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01/06/2023 | FRANCE | N°21/06320

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 01 juin 2023, 21/06320


0République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 01/06/2023





****





N° de MINUTE : 23/193

N° RG 21/06320 - N° Portalis DBVT-V-B7F-UAKJ



Jugement (N° 20/01874) rendu le 16 Novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Lille





APPELANTS



Monsieur [M] [O]

né le [Date naissance 4] 1941 à [Localité 15]

De nationalité française

[Adresse 9]

[Localité 13]>


Madame [L] [B]

née le [Date naissance 2] 1938 à [Localité 17]

de nationalité Française

[Adresse 9]

[Localité 13]



Représentés par Me Régis Debavelaere, avocat au barreau de Lille, avocat constitué substitué par...

0République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 01/06/2023

****

N° de MINUTE : 23/193

N° RG 21/06320 - N° Portalis DBVT-V-B7F-UAKJ

Jugement (N° 20/01874) rendu le 16 Novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANTS

Monsieur [M] [O]

né le [Date naissance 4] 1941 à [Localité 15]

De nationalité française

[Adresse 9]

[Localité 13]

Madame [L] [B]

née le [Date naissance 2] 1938 à [Localité 17]

de nationalité Française

[Adresse 9]

[Localité 13]

Représentés par Me Régis Debavelaere, avocat au barreau de Lille, avocat constitué substitué par Me Eric Mouveau, avocat au barreau de Lille

INTIMÉS

Maître [R] [U]

né le [Date naissance 6] 1960 à [Localité 16]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 12]

Monsieur [E] [I]

né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 12]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 10]

SCP [R] [U] et [W] [H] prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié et cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 12]

SCP [A] [V] et [X] [C] prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Localité 11]

Etablissement Public la Chambre Nationale des Commissaires de Justice prise en la personne de son président en exercice, domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 8]

[Localité 14]

Représentés par Me Amélie Delmaire, avocat au barreau de Lille, avocat constitué Me Sébastien Poisson, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

DÉBATS à l'audience publique du 02 février 2023 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 01 juin 2023 après prorogation du délibéré en date du 30 mars 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : 22 décembre 2022

Communiquées aux parties le 22 décembre 2022

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 9 janvier 2023

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

Par jugements du 2 février 2015, le juge de l'expropriation du Pas-de-Calais a fixé les indemnités d'expropriation de parcelles appartenant à M. [M] [O] et à Mme [L] [B], divorcée [O], à défaut de prononcer la restitution en nature de ces parcelles, et condamné en conséquence la SAEM Territoire 62 à leur verser les sommes ainsi allouées.

Ces jugements ont été signifiés par acte du 9 mars 2015 dressés par M. [E] [I], huissier de justice exerçant au sein de la SCP [R] [U] et [W] [H].

Deux appels respectivement interjetés le 21 mars 2016 à l'encontre des jugements ainsi signifiés ont été déclarés irrecevables comme tardifs par la cour d'appel de Douai, dont les arrêts ont été toutefois cassés par arrêts rendus le16 mars 2017 par la Cour de cassation, au motif que le délai de recours n'avait pas couru.

Deux nouvelles déclarations d'appel formées le 1er février 2017 ont été ainsi déclarés recevables par la cour d'appel de renvoi, qui a en outre statué à nouveau sur le montant des indemnisations accordés à M. [O] et à Mme [B] pour retenir un montant inférieur à celui fixé par le jugement de première instance.

Ces arrêts ont toutefois été eux-mêmes cassés. Par arrêts du 16 novembre 2020, la cour d'appel de Douai a définitivement statué sur ces indemnités à un montant encore inférieur.

La SCP [E] [I] [A] [V] a succédé à M. [E] [I].

Par arrêté du 10 avril 2018, le retrait de M. [I] a été accepté par le ministre de la justice, de sorte que cette dernière SCP est devenue la SCP [A] [V] et [X] [C].

Invoquant des fautes imputables à l'huissier de justice et ayant conduit à l'invalidation des significations qu'il avait effectuées le 9 mars 2015, M. [O] et Mme [B] ont assigné devant le tribunal de grande instance de Lille M. [R] [U], la SCP [R] [U] et [W] [H], M. [E] [I] et la SCP [A] [V] et [X] [C], ainsi que la chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ), aux fins d'indemnisation.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 16 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Lille a :

1- déclaré irrecevable l'action de M. [M] [O] et Mme [L] [B] à l'encontre de la chambre nationale des commissaires de justice venant aux droits de la chambre nationale des huissiers de justice ;

2- rejeté les autres fins de non recevoir ;

3- condamné M. [E] [I], solidairement avec la SCP [A] [V] et [X] [C], et in solidum avec M. [R] [U], lui-même solidairement avec la SCP [R] [U] et [W] [H], à payer à M. [M] [O] la somme de 80,34 euros au titre du coût de l'acte de signification du 9 mars 2015 du jugement du juge de l'expropriation d'Arras ;

4- condamné M. [E] [I], solidairement avec la SCP [A] [V] et [X] [C], et in solidum avec M. [R] [U], lui-même solidairement avec la SCP [R] [U] et [W] [H], à payer à Mme [L] [B] la somme de 80,34 euros au titre du coût de l'acte de signification du 9 mars 2015, du jugement du juge de l'expropriation d'Arras ;

5- rejeté le surplus des demandes indemnitaires ;

6- condamné M. [M] [O] et Mme [L] [B] in solidum à supporter les dépens de l'instance et autorisé Me Amélie Delmaire à recouvrer directement les dépens dont elle aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision ;

