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26/05/2023 | FRANCE | N°21/02028

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 26 mai 2023, 21/02028


ARRÊT DU

26 Mai 2023







N° 715/23



N° RG 21/02028 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T72F



MLBR/CH

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Saint-Omer

en date du

26 Novembre 2021

(RG -section )








































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GROSSE :



aux avocats



le 26 Mai 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [T] [O]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Céline VENIEL, avocat au barreau de SAINT-OMER





INTIMÉE :



S.A.S. ROYER LOGISTIQUE

[Adresse 5]

[Localité 2]

re...

ARRÊT DU

26 Mai 2023

N° 715/23

N° RG 21/02028 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T72F

MLBR/CH

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Saint-Omer

en date du

26 Novembre 2021

(RG -section )

GROSSE :

aux avocats

le 26 Mai 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [T] [O]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Céline VENIEL, avocat au barreau de SAINT-OMER

INTIMÉE :

S.A.S. ROYER LOGISTIQUE

[Adresse 5]

[Localité 2]

représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI, assisté de Me Manuella FAUVEL, avocat au barreau de RENNES

DÉBATS : à l'audience publique du 14 Mars 2023

Tenue par Marie LE BRAS

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Anne STEENKISTE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 Mai 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Cindy LEPERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 21 février 2023

EXPOSÉ DU LITIGE':

M. [T] [O] a été initialement embauché par la société Didry & Fils dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 18 octobre 1977 en qualité de magasinier emballeur.

À compter du 1er janvier 2011, son contrat de travail a été transféré à la société Royer devenue la société Royer logistique qui a notamment pour activité la gestion logistique des produits développés et industrialisés par les entreprises du Groupe Royer spécialisé dans le négoce sous licence et la distribution de chaussures.

Au cours de la relation de travail, il a évolué vers des emplois de chef magasinier, chef de marques puis de 'chef d'équipe logistique'.

A la suite d'un regroupement des activités logistiques de la société au sein d'un unique entrepôt localisé à [Localité 4], M. [O] a exercé à compter de mai 2015 ses fonctions sur ce nouveau site.

Le 1er mars 2019, la société Royer logistique a notifié à M. [O] une mise à pied disciplinaire d'un jour lui reprochant d'avoir percuté l'une de ses collègues de travail alors qu'il conduisait un transpalette et de ne pas avoir respecté les consignes de sécurité.

À compter du 4 mars 2019, M. [O] a été placé en arrêt maladie.

À la suite d'une visite de reprise en date du 21 janvier 2020, le médecin du travail a déclaré le salarié inapte 'à tout poste dans l'entreprise'.

M. [O] a été convoqué à un entretien fixé au 24 février 2020 préalable à un éventuel licenciement, puis par lettre recommandée du 3 mars 2020, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par requête du 15 décembre 2020, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Omer afin de contester son licenciement et d'obtenir diverses indemnités au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement contradictoire du 26 novembre 2021, le conseil de prud'hommes de Saint-Omer a débouté M. [O] de l'ensemble de ses demandes et débouté la société Royer logistique de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 8 décembre 2021, M. [O] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société Royer logistique de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 19 juillet 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, M. [O] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes,

et statuant à nouveau':

- requalifier son licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Royer logistique à lui payer les sommes suivantes':

*60 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*15 000 euros en réparation du préjudice subi consécutif au harcèlement moral,

*6 000 euros en réparation du préjudice subi pour manquement de l'employeur à son obligation de formation,

- condamner la société Royer logistique à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance, et la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ainsi qu'aux dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées le 23 mai 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Royer logistique demande à la cour de confirmer le jugement rendu sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et statuant à nouveau de':

- condamner M. [O] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure pour la première instance,

A titre subsidiaire, si la cour faisait droit aux demandes de M. [O],

- constater le caractère injustifié et disproportionné des demandes indemnitaires présentées,

- réduire le montant des demandes financières formées par M. [O] à hauteur de 3 mois de salaire soit la somme de 9 007,23 euros,

