspondent pour moitié à des interventions extérieures, dans des conditions nécessitant qu'il puisse intervenir physiquement rapidement en soutien de ses équipiers. Les séquelles liées à ses douleurs et raideurs du genou constituent ainsi une dévalorisation de ses conditions de travail, dont la pénibilité s'est accrue de 35 % selon l'expert [S], alors qu'il a été mis en retrait d'opérations « musclées ».

L'évaluation du préjudice fixé à 50 000 euros par le premier juge est validée, en ce qu'elle correspond à une réparation intégrale de ce poste, étant observé qu'il est âgé de 50 ans à la date de la consolidation et qu'il a ainsi vocation à subir une telle incidence professionnelle pendant une dizaine d'années.

Le jugement attaqué sera confirmé de ce chef.

Sur le déficit fonctionnel temporaire

Il s'agit d'indemniser l'aspect non économique de l'incapacité temporaire jusqu'à la consolidation de la victime. Le déficit fonctionnel temporaire regroupe non seulement le déficit de la fonction qui est à l'origine de la gêne mais également les troubles dans les conditions d'existence, les gênes dans les actes de la vie courante, le préjudice d'agrément temporaire et le préjudice sexuel temporaire.

Cette indemnisation est proportionnellement diminuée lorsque le déficit fonctionnel temporaire est partiel.

=$gt; Sur le déficit fonctionnel total :

Il y a lieu de retenir à ce titre une indemnisation de 28,00 euros par jour pendant la période de 2 jours. Le préjudice subi sur ce poste sera donc évalué à une somme de 56,00 euros.

=$gt; Sur le déficit fonctionnel partiel :

* de classe III = 50 %

soit 45 jours X 28,00 euros X 50 % = 630,00 euros

* de classe II = 25 %

soit 30 jours X 28,00 euros X 25 % = 210,00 euros

* de classe I = 10 %

soit 74 jours X 28 euros X 10 % = 207,20 euros

L'indemnisation totale du déficit fonctionnel temporaire s'élève en conséquence à la somme de 1 103,20 euros.

La cour étant tenue par la demande d'indemnisation évaluée par la victime à 963,75 euros, il convient de confirmer le jugement critiqué de ce chef.

Sur les souffrances endurées

Ce poste de préjudice a pour but d'indemniser toutes les souffrances tant physiques que morales subies par la victime entre la naissance du dommage et la date de la consolidation, du fait des blessures subies et des traitements institués.

Le premier juge a valablement évalué le préjudice subi par la victime sur ce poste à la somme de 8 000 euros, en raison du ratio de 3/7 retenu par l'expert judiciaire. Ces douleurs ne sont pas exclusivement celles causées par l'hématome, mais englobe l'ensemble des douleurs résultant de l'atteinte injustifiée à sa rotule, ainsi que celles résultant de l'intervention chirurgicale de reprise, qui a été exclusivement causée par la faute commise par M. [K].

Le jugement attaqué sera confirmé de ce chef.

Sur le préjudice esthétique temporaire

En fonction des constatations de l'expert qui a relevé un ratio de 1,5/7 et de l'âge de la victime à l'époque des faits (50 ans), le montant du préjudice subi sur ce poste a été valablement évalué à la somme de 1 200 euros par le premier juge, étant rappelé qu'il a duré 49 jours.

Le jugement attaqué sera confirmé de ce chef.

Sur le déficit fonctionnel permanent

Il s'agit du préjudice résultant de la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours. Il s'agit de réparer les incidences du dommage qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime que ce soient les atteintes à ses fonctions physiologiques ou la douleur permanente qu'elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans ses conditions d'existence quotidiennes. Ce poste de préjudice répare la perte d'autonomie personnelle que vit la victime dans ses activités journalières, ainsi que tous les déficits fonctionnels spécifiques qui demeurent même après la consolidation.

L'expert [S] a fixé un taux de 5 %, en prenant en compte les raideurs et les douleurs de son genou. Les autres experts ont également retenu ce taux, en visant notamment les douleurs à la facette externe de la rotule, une instabilité de la rotule, douloureuse avec limitation de la flexion du genou, outre des séquelles psychologiques liées à une anxiété.

Au regard du taux fixé par l'expert et de l'âge de la victime, une indemnisation à hauteur de 1.400,00 euros du point sera retenue en sorte que le préjudice subi par la victime sur ce poste sera évalué à la somme de 7.000,00 euros. Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur le préjudice d'agrément

Ce poste de préjudice concerne les activités sportives, ludiques ou culturelles dont la pratique par la victime est devenue impossible ou limitée en raison des séquelles de l'accident et présentant un caractère suffisamment spécifique pour ne pas avoir été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent, lequel répare déjà les atteintes aux joies usuelles de la vie quotidienne incluant les loisirs communs.

Il appartient à la victime de justifier de la pratique de ces activités, notamment par la production de licences sportives, de bulletin d'adhésion à des associations, ou d'attestations, étant précisé que l'appréciation du préjudice s'effectue concrètement, en fonction de l'âge et du niveau d'activité antérieur.

En l'espèce, M. [F] fournit une série de pièces attestant qu'il pratiquait antérieurement des activités sportives régulières, et notamment la course à pied et le vélo. Les conséquences de la faute commise ont limité dans des proportions fixées à 35 % par l'expert les capacités de la victime de poursuivre la pratique de ces activités, étant observé que M. [F], père de cinq enfants, a souligné qu'il s'y livrait également en famille.

Compte tenu de l'âge de la victime et des doléances exprimées, le préjudice subi par la victime sur ce poste a été valablement évalué par le premier juge à la somme de 15 000 euros.

Sur le préjudice sexuel

Ce préjudice s'apprécie, en fonction de l'âge et de la situation de la victime, eu égard à l'atteinte à la morphologie des organes sexuels, à la libido et à la fonction procréatrice.

En l'espèce, le préjudice sexuel est d'ordre positionnel et justifie la condamnation fixée par le premier juge à 7 000 euros. Le jugement attaqué sera confirmé de ce chef.

Sur l'indemnisation du préjudice d'impréparation :

La cour approuve le premier juge d'avoir fixé à 7 500 euros le préjudice d'impréparation subi par M. [F], étant relevé que l'importance des séquelles liées à une intervention chirurgicale non justifiée renforce l'importance du préjudice moral subi.

Le jugement attaqué sera confirmé de ce chef.

3. Sur les demandes accessoires :

Le sens du présent arrêt conduit :

à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile ;

à condamner M. [K] aux dépens d'appel et à payer à M. [F] une indemnité de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en appel en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement rendu le 7 avril 2022 par tribunal judiciaire de Valenciennes en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne M. [R] [K] aux dépens d'appel ;

Condamne M. [R] [K] à payer à M. [L] [F] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier

Harmony POYTEAU

Le président

Guillaume SALOMON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 22/02282
Date de la décision : 01/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-01;22.02282 ?
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