7- dit n'y avoir lieu à aucune condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 18 décembre 2021, M. [O] et Mme [B] ont formé appel de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 1, 5 à 7 ci-dessus.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1 Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 5 janvier 2023, M. [O] et Mme [B], appelants, demandent à la cour de :

- déclarer leur appel recevable ;

- débouter les intimés de leur appel incident et de l'ensemble de leurs demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- confirmer partiellement le jugement en ce qu'il a condamné les intimés au paiement des coûts des actes de signification erronés du 9 mars 2015 du jugement du juge de l'expropriation d'Arras ;

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions, c'est-à-dire en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de M. [O] et Mme [B] à l'encontre de la CNCJ, venant aux droits de la chambre nationale des huissiers de justice, en ce qu'il a rejeté le surplus de leurs demandes indemnitaires, et en ce qu'il les a condamnés in solidum aux dépens d'instance.

Et, statuant à nouveau :

- juger que M. [E] [I] et M. [R] [U] ont commis des fautes professionnelles en lien de causalité direct avec le dommage subi ;

- en conséquence, condamner solidairement M. [E] [I] la société civile professionnelle SCP [A] [V] et [X] [C], M. [R] [U], la société civile professionnelle [R] [U] et [W] [H], la Chambre nationale des commissaires de justice ainsi que la chambre nationale des huissiers de justice, ou l'un à défaut de l'autre, à payer avec intérêts au taux légal, avec capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil à compter de l'assignation 5 Mars 2020 :

=$gt; à M. [O] les sommes de :

- 30 000 euros en réparation du préjudice moral ;

- 34 181,93 euros en réparation du préjudice matériel pour les honoraires d'avocat facturés par Me Bodart ;

- 5 400 euros en réparation du préjudice matériel pour la mission d'expertise en valeur de M [N] ;

- 32 280 euros en réparation du préjudice matériel pour les honoraires d'avocat à la cour de cassation facturés par Me Le Prado ;

- 185 252 euros au titre de la perte des dommages et intérêts fixés par le jugement du tribunal de grande instance d'Arras du 2 février 2015, diminués par l'arrêt de cour d'appel RG numéro 01/20, soit la moitié du montant de 370.504.00, justifié ci-avant, l'autre moitié revenant à Mme [B] ;

- 5 835 970 euros au titre de la perte des dommages et intérêts fixés par le jugement du tribunal de grande instance d'Arras du 2 février 2015, diminués par l'arrêt de cour d'appel RG numéro 02/20 ;

- Subsidiairement, au titre de la perte de chance de conserver le bénéfice définitif des jugements du 2 février 2015, 90 % du total des sommes susvisées (6 123 083,93 euros), soit la somme de 5 510 775,54 euros ;

- En toute hypothèse, 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la moitié des dépens de l'instance.

=$gt; à Mme [B] les sommes de :

- 30 000 euros, en réparation du préjudice moral ;

- 185 252 euros, au titre de la perte des dommages et intérêts fixés par le jugement du tribunal de grande instance d'Arras du 2 février 2015, diminués par l'arrêt de cour d'appel RG numéro 01/20, soit la moitié du montant de 370 504 euros, justifié ci-avant, l'autre moitié revenant à M. [O] ;

- Subsidiairement, au titre de la perte de chance de conserver le bénéfice définitif du jugement du 2 février 2015, 90 % du total des sommes susvisées (215 252 euros), soit la somme de 193 726,80 euros ;

- En toute hypothèse, 10 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la moitié des dépens de l'instance.

Subsidiairement, au titre de l'action oblique de M. [O] et Mme [B], condamner solidairement la Chambre nationale des huissiers de justice et la Chambre nationale des commissaires de justice à garantir M. [E] [I], la société civile professionnelle SCP [A] [V] et [X] [C] ; Maître [R] [U], la société civile professionnelle [R] [U] et [W] [H] de toutes les condamnations qui seront prononcées à leur encontre ;

Et, en conséquence, condamner in solidum M. [E] [I], la société civile professionnelle SCP [A] [V] et [X] [C] , M. [R] [U], ainsi que la société civile professionnelle [R] [U] et [W] [H] à leur payer l'intégralité des sommes ainsi obtenues au titre de la garantie de la Chambre nationale des huissiers de justice et de la Chambre nationale des commissaires de justice.

4.2. Aux termes de leurs conclusions notifiées le 3 juin 2022, la SCP [R] [U] et [W] [H], M. [R] [U], la SCP [A] [V] et [X] [C], M. [E] [I] et la CNCJ, intimés et appelants incidents, demandent à la cour de :

=$gt; à titre principal, confirmer partiellement le jugement critiqué des chefs du dispositif suivants :

- « déclare irrecevable l'action de M. [M] [O] et Mme [L] [B] à l'encontre de la chambre nationale des commissaires de Justice, venant aux droits de la chambre nationale des huissiers de justice.

- rejette le surplus des demandes indemnitaires ;

- condamne M. [M] [O] et Mme [L] [B] in solidum à supporter les dépens de l'instance et autorise Maître Amélie Delmaire à recouvrer directement les dépens dont elle aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision ».

Recevoir la SCP « [R] [U] et [W] [H] », Maître [R] [U], la SCP « [A] [V] et [X] [C] », M. [E] [I] et la Chambre nationale des commissaires de justice en leur appel incident et le dire bien-fondé.