En tout état de cause,

- condamner M. [O] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel et le condamner aux dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 février 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION':

- sur le harcèlement moral dénoncé par M. [O] :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte des dispositions de l'article L. 1154-1 du code du travail que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, pour dénoncer le harcèlement moral qu'il dit avoir subi et qui serait la cause de son inaptitude, M. [O] explique qu'à la suite de la réorganisation des services et de leur déménagement sur le site d'[Localité 4], il a subi un déclassement dans les fonctions exercées, en étant affecté sur le poste de responsable d'expédition sans salarié sous sa responsabilité alors qu'il en avait précédemment 10 à gérer, et a par ailleurs été mis à l'écart, se voyant affecté un bureau isolé au fond de l'atelier. Il dénonce également le fait que 'plus aucun collègue de travail ne lui parlait ou ne lui disait bonjour' et qu'il a aussi été insulté.

Il s'appuie sur les attestations d'anciens collègues et de proches pour étayer ses dires et établir la dégradation de son état de santé en lien avec celle de ses conditions de travail, ainsi que plusieurs pièces médicales.

Ainsi, Mme [U], salariée de la société Royer Logistique atteste que jusqu'au déménagement sur le site d'[Localité 4], M. [O] avait une dizaine d'employés sous sa responsabilité mais qu'arrivé à [Localité 4], 'il a été mis à l'écart de tout le monde. On lui a construit un bureau tout au fond de l'entrepôt complètement isolé de tout et de tout le personnel. Il était seul tout le temps. [L] à petit, on lui a réduit l'effectif de son équipe pour à la fin n'avoir plus personne sous sa responsabilité...M. [O] devait très souvent charger seul sans aucune aide des camions entiers alors que normalement son travail était de gérer une équipe'. Elle certifie par ailleurs que certains salariés qu'elle désigne précisément n'étaient pas placés sous la responsabilité de l'appelant contrairement à ce qui apparaît sur un tableau de l'employeur.

Si Mme [V] s'est absentée de l'entreprise à compter du 12 janvier 2018 comme relevé par la société Royer Logistique, cela ne remet pas en cause la crédibilité de ses 2 attestations pour la période antérieure puisqu'elle précise qu'elle a intégré le nouvel entrepôt d'[Localité 4] en même temps que M. [O] et a donc travaillé à ses côtés pendant plus de 2 ans avant son départ.

Aux termes de ses 2 attestations, elle certifie, comme Mme [U], que M. [O] s'est vu progressivement retirer l'équipe placée auparavant sous sa responsabilité, se retrouvant seul à travailler avec quelques intérimaires pour l'aider les jours d'affluence avant d'être seul. Elle précise aussi 'avant que je sois en arrêt maladie, nous étions au fond du dépôt avec des bureaux' et insiste sur le fait que M. [O] n'avait déjà plus le moral et lui avait dit 'qu'il traînait les pieds et avait un noeud à l'estomac pour venir au travail...son état de santé moral s'est dégradé'.

Ces 2 attestations cohérentes entre elles suffisent à établir la matérialité des faits tirés de la réduction des responsabilités de M. [O] et de son isolement géographique par rapport aux autres salariés.

En revanche, si Mme [V] relate 'qu'aucune personne ne sait plus lui dire un simple bonjour', le fils de M. [O] attestant pour sa part, avoir constaté lorsqu'il travaillait sur le site pendant ses vacances que 'on ne lui parlait plus...j'ai aussi été témoins de noms d'oiseaux, d'insultes à son égard', les faits ainsi relatés n'apparaissent pas suffisamment circonstanciés et datés pour les considérer comme matériellement établis.

Par ailleurs, M. [O] verse aux débats plusieurs certificats médicaux et prescriptions médicamenteuses dont un certificat du docteur [B], médecin psychiatre, en date du 22 juillet 2020 attestant suivre l'intéressé pour des troubles anxio dépressifs depuis mars 2019, soit concomitamment à son arrêt de travail.

