République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 01/06/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 20/01469 - N° Portalis DBVT-V-B7E-S6WN
Jugement n°2018017838 rendu le 15 janvier 2020 par le tribunal de commerce de Lille Métropole
APPELANTE
SA Dalkia agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat constitué, substituée par Me Lucas Dallongeville, avocats au barreau de Douai
assistée de Me Alexia Eskinazi, avocat plaidant, substituée par Me Emeline Pietrucha, avocats au barreau de Paris
INTIMÉE
SA Engie Energie Services prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Florent Mereau, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
assistée de Me Pamela Ledun, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
DÉBATS à l'audience publique du 15 mars 2023 tenue par Pauline Mimiague magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Clotilde Vanhove, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 01 juin 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 15 février 2023
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EXPOSÉ DU LITIGE
Le 17 juin 2013 la société Dalkia, qui exploite une centrale de cogénération produisant de la chaleur et de l'électricité, ainsi que la société dénommée aujourd'hui Engie Energie Services (ci-après 'Engie'), exploitant du réseau de chaleur de la commune de [Localité 5] dans le cadre d'un contrat de délégation de service public et ladite commune ont conclu une 'convention de fourniture de chaleur'. La convention précise qu'elle a 'pour objet de définir les conditions et modalités suivant lesquelles le FOURNISSEUR [Dalkia] s'engage à fournir au réseau de chauffage urbain de [Localité 5] (ci-après 'le Réseau') et le CLIENT [Engie] à enlever la chaleur produite par la Cogénération destinée également à produire de l'électricité vendue à EDF dans le cadre d'un contrat de vente d'électricité avec obligation d'achat dans les conditions d'un contrat dit 'C01-Rénové' '. La convention a fait l'objet d'un avenant n° 1 applicable au 1er novembre 2013.
Il est prévu que les engagements réciproques du fournisseur et du client varient selon que la centrale de cogénération fonctionne en 'mode continu semaine pleine' ou en 'mode de mise à disposition du système électrique' (aussi désigné ci-après mode 'MDSE') et il est prévu dans ce cas que le fournisseur verse une indemnité au client (article 5.2).
Le 21 novembre 2017, la société Engie a émis contre la société Dalkia deux factures au titre de l'indemnité de mise à disposition du système électrique, l'une pour un montant de 41 118,85 euros TTC pour la saison 2015-2016, correspondant aux mois de novembre à mars inclus, (facture n° 201711NI00068), l'autre pour un montant de 42 181,45 euros TTC (n° 201711NI00069) pour la saison 2016-2017. La société Dalkia a contesté ces factures.
Le 12 novembre 2018, la société Engie l'a assignée en paiement devant le tribunal de commerce de Lille Métropole.
Par jugement du 15 janvier 2020 le tribunal a :
- condamné la société Dalkia au règlement de l'indemnité d'astreinte pour la saison 2015-2016 et confirmé la facture correspondant au retrait de chaleur pour la saison 2016-2017,
- enjoint aux parties dans un délai de trente jours suivant la signification du présent jugement à faire leurs comptes entre elles pour le chiffrage des deux factures,
- condamné la société Dalkia à payer à la société Engie la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Dalkia aux entiers frais et dépens de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 73,24 euros en ce qui concerne les frais de greffe,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 16 mars 2020 la société Dalkia a relevé appel tendant à l'annulation du jugement ou à la réformation de tous ses chefs.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 15 mars 2022 la société Dalkia demande à la cour de :
- à titre principal, annuler le jugement,
- à titre subsidiaire, l'infirmer en l'ensemble de ses dispositions,
statuant à nouveau :
- débouter la société Engie de l'ensemble de ses demandes,
- la condamner à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 8 février 2022 la société Engie demande à la cour de :
- débouter la société Dalkia de l'ensemble de ses demandes,
- confirmer le jugement en ce qu'il a admis le bien fondé de la demande de paiement formulée à l'encontre de la société Dalkia,
- déclarer recevable et bien fondée la société Engie en son appel incident,
- infirmer le jugement en ce qu'il la déboute de sa demande tendant à la condamnation de la société Dalkia à lui verser les sommes correspondant aux factures n° 201711NI00068 et n° 201711NI00069, à savoir respectivement 41 118,85 et 42 181,45 euros, avec application des pénalités contractuelles au taux BCE en vigueur + 10 points à compter respectivement du 1er janvier 2018 et du 22 décembre 2017,
- statuant à nouveau, condamner la société Dalkia à lui verser les sommes correspondant aux factures n° 201711NI00068 et n° 201711NI00069, à savoir respectivement 41 118,85 et 42 181,45 euros, avec application des pénalités contractuelles au taux BCE en vigueur + 10 points à compter respectivement du 1er janvier 2018 et du 22 décembre 2017, date d'échéances desdites factures,
- en tout état de cause, la condamner à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.