En conséquence,

- infirmer partiellement le jugement critiqué des chefs du dispositif suivants :

* « condamne M. [E] [I], solidairement avec la SCP [A] [V] et [X] [C], et in solidum avec M. [R] [U], lui-même solidairement avec la SCP [R] [U] et [W] [H], à payer à M. [M] [O] la somme de 80,34 euros au titre du coût de l'acte de signification du 9 mars 2015 du jugement du juge de l'expropriation d'Arras.

* condamne M. [E] [I], solidairement avec la SCP [A] [V] et [X] [C], et in solidum avec M. [R] [U], lui-même solidairement avec la SCP [R] [U] et [W] [H], à payer à Mme [L] [B] la somme de 80,34 euros au titre du coût de l'acte de signification du 9 mars 2015 du jugement du juge de l'expropriation d'Arras.

- dit n'y avoir lieu à aucune condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ».

Statuant à nouveau,

- débouter M. [O] et Mme [B] de l'intégralité de leurs prétentions.

=$gt; A titre subsidiaire,

- rejeter les prétentions de M. [M] [O] et Mme [L] [B] formulées au titre de l'action oblique.

- débouter M. [M] [O] et Mme [L] [B] de leurs demandes indemnitaires au titre de la perte de chance.

=$gt; En tout état de cause,

- condamner in solidum M. [M] [O] et Mme [L] [B] à verser à la Chambre nationale des commissaires de justice la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum M. [M] [O] et Madame [L] [B] à verser à la SCP « [R] [U] et [W] [H] » et à Maître [R] [U] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum M. [M] [O] et Mme [L] [B] à verser à la SCP « [A] [V] et [X] [C] » la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner in solidum M. [M] [O] et Mme [L] [B] à verser à la M. [E] [I] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum M. [M] [O] et Mme [L] [B] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Amélie Delmaire, avocat aux offres de droit, sur le fondement de l'article 699 du Code de procédure civile.

Pour un exposé des moyens de chacune des parties, qui seront rappelés dans la motivation du présent arrêt, il y a lieu en l'état de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Par avis du 22 décembre 2022, communiqué le même jour aux parties par le greffe, le procureur général a indiqué qu'à titre principal, l'appel est irrecevable pour ne pas mentionner une demande de réformation ou d'annulation, et qu'à titre subsidiaire, il s'en rapporte à la sagesse de la cour.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l'appel :

* prétentions des parties :

Dans leurs dernières conclusions, M. [O] et Mme [B] prétendent que leur appel est recevable, dès lors que :

l'avis du procureur général, qui n'est pas un intervenant volontaire à l'instance, est lui-même irrecevable et ne lie pas la cour ;

cet avis est ambigu en ce qu'il ne distingue pas selon qu'une demande de réformation ou annulation concerne la déclaration d'appel ou les conclusions des appelants ; en tout état de cause, leur appel est recevable, dès lors que l'exigence formelle d'une mention d'une demande d'annulation ou de réformation du jugement critiqué n'est pas requise pour la validité tant de la déclaration d'appel elle-même que des conclusions comportant les prétentions de l'appelant.

* réponse de la cour :

D'une part, l'avis du procureur général a été valablement émis et notifié aux parties, dès lors qu'il a été sollicité d'office par la cour elle-même, en application de l'article 427 du code de procédure civile, au motif que la responsabilité civile d'un officier ministériel est recherchée dans le cadre de la présente instance. Il résulte d'une telle communication que le procureur général fait alors connaître son avis sur l'application de la loi en sa qualité de partie jointe. Cet avis est par conséquent recevable.

D'autre part, cet avis ne s'analyse pas comme une prétention dont est saisie la cour, même s'il a conduit M. [O] et Mme [B] à débattre contradictoirement de la sanction d'une absence de demande de réformation ou d'annulation tant dans une déclaration d'appel que dans des conclusions.

Au surplus, ainsi que les appelants principaux l'ont eux-mêmes indiqués au soutien de la recevabilité de leur appel, il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que, lorsque l'appelant ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement.

La déclaration d'appel étant postérieure à l'arrêt n° 18-23.626 rendu le 17 septembre 2020 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, il y a lieu d'appliquer la règle énoncée au présent litige.

En l'espèce, les dernières conclusions des appelants principaux, notifiées postérieurement à l'avis exprimé par le procureur général, comportent une telle demande de réformation du jugement critiqué.

L'appel principal est par conséquent recevable, alors que sa caducité n'est pas invoquée ou démontrée.

Sur la recevabilité des demandes formulées à l'encontre de la CNCJ :

* prétentions des parties :

M. [O] et Mme [B] prétendent que :

en application de l'article 789, 6° du code de procédure civile, seul le juge de la mise en état est compétent « à l'exclusion de toute autre formation du tribunal » pour statuer sur une fin de non-recevoir, de sorte que la CNCJ était irrecevable à présenter une telle fin de non-recevoir devant le tribunal statuant au fond.

En tout état de cause, la fin de non-recevoir n'est pas fondée, dès lors que la victime d'un fait dommageable causé par un huissier de justice (devenu commissaire de justice) bénéficie « nécessairement mais implicitement » d'une action directe à l'encontre de la CNCJ : à défaut, la garantie de cette dernière serait subordonnée à la volonté discrétionnaire du commissaire de justice d'assigner ou non la Chambre nationale aux fins de garantie. Si une maladresse rédactionnelle existe, l'esprit de la loi impose d'ouvrir un recours effectif aux victimes à l'encontre du garant.

Subsidiairement, si l'absence de recours direct à l'encontre de la CNCJ était confirmé par la cour, il appartient à la cour de juger que la garantie est acquise pour leur permettre d'exercer ultérieurement une action oblique à l'encontre de la Chambre nationale, et non un appel en garantie.