Ce même praticien dans plusieurs courriers rédigés en 2019 puis le 7 janvier 2020 indique notamment que ce syndrome serait selon le patient à rapprocher de difficultés récurrentes rencontrées sur son poste de travail qu'il évoque spontanément, générant chez lui une peur panique de reprendre, 'aucun antécédent de ce type et aucun souci extra professionnel' n'étant susceptibles d'expliquer son état.

Il s'ensuit que M. [O] dénonce des faits qui, pour certains ne sont pas matériellement établis, mais qui, pour ceux qui le sont, à savoir la mise à l'écart et le déclassement pendant plusieurs années, pris dans leur ensemble, et en tenant compte des pièces médicales susvisées, permettent de laisser supposer l'existence d'une situation de harcèlement moral à son égard compte tenu de la dégradation des conditions de travail et de son état de santé qu'ils sont susceptibles d'avoir entraînées.

Il incombe dès lors à la société Royer Logistique de prouver que les agissements dénoncés ne sont pas établis ou qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A cet effet, l'intimée conteste que M. [O] ait fait l'objet d'un déclassement. Elle soutient qu'en dépit de la réorganisation des services et de l'évolution à partir de la fin d'année 2015 de certaines activités (organisation par type d'activité et non plus par marques), M. [O] a toujours exercé les mêmes responsabilités conformément à son emploi, à savoir l'encadrement d'une équipe et la gestion logistique d'un entier périmètre d'activité comprenant en dernier lieu en tant que responsable d'expédition, la gestion des affrètements, de la messagerie et des retours ainsi que le contrôle des factures. Elle fait également observer que M. [O] n'a jamais formulé de plainte quant au supposé déclassement de son emploi lors des entretiens annuels.

Elle produit pour en justifier :

- l'organigramme de l'entreprise à différentes dates,

- la photographie du résultat d'une réunion de managers en date du 4 décembre 2017, dont l'objet était de réfléchir sur l'évolution des fonctions managériales et les pratiques professionnelles,

- les compte-rendus d'entretien d'appréciation annuel de M. [O] pour les années 2016 à 2018,

- l'extraction du logiciel de gestion des entretiens pour démontrer que l'intéressé procédait aux évaluations de son équipe,

- des documents relatifs à la formation en tant que chef d'équipe suivi par M. [O] en novembre 2017.

Toutefois, les organigrammes produits dont M. [O] conteste avoir eu connaissance, apparaissent avoir été établis par l'intimée pour les besoins de la cause, sans mention d'une quelconque notification à M. [O]. Rien ne permet de considérer qu'il s'agit d'organigrammes officiels diffusés en leur temps à l'ensemble des salariés dont M. [O]. Le caractère objectif de ces organigrammes ne peut donc être retenu et ce d'autant qu'ils sont contredits par l'attestation de Mme [U], nullement critiquée par l'intimée en son contenu, qui atteste que ni M. [G], ni Mme [I], ni enfin Messieurs [K] et [X] ne travaillaient sous la responsabilité de M. [O] contrairement à ce qui est indiqué sur ces organigrammes.

Ne peuvent non plus valoir preuve objective des responsabilités managériales réellement confiées à M. [O], les clichés photographiques de plusieurs post-it collés sur un tableau mural, présentés comme étant le fruit d'une réunion des encadrants organisée en décembre 2017, ces clichés étant non datés et aucune référence à M. [O] et à la composition de son équipe n'y figurant.

De manière générale, il sera relevé que la société Royer Logistique ne produit aucun courrier, courriel ou compte rendus de réunion, notamment celle de décembre 2017, relativement à la réorganisation de ses services et des fonctions des encadrements pour connaître précisément le contenu des fonctions et responsabilités de M. [O], les motifs de leur évolution et aussi justifier de la nature des informations transmises à ce sujet à M. [O] sachant que la société Royer Logistique admet que celui-ci est passé en 2018 de chef de marques à chef d'équipe expédition et que les périmètres de chaque activité ont changé.