La clôture de l'instruction est intervenue le 15 février 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 15 mars suivant.
MOTIFS
Sur la nullité du jugement
Vu les articles 455 et 458 du code de procédure civile.
L'appelante conclut à la nullité du jugement au motif qu'il ne serait pas motivé.
Dans ses motifs, le premier juge s'est borné à affirmer que l'indemnité prévue à l'article 5-2 'sera considéré par le tribunal comme une astreinte' et qu'il y avait lieu en conséquence de condamner la société Dalkia à payer les 'redevances dues pour la saison 2015-2016 au titre de l'astreinte' et pour la saison 2016-2017 'au titre du fonctionnement effectif de la MDSE', sans s'expliquer sur sa position, notamment au regard des arguments de la société Engie, ni répondre aux contestations de la société Dalkia, et il ne tranche pas la demande en paiement puisqu'il renvoie les parties à faire les comptes entre elles en raison de la 'technicité des modalités de calculs des indemnités contractuelles'.
Le jugement n'expose ainsi pas les justifications qui ont conduit à la décision et n'est donc pas motivé. Il convient en conséquence de l'annuler pour défaut de motivation.
Sur le fond
L'article 2 (engagements de fourniture et d'enlèvement de la chaleur) de l'avenant n° 1 à la convention de fourniture de chaleur prévoit que les engagements des parties varient selon que la Cogénération fonctionne en 'mode continu semaine plaine' ou en 'mode de mise à disposition du système électrique, tels que ces modes sont définis aux termes des dispositions applicables au contrat EDF et notamment des dispositions de l'article 3 bis alinéas 2 et 4 de l'arrêté tarifaire tel que modifié par l'arrêté tarifaire modificatif'.
Cet article prévoit que le mode de fonctionnement de la centrale de cogénération par défaut est le mode continu et qu'elle 'pourra fonctionner en mode de mise à disposition du système électrique pour un ou plusieurs mois d'hiver déterminés, sous réserve que soient réunies les conditions posées par le Contrat EDF modifié et que le CLIENT en fasse la demande par écrit, notamment par mail, au FOURNISSEUR, et copie au DELEGANT, pour chaque mois considéré, au plus tard deux jours ouvrés avant la date maximale de prévenance d'EDF'. Il précise qu'en mode de MDSE, la cogénération sera à l'arrêt et ne fonctionnera que sur appels d'EDF qui en prendra la décision en fonction des besoins du système électrique.
L'article 2.2 précise que 'le FOURNISSEUR s'engage à fournir au CLIENT de la chaleur récupérée lors du fonctionnement de la Cogénération, en substitution partielle de la chaleur produite sous chaudière par le CLIENT pour la production de chaleur. Le CLIENT s'engage à enlever cette chaleur issue de la Cogénération'.
L'article 4 précise que la chaleur livrée par le FOURNISSEUR est facturée au CLIENT au travers de la redevance 'R1cogé' selon une valeur de base précisée et variant selon le nombre de groupes électrogènes en fonctionnement.
Enfin l'article 5 fixe les conditions de'variation des prix', d'une part, en ce qui concerne le mode continu (§ 5.2), d'autre part, en ce qui concerne le mode MDSE. Sur ce dernier point, le paragraphe 5.2 stipule : 'en cas de fonctionnement en mode de mise à disposition du système électrique, le FOURNISSEUR versera mensuellement, au début du mois suivant la mise à disposition du système électrique, au CLIENT une indemnité IDISPO' et fixe la formule mathématique applicable pour calculer cette indemnité, les données utilisées pour ce calcul étant définies dans l'acte.
La société Dalkia soutient que cette indemnité n'est due qu'en cas d'utilisation effective de la cogénération (en cas d'appel d'EDF), car elle compense l'obligation de la société Engie de retirer la chaleur fournie. La société Engie soutient que l'indemnité doit lui être versée dès lors qu'elle opte pour le mode de fonctionnement MDSE et que la circonstance qu'EDF ne procède à aucun appel sur la période durant laquelle la centrale est en mode MDSE n'est pas de nature à exclure le paiement de l'indemnité qui a pour objet de compenser financièrement la disponibilité dont elle fait preuve pour être en mesure de retirer la chaleur à tout moment.
