République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 01/06/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 20/01979 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TANY
Jugement n° 2020002251 rendu le 10 mars 2020 par le tribunal de commerce de Lille Métropole
APPELANTS
Monsieur [P] [J]
né le [Date naissance 3] 1953 à [Localité 11], de nationalité française,
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Guillaume Boureux, avocat constitué, substitué par Me Lauralee Lorette, avocats au barreau de Lille
assisté de Me Olivier Cren et Me Célia Akdar, avocats au barreau de Paris, avocats plaidants
Monsieur [K] [E]
né le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 9], de nationalité française,
demeurant [Adresse 4]
SAS Kernails représentée par M. [P] [J] en sa qualité de président
ayant son siège social [Adresse 6]
société en liquidation judiciaire
représentés par Me Guillaume Boureux, avocat au barreau de Lille
assistés de Me Olivier Cren et Me Célia Akdar, avocats au barreau de Paris
avocats ayant dégagé leur responsabilité par courriel en date du 17 janvier 2022
INTIMÉES
SA Banque Populaire du Nord prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 7]
représentée par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Philippe Vynckier, avocat plaidant, substitué par Me Olivier Playoust, avocat au barreau de Lille,
SELARL WRA prise en la personne de Me [D] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS Kernails
sise [Adresse 8]
défaillante à qui l'assignation en reprise d'instance a été signifiée le 16 décembre 2021 à personne habilitée
SELAFA MJA agissant en la personne de Me [U] [M] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Kernails
défaillante à qui l'assignation en reprise d'instance a été signifiée le 10 juin 2022 à personne habilitée
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Clotilde Vanhove, conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs
DÉBATS à l'audience publique du 16 mars 2023 tenue en double rapporteurs par Pauline Mimiague et Clotilde Vanhove après accord des parties et dont le rapport a été instruit par Mme Mimiague.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT REPUTÉ CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 01 juin 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président, et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 8 mars 2023
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EXPOSÉ DU LITIGE
La société Kernails a ouvert un compte bancaire (n° [XXXXXXXXXX05]) dans les livres de la société Banque populaire du Nord puis a souscrit au mois de mars 2018 auprès de cette banque un prêt professionnel d'un montant de 80 000 euros garanti par les cautionnements solidaires de MM. [P] [J] (président et associé) et [K] [E] (associé), donnés par deux actes séparés au mois de mars 2018 dans la limite de 40 000 euros chacun et pour une durée de 108 mois.
Suite à des impayés, la Banque populaire du Nord a, par assignations des 29 et 31 janvier 2020, saisi le tribunal de commerce de Lille métropole aux fins de voir condamner la société Kernails au titre du prêt et du solde débiteur du compte ainsi que MM. [J] et [E] en qualité de cautions.
Par jugement réputé contradictoire du 10 mars 2020, le tribunal de commerce a :
- condamné la société Kernails à payer à la Banque populaire du Nord la somme de 7 410, 32 euros au titre du solde débiteur de compte n° [XXXXXXXXXX05] outre intérêts de retard au taux légal à compter du 18 septembre 2019 et la somme de 73 518,61 euros au titre du solde de prêt n° 08695706 outre intérêts de retard au taux conventionnel de 1,20 % à compter du 18 septembre 2019,
- condamné MM. [J] et [E] ensemble et ce, solidairement avec la société Kernails, à payer à la Banque populaire du Nord les sommes restant dues au titre du prêt n° 08695706 et ce dans la limite de leur cautionnement respectif de 40 000 euros et à hauteur de 50 % de l'encours du prêt, soit la somme de 32 637,38 euros suivant décompte arrêté à la date du 18 septembre 2019, somme à parfaire,
- condamné solidairement la société Kernails, MM. [E] et [J] à payer à la Banque populaire du Nord la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné solidairement la société Kernails et MM. [E] et [J] aux entiers dépens, taxés et liquidés à la somme de 105,60 euros en ce qui concerne les frais de greffe.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 5 juin 2020, MM. [J] et [E] et la société Kernails ont relevé appel aux fins d'annulation du jugement ou d'infirmation de l'ensemble de ses chefs.
Par jugement du 9 novembre 2021 le tribunal de commerce de Dunkerque a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Kernails ; le 29 novembre 2021 la Banque populaire du Nord a procédé à la déclaration de sa créance, complétée par une déclaration du 7 décembre 2021 et le 16 décembre 2021 a assigné 'en reprise d'instance' devant cette cour la SELARL WRA, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Kernails.
Saisi d'une tierce opposition, le tribunal de commerce de Dunkerque a rétracté son jugement et s'est déclaré incompétent pour connaître de l'ouverture de la procédure en liquidation et par jugement du 12 avril 2022 le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire simplifiée de la société Kernails et désigné en qualité de liquidateur judiciaire la SELAFA MJA, prise en la personne de Mme [U] [M]. La Banque populaire du Nord a procédé à sa déclaration de créance auprès du liquidateur judiciaire le 17 mai 2022 et l'a assigné devant cette cour en reprise d'instance le 10 juin 2022.