De même, au vu de leur contenu, les synthèses d'entretien annuels d'appréciation dont M. [O] conteste avoir eu connaissance, sont insuffisantes à reflèter la réalité des fonctions et responsabilités de celui-ci entre 2016 et 2019, aucun rappel de son périmètre d'intervention n'y figurant et la notion 'd'équipe' étant utilisée sans indication de son importance. Ne sont d'ailleurs joints à ces synthèses rédigées entièrement par le supérieur hiérarchique de M. [O], ni le justificatif de leur notification au salarié, ni les compte-rendu d'entretiens dont les dates sont au demeurant ignorées, signés par le salarié.

Est tout aussi insuffisant à renseigner la cour sur la réalité des fonctions d'encadrement de M. [O], l'extrait du logiciel de suivi des entretiens d'appréciation des salariés car s'il porte mention du fait que l'intéressé aurait personnellement mené 2 entretiens en 2018 et 2 entretiens en 2019, aucun de ces compte-rendus n'a été produit pour en attester de la réalité, l'appelant contestant les avoir réalisés.

La société Royer Logistique prétend également qu'il validait les congés de ses collaborateurs mais ne produit aucune pièce pour le démontrer.

Ainsi, les pièces produites par la société Royer Logistique n'apparaissent ni suffisamment objectives pour certaines, ni suffisamment probantes pour d'autres, pour démontrer que les responsabilités managériales de M. [O] n'ont pas été réduites lorsque dans le cadre de la réorganisation des services et activités, il s'est notamment vu affecté à compter de 2018 sur le poste de chef d'expédition.

De même, l'intimée ne produit aucune pièce pour démontrer que M. [O] n'a pas été mis à l'écart dans un bureau très isolé au fond du dépôt, ou le cas échéant pour justifier de cette localisation qui conforte au contraire les allégations de M. [O] lorsqu'il dit qu'il n'était plus entouré d'une équipe de collaborateurs.

Le fait que M. [O] soit convié aux réunions collectives, ce qui au demeurant n'est pas établi, n'est enfin pas exclusif de ces mise à l'écart et perte de responsabilités dans l'exercice quotidien de ses fonctions.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Royer Logistique échoue à démontrer par des éléments objectifs et probants que M. [O] n'a pas fait l'objet d'une mise à l'écart et d'un déclassement progressif à compter du déménagement et que l'évolution de son positionnement dans l'entreprise est étrangère à tout harcèlement moral.

Même si M. [O] admet qu'il n'a pas 'osé' dénoncer sa situation auprès de son employeur, ceci n'a pas pour effet d'écarter l'hypothèse d'un harcèlement qui peut être subi en silence, ni d'exclure l'existence d'un préjudice qui est nécessairement résulté de ce harcèlement.

En outre, l'attestation de son épouse qui confirme la dégradation de son état de santé mentale en raison des angoisses liées à son travail, évoquant son progressif refermement sur lui-même, son sentiment d'inutilité, restant 'assis des heures dans le noir', ainsi que les certificats médicaux qui s'ils ne font que relater les déclarations de M. [O] quant aux causes de ses angoisses, confirment la réalité du trouble anxio dépressif qui en est résulté, suffisent à établir l'ampleur du préjudice moral ainsi causé qu'il convient de réparer par une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, étant rappelé que le préjudice ainsi réparé est d'une nature distincte du préjudice susceptible de résulter de la perte injustifiée de son emploi du fait de son licenciement.

- sur le licenciement de M. [O] :

L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse. Le licenciement pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude trouve sa cause véritable dans un manquement de l'employeur.

Au titre de son obligation légale de sécurité de résultat et de prévention, l'employeur doit notamment prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou faire cesser les agissements de harcèlement moral.

