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26/05/2023 | FRANCE | N°21/02116

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 26 mai 2023, 21/02116


ARRÊT DU

26 Mai 2023







N° 712/23



N° RG 21/02116 - N° Portalis DBVT-V-B7F-UAWF



MLBR/CH

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Lannoy

en date du

16 Décembre 2021

(RG 20/00207 -section )











































GROSSE :



aux avocats



le 26 Mai 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



S.A.S.U. TORANN FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Loïc LE ROY, avocat au barreau de DOUAI, assisté de Me Stéphane BAROUGIER, avocat au barreau de PARIS
...

ARRÊT DU

26 Mai 2023

N° 712/23

N° RG 21/02116 - N° Portalis DBVT-V-B7F-UAWF

MLBR/CH

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Lannoy

en date du

16 Décembre 2021

(RG 20/00207 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 26 Mai 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

S.A.S.U. TORANN FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Loïc LE ROY, avocat au barreau de DOUAI, assisté de Me Stéphane BAROUGIER, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ :

M. [F] [V]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par M. [P] [N] (Défenseur syndical)

DÉBATS : à l'audience publique du 04 Avril 2023

Tenue par Patrick SENDRAL

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Serge LAWECKI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 Mai 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Cindy LEPERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 14 mars 2023

EXPOSÉ DU LITIGE':

M. [F] [V] a été embauché par la SASU Torann France dans le cadre d'un contrat à durée déterminée du 1er février au 28 février 2017 en qualité d'agent de sécurité.

La relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 1er avril 2017.

Par courrier recommandé du 19 mai 2020, M. [V] a été convoqué à un entretien fixé au 2 juin suivant, préalable au prononcé d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à un licenciement.

Le 18 juin 2020, la société Torann France a notifié à M. [V] son licenciement pour faute grave.

Par requête du 2 décembre 2020, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Lannoy afin de contester son licenciement et d'obtenir diverses indemnités au titre de la rupture du contrat de travail.

Par jugement contradictoire du 16 décembre 2021, le conseil de prud'hommes de Lannoy a':

- jugé le licenciement de M. [V] sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Torann France à payer à M. [V] les sommes suivantes':

*6 425,36 euros bruts au titre d'indemnité égale à 4 mois de salaire,

*3 212,68 euros bruts au titre d'indemnité de préavis, outre 321,27 euros au titre des congés payés y afférents,

*1 204,75 euros bruts à titre d'indemnité de licenciement,

*100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que ces sommes seront majorées de l'intérêt au taux légal, à compter de la date de réception de la convocation par la partie défenderesse devant le bureau de conciliation et d'orientation soit le 14 décembre 2020, pour les créances de nature salariale et à compter du présent jugement pour tout autre somme,

- dit que les intérêts courus sur les sommes dues seront capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil,

- ordonné la rectification de l'attestation destinée à pôle emploi ainsi que les documents de fin de contrat,

- rappelé qu'en vertu de l'article R. 1454-28 du code du travail, la présente décision ordonnant le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées à l'article R. 1454-14 dudit code est exécutoire de plein droit dans la limite de 9 mois de salaire calculés sur la moyenne des 3 derniers mois, la dite moyenne s'élevant à 1 606,34 euros,

- ordonné à l'employeur de rembourser à Pôle emploi les allocations chômage versées à M. [V] depuis le licenciement dans la limite de 6 mois d'indemnités,

- débouté les parties de toutes autres demandes,

- condamné la société Torann France aux éventuels dépens de l'instance.

Par déclaration reçue au greffe le 23 décembre 2021, la société Torann France a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.

Dans ses dernières conclusions déposées le 19 mai 2022 auxquelles il convient de se référer pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Torann France demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

- débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes,

- le condamner à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux dépens.

Dans ses dernières conclusions envoyées le 12 avril 2022 et reçues le 13 avril 2022 auxquelles il convient de se référer pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, M. [V] demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la société Torann France à lui payer la somme de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

- condamner la société Torann France à lui payer la somme de 1 000 euros à ce titre.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION':

- sur le licenciement pour faute grave de M. [V] :

En s'appuyant sur les attestations des différents salariés cités dans la lettre de licenciement qui sont selon elle parfaitement régulières ainsi que sur les mains courantes des nuits concernées, la société Torann France soutient que la preuve des faits fautifs visés dans la lettre de licenciement est rapportée.

Elle ajoute que M. [V] reconnaît lui-même le retard à sa prise de service du 24 avril 2020 et confirme à travers son courrier de contestation que M. [Y] et M. [L] sont bien venus sur le site dans la nuit du 18 au 19 avril 2020, de sorte selon l'appelante que les premiers juges ne pouvaient écarter les griefs de cette nuit-là au seul motif que leur intervention n'avait pas fait l'objet d'une mention sur la main courante.