En premier lieu, la cour relève que le fait que le contrat prévoit que l'indemnité est versée 'mensuellement, au début du mois suivant la mise à disposition du système électrique' n'implique pas qu'elle est nécessairement due dès lors qu'il a été fait le choix d'un fonctionnement en mode MDSE.
L'article 3 bis de l'arrêté tarifaire tel que rappelé par la société intimée ne fait que confirmer les modalités de fonctionnement du mode MDSE indiquées dans la convention modifiée par l'avenant (quant à l'intervention d'EDF) et n'éclaire nullement sur l'objet de l'indemnité en cause.
Il apparaît que la formule de calcul de l'indemnité, comme le soutient la société Dalkia, n'est pas applicable mathématiquement en l'absence de tout appel d'EDF (aucune heure de fonctionnement effectif), dans la mesure où le calcul implique dans un tel cas une opération avec le nombre zéro en dénominateur (pour le calcul de la donnée 'Dmfct' utilisée pour le calcul de la donnée 'ECMfct' qui intervient dans la formule de calcul de l'indemnité), en soi impossible, comme cela ressort d'ailleurs des documents joints aux factures émises par Engie sur lesquelles la donnée 'ECMfct' n'est pas, comme les autres, chiffrée, et est donc indéterminée (il est affiché la mention '#DIV/0!').
Il en résulte que de manière claire le contrat exclut l'absence d'indemnité lorsque la centrale ne fait l'objet d'aucune utilisation effective alors qu'elle est en mode MDSE, sans qu'il y ait lieu alors de rechercher la commune intention des parties, et la société Engie ne rapporte la preuve ni d'un surcoût supporté par elle dans une telle hypothèse pouvant justifier une indemnité, ni d'une prestation accessoire à la vente de chaleur susceptible de générer une rémunération. Les considérations relatives à l'intérêt de la société Dalkia de conserver un statut de cogénérateur ou les conditions de détermination de l'indemnité dans la convention initiale sont sans conséquence au regard de ce constat.
Dès lors, la société Engie ne peut se prévaloir d'une indemnité pour les mois où la centrale a fonctionné en mode MDSE sans appel d'EDF.
L'émission d'une facture unique pour une période de plusieurs mois ne justifie pas de priver la société Engie de l'indemnité due pour le mois de janvier 2017, seul mois pour lequel il est acquis que la centrale a effectivement fonctionné sur appels d'EDF, et la société Dalkia ne conteste pas le montant demandé pour cette période puisqu'elle affirme qu'elle 'valide le montant calculé par la société Engie en cas d'appels d'EDF et donc pour le mois de janvier 2017'.
Il convient en conséquence de condamner la société Dalkia à payer à la société Engie la somme de 9 245,35 euros à ce titre et de rejeter le surplus de ses demandes.
La société Engie sollicite l'application de pénalités de retard 'prévues par les factures' ou 'contractuellement prévues'(application du taux BCE majoré de dix points) mais, d'une part, les factures ne mentionnent pas une telle pénalité, d'autre part, la cour ne décèle pas de dispositions contractuelles la prévoyant. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à cette demande.
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, et la société Engie succombant à titre principal dès lors que la société Dalkia n'a jamais contesté le principe d'une indemnité due pour le mois de janvier 2017, il convient de laisser les dépens de première instance et d'appel à la charge de l'appelante et d'allouer à la société Dalkia la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
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PAR CES MOTIFS
La cour,
Annule jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille Métropole le 15 janvier 2020 ;
Condamne la société Dalkia à payer à la société Engie Energie Services la somme de 9 245,35 euros au titre de la facture du 21 novembre 2017 relative à l'indemnité de mise à disposition du système électrique 2016/17 (n° 201711NI00069) ;
Déboute la société Engie Energie Services du surplus de sa demande au titre cette facture, de sa demande au titre de la facture relative à l'indemnité de mise à disposition du système électrique 2015/16 du 21 novembre 2017 (n° 201711NI00068) et de sa demande au titre des pénalités de retard ;
Condamne la société Engie Energie Services aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne la société Engie Energie Services à payer à la société Dalkia la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Valérie Roelofs
Le président
Dominique Gilles