En l'espèce, M. [O] soutient que le harcèlement moral qu'il a subi, ajouté à une informatisation de son activité sans moyen adéquat, ni formation pour y faire face et génératrice de stress supplémentaire, sont directement à l'origine de son inaptitude médicale à reprendre un poste au sein de l'entreprise à l'issue de son arrêt de travail. Il dénonce à travers ces agissements un manquement de son employeur à son obligation de sécurité et en conclut que son licenciement est dès lors dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il a été précédemment retenu que M. [O] a subi une situation de harcèlement moral à la suite de son déclassement fonctionnel et de sa mise à l'écart qui a entraîné une dégradation de son état de santé mentale.

Même si M. [O] admet ne pas avoir explicitement dénoncé la réduction de son périmètre d'intervention et l'évolution de ses missions, il incombait malgré tout à son employeur au titre de son obligation de sécurité et surtout de prévention de veiller, à travers notamment un accompagnement adapté, à ce que la mise en oeuvre de la réorganisation des services n'entraîne pas une dégradation des conditions de travail de M. [O] et une dévalorisation de ses fonctions.

Or, aucune des pièces produites, pour les motifs précédemment retenus, ne suffisent à établir la réalité des mesures de prévention et d'accompagnement que la société Royer Logistique prétend avoir mise en place concernant M. [O]. Il n'est fait état d'aucun compte rendu d'entretien, ou courrier pour lui expliquer les raisons de l'évolution de ses fonctions et s'assurer que cela n'entraîne pas une dégradation des conditions de travail de l'intéressé.

Par ailleurs, la société Royer Logistique reconnaît en page 24 de ses conclusions, qu'il a été demandé pour la première fois à M. [O] d'utiliser un ordinateur pour renseigner dans le cadre de ses fonctions un document Excel de suivi. Elle prétend que l'intéressé a bénéficié à ce titre d'un accompagnement par son manager pour la prise en main de l'outil mais ne produit aucune pièce objective pour en justifier, sachant qu'il n'est ni prétendu, ni justifié que M. [O] a bénéficié de formation informatique.

Ce supposé accompagnement ne se déduit pas non plus du fait que son supérieur hiérarchique dans les synthèses annuelles d'appréciation indique que sa maîtrise des outils informatiques a progressé et qu'il est de plus en plus à l'aise, cela pouvant aussi s'expliquer par l'importance des efforts personnels de M. [O] pour y parvenir, en dépit de l'absence d'accompagnement et de formation informatique, de tels efforts étant de nature, ainsi que celui-ci l'allègue, à générer un stress important qu'il incombait à la société Royer Logistique de prévenir.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient de retenir que l'intimée a manqué à son obligation de sécurité et de prévention à l'égard de M. [O].

Par ailleurs, à travers les certificats médicaux très circonstanciés évoqués plus haut, il est établi que le suivi thérapeutique et le traitement médicamenteux pour des troubles anxio-dépressifs est contemporain à l'arrêt de travail de M. [O] en mars 2019 et s'est poursuivi au-delà même de la reconnaissance de son inaptitude, le docteur [B] dans ses courriers et plus particulièrement dans son dernier courrier du 7 janvier 2020 relatant les propos tenus par l'intéressé concernant ses difficultés professionnelles en rapport avec les changements, la dissolution de son équipe et les changements de fonctions ressentis comme 'une régression progressive', avant de constater que l'anticipation de la reprise est devenue anxiogène et susceptible d'orientation vers une mise en inaptitude à son environnement professionnel.

Etant rappelé que le médecin du travail le 21 janvier 2020, soit quelques semaines plus tard, a pris un avis d'inaptitude 'à tout poste dans l'entreprise', l'ensemble des éléments susvisés démontre que l'inaptitude trouve sa cause directe et certaine dans les actes de harcèlement moral et le manquement de son employeur à son obligation de sécurité et de prévention, la société Royer Logistique ne lui opposant aucun élément pour contredire le diagnostic posé ou établir que la cause de son inaptitude est étrangère aux faits de harcèlement.

Il convient en conséquence de considérer le licenciement de M. [O] sans cause réelle et sérieuse.