Pour contester son licenciement, M. [V] reprend à son compte les motifs du jugement et dénonce la non-conformité de certaines attestations, le lien de subordination de leur auteur avec son employeur ainsi que l'absence de réponse à certains points de sa lettre de contestation. Il remet également en cause la gravité des fautes alléguées en mettant en avant le fait que la convocation à l'entretien préalable n'est intervenue que le 19 mai 2020 et qu'il a par ailleurs continué à travailler jusqu'à l'envoi de la lettre de licenciement le 18 juin 2020.

Sur ce,

La faute grave privative du préavis prévu à l'article L1234-1 du même code est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend immédiatement impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis.

II appartient à l'employeur de rapporter la preuve de l'existence d'une faute grave, à défaut de quoi le juge doit rechercher si les faits reprochés sont constitutifs d'une faute pouvant elle-même constituer une cause réelle et sérieuse, le doute subsistant alors devant profiter au salarié.

Aux termes de la lettre de licenciement pour faute grave qui fixe les limites du litige, la société Torann France a retenu à l'égard de M. [V] les manquements suivants :

- vacation de nuit du 18 au 19 avril 2020 au poste de garde du site [Adresse 4] à [Localité 3] : constat par un autre salarié, M. [Y], arrivé à 4h05 du matin, que le portail d'entrée de la résidence était déverrouillé laissant l'accès libre à toute personne étrangère à la résidence. Rejoint à 4h30 par M. [L], les 2 salariés se sont présentés au poste de garde et ont 'constaté que M. [V] se trouvait sur un fauteuil, en position décontractée, tête posée sur un coussin personnel', 'laissant penser que vous étiez en train de dormir pendant votre temps de travail', fait aggravé selon l'employeur par les mentions volontairement tronquées portées sur la main courante où 'vous mentionnez être parti en ronde de 4h00 à 4h30",

- vacation de nuit du 24 au 25 avril 2020 sur le même site : Retard d'une heure par rapport au début du service, avec une mention tronquée sur la main courante, ce retard n'y apparaissant pas ; Absence de réponse vers 1h10 du matin à plusieurs appels sur le GSM PTI de M. [V] provenant de l'agent de sécurité M. [X] qui sollicitait une intervention pour tapage nocturne, constat ayant été fait par un autre agent de sécurité appelé sur place, M. [U], que M. [V] dormait dans son véhicule garé à l'extérieur du poste de garde, cette pause n'étant pas mentionnée sur la main courante.

Si M. [L] a effectivement omis de signer le premier exemplaire de son attestation produite en pièce 5 de l'appelante, celle-ci verse aux débats en pièce 12 cette même attestation régularisée par la signature de son auteur, au demeurant conforme à celle figurant sur sa pièce d'identité.

Il sera en outre rappelé qu'un employeur peut se prévaloir d'attestations rédigées par ses salariés, même si ceux-ci ont omis de déclarer leur lien de subordination dès lors que ces attestations présentent des garanties suffisantes d'impartialité.

Il sera relevé qu'en l'espèce, les attestations de M. [L] et de M. [Y] ne sont pas rédigées de la même façon, ni à la même date, et sont cohérentes entre elles s'agissant de la vacation du 18 avril 2020, M. [Y] indiquant avoir appelé son collègue vers 4h15 pour qu'il vienne sur place, ce que l'autre salarié confirme, lorsqu'il a constaté au niveau du local de garde que 'la personne était dans le noir sans bouger', les 2 salariés attestant être entrés dans le local de garde à 4h30 et avoir constaté que M. [V] était allongé dans le noir sur le canapé, mais avait nié être en train de dormir.

Ces 2 salariés attestent également qu'un portail a été retrouvé déverrouillé alors qu'il incombe à l'agent de surveillance pendant sa vacation de veiller à leur fermeture après une certaine heure.

Il sera par ailleurs relevé que même si la main courante correspondant à cette vacation ne fait pas mention de leur intervention, M. [V], dans sa lettre de contestation confirme bien la présence de ces 2 agents cette nuit là à 4h30 au niveau du poste de garde, sans donner d'explication à ce sujet alors que leur venue n'était pas prévue, ce qui renforce la crédibilité de ces 2 attestations qui seront donc retenues comme élément de preuve.

M. [V] ne produit en outre aucun élément de nature à créer le doute concernant le contenu de ces 2 attestations qui apparaissent d'autant plus crédibles que des agissements de nature similaire ont été constatés dans la nuit du 24 avril 2020 par un autre salarié, M. [U] qui atteste avoir été envoyé sur le site vers 1h30 du matin en raison de l'absence de réponse de M. [V] à plusieurs appels sur son téléphone PTI et avoir constaté que celui-ci était allongé dans son véhicule stationné devant le poste de garde tandis que son téléphone PTI se trouvait dans le poste.