La CNCJ s'oppose à ces demandes, estimant qu'une telle prétention est irrecevable, dès lors que :

seule la cour est compétente pour statuer sur les fins de non-recevoir tranchées en première instance, et non le conseiller de la mise en état ; même si la fin de non-recevoir relevait en première instance du juge de la mise en état, la cour doit statuer sur ce point, au titre de l'effet dévolutif de l'appel ;

la garantie prévue par l'article 21 de l'ordonnance du 2 juin 2016 est due aux commissaires de justice, et non aux tiers. N'étant pas un assureur, la CNCJ n'est pas soumise aux dispositions de l'article L. 124-3 du code des assurances. En outre, une action attitrée, telle qu'une action directe, ne peut résulter que d'une qualité expressément attribuée par le législateur, étant observé que l'article 21 précité ne prévoit aucun droit d'action à l'encontre de la CNCJ. Enfin, seul le défendeur à l'instance peut former un appel en garantie en application des articles 334 et suivants du code de procédure civile, de sorte que les appelants ne sont pas recevables à former un tel appel en garantie à l'encontre de la CNCJ sur un tel fondement.

En cours de délibéré, la cour a autorisé les parties, par message adressé le 29 mars 2023 par RPVA, à présenter leurs observations dans une note en délibéré sur les points suivants :

- d'une part, le contrat souscrit par la CNHJ puis CNCJ s'analyse t il comme un contrat collectif à adhésion obligatoire ou comme une assurance pour compte '

- d'autre part, l'article 74 du décret 56-222 du 29 février 1956 disposait que « la chambre nationale des huissiers de justice peut, au moyen des cotisations spéciales prévues à l'article 55, dernier alinéa, du présent décret, contracter une ou plusieurs assurances garantissant l'ensemble des risques mis à la charge des chambres départementales.

Les modalités de fonctionnement de cette garantie sont fixées par le règlement intérieur visé à l'article 75 ci-après ».

La CNCJ a été invitée à produire, avant le 14 avril 2023, le règlement intérieur, dans sa version approuvée par le Garde des sceaux à la date du 9 mars 2015, pour permettre de déterminer les modalités de prise en charge d'un sinistre causé par un huissier de justice / commissaire de justice, ainsi que le contrat d'assurance qu'elle a souscrit et applicable dans le temps au sinistre invoqué par les appelants.

Dans sa note électroniquement notifiée le 12 avril 2023, la CNCJ a indiqué :

d'une part, que l'assurance qu'elle a souscrite s'analyse comme une assurance pour compte, dont bénéficie chaque huissier de justice. Elle joint le contrat d''assurance de responsabilité civile qu'elle a souscrit en « base réclamation » le 1er janvier 2019 pour une durée de trois ans auprès des MMA. Ce contrat est applicable à l'espèce, au regard de la date de réclamation présentée par M. [O] et Mme [B].

d'autre part, que l'article 74 du décret précité de 1956 ne comporte plus aucune référence au règlement intérieur, dans sa rédaction applicable au moment des faits litigieux (9 mars 2015) ; en outre, cet article ne concernait que les assurances garantissant l'ensemble des risques mis à la charge des chambres départementales, au titre de leurs attributions telles que définies par l'article 6 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, et non aux fautes commises par les huissiers de justice dans l'exécution de leurs diligences, lesquelles sont garanties par la seule Chambre nationale selon l'article 2 de ladite ordonnance.

Dans sa note électroniquement notifiée le 21 avril 2023, M. [O] et Mme [B] font valoir que le contrat souscrit auprès des MMA stipule que :

la CNHJ a la qualité d'assuré, en sa qualité de garant de la responsabilité civile des huissiers de justice vis à vis des tiers pour les garanties de ses chapitres II, IV et VI ; l'huissier de justice est le bénéficiaire de la garantie ;

le chapitre II désigne la CNHJ comme garant légal de la responsabilité civile professionnelle des huissiers de justice vis-à-vis des tiers, sans qu'un plafond de garantie ne soit prévu.

* réponse de la cour :

Sur la recevabilité de la fin de non-recevoir devant les premiers juges :

Si le juge de la mise en état était seul compétent pour statuer sur la fin de non-recevoir invoquée par la CNHJ en application du dernier alinéa de l'article 789 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 applicable à une telle instance introduite postérieurement au 1er janvier 2020 par acte des 5 et 6 mars 2020, M. [O] et Mme [B] n'ont toutefois pas invoqué devant le tribunal judiciaire que la CNHJ était irrecevable à invoquer une telle fin de non-recevoir postérieurement à l'ouverture des débats au fond. En conséquence, à défaut de tout chef du jugement critiqué portant sur une telle irrecevabilité tirée de l'article 789 précité, la cour n'est pas saisie d'une telle prétention.

Alors que M. [O] et Mme [B] soutiennent par ailleurs qu'ils « ne contestent pas la compétence du conseiller de la mise en état pour statuer sur ladite fin de non-recevoir » et que la cour n'est en tout état de cause pas compétente pour statuer sur l'irrecevabilité d'une telle fin de non-recevoir, l'effet dévolutif de l'appel permet en revanche à la cour d'appel de statuer sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir en garantie directement contre la CNCJ et afférente à la première instance, sur laquelle le tribunal judiciaire a statué dans un chef du dispositif de son jugement valablement critiqué par la déclaration d'appel.

Sur le bien-fondé de la fin de non-recevoir tirée d'un défaut de qualité de M. [O] et de Mme [B] à agir à l'encontre de la CNHJ devenue CNJC :

L'article 31 du code de procédure civile dispose que « l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ».