Mettant en avant sa longue ancienneté dans l'entreprise, 42 ans, M. [O] sollicite le paiement d'une somme de 60 000 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans un subsidiaire, la société Royer Logistique sollicite pour sa part la limitation de cette indemnisation à l'équivalent de 3 mois de salaire, soit 9007,23 euros, jugeant la demande de M. [O] disproportionnée.

L'appelant était âgé de 58 ans au jour de son licenciement pour inaptitude et bénéficiait alors de 42 ans d'ancienneté. Il ne donne en revanche aucun élément sur sa situation professionnelle et financière postérieurement au licenciement, sachant que son âge a cependant nécessairement rendu difficile une recherche d'emploi.

Il convient en conséquence, en l'absence d'autre élément sur l'amplitude du préjudice causé nécessairement par la perte injustifiée de son emploi, de condamner la société Royer Logistique à lui payer, sur la base d'un salaire moyen de 3 002,42 euros, la somme de 30 025 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

Les conditions de l'article L. 1235-4 du code du travail étant applicables au cas d'espèce, il convient d'ordonner d'office le remboursement par la société Royer Logistique aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu'ils ont éventuellement versées à M. [O], dans la limite de 3 mois.

- sur le manquement à l'obligation de formation :

Aux termes de l'article L. 6321-1 du code du travail, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille également au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations, et ce même si les salariés n'ont formé aucune demande de formation.

M. [O] sollicite le versement d'une somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le manquement de son employeur à son obligation de formation, dénonçant comme il a été vu précédemment l'absence de formation informatique malgré l'informatisation de ses activités, ce qui a selon lui diminué son employabilité.

Si la société Royer Logistique justifie de plusieurs formations notamment en matière de sécurité et de conduite de chariot automoteur (CACES), il a été précédemment statué qu'elle ne justifie en revanche pas de l'accompagnement ou de formation dont M. [O] aurait dû bénéficier pour faire face à l'utilisation nouvelle pour lui d'outils informatiques, peu importe que ceux-ci soient selon l'intimée, simple d'utilisation, cette appréciation étant purement subjective.

Elle a ainsi manqué à son obligation de formation telle que définie plus haut.

Contrairement à ce qu'elle prétend, le préjudice qui est susceptible d'en résulter est distinct de celui tiré de la perte injustifiée de son emploi, et apparaît en l'espèce établi compte tenu de la perte d'employabilité qui en est résultée pour faire face à l'évolution de ses fonctions. Il convient à titre de réparation de condamner la société Royer Logistique à payer à M. [O] une somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts.

- sur les demandes accessoires :

M. [O] étant accueilli en ses demandes principales, la société Royer Logistique devra supporter les dépens d'appel ainsi que les dépens de première instance sur lesquels les premiers juges ont omis de statuer.

La société Royer Logistique sera en outre déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est en revanche inéquitable de laisser à M. [O] la charge des frais exposés en première instance et en appel. La société Royer Logistique est condamnée à lui payer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile 1500 euros pour les frais engagés en première instance et 1 000 euros pour ceux d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement entrepris en date du 26 novembre 2021,

statuant à nouveau,

DIT que le licenciement de M. [T] [O] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Royer Logistique à payer à M. [T] [O] les sommes suivantes :

- 5 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé par le harcèlement moral subi,

- 1 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le manquement à l'obligation de formation,

- 30 025 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

DIT que la société Royer Logistique devra rembourser aux organismes concernés, les indemnités de chômage qu'ils ont éventuellement versées à M. [T] [O], dans la limite de 3 mois ;

CONDAMNE la société Royer Logistique à payer à M. [T] [O] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile 1500 euros pour les frais engagés en première instance et 1 000 euros pour ceux d'appel ;

DIT que la société Royer Logistique supportera les dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER

Cindy LEPERRE

LE PRESIDENT

Marie LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 21/02028
Date de la décision : 26/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-26;21.02028 ?
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