La société Torann France joint par ailleurs un rapport par courriel rédigé cette nuit-là à 4h32 du matin par M. [X] pour informer sa hiérarchie de l'incident. Ce salarié y relate qu'il a tenté à plusieurs reprises de joindre M. [V] vers 1h10, un résident sollicitant une intervention pour tapage nocturne, et à défaut de réponse, a demandé à M. [U] de se rendre sur site pour voir ce qui s'y passait, celui-ci l'informant à 1h31 qu'il avait retrouvé M. [V] allongé dans son véhicule, le téléphone PTI étant resté dans le poste de garde.

Ce rapport fait spontanément la nuit même de l'incident conforte la crédibilité de l'attestation de M. [U], peu importe que l'intervention de celui-ci ne soit pas mentionnée sur la main courante qui, comme le souligne l'appelante, n'est renseignée que par l'agent de sécurité assurant la vacation.

Il se déduit également de ces différentes pièces que pour ces 2 nuits, M. [V] a renseigné les mains courantes de manière mensongère dans la mesure où il y fait état d'une ronde entre 4h00 et 4h30 pour la nuit du 18 au 19 avril 2020 alors qu'il se reposait alors au poste de garde depuis au moins 4h15, et qu'il ne fait pas mention de sa pause à 1H30 du matin sur la main courante du 24 avril 2020.

Dans sa lettre de contestation, M. [V] reconnaît enfin avoir pris son poste le 24 avril 2020 avec une heure de retard contrairement à ce qu'il a mentionné sur la main courante. Il lui incombe dès lors de rapporter la preuve que ce retard était comme il l'allègue indépendant de sa volonté.

En cela, l'extrait de son historique d'appels pour ce même soir, avec 2 appels successifs envoyés à un dénommé 'Said sécurité' à 21h39 et 21h40 puis un appel au 'planificateur Torann' à 22h09 est de nature à accréditer ses explications quant à ce retard, l'intéressé ayant indiqué dans sa lettre de contestation ne pas avoir réussi à contacter le rondier pour se faire remettre son badge d'accès et son téléphone PTI et qu'il a dû prendre contact avec le service d'astreinte pour que quelqu'un lui soit envoyé. Le doute devant lui bénéficier sur ce point, le caractère fautif de ce retard ne sera pas retenu.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, les griefs visés dans la lettre de licenciement apparaissent établis, à l'exception du retard susvisé. Ils constituent des manquements à la mission de surveillance de M. [V] suffisamment sérieux pour caractériser la cause réelle et sérieuse du licenciement de l'intéressé.

M. [V] fait en revanche observer à raison que la société Torann France a attendu le 19 mai 2020, soit près de 3 semaines après les derniers faits portés à sa connaissance, pour déclencher la procédure disciplinaire et le convoquer à un entretien préalable, sachant qu'elle a été rendue destinataire du rapport d'incident sur la nuit du 24 avril 2020 dès le jour même et de l'attestation de M. [Y] dès le 28 avril 2020.

Or, l'appelante ne donne aucune explication à ce sujet en réponse au moyen avancé par l'intimé et ne prétend notamment pas qu'elle a dû procéder à des vérifications avant de lancer la procédure disciplinaire.

Au regard du caractère tardif de son déclenchement, M. [V] ayant d'ailleurs continué à travailler pendant ce temps, les fautes, même prises dans leur ensemble, n'apparaissent pas d'une gravité telle qu'elles auraient rendu impossible la poursuite de la relation de travail pendant la durée limitée du préavis.

Il convient au vu de l'ensemble de ces éléments de confirmer le jugement en ses dispositions relatives à l'indemnité légale de licenciement et l'indemnité compensatrice de préavis, et de l'infirmer en ce qu'elle a fait droit à la demande indemnitaire de M. [V] pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qu'il y a lieu de rejeter.

- sur les demandes accessoires :

Au vu de ce qui précède, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

La société Torann France étant accueillie en partie en ses demandes, il convient de laisser à chaque partie la charge des dépens qu'elle aura exposés en appel.

L'équité commande également de les débouter de leur demande respective sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement entrepris en date du 16 décembre 2021 sauf en ce qu'il a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, accueilli la demande indemnitaire de M. [F] [V] à ce titre et ordonné le remboursement des allocations chômage ;

statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

REQUALIFIE le licenciement pour faute grave de M. [F] [V] en un licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

DÉBOUTE M. [F] [V] de sa demande en paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

DIT n'y avoir lieu au remboursement à Pôle emploi des allocations chômage versées à M. [F] [V] depuis le licenciement ;

DÉBOUTE les parties de leur demande respective sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que chaque partie conservera la charge des dépens qu'elle aura exposés en appel.

LE GREFFIER

Cindy LEPERRE

LE PRESIDENT

Marie LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 21/02116
Date de la décision : 26/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-26;21.02116 ?
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