=$gt; sur l'absence d'action attitrée :

L'article 2, alinéa 3 de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers dispose que la chambre nationale des huissiers de justice garantit leur responsabilité professionnelle, y compris celle encourue en raison de leurs activités accessoires prévues à l'article 20 du décret n°56-222 du 29 février 1956 relatif au statut des huissiers de justice dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

Cette disposition n'instaure par conséquent aucune action attitrée, à défaut de réserver l'action à l'encontre de la CNHJ à certaines personnes exclusivement.

Pour autant, une telle circonstance produit l'effet inverse de celui invoqué par la CNHJ : au lieu d'interdire à M. [O] et à Mme [B] d'agir au motif que les clients victimes d'un huissier de justice ne sont pas expréssement désignés comme bénéficiant d'une action attitrée à l'encontre de la CNHJ, une telle absence d'action attitrée implique au contraire que toute personne ayant un intérêt légitime à agir à l'encontre de cette dernière est recevable à agir.

=$gt; sur la qualité à agir à l'encontre de la CNHJ :

La CNHJ a souscrit un contrat auprès des MMA, à effet du 1er janvier 2019 pour trois ans, dont les stipulations sont applicables à l'espèce, dès lors que la garantie est déclenchée par la réclamation intervenue entre sa prise d'effet et l'expiration d'un délai subséquent de 10 ans après sa résiliation ou expiration. À cet égard, la réclamation contentieuse résulte en l'espèce de l'assignation délivrée le 5 mars 2020 à la CNCJ.

L'article 2 du chapitre 2 de ce contrat d'assurance stipule que « la chambre nationale des huissiers de justice est le garant légal de la responsabilité civile professionnelle des huissiers de justice vis-à-vis des tiers, sachant que l'assureur accepte que la CNHJ fasse bénéficier de ses garanties les personnes définies au chapitre 1-E ».

Si la CNHJ est ainsi le souscripteur du contrat, qui la garantit contre les conséquences de la responsabilité civile des personnes définies au chapitre 1-E, les huissiers de justice intimés et leurs SCP d'exercice sont précisément bénéficiaires d'une assurance pour compte, dès lors qu'ils répondent à la définition figurant à la clause E-1 (page 4 du contrat d'assurance).

La CNHJ n'est pas l'assureur des huissiers de justice, mais leur garante financière. A ce titre, alors qu'elles ne sont d'ailleurs pas invoquées par M. [O] et Mme [B], les dispositions de l'article L. 124-3 du code des assurances ne sont pas applicables dans les relations entre la CNHJ et la victime d'un huissier de justice dont la responsabilité civile est engagée.

Pour autant, l'article III du chapitre IX intitulé « mise en 'uvre de l''indemnisation » du contrat d'assurance souscrit par la CNHJ réglemente toutefois la « procédure de gestion des sinistres », en précisant l'articulation entre la garantie directement due par cette dernière et la prise en charge d'un sinistre par l'assureur. Cette stipulation fait ressortir que la CNHJ et sa caisse de garantie procèdent à l'instruction du sinistre et « indemnisent le tiers, et ce dans la limite de sa rétention [']. La rétention est gérée par le CNHJ et sa caisse de garantie. La rétention est épuisée uniquement au fur et à mesure des règlements opérés, en principal comme en accessoires ».

Il en résulte clairement que les créanciers de l'indemnisation versée par la CNHJ sont directement les tiers victimes, et non l'huissier de justice.

En l'espèce, la CNHJ n'oppose pas un épuisement de sa rétention pour justifier qu'elle n'indemnise pas directement le préjudice subi par les tiers victimes d'un huissier de justice.

Plus généralement, et indépendamment d'une déclaration de sinistre transmise par l'huissier de justice dont la responsabilité civile professionnelle est recherchée par un client, la CNHJ est tenue, en application de l'article 2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, au titre d'une garantie financière d'origine légale, même si cette garantie s'adosse à une assurance de responsabilité civile professionnelle classique.

La stricte qualification d'action directe ne s'applique pas aux relations entre la CNHJ et les tiers victimes : en effet, alors que le titulaire d'une action directe agit contre le débiteur de son débiteur, la CNHJ n'est pas, en sa qualité de garante financière, la débitrice de l'huissier de justice dont la responsabilité civile professionnelle est recherchée par son client.

En définitive, ce type de garantie financière d'origine légale présente un caractère autonome, qui justifie que le client puisse assigner directement le garant (Ass. plén., 4 juin 1999, pourvoi n° 96-18094 : Bull. Ass. plén., n° 4).

Le jugement est par conséquent réformé en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action engagée par M. [O] et Mme [B] à l'encontre de la chambre nationale, indiquant qu'ils ne justifient pas disposer d'une action à son encontre.

A l'inverse, ils sont recevables à invoquer la garantie collective et illimitée imposée par le statut légal de la CNHJ au profit des clients d'un huissier de justice dont la responsabilité est engagée.

Sur la responsabilité des huissiers de justice et de leurs structures d'exercice:

Sur la faute :

Il n'est pas contesté que M. [O] et Mme [B] ont mandaté M. [I], huissier de justice à [Localité 11], pour procéder à la signification des jugements du 2 février 2015 à la SAEM Territoire 62 et que ces significations ont été effectuées le 9 mars 2015 par M. [U], huissier de justice à [Localité 12], au titre d'un acte détaché, alors qu'il est constant que la « SCP [E] [I] [A] [V] huissiers de justice associés » a succédé M. [I].

Le manquement des huissiers de justice est établi, dès lors que les actes de signification n'ont pas fait courir le délai d'appel en raison de l'omission de mentions, ainsi que l'a en définitive retenu la Cour de cassation dans ses arrêts du 16 mars 2017.