Aux termes de leurs conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 4 septembre 2020, M. [J], M. [E] et la société Kernails demandent à la cour de :
- réformer le jugement en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
- à titre principal, constater que la Banque Populaire du Nord ne rapporte pas la preuve de ce que la société Kernails, M. [J] et M. [E] ont été valablement touchés par l'acte introductif d'instance
- par conséquent, dire et juger que les actes introductifs ainsi que la procédure subséquente sont nuls,
- en tout état de cause, dire et juger que l'assignation délivrée le 31 janvier 2020 à M. [E] ne l'a pas été dans les conditions de l'article 659 du code de procédure civile,
- par conséquent, dire et juger que la procédure ayant donné lieu au jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille le 10 mars 2020 est nulle à l'égard de M. [E],
- subsidiairement, dire et juger que l'engagement de caution de M. [E] est nul pour absence de cause,
- en tout état de cause, condamner la Banque populaire du Nord à leur verser la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 23 février 2023 la Banque populaire du Nord demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- fixer sa créance au passif de la société Kernails en vertu du jugement prononcé par le tribunal de commerce de Lille Métropole comme suit, pour un total de 83 954,39 euros :
- principal au titre du prêt n° 08695706 : 73 518, 61 euros,
- intérêts au taux de 1, 20 % du 18 septembre 2019 au 12 avril 2022 : 2 264,78 euros
- intérêts postérieurs : mémoire
- article 700 du code de procédure civile : 500 euros
- dépens 1ère instance : 105,60 euros
sous-total : 76 388, 99 euros
- au titre du solde débiteur de compte n° [XXXXXXXXXX05] : 7 410, 32 euros
- intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 2019 au 12 avril 2022 : 155,08 euros
sous-total : 7 565,40 euros
- rejeter l'intégralité des demandes, fins et conclusions des appelants et de la SELAFA MJA,
au surplus,
- condamner solidairement la SELAFA MJA, ès qualités, MM. [E] et [J] à la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et ce en cause d'appel et aux entiers frais et dépens d'appel.
Assignés à personne morale, les liquidateurs judiciaires n'ont pas constitué avocat.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 mars 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 16 mars suivant.
MOTIFS
Sur la nullité des actes introductifs d'instance
Alors que la Banque populaire du Nord verse aux débats les assignations et les actes de signification de celles-ci M. [J] et la société Kernails, qui se bornent à soutenir qu'ils n'ont jamais été en mesure de prendre connaissance de l'assignation initiale, ne soulèvent aucun moyen pour remettre en cause la régularité de ces actes. Il n'y a pas lieu en conséquence de les annuler.
S'agissant de l'assignation de M. [E], délivrée dans les conditions de l'article 659 du code de procédure civile, celui-ci soutient que l'huissier de justice ne pouvait dresser un procès verbal de recherche infructueuse alors qu'il s'était fait confirmer l'adresse du lieu de travail où il s'est rendu pour délivrer l'assignation et aurait dû procéder à une signification à cette adresse, si besoin par remise de l'acte à un tiers présent ; il fait valoir que le défaut de signification valable lui cause un grief puisqu'il n'a pas été en mesure de présenter sa défense en première instance.
Il résulte des articles 654, 655 et 656 du code de procédure civile que la signification doit être faite à personne, que, si elle s'avère impossible, l'acte peut être délivré soit à domicile, soit à défaut de domicile connu, à résidence, l'huissier de justice devant relater dans l'acte les diligences accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l'impossibilité d'une telle signification et mentionner les vérifications faites confirmant que l'adresse du destinataire. Les articles 657 et 658 du même code fixent les conditions dans lesquelles l'huissier de justice doit aviser le destinataire de l'acte et le mettre à sa disposition.
Selon l'article 659 du code de procédure civile, lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte ; le jour même ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l'huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une copie du procès-verbal, à laquelle est jointe une copie de l'acte objet de la signification et avise le destinataire, par lettre simple, de l'accomplissement de cette formalité.
Il ne résulte pas de ces dispositions qu'à défaut de domicile connu du destinataire de l'acte l'huissier de justice soit tenu de signifier l'acte sur son lieu de travail sauf afin de procéder à une signification à personne. Si le lieu de travail du destinataire de l'acte est connu, l'huissier de justice doit tenter une signification à personne en ce lieu, mais si la signification à personne ou à domicile n'est pas possible, la signification doit se faire à la dernière adresse connue, aucune disposition n'imposant une autre signification sur le lieu de travail.