La faute imputable à la fois à l'huissier ayant rédigé les actes et à celui les ayant délivrés est par conséquent établie, en violation de leur obligation de rédiger des actes conformes aux exigences légales, dans des conditions ayant privé les significations litigieuses de leur efficacité.

Sur le lien de causalité avec les préjudices invoqués :

=$gt; au titre de la diminution des indemnités allouées par la cour d'appel :

* prétentions des parties :

Pour l'essentiel, M. [O] et Mme [B] prétendent qu'à défaut d'une telle faute, les indemnités d'expropriation fixées par les jugement du 2 février 2015 auraient été définitives puisque les appels dirigés contre ces jugements auraient été déclarés irrecevables, le premier pour défaut de jonction d'un mémoire d'appel, le deuxième et le troisième pour tardiveté, alors que leur préjudice est constitué par la réduction substantielle des montants fixés en appel par rapport à ceux fixés en première instance. Un jugement entaché d'une erreur de droit n'est pas moins irrévocable qu'un jugement conforme au droit, alors que l'autorité de chose jugée est étrangère à une telle distinction. Seule la faute commise a permis à Territoires 62 de régulariser une voie de recours, qui était à défaut irrévocablement caduque. Le préjudice subi résulte de la différence entre les indemnités fixées par le tribunal de grande instance d'Arras et celles fixées par la cour dans ses arrêts du 16 novembre 2020.

Ils ne contestent pas que les appels auraient été formés par Territoires 62, mais estiment qu'ils auraient de façon certaine été déclarés irrecevables.

Subsidiairement, ils font valoir qu'ils subissent une perte de chance que les deux jugements prononcés le 2 février 2015 deviennent irrévocables, qu'ils évaluent à 90 %.

Les huissiers de justice et la CNCJ contestent l'existence de préjudices indemnisables, à défaut d'être certains, directs personnels et légitime, dès lors que :

* le principe de réparation intégrale exclut une indemnisation au-delà du préjudice subi par la victime : sur ce point, la cour a infirmé les jugements du 2 février 2015 pour accorder sa juste indemnisation aux expropriés, dès lors qu'elle a rectifié l'appréciation erronée des premiers juges, qui avaient indemnisé en considération de terrains bâtis, et non à bâtir. Faire droit à la demande indemnitaire formée dans la présente instance équivaudrait à leur accorder une indemnisation supérieure au préjudice réellement subi ;

* le préjudice n'est pas certain : la demande se fonde sur des jugements qui ont perdu toute existence juridique, à la suite de l'appel formé à leur encontre et repose donc sur une base virtuelle.

* le préjudice n'est pas légitime : dès lors qu'une indemnisation aboutirait à valider une application erronée de la règle de droit dans les jugements du 2 février 2015 ; la perte d'un avantage dont l'obtention aurait été contraire au droit ne saurait être considérée comme un préjudice réparable ; l'enrichissement sans cause qui résulterait de la mise en 'uvre de jugements contraires au droit ne peut constituer un préjudice indemnisable.

* le préjudice n'est pas direct, ainsi que l'ont retenu les premiers juges : il est faux de prétendre que si les significations du 9 mars 2015 avaient été correctement effectuées, les appels formés le 7 août 2015 et le 1er février 2017 par Territoires 62 aurait été déclaré irrecevables comme tardifs. Dès réception des jugements, cette autorité expropriante avait manifesté son intention de faire appel et avait en outre déjà connaissance, dès la signification du 9 mars 2015, que ces dernières n'étaient pas régulières.

* subsidiairement, le préjudice allégué n'est pas réparable au titre d'une perte de chance : le préjudice invoqué n'étant pas réparable, il en est de même a fortiori dans l'hypothèse d'une perte de chance, laquelle doit présenter un caractère réel et sérieux.

* réponse de la cour :

Les jugements du 2 février 2015 ont fait l'objet de plusieurs appels formés par Territoires 62 :

- préalablement aux significations litigieuses : par déclarations d'appel du 27 février 2015 : pour autant, ces appels ont été déclarés caducs par arrêts de la chambre de l'expropriation de la cour d'appel en date du 18 janvier 2018, au motif que les conclusions d'appel de l'autorité expropriante n'étaient pas accompagnées de pièces, alors que les pourvois formés à l'encontre de ces arrêts ont été rejetés par arrêts de Cour de cassation du 27 avril 2017.

- postérieurement aux significations litigieuses du 9 mars 2015 :

** par déclarations d'appel du 7 août 2015 : alors que la cour d'appel avait déclaré ces appels irrecevables par arrêts du 21 mars 2016 comme tardifs en considération des significations du 9 mars 2015, la Cour de cassation a toutefois cassé le 16 mars 2017 ces arrêts au motif que l'absence de mention de la cour d'appel devant laquelle doit être porté l'appel et la mention de dispositions inapplicables au litige avaient empêché que les significations litigieuses aient fait courir le délai d'appel.

Par arrêts du 6 novembre 2017, la cour de renvoi a déclaré irrecevables les appels formés le 7 août 2015, faute d'intérêt à agir de Territoires 62 à régulariser à cette date de nouveaux appels alors que la caducité des appels du 27 février 2015 n'a été relevé que postérieurement, par arrêts du 18 janvier 2017.

** par déclarations d'appel du 1er février 2017 : les arrêts du 6 novembre 2017 ont enfin déclaré recevables ces appels, qui n'ont pas été jugés tardifs au seul motif que les actes de signification des jugements du 2 février 2015 n'avaient pas fait courir le délai d'appel.

Par arrêts du 23 mai 2019, la Cour de cassation a enfin cassé et annulé les arrêts du 6 novembre 2017, sauf en ce qu'ils ont déclaré irrecevable l'appel interjeté par Territoires 62 le 7 août 2015 et déclaré recevable l'appel interjeté par cette société le 1er février 2017.

La cour a définitivement fixé les indemnités d'expropriation par arrêts du 16 novembre 2020.

M. [O] et Mme [B] indiquent que leur préjudice est constitué par la différence entre les montants respectivement fixés par les jugements du tribunal de grande instance et par les arrêts rendus le 16 novembre 2020.

À cet égard, les huissiers de la justice et la CNCJ font toutefois valoir utilement que les indemnisations fixées par les jugements du 2 février 1945 reposent sur un erreur de droit, que la cour d'appel a en définitive rectifiée pour fixer un montant conforme à la règle de droit applicable.

Sur ce point, les arrêts rendus le 16 novembre 2020 par la cour d'appel relèvent que « le bien doit être évalué comme un terrain à bâtir, ce qu'il était au moment de l'expropriation, et non comme un terrain bâti, sans prendre en compte la valeur des constructions qui y ont été réalisées depuis, la règle de l'accession retenue à cet égard par le juge de l'expropriation étant inapplicable dès lors que l'exproprié ne reprend pas l'immeuble mais sollicite l'indemnisation de son préjudice. La prise en compte de la valeur des ouvrages procurerait en effet un enrichissement sans cause à l'exproprié qui ne les a pas financés, et elle introduirait une inégalité de traitement entre les expropriés en fonction de la valeur des constructions réalisées ».

M. [O] et Mme [B] ne disconviennent pas de l'erreur commise par le tribunal de grande instance d'Arras, ayant permis une indemnisation à hauteur des montants fixés largement au-delà de ceux évalués par la cour d'appel, dès lors qu'ils n'ont pas formé de pourvoi en cassation à l'encontre de ses arrêts du 16 novembre 2020 dont ils ont à l'inverse revendiqué le bénéfice en les faisant signifier par actes du 28 décembre 2020 à Territoires 62 et à la DDFP du Pas-de-Calais.

Compte tenu de l'illégalité d'une indemnisation par le juge de l'expropriation reposant sur une méthode erronée, M. [O] et Mme [B] ne justifient ainsi pas du caractère légitime du préjudice qu'ils invoquent à hauteur de la différence entre le montant fixé par la cour d'appel selon les règles de droit applicables et celui fixé par le tribunal de grande instance d'Arras en violation du droit. Dès lors, un tel préjudice n'est pas indemnisable.

Le jugement ayant débouté M. [O] et Mme [B] de leur demande de ce chef est par conséquent confirmé.

=$gt; au titre d'un préjudice moral :

M. [O] et Mme [B] invoquent un préjudice moral, résultant de l'allongement indu de la procédure, générateur d'angoisse, qui a été causé par la faute des huissiers de justice ayant permis à Territoires 62 de multiplier les instances d'appel et de cassation. Ils indiquent également la déception née de la diminution des indemnisations accordées au titre de leur expropriation.

La faute commise par les huissiers de justice a contribué à allonger la durée de traitement du litige opposant les expropriés à Territoires 62, en autorisant un appel ultérieur par ce dernier.

Le préjudice moral en résultant doit être indemnisé respectivement à hauteur de 2 000 euros.

Le jugement ayant débouté M. [O] et Mme [B] de leur demande de chef est par conséquent réformé.

=$gt; au titre des frais de justice :

Les premiers juges ont valablement retenus que les frais exposés par M. [O] et Mme [B] pour rémunérer leurs conseils juridiques dans le cadre des instances devant la cour d'appel et devant la Cour de cassation n'est pas en relation directe avec la faute commise, alors qu'une partie des recours a en outre été introduite à leur propre initiative.

* s'agissant des honoraires de Me Bodart :

Les honoraires exposés au titre des déclarations d'appel du 27 février 2015 n'ont pas de lien de causalité avec la faute reprochée aux huissiers de justice, qui leur est postérieure.

Les demandes au titre d'honoraires versés dans les procédures résultant de la déclaration d'appel du 7 août 2015 sont étrangères à la faute commise par les huissiers de justice, dès lors que ces appels formés par Territoires 62 ne résultent pas directement des significations dépourvus d'effet.

Devant la cour de renvoi, les honoraires ne sont pas davantage causés par cette faute, alors que l'irrecevabilité des appels du 7 août 2015 repose sur un défaut d'intérêt à agir de l'autorité expropriante.

S'agissant des honoraires versés dans les procédures résultant des déclarations d'appel du 1er février 2017, ils ne sont eux-mêmes pas directement causés par le manquement fautif des huissiers de justice, mais par la discussion juridique engagée sur les effets qui s'y attachent.

* s'agissant des honoraires de Me Le Prado, avocat aux Conseils :

Les honoraires de l'avocat aux conseils qu'ont exposés M. [O] et Mme [B] au titre des pourvois ayant donné lieu aux arrêts de rejet du 27 avril 2017 sont dépourvus de lien de causalité avec la faute commise par les huissiers de justice, alors que ces instances concernaient la caducité des appels formés le 27 février 2015.

Ceux exposés au titre des pourvois ayant donné lieu aux arrêts de cassation du 16 mars 2017 sont justifiés par la discussion juridique sur l'analyse par la cour d'appel d'un vice de forme n'ayant pas vocation à affecter les significations litigieuses en l'absence de grief démontré. Ces frais résultent ainsi de l'interprétation erronée de la cour d'appel du régime applicable à l'irrégularité affectant les significations, et non de la faute elle-même.