En l'espèce, l'huissier de justice a dressé un procès-verbal de recherche infructueuse en application de l'article 659 du code de procédure civile et signifié l'acte à la dernière adresse connue, située [Adresse 4] à [Localité 10], où il s'est rendu et dont il n'est pas contesté qu'il s'agit de la dernière adresse connue de la banque. L'huissier de justice mentionne également sur l'acte qu'il s'est déplacé à l'adresse [Adresse 6] à [Localité 10] en précisant : 'sur place j'ai rencontré les employés d'une société dont le représentant légal est M. [E]. Les employés m'indiquent que le requis ne réside pas à cette adresse, qu'il s'agit de son lieu de travail et que M. [E] n'était pas présent'.
Il en résulte que la signification de l'acte est régulière au regard des règles rappelées ci-dessus.
Il convient dès lors de rejeter la tendant à voir annuler l'acte et 'la procédure ayant donné lieu au jugement'.
Sur la nullité de l'engagement de caution de M. [E]
M. [E] conclut à la nullité de son engagement de caution pour absence de cause au motif qu'à la date de son engagement l'obligation qu'il avait pour objet de garantir n'existait pas puisque le prêt n'a été signé que postérieurement. La banque lui oppose que la cause n'est pas une condition de validité des contrats depuis l'ordonnance du 10 février 2016, que la contrepartie exigée désormais par le nouvel article 1169 du code civil réside dans la dette à garantie, qu'un cautionnement peut garantir des dettes futures, et, en tout état de cause, que le prêt a été signé le même jour que le cautionnement.
Selon l'article 2289 du code civil, le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable.
Le caractère accessoire du cautionnement n'interdit pas un cautionnement portant sur une dette future. Un cautionnement consenti avant la signature de l'acte principal portant l'obligation cautionnée n'est toutefois valable que si la caution a connaissance de la nature et de l'étendue de l'obligation au moment de son engagement, c'est-à-dire si la dette est déterminée ou au moins déterminable. Tel est le cas en l'espèce puisque l'acte de caution de M. [E] identifie parfaitement le débiteur principal, le créancier ainsi que l'obligation garantie (mention du prêt, de son numéro, de son montant, de ses conditions de remboursement notamment).
En outre la cour relève que si l'exemplaire du prêt communiqué par M. [E] porte la date du 21 mars et son engagement de caution la date du 20 mars 2021, les exemplaires communiqués par la banque portent tous deux une signature au 27 mars 2018.
Le moyen tiré de la nullité de l'engagement de caution doit en conséquence être écarté.
Sur les demandes en paiement de la banque
Il y a lieu de confirmer le jugement s'agissant des condamnations prononcées contre les cautions qui ne sont pas autrement contestées et dont il est demandé confirmation par la banque.
S'agissant des créances à l'égard de la société Kernails au titre du solde débiteur du compte bancaire et du prêt, la banque sollicite l'actualisation de sa créance au 12 avril 2022 s'agissant des intérêts. Il n'y a toutefois pas lieu de liquider les intérêts arrêtés à cette date compte tenu des règles de la procédure collective relative à l'arrêt du cours des intérêts. Il convient dès lors de confirmer le jugement quant aux montants alloués ' ce qui n'empêchera pas la banque d'obtenir les intérêts auxquels elle a droit ' sauf à fixer la créance de la banque à la procédure collective,.
Sur les demandes accessoires
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, il convient de confirmer le jugement s'agissant des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile, sauf à modifier le jugement pour tenir compte de l'ouverture de la procédure collective de la société Kernails.
Il convient en outre de mettre les dépens d'appel à la charge des cautions, qui succombent, et d'allouer à l'intimée la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, mise à la charge des cautions.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf à fixer les créances de la société Banque populaire du Nord au passif de la procédure collective de la société Kernails ;
Amendant en conséquence le jugement :
Fixe au passif de la procédure collective de la société Kernails les créances de la société Banque populaire du Nord :
- au titre du solde débiteur du compte ° [XXXXXXXXXX05], à la somme de 7 410, 32 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 septembre 2019,
- au titre du prêt n° 08695706, à la somme de 73 518,61 euros avec intérêts au taux conventionnel de 1,20 % à compter du 18 septembre 2019,
- au titre de l'indemnité allouée en première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à la somme de 500 euros due solidairement avec M. [K] [E] et M. [P] [J],
- les dépens de première instance dus solidairement avec M. [K] [E] et M. [P] [J] ;
y ajoutant,
Rejette les demandes tendant à voir annuler les actes introductifs d'instance et la 'procédure subséquente' ou 'ayant donné lieu au jugement' ;
Rejette la demande tendant à voir annuler le cautionnement de M. [K] [E] ;
Condamne in solidum M. [K] [E] et M. [P] [J] aux dépens d'appel ;
Condamne in solidum M. [K] [E] et M. [P] [J] à payer à la société Banque populaire du Nord la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Valérie Roelofs
Le président
Dominique Gilles