Ceux exposés au titre des pourvois ayant donné lieu aux arrêts de cassation du 23 mai 2019 tranchent également une question juridique étrangère à la faute commise par les huissiers de justice, dès lors qu'ils concernent la circonstance que la cour de renvoi s'est fondé à tort sur des conclusions du commissaires du gouvernement déposées dans le cadre de l'instance déclarée irrecevable.

Le jugement ayant débouté M. [O] et Mme [B] de ces demandes est confirmé de ce chef.

=$gt; au titre des frais d'expertise :

M. [O] et Mme [B] ne démontrent pas que les frais d'expertise amiable qu'ils ont exposés en appel n'auraient pas dû intervenir, malgré la faute commise par les huissiers de justice. Le jugement ayant rejeté cette demande est confirmé.

Sur les intérêts :

S'agissant des indemnisations allouées, il résulte de l'article 1231-7 alinéa 2 du code civil, qu'en cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l'indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d'appel, aucune circonstance ne justifiant en l'espèce de déroger à cette règle.

Ces intérêts de ces sommes seront capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, à compter du 5 janvier 2023, dès lors qu'il ne résulte pas du jugement critiqué qu'une telle demande de capitalisation annuelle ait été formulée en première instance.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

d'une part à infirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

et d'autre part, à condamner les huissiers de justice et leurs structures d'exercice, outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, à payer respectivement à M. [O] et à Mme [B] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures devant les premiers juges et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement rendu le 16 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Lille en ce qu'il a :

- condamné M. [E] [I], solidairement avec la SCP [A] [V] et [X] [C], et in solidum avec M. [R] [U], lui-même solidairement avec la SCP [R] [U] et [W] [H], à payer à M. [M] [O] la somme de 80,34 euros au titre du coût de l'acte de signification du 9 mars 2015 du jugement du juge de l'expropriation d'Arras ;

- condamné M. [E] [I], solidairement avec la SCP [A] [V] et [X] [C], et in solidum avec M. [R] [U], lui-même solidairement avec la SCP [R] [U] et [W] [H], à payer à Mme [L] [B] la somme de 80,34 euros au titre du coût de l'acte de signification du 9 mars 2015, du jugement du juge de l'expropriation d'Arras ;

Réforme le jugement pour le surplus, dans la limite de ses dispositions soumises à la cour, en ce qu'il a :

- déclaré irrecevable l'action de M. [M] [O] et Mme [L] [B] à l'encontre de la chambre nationale des commissaires de justice venant aux droits de la chambre nationale des huissiers de justice ;

- rejeté le surplus des demandes indemnitaires ;

- condamné M. [M] [O] et Mme [L] [B] in solidum à supporter les dépens de l'instance et autorisé Maître Amélie Delmaire à recouvrer directement les dépens dont elle aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision ;

- dit n'y avoir lieu à aucune condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Et statuant à nouveau sur ces chefs réformés et y ajoutant :

- déclare recevable l'action de M. [M] [O] et de Mme [L] [B] à l'encontre de la chambre nationale des commissaires de justice venant aux droits de la chambre nationale des huissiers de justice ;

- condamne M. [E] [I], solidairement avec la SCP [A] [V] et [X] [C], et in solidum avec M. [R] [U], lui-même solidairement tenu avec la SCP [R] [U] et [W] [H], à payer à M. [M] [O] la somme de 2 000 euros au titre d'un préjudice moral ;

- condamne M. [E] [I], solidairement avec la SCP [A] [V] et [X] [C], et in solidum avec M. [R] [U], lui-même solidairement tenu avec la SCP [R] [U] et [W] [H], à payer à Mme [L] [B] la somme de 2 000 euros, au titre d'un préjudice moral ;

- dit que la Chambre nationale des commissaires de justice, venant aux droits de la Chambre nationale des huissiers de justice doit garantir la responsabilité civile professionnelle de M. [E] [I], la SCP [A] [V] et [X] [C], M. [R] [U], et la SCP [R] [U] et [W] [H], en application de l'article 2, alinéa 3 de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 ;

- condamne en conséquence la Chambre nationale des commissaires de justice, venant aux droits de la Chambre nationale des huissiers de justice, à payer à M. [M] [O] et à Mme [L] [B] l'ensemble des sommes précitées, in solidum avec M. [E] [I], la SCP [A] [V] et [X] [C], M. [R] [U], et la SCP [R] [U] et [W] [H], en application de l'article 2 de la loi ;

Dit que les intérêt au taux légal courent à compter du 16 novembre 2021 sur la sommes prononcées par le jugement critiqué dont la confirmation a été prononcée, et à compter du présent arrêt sur le solde de la condamnation prononcée par la cour;

Ordonne la capitalisation des intérêts, dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, à compter du 5 janvier 2023 ;

Condamne M. [E] [I], solidairement avec la SCP [A] [V] et [X] [C], et in solidum avec M. [R] [U], lui-même solidairement tenu avec la SCP [R] [U] et [W] [H], aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne M. [E] [I], solidairement avec la SCP [A] [V] et [X] [C], et in solidum avec M. [R] [U], lui-même solidairement tenu avec la SCP [R] [U] et [W] [H] à payer respectivement à M. [M] [O] et Mme [L] [B] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés tant en première instance qu'en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.

Le Greffier

Fabienne Dufossé

Le Président

Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/06320
Date de la décision : 01/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-01;21.06320 ?
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